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Physiologie de l’imagination et du langage : le problème des mécanismes de la conscience

Un livre de Wikilivres.

Comment un système matériel, mécanique, tel qu’un cerveau, peut-il faire d’un corps une personne consciente et accompagner par son mouvement les mouvements de la conscience ?

La familiarité de la conscience

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Qu’est ce qu’être conscient ? Quand je dis que je suis conscient il me semble que je sais bien ce que je dis. Mais si je dois dire ce qu’est la conscience alors c’est une autre affaire, je ne sais plus très bien.

Chacun est familier avec la conscience. Il la connaît simplement parce qu’il a une vie consciente, parce qu’il a des sensations, des émotions, des souvenirs, de l’imagination, des intentions, des pensées. Tels sont les principaux traits de la conscience humaine.

Les êtres humains sont-ils les seuls êtres conscients ?

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On admet généralement la possibilité que d’autres animaux soient conscients, les mammifères en particulier. Mais la frontière entre ce qui est conscient et ce qui ne l’est pas est assez énigmatique : les poissons, les insectes, les plantes, les bactéries sont-ils conscients ?

Pour savoir si un insecte est conscient il faudrait savoir précisément ce que c’est qu’être conscient. Il n’y a que les êtres humains dont nous soyons vraiment sûrs qu’ils sont conscients, parce qu’il n’y a que pour eux que nous savons ce que cela veut dire, par familiarité.

Descartes supposait que tous les animaux sont des machines sans âme, sauf les êtres humains.

La question de Thomas Nagel, Qu’est-ce que c’est qu’être une chauve-souris ?, renvoie également à la familiarité de la conscience : comment savoir ce que c’est qu’être une chauve-souris si l’on n’est pas soi-même une chauve-souris ?

Il n’est pas exclu que des formes non-humaines de conscience soient connaissables par des moyens indirects. Cependant, c’est avant tout la conscience humaine que nous devons étudier si nous voulons comprendre la conscience, nous les êtres humains.

Les mécanismes cérébraux

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Les mécanismes cérébraux ont été partiellement élucidés : on connaît assez bien la nature des signaux produits par les neurones (courants ioniques transmembranaires, intra- ou extra-cellulaires), la façon dont ils sont propagés le long des axones (du fait de la présence de canaux ioniques à seuil de déclenchement) et entre les neurones (libération et réception de neurotransmetteurs, jonctions ioniques, ...). Mais cette connaissance des mécanismes neuronaux semble très éloignée de la compréhension de notre conscience. Nous savons que nous sommes conscients mais nous ne savons pas pourquoi le fonctionnement de nos cerveaux est accompagné de conscience. Dans l’état actuel des connaissances le lien entre la production de signaux neuronaux et la vie consciente reste très mystérieux. Pourquoi le fonctionnement du cerveau est-il accompagné d’une vie consciente ? Pourquoi le fonctionnement d’un moteur de voiture ne l’est-il pas ? On ne connaît les réponses à aucune de ces deux questions.

La conscience des sensations

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On peut poser le problème de la relation entre les faits physiques et les faits de conscience à propos des sensations. Il faut des yeux pour voir. Il faut des organes sensibles pour sentir.

Un corps est sensible lorsque son état dépend d’autres êtres qui agissent sur lui. Par exemple, un œil est sensible parce que son état d’excitation dépend de la lumière qu’il reçoit. Ainsi entendue la sensibilité n’implique pas la conscience. Tous les instruments de mesure sont sensibles à ce qu’ils mesurent. De façon générale tous les corps sont sensibles. Cézanne disait “je suis une plaque sensible” mais il n’est pas vraisemblable qu’une simple plaque sensible ait une conscience. Pour sentir consciemment il faut des organes sensibles mais cela ne suffit pas. Par exemple, lorsque le lobe occipital de son cerveau a été lésé, le patient est devenu aveugle ou partiellement aveugle alors même que ses yeux continuent à fonctionner normalement.

Que faut-il de plus que la simple sensibilité physique pour qu’il y ait une conscience des sensations ? Si l’on se tourne vers les effets du fonctionnement des organes sensibles on rencontre une déception. Les organes des sens contiennent des neurones ou d’autres cellules qui émettent des signaux qui sont reçus par d’autres neurones. Ceux-ci émettent eux-mêmes des signaux qui sont reçus par d’autres neurones ou par les fibres musculaires. Les effets des organes sensibles ce sont toujours des signaux neuronaux. On ne trouve rien qui ressemble à une sensation consciente. Leibniz l’avait remarqué bien avant l’essor des neurosciences cognitives de la conscience :

on est obligé d’ailleurs de confesser que la perception et ce qui en dépend est inexplicable par des raisons mécaniques, c’est à dire par les figures et par les mouvements. En feignant qu’il y ait une machine, dont la structure fasse penser, sentir, avoir perception, on pourra la concevoir agrandie en conservant les mêmes proportions, en sorte qu’on y puisse entrer, comme dans un moulin. Et cela posé, on ne trouvera en la visitant au-dedans que des pièces qui se poussent les unes les autres, et jamais de quoi expliquer une perception. (Principes de la philosophie ou Monadologie)

La conscience des actions

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Si l’on se tourne vers l’étude des causes des actions volontaires on rencontre une difficulté semblable. Soit par exemple le geste d’écrire un mot. Il est précédé d’une intention. Cependant les causes mécaniques de l’action ne la révèlent pas. Les muscles reçoivent des signaux de la part des motoneurones qui eux-mêmes reçoivent des signaux de la part des neurones intermédiaires ou des neurones des organes sensibles. Les causes de l’action sont toujours des signaux neuronaux, on ne voit pas où est l’intention.

Le parallélisme psychophysique

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Entre les organes sensibles et les muscles on ne trouve que des signaux neuronaux. Où sont les faits de conscience, c’est à dire les sensations, les émotions, les souvenirs, l’imagination, les pensées, les intentions ?

Peut être que la solution au problème de la relation entre les faits physiques et les faits de conscience passe par la formulation d’une théorie psychophysique, encore inconnue à ce jour. Selon David Chalmers (The conscious mind), cette théorie devrait énoncer les conditions requises pour que le fonctionnement d’un système mécanique soit accompagné d’une vie consciente. Il s’agirait d’une sorte de parallélisme psychophysique : les faits de conscience ne sont pas des faits physiques mais ils sont corrélés à des faits physiques. Il s’agit alors de trouver des lois qui permettent de déduire des faits de conscience à partir des faits physiques et inversement.

Le parallélisme psychophysique a été proposé par Leibniz en réponse à Descartes. Il est plus proche de l’esprit de la physique moderne que l’hypothèse de l’interaction entre l’âme et le corps faite par Descartes, parce que les lois fondamentales de la physique sont déterministes et qu’elles ne laissent pas de place pour l’intervention d’une âme sur le corps.

Selon l’hypothèse du parallélisme psychophysique il y a des correspondants neuronaux pour tous les faits de conscience, pas seulement les sensations et les intentions mais également les émotions, les souvenirs, les rêves, les pensées, ... Ces correspondants neuronaux interviennent dans la préparation de l’action en vertu des seules lois physiques qui gouvernent la dynamique du système nerveux.

Une théorie psychophysique générale devrait déterminer pour le fonctionnement de n’importe quel système matériel si oui ou non il est accompagné d’une vie consciente. Elle permettrait donc d’étudier d’autres formes de conscience que la nôtre. Cependant, dans l’ignorance d’une telle théorie, il nous faut commencer par étudier notre conscience, parce que le système nerveux humain est le seul corps pour lequel nous sommes vraiment sûrs que son fonctionnement est accompagné d’une vie consciente.

Pas de réponses mais un programme

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Il ne faut pas s’étonner que les lois psychophysiques sont encore inconnues. Pour relier des faits de conscience et des faits neuronaux il faut savoir de quels faits neuronaux il s’agit. Comme le fonctionnement du système nerveux n’est encore que très partiellement connu, on ne connaît pas, ou pas très bien, les faits neuronaux qu’il faut relier aux faits de conscience. Si l’on veut trouver des lois psychophysiques il vaut peut-être mieux commencer par étudier le fonctionnement du système nerveux.

La théorie générale ici abordée, définie par le problème de la liaison entre les capteurs et les effecteurs, ou de façon presque équivalente, par le problème de l’efficacité des représentations, ne prétend pas éclairer le problème de la relation entre la matière et la conscience. On peut étudier l’efficacité des représentations produites par le cerveau sans comprendre pourquoi elles sont accompagnées d’une vie consciente. On peut aussi espérer que ces études nous conduiront à comprendre pourquoi la conscience apparaît dès qu’un cerveau humain fonctionne.