Renaissance et Réforme/Avant la Réforme, les hommes, les idées
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Dans ce contexte, vont se lever des hommes courageux, dont les paroles et les actes seront autant de repères. Déjà témoins des premières préoccupations religieuses de leur temps, ils appartiennent souvent à l’Église ; ils tiennent à y rester, y sont attachés, mais sont conscients d’un dysfonctionnement entre ce qu’ils vivent et ce qu’ils espèrent, entre les traditions séculaires et la Bible qu’ils veulent lire et expliquer, entre les contestations qui apparaissent et leur souhait de retrouver un sens ‘évangélique’ : « évangélistes » sera aussi le nom qui leur sera donné. Ils sont nombreux, anonymes dans leurs villes, leurs pays. Ils seront connus lorsqu’ils pourront agir publiquement et officiellement face au pouvoir de l’Église et des gouvernements. Certains laisseront leurs noms dans l’histoire de leur pays et celle des religions, par leurs actes, leurs écrits, leur mort aussi parfois. Avant les humanistes, ils seront qualifiés de ‘pré-réformateurs’, précédant Martin Luther et Jean Calvin. Ils seront connus dans toute l’Europe, avant 1517, sauf en France. Après Pierre Valdo, qui pourrait être compté parmi les premiers mais se situe plus d’un siècle avant les pré-réformateurs reconnus, il faut attendre le début du XVIème siècle pour rencontrer les grands noms de Guillaume Briçonnet ou de Lefèvre d’Étaples, dont les vies déjà croisent celle de Luther. Les nommer pré-réformateurs, c’est anticiper sur la suite des événements, mais c’est également fixer des repères dans l’histoire pour aider à mieux comprendre son évolution.
Au XIVème siècle en Angleterre, existe un premier courant de révoltes contre les abus de l’Église, courant qui ne s’est pas éteint au XIIème siècle et reste latent tout au long du XIIIème siècle.
Dans la seconde moitié du XIVème siècle, un homme engagé dans son Église, docteur en théologie, professeur à Oxford et alors très écouté, reprend la lutte précédente : John Wyclif (vers 1320[1] - 1384).
Né vers 1320, probablement dans le Yorkshire, il est peu connu jusqu’en 1372, date à laquelle il devient docteur en théologie. Tout en étant respecté comme homme d’Église et théologien, disciple de Saint - Augustin, Wyclif se fait bientôt connaître dans les domaines politique et social.
Wyclif en effet a été marqué par le décalage existant entre les problèmes de la pauvreté et le fonctionnement de l’Église ; il reste attentif aux revendications des ‘antipapistes’ qui affichent leur hostilité à Rome, et recherche une organisation ecclésiale sans pouvoir temporel ni matériel. Ce que Wyclif affirme en outre est que le seul pouvoir que doit reconnaître l’homme est son appartenance à Dieu, et que sa seule obéissance n’est due aussi qu’à Dieu, à travers la Bible : Wyclif n’aura de cesse de développer ces idées, de les affirmer et de les voir partagées.
Il est envoyé en 1374 à Bruges, pour rencontrer des représentants du pape Grégoire XI, rencontre qui marque le début d’une alliance entre Wyclif et le parti anticlérical de Jean de Gand, duc de Lancaster, qui s’opposait au roi Edouard III et à l’Église. En 1376, Jean de Gand est vaincu par le Prince Noir , fils d’Edouard III, mais la mort du Prince Noir en 1377 redonne du pouvoir à Wyclif et à ses amis : il s’ensuit un nouveau conflit avec l’Église tandis que Wyclif est toujours soutenu par Oxford.
Dès lors, les tendances ‘hérétiques’ de Wyclif se développent. Il ne s’agit plus seulement de critiques d’abus ou de pouvoirs de l’Église, mais de sa doctrine et de ses dogmes. La tension monte encore quand Wyclif, dès 1380, commence à mettre en question la transsubstantiation, fait à la fois grave et incompréhensible à cette date.
Ainsi Wyclif affirmait-il la seule obéissance à Dieu, la seule autorité de la Bible et enfin le retour à l’Évangile seul, précurseur et annonciateur de la future Réforme.
La Révolte des paysans, soutenue par Wyclif et les Lollards lui fait perdre de sa crédibilité, et en 1381 Oxford même condamne la théorie de Wyclif sur l’eucharistie ainsi que la série de vingt quatre propositions qu’il avait rédigées. Les Lollards sont sommés de se rétracter quand il sera imposé à Wyclif de ne plus prêcher. Ce dernier se retire alors à Lutterworth où il écrit de nombreux volumes en latin et en anglais. Malade et paralysé, il meurt en 1384 dans cette même ville où il est inhumé, mais le Concile de Trente de 1415 ordonne que ses restes soient exhumés et dispersés. Cette condamnation sera effective en 1428.
John Wyclif a donc été un ‘précurseur’ en matière ‘ d’hérésie doctrinale’ en mettant en question la transsubstantiation, en affirmant la liberté de l’homme en face de Dieu et la Bible comme seule référence, en réclamant déjà une séparation des pouvoirs temporel et spirituel. Ces trois affirmations feront partie des affirmations et revendications des réformateurs un siècle plus tard, quand Wyclif est déjà suivi, à l’autre bout de l’Europe, en Bohême, par Jean Hus.
Au XIVème et au XVème siècles, Wyclif a été entendu particulièrement par un homme : Jean Hus. La Bohême peut paraître éloignée géographiquement, mais les idées circulent et rien n’est vraiment étranger entre l’Angleterre et la Bohême dans la réflexion religieuse et une fois encore politique et sociale. Car la Bohême alors est le théâtre d’un grave conflit entre le parti allemand et le parti tchèque, politiquement, mais aussi dans ce qui touche à l’Université. La lutte que va mener Jean Hus va donc être double, politique et religieuse, via les problèmes universitaires.
Jean Hus, né vers 1371 au sud de la Bohême à Husinec (d’où son nom), a fait ses études de théologie à Prague. Il est diplômé en théologie en 1394 et en arts en 1396. Prêtre en 1400, il enseigne à l’Université dont il est recteur de 1409 à 1410. Les proclamations de John Wyclif sont déjà parvenues en Bohême et Jean Hus les adopte et les diffuse. Il joint au besoin de réformes dans l’Église et le clergé celui d’une justice sociale. C’est à l’Université que vont s’affronter Hus, ses amis, et leurs opposants, mais les sermons de Hus sont encore écoutés, car il bénéficie de l’appui de l’archevêque et de Wenceslas IV, roi de Bohême de 1378 à 1419.
L’affrontement est d’autant plus sévère que s’y greffe le conflit allemand – tchèque. Car si l’Université est fréquentée par étudiants et professeurs étrangers, ce sont les allemands qui sont les plus nombreux et ont un plus grand nombre de voix au conseil universitaire que les tchèques eux – mêmes ; ce nombre et cette place sont importants car au conseil se décident programmes des cours et budget. Enfin la querelle est théologique, les allemands restent attachés à Saint-Thomas d’Aquin, et les tchèques, avec Jean Hus, influencés par Wyclif. Ces derniers devant l’ampleur du conflit souhaitent le porter devant le Concile qui doit se réunir à Pise. Les allemands s’y refusent et le roi Wenceslas II , pour soutenir les tchèques, modifie le droit de vote en faveur des tchèques, décision dont la conséquence est le départ des allemands de Prague.
Cependant le conflit n’en est pas terminé pour autant, qui se concentre alors entre le roi et l’archevêque de Prague qui refuse désormais d’écouter toute thèse de John Wyclif dont il fait brûler les ouvrages en 1410. Jean Hus répond à ces attaques par des écrits, toujours inspirés de Wyclif, et polémiques, ce qui lui vaut, après des blâmes ecclésiastiques, d’être excommunié en 1411. À ces blâmes s’ajoute bientôt la défaveur du roi qui accepte la vente des indulgences qui vient d’être autorisée en Bohême alors que Jean Hus s’y oppose farouchement. La seule défense de Jean Hus est au Concile de Constance, où il peut se rendre grâce à Sigismond, le frère du roi, qui lui a accordé un sauf-conduit. Arrivé à Constance, il est arrêté et emprisonné le 28 novembre 1414. Ce n’est qu’en juin 1415 qu’il pourra faire entendre sa défense, grâce aux interventions tchèques. Défense vaine. Le Concile envisage un emprisonnement à vie à condition que Jean Hus se rétracte. Mais, loin de nier ces précédentes affirmations, l’accusé les remanie pour en faire un autre texte. La condamnation à mort est alors prononcée. Il est mené au bûcher le 6 juillet 1415 à Constance, tandis que le Concile se déroule toujours ; et seront jetées dans le Rhin les cendres de celui qui n’avait jamais cessé de dire :
- « Cherche la vérité, écoute la vérité, apprends la vérité, aime la vérité, soutiens la vérité, défends la vérité jusqu’à la mort ».
Dès son martyr, Jean Hus était considéré comme un saint et entrait dans une légende.
Au XVème siècle, l’Italie, siège de la papauté et du catholicisme, ne reste pas éloignée des courants et des querelles qui agitent les autres pays voisins ; et deux personnages sont célèbres par leur passé et leur action dans le domaine religieux et politique : Jérôme Savonarole et Jean Le Pic de la Mirandole.
Jérôme Savonarole (vers 1452–1498), né à Ferrare, après avoir entamé des études de médecine, préfère se diriger dans la voie ecclésiastique, entre à Bologne chez les dominicains. Il est en 1491 prieur du couvent de San Marco à Florence. Il devient alors prophète dans cette ville de certains malheurs qui doivent s’abattre sur le monde si celui – ci continue à vivre dans le désordre qu’il connaît. En plus de prôner le retour à une vie évangélique faite de simplicité et d’humilité, Savonarole énonce des critiques sévères contre la papauté ; selon lui, tous doivent se convertir sous peine de châtiments divins terrifiants. Dans les débuts de sa prédication, les florentins écoutent ‘le prophète’. Il est vrai qu’il a été le confesseur de Laurent de Médicis et que Pierre II de Médicis déjà dès 1494 le suivait.
À cette date, la question religieuse va se mêler à la question politique. En effet, en septembre 1494, l’armée française pénètre en Italie, prend Florence et Pierre de Médicis choisit d’abord l’alliance avec le royaume de Naples contre la France, alliance qui appelle une réponse immédiate du roi de France, Charles VIII : l’expulsion de tous les marchands italiens de Lyon. La conséquence en est la ruine de la banque Médicis et le retournement de Pierre de Médicis qui s’avoue vaincu devant Charles VIII. À cette annonce, les florentins se révoltent et Pierre de Médicis doit quitter Florence en novembre 1494. Alors l’influence de Savonarole apparaît importante à cette époque ; influence religieuse, mêlée au social, qui va peser sur l’aspect politique du moment, car le prédicateur encourage la révolte des florentins et en l’absence de Pierre de Médicis prend une importance considérable dans la ville. En outre en décembre 1494, après la chute de la République de Florence, on instaure un Grand Conseil comme étant la plus haute instance de souveraineté avec un plus grand nombre de membres; cet élargissement avait été accepté sous la pression des sermons de Savonarole qui rêvait d’une république théocratique. Cette expérience s’avérera être essentielle dans l’histoire de Florence et dans celle des idées politiques des XVème et XVIème siècles.
Durant la période du Grand Conseil, Savonarole, personnage important, n’hésite pas à tenter de mettre en œuvre ses idées et instaure une autorité qui ne cesse de grandir : interdiction de toutes les fêtes profanes, des jeux, du port de costumes riches ou colorés, de posséder des bijoux, des objets de toilette : ces derniers devaient être brûlés sur des ‘bûchers de vanité’, comme il devait y avoir des autodafés, le jour du mardi gras de 1494, de livres, peintures et instruments de musique.
Cette sévérité et cette austérité valent, peu à peu, à Savonarole critiques d’abord des florentins, puis oppositions auxquelles s’ajoutent celles de l’Église que Savonarole ne cesse de vilipender de façon de plus en plus virulente. Convoqué à Rome en 1495, il ne s’y rend pas, est excommunié en 1497 par le pape Alexandre VI Borgia. Il conteste cette condamnation.
Une nouvelle fois, la politique interféra dans la vie du « prophète » ; les Médicis avaient imaginé une contre révolution qui avait été un échec et certains chefs du complot condamnés à mort ; le Grand Conseil aurait pu accepter un appel de cette condamnation, mais les partisans de Savonarole avaient rapidement fait exécuter les ‘conspirateurs’ avec le muet acquiescement de Savonarole lui – même. L’Église le condamne alors encore et lui interdit de prêcher ; Savonarole passe outre cette interdiction et le jour de Carnaval 1498, remonte en chaire et attaque fortement l’Église et le pape dont il dénie l’infaillibilité. Il va jusqu’à écrire au roi de France pour l’inciter à ouvrir un concile général et déposer le pape. La missive est interceptée par Ludovic Sforza, duc de Milan, est envoyée au pape Alexandre VI, qui a comme alliés à cette époque contre Savonarole les autres ordres mendiants. Mais le prestige et la célébrité de Savonarole ne sont plus ni religieux ni politiques. Il est arrêté dans le couvent de San Marco et emprisonné. Sous la torture, il se rétractera puis reviendra à ses affirmations et se rétractera encore. Jugé, il est condamné au bûcher à Florence en 1498.
Plus tard, la Réforme installée retiendra les critiques de Savonarole contre le ‘papisme’, dont celle de l’infaillibilité papale (qui n’est pas encore un dogme,mais une pratique acquise), sa volonté de retrouver l’Évangile, mais ses prophéties apocalyptiques et leurs conséquences, tant en politique que dans son autorité et austérité outrancières resteront à son débit. Savonarole est resté sans doute préoccupé et angoissé plus par obsession passéiste que par une analyse à long terme de l’avenir de l’Église.
Contemporain de Savonarole, Giovanni Pico della Mirandola, ou Jean Pic de la Mirandole (1463–1494) naît dans une famille fortunée. Brillant dés l’âge de dix ans, il est nommé protonotaire apostolique puis appelé ‘prince des orateurs et des poètes’. À quatorze ans il entre à l’Université de Bologne pour étudier le droit canon, et est destiné à la prêtrise. Mais le jeune homme se dirige bientôt vers la philosophie qu’il part étudier à Ferrare puis à Padoue et à Florence où il rencontre Marcile Ficin auprès de qui il approfondit son goût pour l’humanisme.
Pic de la Mirandole étudie aussi Aristote, Platon, apprend l’arabe et l’hébreu, sait déjà la latin, s’initie au judaïsme et à la Kabbale. Sous l’influence de Marcile Ficin, il découvre le néo-platonisme qui le fait évoluer, quitter le monde du Moyen Age pour voir s’entrouvrir celui de ‘l’hérésie’. Pic conteste le théocentrisme médiéval et exalte la liberté de l’homme face à un Dieu ineffable. Il cherche une convergence des systèmes philosophique et religieux qui doit conduire à un christianisme rénové.
En 1486, Pic de la Mirandole publie à Rome neuf cent propositions, les « Conclusiones » qui démontrent ses idées ; il demande une ‘disputation’ publique dans cette même ville avec des érudits de toute l’Europe. Disputation autorisée puis interdite. « Poursuivi pour hérésie » par le pape Innocent IV, son ouvrage brûlé, Pic publie néanmoins en 1487 une « Apologie » puis l’ « Heptaplus », un commentaire de la Genèse.
Un an plus tard, Pic fuit en France où il est arrêté et emprisonné au donjon de Vincennes ; relâché grâce à l’intervention de Laurent de Médicis, il peut rentrer à Florence où il est accueilli par Marcile Ficin.
En 1491, il s’agit d’un autre ouvrage, « De l’être et de l’unité » qui traite de la relation entre une Unité et une Multiplicité, apparente contradiction, dont l’objectif se veut une synthèse entre l’Un et le Multiple, le divin et l’homme, un dualisme qui annonce une pensée moderne.
Ayant rencontré Savonarole, Pic de la Mirandole opte pour la vie religieuse et le tiers ordre dominicain. En 1492, le pape Innocent VIII meurt, Alexandre VI Borgia lui succède et c’est à ce dernier que Pic envoie un mémoire qui explique une nouvelle fois sa philosophie et ses thèses précédemment interdites. Et le même pape qui condamne Savonarole accorde à Pic le « Bref d’absolution pleine et entière » en 1493... Le 8 avril 1492, Laurent de Médicis meurt, avec pour successeur son fils Pierre II de Médicis qui n’aura de cesse de voir Savonarole condamné , pour lequel Pic ne pourra rien. En 1494, alors que l’armée de Charles VIII entre à Florence, Pic de la Mirandole meurt, empoisonné, dit–on, par son secrétaire qui aurait été corrompu par Pierre de Médicis.
Ainsi la légende s’emparera–t–elle de Jean Pic de la Mirandole, comme elle l’entourera de mystères, de sciences occultes, de magie . L’histoire retiendra un homme d’une intelligence vive, d’une ouverture d’esprit qui le conduit aux voies modernes d’une philosophie et d’une religion repensée, ‘ pré-réformateur ’ dans son appréhension d’une nouvelle relation de l’homme avec Dieu et de l’homme face à lui–même. Il est encore considéré comme le père spirituel de Thomas More, de John Colet, Lefèvre d’Étaples et Érasme,le premier en effet à s’être fermement opposé, avec argumentaires philosophiques et théologiques à la théologie scolastique.
Les études nombreuses qui lui seront consacrées iront jusqu’à voir en Pic de la Mirandole un précurseur du cartésianisme : « en dehors de l’influence connue de la lumière et du mouvement », écrivait Pic, « aucune puissance particulière n’existe dans les cieux » ; il signifiait par là la force de la dignité de l’homme, de son libre arbitre et de sa raison sur le déterminisme sans appel qui condamnait et emprisonnait l’homme selon la scolastique.
Au XVème et XVIème siècles en Angleterre, deux hommes s’inspirent de l’enseignement de Pic de la Mirandole, John Colet et Thomas More.
John Colet (vers 1467 – 1519) est né à Londres, fils aîné du Lord Mayor de Londres en 1486 et 1495, John Colet a suivi les cours d’Oxford d’où il sort diplômé en 1490. Il est bientôt recteur’ non – résident’ dans le Suffolk puis curé de Saint Duston, puis enfin recteur à Thurning.
En 1493, il se rend à Paris et en Italie, étudie le droit canon et le droit civil, apprend le grec. Il a également à cette époque l’occasion de s’initier aux idées de Savonarole et de Pic de la Mirandole et de rencontrer Lefèvre d’Étaples.
En 1496, John Colet rencontre en Angleterre, choisit la vie religieuse et s’installe à Oxford où il donne un enseignement qui s’éloigne de la théologie scolastique ; il préfère l’exégèse en l’adaptant à un public plus élargi, par une langue plus familière et des explications plus abordables et compréhensibles.
En 1502, John Colet est nommé chanoine de Salisburg, et, trois ans plus tard, de la cathédrale Saint Paul à Londres, puis doyen de cette cathédrale. C’est là qu’il enseigne la Bible, et donne des conférences dans la cathédrale trois jours par semaine. En 1508, ayant hérité de son père, il entreprend la reconstruction de l’école de Saint Paul qu’il termine en 1512. En 1514 il fait le pèlerinage de Canterbury et peu après devient l’aumônier du roi Henri VIII . Il meurt en 1519, est inhumé à Saint Paul où une pierre porte seulement son nom.
L’importance de John Colet réside dans sa volonté de rendre la Bible lisible et compréhensible pour tous :en traduisant le Nouveau Testament du grec en anglais, en échappant à la condamnation de l’Église qui interdisait cette traduction, en organisant les conférences de la cathédrale Saint Paul, où, dit –on, en six mois quelques vingt mille fidèles avaient pu écouter le prédicateur, en critiquant les traditions de l’Église, notamment le célibat des prêtres, John Colet a sans doute été l’un des personnages importants de l’évolution de l’Église en Angleterre à cette époque.
D’une vingtaine d’années son cadet, Thomas More (1478 – 1535) naît à Londres d’une famille de riches marchands. Jeune garçon, il est d’abord envoyé à Canterbury et à Oxford, où il réside deux ans. Puis il rentre à Londres pour étudier le droit. C’est à Oxford que Thomas More a appris ce qu’était l’humanisme, lu les auteurs grecs et latins, pénétré dans la philosophie de Platon et l’idée d’une République. Ainsi va –t–il apprécier la vie de Pic de la Mirandole, traduire sa biographie, «Vie de Jean de Pic », où il peut concilier les exigences spirituelles et laïques. Car Thomas More cherchera toute sa vie un équilibre entre ses propres préoccupations religieuses ; entre 1501 et 1505, il hésitera à entrer dans les ordres mais privilégiera l’état laïque. Il se marie, et, veuf, se remarie en 1511 et voudra donner l’image d’une famille chrétienne.
Avocat, député de Londres à la Chambre des Communes en 1504, Thomas More devient officier et juge municipal de Londres dès 1510 . dès lors, il est connu de la cour et le roi Henri VIII le choisit comme ambassadeur en 1515, membre du Conseil royal en 1518, speaker des Communes en 1523 et chancelier en 1529. Pourtant un grave conflit va opposer le chancelier et son roi, la question du divorce de ce dernier. En effet, Henri VIII, marié à Catherine d’Aragon, elle–même veuve d’Arthur frère du roi, est toujours sans héritier : ce point, joint à l’union avec la veuve de son frère, union dont Henri VIII trouve l’interdiction dans l’Ancien Testament, et le souhait d’épouser Anne Boleyn, conduit le roi à vouloir divorcer. L’Église et le pape s’opposent à l’annulation du mariage et Thomas More suit cette interdiction tandis qu’Henri VIII conteste l’autorité papale et affirme la sienne propre sur l’Église d’Angleterre. Ce conflit entre Henri VIII et le clergé d’Angleterre lié au pape sera terminé en deux étapes. D’abord en 1532 lorsque l’Église d’Angleterre cèdera devant Henri VIII, puis en 1534 avec ‘L’acte de Suprématie’ qui donne au roi le titre de chef suprême de l’Église d’Angleterre, Acte qui ouvre la voie à l’anglicanisme.
En 1532, Thomas More doit démissionner de la Chancellerie, en décidant de ne plus interférer dans la politique royale, mais en 1533 il publie des ouvrages où il défend ses opinions précédentes : son opposition à Henri VIII est de nouveau publique, de plus en plus affirmée, et atteint son maximum lorsque Thomas More refuse de prêter serment au roi pour reconnaître son divorce.
En 1534, Thomas More est arrêté et emprisonné dans la Tour de Londres où il reste prés d’un an. Après jugement et condamnation à mort pour trahison et non- reconnaissance de l’autorité suprême du roi sur l’Église d’Angleterre, il est décapité le 6 juillet 1535.
La personnalité de Thomas More peut paraître contradictoire, voire double. En vérité, il est à la jonction de la fin du monde médiéval et du début de la modernité liée à l’humanisme.
D’une part, celui que l’hagiographie a qualifié de martyr et saint (il sera d’ailleurs béatifié en 1886 et canonisé en 1935) reste un homme attaché à son Église catholique ; il n’hésite pas à formuler officiellement et publiquement qu’on ne peut légiférer d’une manière « contradictoire avec la loi de l’Église catholique et universelle du Christ », ni « lier sa conscience au concile d’un seul royaume, celui d’Angleterre, outre le concile général de la chrétienté » ; il n’hésitera pas non plus à condamner les idées ‘hérétiques ‘de Luther et à ordonner des autodafés d’œuvres dangereuses à ses yeux ; il publie en 1523 sa « Réponse à Luther » où il retrace toute la tradition chrétienne impossible, dit –il, à remettre en question. Il ira jusqu’au bout de sa logique dans son conflit avec Henri VIII, jusqu’à la mort.
D’autre part, Thomas More est l’auteur de « L’utopie » , publié en 1516. L’œuvre dont le titre signifie ‘nulle part’ en grec pose la question de la crédibilité de Thomas More : en effet quand la première partie du livre, qui en contient deux, est une critique des princes, des cours, des guerres, des richesses, face à la pauvreté et à l’injustice, la seconde partie est la description idyllique de vie sur l’île d’Utopie où la propriété privée n’existe pas , où les utopistes sont égaux, vivent ensemble et portent les mêmes habits ; les cinquante quatre villes d’Utopie sont administrées par des conseils élus avec un sénat qui se réunit une fois par an, avec des discussions publiques ; les guerres ne sont que défensives, ou ne servent qu’à libérer les opprimés ; enfin aucune religion n’est imposée et nul ne peut être persécuté pour celle qu’il pratique. La désobéissance aux seuls trois dogmes obligés, l’immortalité de l’âme, la toute–puissance de la providence divine qui gère le monde, et la punition ou récompense après la mort, entraîne l’exclusion de l’utopien récalcitrant , mais pas la condamnation à mort.
L’ouvrage, par son ambiguïté, tend à montrer l’auteur entre deux idéologies, entre un passé auquel il adhère et le sentiment d’un avenir fait de théories humanistes. Sa lutte contre ‘ l’hérésie ‘ luthérienne, dans les années qui suivent la publication de l’Utopie pousserait à démontrer le fort enracinement de Thomas More dans son Église et son passé, mais l’Utopie qu’il décrit n’est-elle pas l’un de ses rêves, sans doute irréalisable, comme le nom commun que le célèbre titre a fait naître ? ; mais précisément aussi un projet à défendre ou à espérer ? Il n’en reste pas moins que Thomas More est l’homme qui a signé ce texte , étonnant pour son époque et dont la modernité se prévaudra, mais qui est mort également pour rester fidèle à une Église qu’il ne voulait pas voir déchirée.
Au XVème et XVIème siècles, la France est la plaque tournante pour toute l’Europe. Deux personnages, entourés de disciples et d’amis, vont s’avérer être essentiels au tournant du siècle : Guillaume Briçonnet et Lefèvre d’Etaples.
Né à Paris, Guillaume Briçonnet (vers 1470–1534) fait ses premières études au Collège de Navarre. En 1489, il devient évêque, abbé en 1493, chanoine de l’église de Paris en 1503, s’installe au ministère bénédictin de Saint Germain des Prés à Paris, enfin il est évêque de Meaux en 1515. Cette ville, centre de tissage, compte de nombreuses filatures dont les ouvriers et artisans voient mal les abbayes autour de Meaux sans abbé, le clergé mal formé, et aspirent à des réformes dans l’Église.
Outre ses charges ecclésiastiques, Guillaume Briçonnet va cumuler les fonctions politiques : de 1495 à 1507, il est président à la Chambre des Comptes, de 1499 à 1521 conseiller au Parlement de Toulouse ; puis il assistera aux États du Languedoc avant d’être ; à partir de 1516, ambassadeur auprès du pape Léon X, et sera présent aux conclusions du Concordat de Bologne la même année.
Le nombre de ses charges ne laisse pas l’évêque de Meaux dans une satisfaction passive, mais bien au contraire l’incite à repenser le fonctionnement de l’Église et aiguise sa réflexion . Conscient du besoin de réformes, Briçonnet insiste d’abord sur la nécessité d’une présence régulière et attentive des hommes d’Église auprès des fidèles ; il souhaite une formation du clergé, un enseignement plus tourné vers la prédication, l’usage du français dans la liturgie, le retour à l’Évangile. Mais le concordat de 1516 lie le roi à l’Église, et, avec ses fonctions, l’évêque de Meaux ne peut ni le remettre en cause ni se déjuger. Et cela d’autant plus que François I°, sous l’influence de sa sœur Marguerite d’Angoulême, n’est pas hostile aux réformes et a laissé se développer le cénacle de Meaux. En outre, dès 1517, le roi a demandé à Guillaume Budé de créer un Collège des savants pour qu’y soient enseignées les langues anciennes ; ce Collège verra le jour en 1530 avec les ‘lecteurs royaux’ et sera à l’origine du Collège de France. Enfin en 1522 le roi a favorisé la publication du Nouveau Testament par Lefèvre d’Étaples, et dans l’Église, François I° a encore souhaité réunir des conciles dans toutes les provinces ecclésiastiques du royaume.
Mais si 1515 et 1516 ont été des dates fastes pour François 1er, 1525 est l’échec cuisant de Pavie. Aux conséquences de politique extérieure se mêlent celles de politique intérieure . En effet, profitant de la captivité du roi en Espagne, les théologiens de Paris attaquent les humanistes chrétiens, le Parlement de Paris intente un procès à Guillaume Budé, fait arrêter Louis de Berquin, interdit la traduction de la Bible en français, et les conciles provinciaux refusent de diffuser ces mêmes Écritures aux fidèles. Marguerite d’Angoulême, devenue Marguerite de Navarre par son remariage avec Henri III d’Albret, a du quitter la cour en 1527, et Guillaume Briçonnet, dans cette conjoncture, se retrouve isolé à Meaux dont l’exemple ne peut plus être suivi , le groupe du cénacle ayant été dispersé depuis 1525.
François 1er, rentré en France en 1526, pris entre les guerres avec Charles Quint et la question non résolue des réformes religieuses demandées, hésite encore, alors que les idées, les « propositions » de Martin Luther sont connues depuis les années 1525 et commencent à se propager. Cette ‘hérésie’, pour beaucoup, risque donc de toucher à la fois les hommes d’Église et les fidèles dans une proportion et avec une rapidité que les autorités ecclésiastiques commencent à craindre . Alors éclate en 1528 la première affaire des Placards, puis la seconde, beaucoup plus importante en 1534. Les conséquences de la répression anti-huguenote à cette affaire sont religieuses, sociales avec le premier grand exil des huguenots, et politiques, face aux pays nordiques qui optent pour Luther.
Guillaume Briçonnet meurt en 1534, redevenu l’homme de l’Église catholique qu’il avait été avant l’expérience du cénacle de Meaux.
L’Histoire gardera de lui l’image de ‘l’homme de la pré-Réforme, de la Réforme et de la Contre –Réforme’. Dès 1521, date de la condamnation de Luther, il avait choisi ‘le retour’ à l’Église et avait en 1523 révoqué Guillaume Farel qui avait du quitter Meaux pour Paris. L’évêque de Meaux était également retourné au culte des morts, au culte des saints, à l’idée de purgatoire et aux différentes forces traditionnelles de l’Église catholique.
Celui dont la devise est « connaître l’Évangile, suivre l’Évangile, faire connaître l’Évangile » et dont le nom latinisé Fabri donnera celui de ses élèves,les fabristes, traverse avec Guillaume Briçonnet l’épisode du cénacle de Meaux et l’affaire des Placards.
Né à Étaples vers 1450, Jacques Lefèvre d’Étaples (vers 1450-1536) reçoit d’Aristote. À Paris, il enseigne la philosophie au collège du cardinal Lemoine, opposé à la scolastique de la Sorbonne. À sa grande érudition, Lefèvre d’Étaples joint une grande piété et un goût prononcé du texte original et de l’exégèse.
Ses œuvres témoignent de cette connaissance des Écritures et de sa volonté de partager son savoir.
En 1509, s’étant attaché à l’étude des Psaumes, il en publie des « Commentaires », comme il publie en 1512 des « Commentaires sur les épîtres de Saint Paul ». En 1522, d’autres « Commentaires » encore sont publiés, sur les quatre évangiles, traduits en français avec des annotations pour le grec en face du texte de la Vulgate . Cette même année, François I° donne son accord pour que soit traduit l’ensemble du Nouveau Testament en français, mais aux frais de sa mère Louise de Savoie, sa sœur Marguerite d’Angoulême, et Guillaume Briçonnet. Lefèvre d’Étaples faisait partie depuis 1523 du cénacle de Meaux et y restera jusqu'en 1525, date de la fin du cénacle. En 1527, les derniers « Commentaires » paraissent sur les épîtres dernières ; c’est l’ultime ouvrage signé de sa main, l’heure est à la prudence face au danger politico-religieux après Pavie, et s’il continue d’écrire, il ne signera plus.
En 1525, le grand humaniste s’était exilé à Strasbourg, rappelé un an plus tard par François 1er à Blois où le roi le charge de l’instruction des enfants royaux et de la gestion de sa bibliothèque. En 1530, il se retire à Nerac où il meurt en 1536.
Jacques Lefèvre d’Étaples a sans doute représenté l’un des plus grands humanistes chrétiens, a créé le mouvement fabriste, a cheminé en pensée et en théologie avec Luther qu’il n’a jamais rencontré, mais qui connaissait l’humaniste français. Lefèvre d’Étaples est un des personnages clefs de cette période qui devait aboutir à la Réforme, lui qui disait que le nouveau Testament devait devenir « le livre de vie et seule règle des chrétiens » et que « Dieu opère tout en nous ».
L’un des amis de Lefèvre d’Étaples, sans être français, aura marqué la France et l’Europe par sa personnalité et son humanisme inégalable, Erasme, - Desiderius Erasmus comme il choisira de s’appeler -.
De son vrai nom ‘ Gérard, fils de Gérard’ (1467 – 1536) du nom de son père, Gérard de Praët (qui ne le légitimera pas), naît à Rotterdam. Ses premières études se font à Gouda, puis il est enfant de chœur à la cathédrale d’Utrecht, puis à Deventer. Orphelin , il doit suivre le séminaire de Bois- le- Duc où il est destiné à l’Église. Après hésitations et refus, il se décide à entrer au couvent des Augustins de Stains où il prononcera ses vœux. Contrairement à ses condisciples, il se plaît à étudier les textes anciens et apprend le latin . Cette dernière qualité le fait nommer pour accompagner l’évêque de Cambrai à Rome, voyage qui n’aura pas lieu mais donne l’occasion à cet évêque d’apprécier le jeune homme et de l’ordonner prêtre en 1492.
En 1496, le même protecteur aide Érasme à aller à Paris, mais là, le jeune homme se heurte à la scolastique et préfère rentrer à Cambrai puis en Hollande. Il repart pour la France, à Orléans notamment, avant de se rendre en Angleterre où il séjourne de 1497 à 1499. Il publiait alors déjà des ouvrages en latin ; à cette époque, - ou plus tôt ?- , il choisit le nom de Desiderius Erasmus, suivant la mode des pseudonymes latinisés, et désormais pour tous, Erasme.
À Londres, le jeune humaniste fréquente les collèges d’Oxford et Cambridge, rencontre Thomas More. De retour en France, il est à nouveau à Paris ou Orléans, puis encore à Louvain ou Rotterdam. Il retourne bientôt à Cambridge où son goût et ses talents pour le grec le mènent à enseigner cette langue au fils de Jacques III d’Écosse.
En 1506, il est à nouveau à Paris d’où il repart pour Lyon, puis l’Italie, où, à Turin, il est nommé docteur en théologie. Puis ce sera Bologne, Florence, Venise qui l’accueillent et où il rencontre Aldo Manuce ; deux ans plus tard, il est à Padoue, Sienne et Rome : là, le pape Jules II le libère de ses vœux et l’autorise à ne porter que l’habit laïc.
En 1509, Érasme retourne en Angleterre, où il est reçu par Henri VIII, et c’est de cette époque que date la rédaction de son ouvrage « L’ éloge de la folie », ses années d’enseignement du grec, des Pères de l’Église, et du Nouveau Testament, à Cambridge, jusqu’en 1517. Il quitte l’Angleterre pour l’Allemagne puis Bâle pour y revenir de 1515 à 1516. Son « Nouveau Testament », qu’Érasme veut voir différent de la Vulgate’, paraît en 1516.
À cette date, un grand personnage entre dans la vie de l’humaniste, Charles Quint. Érasme, appelé à la cour, est nommé conseiller du roi et, malgré cette charge, s’efforcera de rester dans le domaine des idées et non dans celui de la politique . En vérité, il reste attaché à l’idée que la chrétienté doit rester une ‘ réalité politique ‘, proche en cela du principe d’un empire qui pourrait faire régner la paix par la religion catholique. Erasme va donc préférer poursuivre son œuvre d’humaniste et d’auteur. Toujours en 1516, il publie à Louvain son « Instituti principi christiani ».
Le dernier séjour d’Érasme en Angleterre est en 1517 avant qu’il ne s’installe à Bâle en 1521. Il quitte cette ville en 1525 pour Fribourg mais y revient pour la publication de plusieurs de ses ouvrages. Il quitte Bâle en 1529 en désaccord avec Luther, et encore davantage en 1530 avec la Confession d’Augsbourg.
De retour à Bâle en 1535, Érasme se prépare à voyager encore, tout en travaillant encore à ses ouvrages, dont une publication sur Origène qu’il ne terminera pas : la maladie l’emporte en 1536 et le cortège funèbre sera suivi par toute la population bâloise et les membres de l’université, avant l’inhumation dans la cathédrale.
Considéré, comme Lefèvre d’Étaples, comme un des grands humanistes, Érasme s’est distingué par son érudition, ses écrits et son pacifisme. Ecrivain, traducteur, fin connaisseur du grec (dont il devait notamment étudier les différences de prononciation entre grec ancien et grec moderne), philologue et pédagogue, il était également théologien.
Dans cette dernière discipline, Érasme s’illustre à la fois par son modernisme humaniste et par son refus des querelles. Si « L’éloge de la folie » est une critique sans concession, pleine d’humour et d’ironie, de l’Église du moment, de son clergé ignorant, de ses fidèles superstitieux ou terrorisés, de ses théologiens scolastiques, il sait aussi aller en profondeur soit dans les œuvres antiques, soit dans l’étude du christianisme, dont les Pères de l’Église et les traductions du Nouveau Testament. Ses nombreuses œuvres témoignent de cette démarche et de cette volonté de partage du savoir qui le caractérisait. Luther lui –même avait eu connaissance des œuvres de l’humaniste hollandais et européen, même si le désaccord entre les deux hommes devait aller grandissant, jusqu’à la ‘rupture’ de la Confession d’Augsbourg. ; Luther considérait Érasme comme trop prudent, et Érasme n’appréciait guère la virulence de Luther et surtout, derrière la combativité du réformateur allemand, sa théologie. Une marque de ce profond désaccord se trouve dans la correspondance échangée entre les deux théologiens dans les années 1519 – 1527 et dans les ouvrages que chacun d’eux écrit et qui se répondent. Notamment en 1524 Érasme écrit « Du libre- arbitre », en latin, à quoi Luther répond, en latin également « Du serf- arbitre » : pour le premier, l’homme peut participer à son salut, tandis que pour le second, l’homme ne peut rien, Dieu seul peut le sauver. Érasme définira encore le libre – arbitre comme « le pouvoir qu’a la volonté humaine de s’appliquer à tout ce qui est requis pour le salut éternel » , en ajoutant : « Dieu nous impute comme mérite de ne pas détourner notre esprit de sa grâce ».
Luther répondra : « La volonté humaine se trouve donc placée entre Dieu et Satan et se laisse guider et pousser comme un cheval . Si c’est Dieu qui la guide elle va là où Dieu veut et comme il le veut, ainsi que le dit le psaume 73, verset 22 et suivants ; si c’est Satan qui s’en empare, elle va là où il veut et comme il veut. Or la volonté humaine en tout ceci n’est plus libre de choisir un maître : les deux cavaliers combattent et disputent à qui s’en emparera. »
Rien ne réconciliera les deux personnages, l’un croyant en l’homme et l’autre s’en remettant au choix de Dieu et au don de la grâce.
Voyageur infatigable et émissaire européen de l’humanisme, Érasme a été connu en Espagne également. On pourra parler d’un courant érasmien grâce à ses œuvres traduites en castillan, qui connaissaient un grand succès. Cependant, dès la condamnation de Luther, en 1521, une répression anti-érasmienne a lieu.
Un procès se tiendra à Valladolid, qui durera six semaines et dont le jugement ordonnera que, sans être traités d’hérétiques, des écrits traduits en castillan seront interdits, et d’autres, en latin, devront être expurgés.
Ainsi l’Espagne aura –t-elle été touchée par Érasme à travers ses ouvrages, et l’humanisme aura –t-il pénétré dans le pays principal de l’Empire qui se qualifiait de ‘catholique’ donc universel, mais aussi romain, quand la Réforme qui s’implantait se voulait aussi ‘catholique’ donc universelle, mais non–romaine.
Cette universalité, Érasme la voulait donc chrétienne, se disant lui–même « citoyen de la République des Lettres », lui qu’on appelait « Le prince des humanistes ».