Introduction à la sociologie/L'évolution de la pensée sociologique/L'histoire des idées sociologiques. La période classique de Comte à Weber

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Nous avons exposé dans le chapitre précédent la façon dont la sociologie s'est institutionnalisée, mais nous n'avons parlé que de manière superficielle, ou de manière très générale, de l'évolution du contenu des théories. Pour combler ce manque, nous allons tenter de dresser dans ce chapitre, un portrait qui soit le plus complet possible de l'évolution des théories sociologiques.

L'histoire des idées sociologiques. La période classique, de Comte à Weber.[modifier | modifier le wikicode]

Les courants socialistes et marxistes.[modifier | modifier le wikicode]

C'est sur le terreau de la révolution industrielle que le socialisme va prendre racine. Il se constitue autour de quelques thèmes centraux : l'organisation des forces productives, les inégalités sociales (en terme de pouvoir, de revenus, de participation, de capitaux, etc.) et la reconstruction du lien social. Mais malgré une origine commune, son influence sur la sociologie emprunte au cours du 19ème siècle des voies changeantes. aussi va-t-il générer, en fonction des sensibilités des auteurs et des particularismes nationaux une grande variété de théories sociologiques et économiques. Historiquement, la critique économique et sociale se répercutera dans 5 grandes courants théoriques : le socialisme utopique, l'anarchisme, le marxisme, l'institutionnalisme américain et l'école durkheimienne. Toutes ces réflexions s'inscrivent en continuité de l'esprit des lumières, elles visent à construire et à appliquer un projet émancipateur de transformation de la société reposant sur des bases scientifiques.

Le saint-simonisme[modifier | modifier le wikicode]

Le socialisme utopique se développe essentiellement dans deux pays : l'Angleterre et la France. Héritiers des lumières, les penseurs socialistes en essayant de concevoir des sociétés idéales ou des réformes sociales vont se montrer particulièrement inventifs. Leur contestation de la société industrielle se traduit par des plans de transformation rationnelle et scientifique de la société qui sont parfois accompagnés d'expérimentations concrètes. Quatre auteurs marqueront leur époque : Saint-Simon (qui collaborera avec Comte), Charles Fourier, Robert Owen, et Georges Babeuf. Si ces penseurs se rejoignent dans un même idéal socialiste, ils conservent des vues relativement divergentes sur les remèdes qui permettraient de sortir de la crise sociale qui sévit au 19ème siècle.

La réflexion de Saint-Simon se fonde sur une distinction entre d'une part les producteurs qui créent la richesse, et les dirigeants ou gouvernants qui usent du pouvoir ou de la parade et ne créent pas de plus-values réelles. Il oppose ainsi les producteurs à ceux qui occupent des fonctions honorifiques et ne créent rien et qui pourtant captent une grande partie du revenu de la nation. Pour remédier à cette injustice, il propose qu'une élite composée de scientifiques et d'artistes prenne en charge l'évolution de la société en suggérant et en coordonnant des projets de travaux publics. La politique devient alors la science de la production, c'est à dire la science qui a pour objet l'ordre des choses le plus favorable à tous les genres de production, et au bonheur du plus grand nombre. Saint-Simon anticipe ainsi l'organisation technocratique, il prône la rationalisation optimale de la production en opérant une scission entre la sphère de la technique, celle du travail et celle des dirigeants. À bien des égards, cette analyse reste encore d'actualité. En effet les conflits de régulation qui peuvent advenir entre le pouvoir institutionnalisé au sein d'une entreprise et la sphère des travailleurs ou des producteurs qui connaissent mieux l'environnement technique que les premiers, et qui sont les seuls à produire de la « richesse réelle », restent encore des problèmes centraux en sociologie des organisations. Mais l'organisation sociale que préconise Saint-Simon laisse peu de place à la liberté individuelle. À l'inverse, un penseur comme Fourier se montre beaucoup plus attentif à celle-ci. Pour Fourier, ce qui compte avant toute chose, c'est le bonheur humain. Pour lui, « Le bonheur (...) consiste à avoir le plus de passions possibles, et les plus ardentes et les plus excessives, et à pouvoir les satisfaire toutes ». Cet hédonisme conduit à l'association industrielle. Le travail devient attrayant car chaque personne s'oriente vers le métier de son choix, de façon spontanée, suivant en cela ses instincts les plus profonds, ceux que même la raison et la réflexion ne peuvent commander. C'est le principe de « l'attraction spontanée », l'association se réalise naturellement, chacun est libre de s'orienter selon ses goûts. En fait, Fourier va plus loin car il considère cette attraction comme l'un des principes fondamentaux de l'univers. Selon lui, elle œuvre à travers toutes formes d'existence : de la matière à la société, il y a une unité du système de mouvement pour le monde matériel et spirituel ou encore, une analogie entre les mouvements organiques, matériel, animal et social. En somme, il y a une homologie structurale entre différents domaines de la réalité. Fourier imagine alors une société idéale, la phalanstère, régie par une mathématique sociale qui tienne compte des lois de l'attraction. Ainsi résout-il simultanément, dans une vue toute théorique, les problèmes de l'adéquation des intérêts individuels et de l'incitation à l'effort. Il prônera également le garantisme social. Remarquons que certains essais de phalanstère se montreront relativement concluants. Ce qui distingue Fourier d'un penseur comme Saint-Simon, c'est donc qu'il abandonne l'idée du progrès industriel ou de la Raison, au profit de celle du Bonheur. Il marque par là son refus. Il conteste la légitimité du monde industriel qu'il voit naître et rejette l'idée même de calcul ou d'intérêt qui en constitue le sous-bassement pour lui substituer celle beaucoup plus riche de la passion. Par son ambition de transformer le social, Fourier anticipe l'associationnisme et certaines des caractéristiques les plus frappantes de la société moderne. Car, si on observe le développement croissant du bénévolat, la progression numérique des communautés de passionnés, comme celle de Linux par exemple, nous ne sommes pas si éloignés de l'utopie qu'avait rêvée Fourier. D'autre part, les réflexions de Fourier et de Saint-Simon paraissent en réalité complémentaires si on les applique à la société contemporaine. L'une insiste sur la fracture entre une classe improductive qui parasite et dirige illégitimement la classe productive, l'autre propose une organisation optimale de l'organisation sociale et productive, fondée sur l'association d'intérêts. En outre, toutes deux sont d'accord sur le fait qu'il faut aider les plus défavorisés. Les points de vue utopistes qu'ils ont développés leur ont donc permis de penser la société avec une acuité à laquelle peu de leurs contemporains pouvaient prétendre, et c'est probablement injustice qu'on ait qualifié leur travaux d'irréalistes. Cette qualification reviendra toutefois fréquemment lors des périodes de crise, comme l'un des arguments principaux que la rhétorique réactionnaire emploiera pour bloquer toute velléité de réformes (voir les analyses de Hirschman, 1995).

Alors que l'utopie de Fourier nous offre la vision d'une société finalement assez proche de certains libéraux anglais réformateurs comme John S. Mill par exemple, un socialiste comme Babeuf s'en écarte de manière radicale. Pour lui, le salut vient d'un communisme égalitariste. Le bonheur ne peut provenir que d'un état de nature où seront supprimés les inégalités, l'argent, le commerce, etc. Il se plaît à imaginer un monde d'abondance et d'égalité absolue où la société consentie par l'intérêt commun transcende l'individu. Tous les biens sont communs, l'industrie sociale est unique, tout le monde détient les mêmes droits et devoirs, le talent n'est pas rémunéré dans la mesure où il est socialement déterminé, etc. Notons au passage que cette thèse déterministe qui fait de l'Homme le produit des circonstances et de son milieu sera également développée en Angleterre par le socialiste Owen. En fonction de cette idée, il militera en faveur d'une religion rationnelle et d'une science de la production, de la pédagogie et du gouvernement qui libèrent les hommes du carcan de la misère.

Comme on le voit avec Babeuf, le communisme peut conduire in fine à un asservissement de l'individu par la communauté. C'est ce à quoi les anarchistes vont s'opposer. William Goodwin par exemple, se demande comment substituer à la société contraignante, une organisation décentralisée respectueuse de la liberté et des choix individuels. Il prône alors la suppression de la propriété privée et l'apprentissage spontané de la liberté et du respect par le développement de la raison et de l'éducation. Il reste farouchement opposé à toute forme d'autorité. Après lui, Thomas Spence défend l'idée d'une collectivisation des terres et d'une démocratie qui combinerait redistribution des revenus, système de retraite et taxation sur la propriété foncière. Il anticipe près de un siècle en avance, les fondements du Welfare State.

La sociologie de Proudhon[modifier | modifier le wikicode]

Joseph Proudhon sera l'autre figure marquante de l'anarchisme. Avant Marx, Proudhon développe une théorie de la plus-value et de l'exploitation, ainsi qu'une théorie de l'État bureaucratique. Elle tient dans les propositions suivantes :

  • Il y une différence entre la productivité individuelle et la productivité qui résulte de la combinaison des travaux individuels (la force collective). Cette différence crée une plus-value qui est captée indûment par les capitalistes. Ainsi même si le contrat de travail est librement consenti, il n'est pas rémunéré à sa valeur réelle. En outre, l'organisation de la propriété engendre une injustice inacceptable, elle ne permet pas au travailleur de disposer librement des fruits de son travail et de son épargne, d'où sa fameuse formule : « La propriété, c'est le vol ». Cette maxime sera souvent interprétée comme une justification à la collectivisation des terres, et la dépossession des biens individuels. Pourtant, telle n'était pas la volonté de Proudhon, par cette phrase, il signifiait seulement que le capitaliste accapare pour son propre compte la plus-value du travail collectif des ouvriers.
  • Proudhon élabore également une théorie de l'État. Critiquant la centralisation étatique, il considère que l'État d'une part obéit à une véritable loi d'expansion et d'envahissement. Ce mouvement centrifuge conduit au renforcement des bureaucraties, des armées, des polices et à la suppression progressive des libertés individuelles. De plus, l'État qui s'impose comme l'arbitre des mouvements sociaux se révèle impartial, puisqu'il favorise d'une manière générale la classe capitaliste aux dépens de celle des travailleurs.

Pour remédier à cette situation, Proudhon propose l'auto-organisation des acteurs sociaux. Elle repose sur la coopération librement consentie, le contrat social (Rousseau), le mutualisme, le crédit gratuit et le fédéralisme. Pour réconcilier l'autorité et la liberté, les deux principes contradictoires qui gouvernent les peuples, il propose la notion de convention. Celle-ci permet d'établir en toute liberté des principes qui vont ensuite avoir force d'autorité sur ceux qui se sont engagés sans contraintes à les suivre dans l'intérêt de tous. L'importance qu'il accorde à la liberté individuelle et à l'échange font donc de Proudhon un penseur libertaire. Dans cette optique, il s'opposera fermement à Marx, en rejetant le collectivisme et l'instauration d'un nouveau dogme fondé sur la raison et la connaissance des lois sociales. Il s'opposera également de manière ferme aux monopoles, à la « féodalité industrielle » et à la planification. Proudhon parvient donc à réconcilier l'égalitarisme dans l'échange avec la liberté individuelle telle que la prône les libéraux. Ce mélange harmonieux entre liberté individuelle, production collective et interactions sociales qui transitent par l'échange et par des contrats mutuellement consentis et non déséquilibrés, le tout appuyé par une théorie pragmatique et cohérente, lui permettra d'exercer une influence importante sur le monde ouvrier et paysan français (dont il était issu). Proudhon a ainsi contribué pour une grande part dans l'établissement d'institutions telles que les associations, les coopératives, et les mutuelles, ... Ce qui montre sa réelle clairvoyance : certaines de ses intuitions seront réalisées dans la pratique.

La sociologie marxiste[modifier | modifier le wikicode]

Mais au final, la pensée de Proudhon n'aura somme toute qu'un impact assez faible sur la pensée sociale européenne, et qui plus est, limité à des domaines bien précis. En revanche le courant théorique issu de la pensée de Karl Marx va avoir une influence considérable dans l'histoire de la pensée occidentale. Tous les domaines des sciences sociales sont concernés par la pensée marxiste, en particulier les sciences politiques, les sciences économiques, l'histoire et la sociologie. Il faut dire que Marx a tenté de réaliser l'une des synthèses les plus ambitieuses de la pensée européenne, en englobant une large gamme de courants de pensée : l'économie politique anglaise et française, le positivisme, le socialisme français, la philosophie historique allemande, la philosophie hégelienne, etc. Conséquence fâcheuse, sa philosophie sociale en est devenue plus ou moins hermétique, à tel point qu'il est devenu vain de chercher à l'appréhender par une lecture superficielle. Qui plus est, la complexité de sa pensée et son inconstance, rendent possible plusieurs interprétations concurrentes. La pensée de Marx opère donc une rupture radicale dans la pensée socialiste. L'étude de la société, et l'action qui doit en résulter deviennent une affaire de scientifiques, et par là même, elles se coupent de leur base sociale. Ce qui contraint à engager des actions politiques dont la finalité peut être en adéquation avec la théorie marxiste mais sans qu'on puisse les rattacher avec la totalité de la théorie, puisque pour intégrer celle-ci, il faut faire preuve d'une grande érudition et d'une certaine ténacité. Paradoxalement, Marx fait donc de la science sociale une science élitiste (bien qu'il militera activement). Autant, durant les lumières, l'élitisme de la réflexion sociale était essentiellement le fait des conditions matérielles particulières qui pouvaient régner durant cette période et qui ne laissaient la parole qu'aux plus favorisés, autant avec Marx, cet élitisme trouve une justification théorique. Par conséquent, Marx inaugure le savant mariage entre la doctrine, l'idéologie ou la science sociale, et le pouvoir politique. Car les seuls qui peuvent prétendre à modifier la société sont ceux qui en connaissent les rouages, et qui vont œuvrer pour son bien. Le peuple se trouve donc dépossédé, comme dans le taylorisme, de sa capacité à gérer la société ou la production économique, sa compétence se trouve remise en cause par sa méconnaissance des vrais mécanismes sociaux qui créent les lois sociales. En quelque sorte, il doit renoncer à la compréhension et à l'organisation de la société qu'il laisse aux scientifiques, en échange de quoi, il peut aspirer à un monde plus juste où il ne subirait plus l'aliénation (concept qui exprime le fait que le travailleur est étranger du produit de son travail qui est saisi par l'employeur. Le travail devient alors un carcan pour l'ouvrier). Marx appuie sa théorie sur une méthode, le matérialisme dialectique, qu'il tire de la philosophie hégelienne. Ses principaux points sont [1] :

Le matérialisme historique. Les hommes font leur propre histoire, mais sur la base de conditions données, héritées du passé. Parmi celles-ci, les conditions de la reproduction matérielle de la société sont déterminantes en première instance. L'Histoire n'est donc pas déterministe, les hommes se font eux-même en même temps qu'ils agissent. D'autre part, l'histoire humaine ne suit pas comme dans le positivisme comtien un déroulement linéaire vers le progrès. S'inspirant de Hegel, Marx considère que le devenir de toute réalité se comprend dans la triade suivante : l'affirmation (la thèse), la négation (l'antithèse), et la négation de la négation (la synthèse). Mais si pour Hegel, cette évolution se déduit de la nature de l'Esprit, pour Marx, elle doit s'inscrire dans le matérialisme dialectique. Aussi est-il amené à penser que les conditions économiques détermine l'anatomie d'une société. Mieux, la conscience des hommes ne détermine pas la réalité, c'est la réalité sociale qui détermine leur conscience. D'une certaine manière, on retrouve dans une version élargie l'idée de Comte, selon laquelle l'Esprit est déterminé par des conditions historiques et sociales. Mais Marx complexifie cette idée, et lui confère une base scientifique, c'est à dire qu'il rattache la conscience à un mode de production, ensemble composé d'une infrastructure (nature des forces productives comme les outils et le travail, et rapports techniques et sociaux de travail) et de la superstructure (religion, famille, Droit, morale, science, ...) Partant de là, l'évolution de la pensée humaine suit une course dialectique, elle voit se succéder des modes de productions (féodalisme, esclavagisme, bourgeoisie, ...) qui se succèdent en fonction des contradictions entre les institutions et les forces productives (c'est le matérialisme historique). À terme, ces contradictions doivent se réconcilier dans une synthèse : le communisme. On voit ici l'influence de la pensée socialiste française sur le courant marxiste. D'une part, à la manière de Comte, Marx pense qu'il faut découvrir des lois sociales historiques, et comme Saint-Simon qui considérait qu'il existe un clivage entre la classe des producteurs et la classe des oisifs (bourgeois, militaires, juristes, ...) au fondement historique de tous les antagonismes de classe (antinomie qu'il voulait résoudre en soumettant la société à l'intérêt des producteurs, ce qui n'exclurait pas la « dictature du prolétariat »), il scinde la société en deux instances : l'infrastructure et la superstructure. Bien sûr, il y a de nombreuses nuances entre la philosophie marxiste et la philosophie sociale de Saint-Simon. Mais dans tous les cas, le communisme vers lequel tend la société est pour une grande part inspiré des penseur utopistes français. Marx espère ainsi qu'il conduira à l'abolition de la propriété privée et à l'appropriation des moyens de production par les travailleurs. Étudiant le mode de production capitaliste, Marx considère qu'il révèle une opposition entre deux classes sociales (bien qu'il puisse y avoir des classes intermédiaires entre les deux extrémités) : la classe bourgeoise qui détient le capital, et la classe prolétarienne, qui ne dispose que de son travail. S'inspirant de l'idée d'exploitation des travailleurs lancée par Proudhon et de la pensée de Ricardo qui ramène la valeur économique à la valeur-travail, Marx pense que le capitaliste exploite le travailleur en lui subtilisant une plus-value, ce qui va acculer au final le système économique capitaliste à des contradictions indépassables. Le mécanisme économique qu'il décrit est le suivant. Marx distingue tout d'abord, à la suite de Ricardo, les biens reproductibles et les biens non reproductibles. Ce qui l'intéresse, c'est de comprendre la logique qui amène la circulation de ces biens. Si le circuit qui permet l'échange des marchandises existantes par la métamorphose du capital suivant : M-A-M (marchandises, argent, marchandises) est assez simple à comprendre, c'est une extension du troc[2], en revanche, le processus de production demande à être élucidé. Le circuit A-M-A' aboutit en effet à une création de valeurs A' > A. Comment l'expliquer ? Marx considère que les capitaux se décomposent en deux parts : le capital constant c (les machines) et le capital variable v (les salaires). La valeur de A' est donné par la force de travail. L'exploitation des capitalistes s'exprime dans le fait que la force de travail utilisée n'est pas payée par le capitaliste au prorata de sa valeur, le travailleur est payé, dans la logique de l'économie classique, au minimum vital qui permet la subsistance de l'ouvrier. Le capitaliste récupère donc une différence : la plus-value, notée pl. On a donc : A = c + v et A' = c + v + pl. La valeur produite se répartit alors dans les salaires, les profits, la somme des plus-values, et les rentes. Comment accroître cette plus-value ? Il y a trois possibilités : augmenter la durée du travail, diminuer le temps de travail pour produire l'équivalent du minimum de subsistance (en pesant par exemple sur la production agricole, en améliorant le progrès technique ou en s'adressant à l'étranger, ce qui expliquerait l'impérialisme), produire la même quantité de produits pour un même temps de travail en découvrant une innovation technologique.[3]. Lorsque cette innovation est généralisée, du fait de la concurrence, la plus-value relative disparaît, le prix de vente rejoint le prix de production. Marx explique donc la répartition du capital et l'exploitation des travailleurs, mais il lui reste à expliquer la contradiction fondamentale du capital. Il l'explique par la baisse tendancielle du taux de profit. Comme on l'a vu, les capitalistes sont tentés d'accroître leurs capacités de production par des innovations technologiques pour obtenir un avantage temporaire sur leurs concurrents. Il s'en suit qu'ils substituent des machines à la main d’œuvre, ce qui augmente l'intensité capitalistique de la composition organique du capital. Comme la plus-value est sécrétée par l'utilisation de travail direct, et que le taux de profit est pl / (c + v), il vient une baisse tendancielle du taux de profit qui provoque des crises. Certes les capitalistes tendent de la compenser en accroissant leur débouchés (impérialisme), et on pourrait envisager un état stationnaire, mais le problème est que la substitution du travail par le capital génère de plus en plus de chômage, une « armée de réserve de travailleurs ». A terme donc, le capitalisme croule sous le poids de ces contradictions, c'est l'état de crise permanent qui ne peut être évitée que temporairement par l'expansion économique, et l'emballement de la croissance technologique. Ce qui décrit finalement assez bien la réalité économique actuelle.

L'école durkheimienne[modifier | modifier le wikicode]

Marx, comme on l'a vu donne une importance considérable aux conditions matérielles sur la détermination du social. La crise sociale et l'organisation trouvent leur origine dans la sphère économique. Il reste que sa théorie ne peut expliquer l'ensemble de la réalité sociale, d'autant plus que son analyse porte surtout sur le mode de production capitaliste. Il existe un nombre considérable de régularités sociales qui n'ont pas d'origine économique visible. C'est cette limite théorique que Durkheim va se proposer d'explorer. Toutefois, l'intention de Durkheim n'était probablement pas de s'en prendre au marxisme, son objectif était sûrement tout autre : contrer la montée en puissance du libéralisme dans le domaine des sciences sociales en faisant de la sociologie une science positive et institutionnalisée. La stratégie de Durkheim va s'avérer particulièrement efficace, au moins à long terme. En France, la sociologie restera longtemps sous son influence. À l'origine, Durkheim frappé par la crise sociale qui le projette en plein cœur du débat entre socialistes et libéraux en vient à se pencher sur le problème de l'individualisme. Pour lui, l'individualisme est intrinsèquement néfaste car il ne parvient pas à maintenir dans les relations humaines une solidarité désintéressée. La conséquence en est un affaiblissement de la cohésion sociale : chacun se sent isolé et délaissé. La solution pour lutter contre ce fléau serait pour lui de rétablir la solidarité en fondant une morale (ensemble de règles définies qui déterminent la conduite de façon impérative) basée sur une méthode scientifique. La science pourrait nous aider, pense-t-il à déterminer le but de nos conduites. Il veut toutefois l'étudier indépendamment des explications biologiques ou naturalistes. Pour cela, il se propose donc d'étudier les règles objectivées dans le droit où le fait moral suppose une sanction, et d'étudier les faits moraux de façon empirique, en s'appuyant sur une étude du singulier ou une étude comparative. Cela le conduit à définir une méthode d'observation qui doit suivre plusieurs étapes :

  • Il faut définir les faits sociaux comme des choses. Ils sont extérieures aux consciences individuelles et exercent une contrainte sur elles. Ils proviennent de l'autorité morale exercée par la société, notamment de celle qu'exercent les institutions.
  • Il faut les observer de manière détachée, en se débarrassant des prénotions et du sens commun.
  • Les faits sociaux supposent un comportement normal ou moyen. Les comportements qui s'en écartent sont considérés comme pathologiques.
  • On peut classer les sociétés en différents types.

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Cette page est trop allusive. Un texte introductif serait nécessaire pour définir le sujet.

  • Il existe des règles relatives aux faits sociaux. Un fait social ne peut s'expliquer par sa fonction. Il faut donc trouver dans d'autres faits sociaux précédents la raison d'un comportement et non dans les états de conscience. L'explication en sociologie doit être sociologique. On ne peut en outre expliquer l'ordre social par l'agrégation des volonté individuelles. De même, l'intérêt individuel ne peut expliquer la pérennité du lien social.
  • Pour prouver les hypothèses qu'il formule sur les faits sociaux, il se propose d'utiliser principalement la méthode comparative.

Sa méthode est donc empirique et inductive, objective et exclusivement sociologique. En application de celle-ci, Durkheim va orienter ses recherches dans différentes directions. Il élabore une théorie de la solidarité fondée sur la distinction entre la solidarité mécanique, où la division du travail est faible et où le groupe est homogène, et la solidarité organique, où la division du travail est forte, et où chacun dépend du travail de l'autre. Le problème pour Durkheim devient alors de savoir comment maintenir la cohésion sociale malgré cette forte différenciation. Il apporte la réponse suivante : cette cohésion provient de l'ordre moral qui oblige l'homme à rester solidaire de ses semblables. Cette ordre moral a pour base la division du travail social. Remplir une fonction est le devoir de l'homme. Mais cet ordre peut parfois être bousculé, une société peut entrer dans une situation de crise sociale. À la différence d'autres auteurs, il ne situe donc pas l'origine de la crise uniquement dans la sphère économique. La crise sociale vient selon lui en partie de la solidarité organique. L'anomie, ou le dérèglement de la division du travail entraîne un relâchement du lien social (qui conduit à un accroissement du taux de suicide), un déséquilibre entre la morale qui doit s'adapter à la nouvelle constitution de la solidarité (due aux transformations des règles), et une volonté accrue de justice (ce qui explique le socialisme). Pour traverser cette crise, Durkheim proposera des réformes diverses : réglementations économiques, garantisme sociale (Sismondi), solidarité contractuelle (solidarisme), renforcement de l'éducation morale ... Toutes ces perspectives vont faire qu'à la suite de Durkheim, va se constituer une véritable école de recherches sociologiques. On retiendra surtout les travaux anthropologiques de Marcel Mauss sur la cohésion sociale, le don et l'échange, le fait social total, l'étude des rituels et des classifications sociales, et ceux de Maurice Halbwachs sur la mémoire collective et la sociologie de l'économie. Au final, on voit que le socialisme de l'école durkheimienne a des prétentions d'action beaucoup plus faible que celles des penseurs socialistes précédents. Il prône plutôt des réformes souples, une étude objective des faits sociaux qui permet entre autre de mettre en évidence des pathologies sociales qui demandent une action politique concertée. Par conséquent, l'institutionnalisation de la sociologie tend à faire du sociologue un observateur qui prend part au débat politique en exposant des données collectées et en les assemblant dans un cadre théorique cohérent. Avec Durkheim, la science sociale subit donc un triple mouvement en s'institutionnalisant : elle gagne en autonomie et en distance par rapport à sa base sociale, elle tend à se rapprocher des institutions de contrôle social, et elle tend à objectiver le social, celui-ci est de moins en moins perçu comme quelque chose de malléable, le sociologue doit se contenter de décrire la réalité sociale et laisser aux institutions le choix d'éventuelles réformes qu'elles peuvent être amené à envisager, en fonction de ces lois sociologiques.

Le courant libéral.[modifier | modifier le wikicode]

Le libéralisme a joué dans l'évolution des sciences sociales un rôle considérable. De nombreux sociologues s'en sont réclamés ou ont de manière indirecte défendu ses thèses. Le point commun à tous ces auteurs, a été de se poser comme les défenseurs indéfectibles de la liberté individuelle, notamment de la liberté économique, et du droit à la propriété privée. Mais contrairement à ce qu'on a tendance à croire, le libéralisme est une doctrine très diversifiée, qui laisse à ses partisans la possibilité d'opter pour des points de vue plus ou moins nuancés. Par exemple, sur le rôle à accorder à l'État dans la direction de la vie de la cité, les libéraux font preuve d'une grande souplesse. Les libertarianistes (David Friedmann, Robert Nozick, Ayn Rand, ...) militent pour l'instauration d'un État minimal, voire pour la suppression de l'État, tandis que les libéraux tempérés défendent l'instauration d'une protection sociale minimale (Adam Smith, Milton Friedmann et son impôt négatif) ou d'une redistribution des revenus (A.C. Pigou). D'autres enfin, se battent pour la nationalisation partielle de certaines entreprises (Léon Walras), et pour l'intervention de l'État comme agent régulateur de la concurrence économique, notamment pour freiner la progression des monopoles. Cette variabilité des approches et des points de vue a conduit les théoriciens libéraux à investir de diverses manières les sciences sociales. On peut toutefois noter quelques points communs :

  • Les libéraux considèrent qu'il n'y a pas de rupture entre la philosophie sociale qui se développe au 18ème siècle (Adam Smith, John S. Mill, ...) et la science sociale du 19ème et du 20ème siècle.
  • Leur approche est parfois à vocation pluridisciplinaire, ils ne limitent pas leurs analyses à la seule sphère sociale ou à la sphère économique.
  • Ils prennent généralement comme élément central de leur analyse, l'individu ou l'agent économique (par exemple l'entreprise, l'État, etc.). Ces agents sont censés tendre vers un comportement rationnel.
  • Ils nient le plus souvent l'importance des déterminismes sur la conduite individuelle, ou sur les inégalités sociales, la mobilité sociale, etc.

Avant de récapituler l'apport des libéraux à la sociologie classique, il paraît nécessaire d'évoquer rapidement la pensée d'Adam Smith, philosophe écossais du 18ème siècle considéré habituellement comme le père fondateur du libéralisme, car elle va jouer dans les deux siècles suivants, un rôle essentiel, aussi bien en économie qu'en sociologie. Smith distingue à la suite de l'école philosophique écossaise, les instincts égoïstes (jouissance et esprit de conquête) des instincts altruistes (sens moral et coopération). Il établit alors une séparation entre la sphère économique dominée par les instincts égoïstes et la vie sociale dominée par les instincts altruistes. À partir de cette distinction, l'idée centrale de Smith est que l'égoïsme individuel conduit à l'harmonie collective. Comment cela est-il possible ? En fait, c'est l'efficacité du marché qui permet d'aboutir par l'échange, à la satisfaction des besoins de tous. Poussé par l'aiguillon de l'intérêt personnel, chacun cherche à satisfaire au mieux les besoins de l'autre, et donc, même si l'individu est égoïste, il peut compter sur autrui à travers la division du travail. Cette division du travail a plusieurs conséquences, grâce à la concurrence et à la main invisible, elle assure à la société que ce qui est produit correspond aux besoins de ses membres, et dans les quantités désirées. Car chacun cherche à employer ses efforts pour satisfaire au mieux les besoins de l'autre, à optimiser sa production pour accroître ses profits et diminuer ses pertes. En effet, les consommateurs peuvent toujours changer de producteur si celui-ci pratique des prix trop élevés, l'acculant à la faillite. Ainsi le marché optimise la répartition des biens et des emplois dans la société. Le marché conduit en outre, par le biais de ce mécanisme de sélection, qui vient de la division du travail et la concurrence, à un accroissement de la connaissance, de la productivité et des technologies. Remarquons que Smith anticipe ici le darwinisme social. La différenciation sociale est donc source de complexification du social, et l'intégration de la société se réalise par l'échange. Enfin dernier point, les mécanismes de marché assurent une fonction de régulation, grâce aux prix qui condensent l'information sur les biens et les besoins, le marché ajuste les quantités offertes et les quantités demandés. Si un bien est en surproduction, son prix baisse et la demande augmente. La vie économique doit donc être laissée à la régulation du marché. Ce qui n'empêche pas que l'État doit en compenser certains défauts. Premièrement, il doit assurer la défense nationale. Deuxièmement, comme chaque membre doit être soustrait de l'injustice et de l'oppression des autres membres, il doit bénéficier de la garantie de l'État, car la justice doit profiter à tout le monde pour que les mécanismes de marché fonctionnent (pas de vols, corruptions, ...). Enfin, l'État doit développer des biens publics, c'est à dire les écoles, les institutions publiques, car elles ne génèrent pas assez de profits pour être assumées par des entrepreneurs privés, et doivent de plus bénéficier à tous sans exception (l'accès ne doit pas être limité). Par la suite, des auteurs travailleront sur d'autres mesures permettant de corriger les imperfections du marché. Par exemple, la redistribution pour corriger les inégalités qu'il engendre, la protection sociale (qui est un bien public), les biais de concurrence (comme les monopoles), les externalités négatives (nuisances non comptabilisés dans le marché), les effets de l'offre sur la nature des besoins (qui demandent une protection du consommateur), et les effets systémiques (sous-emploi, variables macroéconomiques, crises, ...).

Comme nous pouvons le constater, la pensée d'Adam Smith paraît déterminante dans l'évolution des sciences sociales. Durkheim par exemple reprendra son concept de division du travail. Mais Smith s'intéresse assez peu à la vie sociale. Les règles, les institutions, les lois, la culture ne sont pas son sujet d'intérêt principal. En d'autres termes, les fondements sociaux qui permettent au marché d'exister ne sont traités que de manière parcellaire. C'est ce manque que les libéraux vont essayer de combler par la suite. Toutefois, ils ne s'aventureront pas à tenter d'expliquer des sous-bassement plus profonds comme le langage ou les rites. Bien que Pierre Bourdieu avec son économie des ressources symboliques étende le champ explicatif de la rationalité au langage. De même, Raymond Boudon montre de manière convaincante que les comportements irrationnels peuvent servir une rationalité masquée ou que les comportements altruistes peuvent cacher des comportements égoïstes. En poussant l'analyse, certains auteurs en arrivent ainsi à considérer l'ensemble de la société comme étant régi par les mécanismes de marché.

En France, on retient généralement comme fondateur de la sociologie libérale, l'aristocrate Alexis de Tocqueville. Ce dernier a beaucoup réfléchi sur l'antinomie entre l'égalité et la liberté. Comment concilier le désir d'égalité de l'homme et l'inégalité de fait engendrée par la liberté du commerce dans la démocratie ? Car ces valeurs paraissent en effet contradictoires : la liberté pousse à la différenciation alors que l'égalité tend à l'uniformisation et au nivellement du pouvoir vers le bas de la hiérarchie sociale (renversement des privilèges établis). Appliquant une méthode comparative (différents types de sociétés), et rejetant la méthode holiste, Tocqueville montre que ces contradictions peuvent engendrer des effets pervers, elles peuvent conduire à un État tyrannique et centralisé où le soucis de la liberté sera abandonné au profit de l'égalité. Pour contrer cet effet, Tocqueville prône une société où l'associationnisme et les structures locales de décisions communes permettront une répartition équilibrée du pouvoir. Il s'inspire en cela de l'organisation de la société américaine du 19ème siècle.

La réflexion autour de l'inégalité est également au cœur de la réflexion de Pareto. Mais ce dernier l'aborde d'une manière beaucoup plus formalisée. Pareto, s'inspirant de Walras cherche à faire de la sociologie une science quantitative et positiviste. Pour lui, la sociologie, si elle veut conquérir son statut scientifique doit avoir pour objectif principal la découverte d'uniformités et de dynamiques sociales. Pareto pense que les faits sociaux sont mutuellement dépendants et que c'est la composition de ces forces multiples qui engendre des déséquilibres économiques et sociaux. Il envisage le phénomène social sous deux aspects : objectif, tel qu'il est en réalité et subjectif, tel qu'il se présente à l'esprit. Mais son point de départ est l'action individuelle, il la scinde en deux types : les actions logiques où les moyens sont appropriés au but et uniquement au but, le but objectif est identique au but subjectif, et les actions non-logiques où l'individu mobilise des moyens inadéquats pour parvenir au but recherché, le but subjectif diffère du but objectif. Cette distinction lui permet de classifier la plupart des actions (instincts, rites, magie, ...). S'intéressant aux actions non logiques, Pareto distingue l'action fondée sur des croyances précises (domaine des résidus) et les arguments mobilisés pour justifier l'action non logique (domaine des dérivations). Les résidus correspondent à la manifestation des instincts. Les dérivations sont une sorte de voile servant à donner une forme aux action non logiques et à les rendre cohérentes. Muni de cette typologie, Pareto entreprend de comprendre le changement social en terme d'oscillations et de mouvements ondulatoires. Par exemple, la transformation de la foi religieuse en foi socialiste montre la permanence des résidus et les changements des dérivations. Ce modèle théorique lui permet de produire une théorie des élites qui tend à expliquer le changement social et l'équilibre social par le clivage social entre les élites et la population, et par le remplacement des élites.

Comme on le voit avec Pareto, la sociologie prend au début du 20ème siècle des distances par rapport aux analyses libérales en développant des modèles de plus en plus théoriques. Il n'en demeure pas moins que les conclusions auxquelles ces auteurs aboutissent généralement, sont favorables au libéralisme[4]. Ce phénomène s'illustre bien dans le modèle organiciste de Spencer. Fortement inspiré de la biologie, celui-ci conduit inéluctablement à des conclusions libérales. La sociologie organiciste présente en outre un intérêt particulier car elle anticipe la systémique sociale et le fonctionnalisme. En effet, Spencer conceptualise la société avec la métaphore de l'organisme, dont les institutions constituent les organes. De plus, il pense que les sociétés subissent une complexification croissante, elles suivent une loi d'évolution qui les dirige des sociétés homogènes à fort degré de coercition (les sociétés militaires) vers les sociétés hétérogènes fondées sur la division du travail, et qui recourent de moins en moins à l'intervention de l'État. Le tout étant couronné par le darwinisme social. Il tirera de cette loi l'idée que les législateurs doivent avant tout protéger l'individu de l'État, principale source de coercition, et limiter la production de lois qui freinent l'initiative individuelle et la sélection des plus aptes. Pour Spencer la loi de l'accroissement de la complexité est valable pour tout organisme et dans de nombreux domaines comme la psychologie, la politique. On retrouve donc dans sa pensée le principe d'homologie structurale défendu par la systémique, ainsi que le principe d'accroissement de la complexité.

Aux racines de l'individualisme méthodologique : Simmel et Weber. Vers des approches sociologiques plus riches.[modifier | modifier le wikicode]

À côté de ces deux grandes doctrines, certaines pensées sociologiques dès la fin du 19ème siècle s'avèrent beaucoup moins teintées par les conflits idéologiques du siècle. Nous en retenons ici deux qui ont fortement influencés la sociologie du 20ème siècle : la sociologie compréhensive de Max Weber, la sociologie de Georg Simmel qui a inspirée l'interactionnisme américain. Toutes deux ont en commun de se focaliser sur les interactions humaines (en les complexifiant) et de s'écarter d'une conception trop déterministe de l'Homme. Ces deux auteurs noueront d'ailleurs certaines relations entre eux.

La sociologie compréhensive de Weber[modifier | modifier le wikicode]

La pensée de Weber prend source dans l'institutionnalisme allemand et dans l'école historique allemande. C'est l'un des premiers sociologues à développer une approche compréhensive de la société, il s'écarte en cela de la sociologie positiviste. En plus de ses analyses sociologiques, c'est dans sa méthode que réside le principal apport de la sociologie de Weber. Voici quels en sont les grands traits :

  • Le refus des explications déterministes en sciences sociales, au profit de la pluralité des causes, de la singularité historique et culturelle, du probabilisme et du libre-arbitre. Ce qui n'empêche pas la prise en compte de contraintes qui infléchissent le comportement.
  • La neutralité axiologique. Le savant doit savoir écarter ses opinions et suspendre ses jugements quand il observe les évènements.
  • La sociologie se doit d'étudier l'action sociale ou l'activité sociale, c'est à dire « une science qui se propose de comprendre par interprétation l'activité sociale et par là d'expliquer causalement son déroulement et ses effets. Nous entendons par « activités » un comportement humain (...) quand et pour autant que l'agent ou les agents lui communiquent un sens subjectif. Et par activité « sociale », l'activité qui, d'après son sens visé par l'agent ou les agents, se rapporte au comportement d'autrui, par rapport auquel s'oriente son déroulement. »
  • L'activité sociale doit être en premier lieu interprétée, le sociologue reconstruit le sens que l'individu sonne à ses actions, l'action sociale étant le produit des décisions prises par l'individu. Elle doit ensuite être expliquée, en tenant compte que les individus ne sont pas forcément maîtres de toutes les conséquences de leurs actions.
  • Le recours à des catégories qui ne sont pas des représentations exactes du monde mais qui accentuent délibérément certains traits. Ce sont des idéaux-types.
  • La prise en compte des facteurs historiques qui implique de recourir à l'analyse historique.
  • Enfin, il tend à développer en s'inspirant de Nietzsche, une position épistémologique relativiste.

Muni de cette méthodologie, Weber va développer sa réflexion sociologique dans 3 directions :

  • L'analyse de l'action. Il distingue quatre idéaux-types d'actions : l'action traditionnelle qui se rattache à la coutume et à l'habitude ; l'action rationnelle en valeur, mue par des valeurs éthiques, esthétiques ou religieuses ; l'action affective, guidée par les passions ; l'action rationnelle en finalité, tournée vers un but utilitaire d'adéquation entre les fins et les moyens. Il rattache à ces actions des types de domination (chance de trouver une personne déterminée prête à obéir à un ordre de contenu déterminé) qui s'accompagnent d'une forme de légitimité dont la fonction est de normaliser ce qui est. Cette légitimité n'est qu'une forme de croyance sociale qui valide le pouvoir détenu par les dominants. Il propose 4 types de domination : la domination traditionnelle qui fonde sa légitimité sur le caractère sacré de la tradition, la domination charismatique, liée à la personne, la domination légale, liés à la fonction, la compétence, la rationalité, ....
  • Weber étudie la rationalisation du monde moderne comme nous l'avons vu plus haut.
  • Enfin il montre, à partir d'une étude historique très poussée, le lien entre économie et religion. Il va ainsi montrer que le développement du capitalisme est en partie lié au culte protestant.

L'influence de Weber sur la sociologie sera très importante. Un auteur comme Schütz, créateur de la sociologie phénoménologique s'en inspirera très largement.

La sociologie qualitative de Georg Simmel[modifier | modifier le wikicode]

Autre penseur allemand considéré comme l'un des fondateurs de la sociologie contemporaine, Georg Simmel. Celui-ci pointe son analyse non sur les individus isolés ou sur les totalités sociétales, mais sur les actions réciproques, les interactions entre les individus. Mais il ne les aborde pas d'une manière unidimensionnelle, il les appréhende dans toutes leurs richesses, et notamment dans leur dimension affective et passionnelle, renouant en cela avec le romantisme allemand du 19ème siècle. Le fondement du rapport social chez Simmel peut se comprendre à travers la notion de forme qu'il emprunte à Kant. Pour lui, l'homme est confronté à la finitude subjective, et afin de donner sens à sa vie, il crée des formes abstraites (idées, valeurs, relations sociales, ...) qui ordonnent ses multiples passions. Mais ces formes en s'autonomisant finissent par faire obstacle au désir de liberté des individus. Chaque être cherche à détruire et à dépasser des formes existantes par d'autres formes. C'est dans ce mouvement que les individus trouvent leur identité. À l'origine de toute vie sociale, il y a une forme élémentaire : l'action réciproque. Elle semble être pour Simmel d'une importance capitale, car toute interaction peut être considérée comme un échange, et l'individuation se crée en fonction de ces interactions. La sociologie devient donc la science des actions réciproques ou des formes propres à la vie sociale (conflits, solidarité, passions, associations, échanges, etc.). C'est à travers ces interactions vécues et des formes sociales que la vie en société se construit. Comment étudier ces formes sociales ? Simmel leur attribue certaines propriétés, mais toujours contextuelles. Elles sont, une fois inscrite dans la vie sociale douée d'une certaine autonomie, elles se reproduisent, se diffusent, se mêlent entre elles selon des logiques propres. En outre, les relations entre les formes se construisent dans un premier temps à partir d'un processus d'agrégation. Les formes complexes résultent de la combinaison de formes plus simples, et il revient au sociologue le rôle de décrire comment se déroule cette agrégation sans s'égarer dans l'universalisme. Par exemple la forme du secret se répercute à différents étages sociaux, et modèle aussi bien les interactions proches (ce qui est familier, ce à quoi on peut s'identifier) que les relations interindividuelles lointaines (ce qui est lointain et parfois incompréhensible : gouvernement, justice, étrangers, etc.). Même les changements sociaux de grande envergure se construisent donc dans les formes sociales les plus simples, car les mutations au niveau individuel se répercutent sur le niveau le plus général. L'étude des formes sociales requiert alors qu'on les étudie toujours dans leur singularité. Simmel s'oppose à une vision abstraite, froide et universaliste des relations sociales (ce qui l'oppose à Weber), ou à la détermination de régularités entre les enchaînements de formes. Les relations se construisent dans les sentiments et interfèrent avec toute sorte de phénomènes abstraits (religion, capitalisme, etc.). Cette limite théorique conduit Simmel à rompre avec une épistémologie fondée sur la preuve. Ce qui garantit la fiabilité d'une description sociologique, c'est sa capacité à éveiller chez l'individu une nouvelle ou une meilleure compréhension des phénomènes. Grâce à elle, il parvient à ordonner de manière synthétique certaines sensations et réflexions diffuses et chaotiques, un peu à la manière de ce qu'on éprouve quand on lit un roman. Simmel anticipe donc ici les développements ultérieurs de la sociologie interactionniste américaine et de la méthode qualitative; il constitue par conséquent un penseur charnière entre la sociologie classique et la sociologie contemporaine.

Notes[modifier | modifier le wikicode]

  1. Cette partie a été approfondie et améliorée dans l'article marxisme économique.
  2. Les travaux de Mauss montreront qu'il est en fait bien plus complexe. En fait, Marx ne réfléchit pas vraiment aux fondements psychologiques et sociologiques de l'échange et de la propriété privée, ce qui limite la portée de sa théorie.
  3. Scumpeter s'inspirera de cette idée dans sa théorie de l'évolution économique. Remarquons que cette rationalisation de la productivité peut être faussée par des effets d'imitation, liées au prestige des nouvelles technologies. Par exemple, Solow a montré que l'impact de l'informatique sur la productivité était très faible. Enfin, dernier point, une manière d'accroître la plus-value en valeur absolue (coût de travail moins cher) est aujourd'hui de délocaliser l'entreprise.
  4. Pas toujours toutefois, puisque Gérard Debreu dans les années 60 avec sa théorie de la valeur montrera de manière formelle l'impossibilité pour certains marchés de rester à l'équilibre.