Cosmologie/Les équations de Friedmann relativistes

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Dans un chapitre précédent, nous avons vu les équations de Friedmann, mais avions fourni des versions newtoniennes de ces équations. Dans ce qui va suivre, nous allons voir les versions relativistes de ces équations. Nous allons voir comment passer des versions newtoniennes aux équations relativistes, en appliquant les concepts vus dans le chapitre précédent.

Dans ce qui suit, les notations sont les suivantes : est la densité d'énergie, est la densité de matière, est la pression et est un terme de courbure, qui décrit la géométrie de l'univers (nous reviendrons sur l'interprétation de ce terme dans ce qui suit).

Les trois équations de Friedmann relativistes sont les suivantes :

Première équation de Friedmann
Équation du fluide cosmologique de Friedmann
Seconde équation de Friedmann

Les équations de Friedmann relativistes ressemblent à leurs cousines newtoniennes, si ce n'est que la densité masse est remplacée par les équations du chapitre précédent. Mais il y a un problème : quelle est la masse utilisée dans les équations de Friedmann ? En toute généralité, les densités de masse inertielle, masse grave active et masse grave passive ne sont pas égales. Pire : leur valeur dépend de la situation considérée, ce qui fait qu'il faut faire le remplacement intelligemment. Il existe un cas où l'on sait calculer exactement ces trois densités de masse : le cas d'un fluide parfait. Aussi, on va supposer que l'univers observable est rempli d'un fluide qui regroupe la matière, le rayonnement, les galaxies, et de manière générale tout le contenant de l'univers. On postule que ce fluide est homogène, c'est à dire que sa température est la même partout, de même que la densité, la pression, et toutes les variables du même genre. On peut alors utiliser les équations vues au chapitre précédent pour faire le remplacement.

La première équation de Friedmann[modifier | modifier le wikicode]

La première équation de Friedmann, en version non-relativiste, est la suivante :

La relation entre densité de masse et densité d'énergie se déduit de l'équivalence masse-énergie d'Einstein, même si cette démonstration est loin d'être rigoureuse. Pour convertir l'équation de Friedmann dans sa version relativiste, il suffit de remplacer la masse volumique par . Pour le terme , il faut faire l'inverse, à savoir la multiplier par , pour des raisons techniques assez compliquées.

L'interprétation de cette formule est assez simple à comprendre. Elle nous dit que l'expansion de l'univers dépend de deux forces opposées. Le premier terme correspond à l'influence gravitationnelle de la matière, alors que l'autre traduit l'effet de la courbure de l'univers.

Avant de passer à la suite, je tiens à faire remarquer une chose assez subtile, mais très importante. Dans le chapitre sur les équations de Friedmann newtoniennes, nous avions démontré la première équation de Friedmann, à partir d'un raisonnement newtonien simple. Dans cette démonstration, la masse utilisée pour calculer la densité de masse était la masse grave active, et non la masse inertielle. Le raisonnement tenu juste auparavant est donc faux. Il aurait fallu utiliser la relation . Mais la démonstration dans le cadre de la relativité générale donne bien l'équation obtenue plus haut, en remplaçant la densité de masse par la densité de masse inertielle. Cela est sans doute lié au fait que les trois types de masse sont égaux dans la théorie newtonienne.

Le paramètre de courbure[modifier | modifier le wikicode]

La géométrie de l'univers peut prendre trois formes, selon que le paramètre de densité est nul, positif ou négatif.

Dans la démonstration newtonienne, nous avions posé pour simplifier les calculs. Mais ce paramètre a une interprétation totalement différente dans la relativité générale. Dans la relativité générale, ce terme s'appelle le paramètre de courbure. Il décrit la courbure, un paramètre qui décrit la géométrie de l'espace-temps :

  • un espace de courbure nulle a une géométrie euclidienne ;
  • un espace de courbure positive a une géométrie qui équivaut en trois dimensions à la surface d'une sphère en deux dimensions ;
  • un espace de courbure négative a une géométrie qui équivaut en trois dimensions à la surface d'une « selle de cheval » en deux dimensions (cette selle de cheval étant à une hyperbole ce que la sphère est au cercle).

Pour simplifier, la courbure décrit comment varie le facteur d'échelle dans l'espace et dans le temps. Avec un espace-temps courbe, le facteur d'échelle varie en fonction de la position et du temps. Pour simplifier les explications, imaginons que l'espace seul soit courbé. Un espace de courbure nulle a un facteur d'échelle identique partout et a donc une géométrie euclidienne. Avec un espace courbé, le facteur d'échelle varie en fonction de la position et les calculs de distance euclidiens ne marchent plus. La courbure décrit avec quelle intensité le facteur d'échelle varie en fonction de la direction, à quel point les calculs de distance varient des calculs euclidiens. Cependant, dans la relativité générale, c'est l'espace-temps qui est courbé, et pas seulement l'espace. Ce qui fait que le facteur d'échelle varie en fonction de la position, mais aussi du temps considéré. On verra dans quelques chapitres qu'une courbure positive fait décroître linéairement le facteur d'échelle avec le temps, alors qu'une courbure négative entraîne une croissance linéaire du facteur d'échelle. Mais passons.

Précisons que le paramètre de courbure décrit la courbure qu'aurait l'univers s'il était vide. Il s'agit d'un paramètre global, qui décrit l’univers tout entier. Mais il peut y avoir des variations locales, liées à la gravité. La gravité n'est autre qu'une variation de la courbure à proximité d'une masse. Toute masse grave active déforme l’espace-temps et le courbe, ce qui fait que le facteur d'échelle varie à proximité d'une masse. Le facteur d'échelle à proximité d'une masse décroît continuellement, ce qui fait que les distances se réduisent. Ainsi, un objet placé à proximité d'une masse se rapprochera progressivement de la masse considérée, non pas parce qu'elle bouge dans l'espace, mais parce que l'espace ne cesse de se contracter à proximité d'une masse grave active. On pourrait décrire la gravité comme l'expansion, avec une variation du facteur d'échelle avec le temps et la distance, ce que fait la relativité générale d’Einstein, mais cela demande une artillerie mathématique des plus élaborées. Pour résumer, on a :

Masse (grave active) Courbure locale Variation spatiale et temporelle du facteur d'échelle.

Le rayon de courbure[modifier | modifier le wikicode]

En relativité générale, la formule pour le paramètre de courbure est différente. Déjà, les formules ne sont pas identiques et on a l'équation suivante :

, avec K la pseudo-courbure newtonienne et k la courbure telle que décrite dans la théorie de la relativité générale.

À comparer avec la formule newtonienne :

En combinant les deux équations précédentes, on trouve :

, avec le rayon de l'univers observable dans la démonstration newtonienne.

En utilisant la formule , on trouve alors :

Ce qui se simplifie en :

, avec R un rayon dont l'interprétation est donnée plus bas.

On voit que la courbure est proportionnelle à l'inverse d'un rayon. Dans la démonstration newtonienne, le rayon en question est celui de l'univers. Mais en relativité générale, ce rayon n'est pas le rayon de l'univers, mais un rayon dit "rayon de courbure".

Cercle osculateur.
Rayon de courbure.

Pour comprendre ce qu'est ce rayon, prenons une courbe en une dimension, dessinée sur un plan. En ce point, on peut décrire la courbure de cette courbe en faisant une analogie avec la courbure d'un cercle. Un cercle est en effet une ligne dont la courbure est constante. Qui plus est, plus un cercle est grand, plus sa courbure est faible (plus on courbe une ligne uniformément, plus elle forme un cercle petit). Pour la courbe prise en exemple, et sur le point choisi, on peut définir un cercle tangent en ce point, appelé le cercle osculateur. Le rayon de ce cercle. La courbure en ce point est alors définie comme la courbure du cercle tangent, qui est elle-même inversement proportionnelle au rayon du cercle osculateur. Cela permet de définir la courbure comme l'inverse du rayon du cercle osculateur.

Courbure locale de la courbe Courbure du cercle osculateur ( 1 / Rayon du cercle osculateur )

En deux, trois, quatre dimensions, on peut définir la même chose, ce qui permet de décrire un cercle osculateur et le lier avec la courbure locale/globale. Sauf que le coefficient de proportionnalité n'est pas le même, sans compter que les puissances changent. Pour résumer, la courbure de l'univers est proportionnelle à l'inverse de son rayon de courbure (plus précisément de son carré).

L'interprétation de la densité dans la version relativiste[modifier | modifier le wikicode]

Formellement, la densité d'énergie prend en compte aussi bien la densité de matière que la densité d'énergie liée au rayonnement (lumière) , et potentiellement d'autres formes d'énergie. Pour simplifier, la densité d'énergie est la somme de la densité de matière, la densité de rayonnement, et quelques autres termes.

Il est possible aussi de rendre compte de la courbure via une densité d'énergie de courbure. En effet, nous avons vu que celle-ci est proportionnelle à une énergie dans la démonstration newtonienne. En appliquant l'équivalence masse-énergie, nous nous retrouvons donc avec une densité d'énergie de courbure dans l'équation de Friedmann. En injectant le tout dans l'équation de Friedmann, nous trouvons :

, avec

Si on pose , on peut reformuler cette équation comme ceci :

On verra dans les chapitres suivants que les densités de rayonnement et de matière dépendent du facteur d'échelle.

  • La densité de matière varie selon l'équation : .
  • Pour la densité d'énergie du rayonnement, l'équation a été vue dans le chapitre sur le rayonnement : .

La première équation de Friedmann se reformule ainsi, quand on injecte les relations précédentes dans l'équation :

Il est aussi possible de reformuler la première équation de Friedmann avec le paramètre de densité, à savoir le rapport entre la densité réelle et la densité critique obtenue quand on considére un univers de courbure nulle. Cependant, cela demande de fournir plusieurs paramètres de densité. En effet, il ne faut pas oublier l'influence différentielle du facteur d'échelle sur la matière, l'énergie de rayonnement et la courbure. Pour cela, il faut utiliser différents paramètres de densité : un pour la matière, un autre pour le rayonnement, et un autre pour la courbure. Le premier est égal à la densité de matière divisée par la densité critique et est noté . Le second est égal à la densité de rayonnement divisée par la densité critique et est noté . Même principe pour le rapport entre densité de courbure et densité critique .

L'équation du fluide de Friedmann[modifier | modifier le wikicode]

L'équation du fluide de Friedmann est, dans sa version relativiste, reformulée de la même manière que la première équation. On remplace la densité de masse par sa valeur compatible avec la relativité, obtenue dans le chapitre précédent.

L'équation du fluide de Friedmann newtonienne est la suivante :

Dans la démonstration de l'équation de Friedmann d'il y a deux chapitres, on peut remarquer que la masse utilisée est indéterminée. Mais on retrouve l'équation relativiste si on suppose qu'il s'agit de la masse grave passive. Or, on a vu dans le chapitre précédent que celle-ci est égale, pour un fluide relativiste, à :

, où est la densité de matière inertielle.

En faisant le remplacement, on a :


Démonstration

Dans cette section, nous allons donner une dérivation de la version relativiste, qui n'est cependant pas très rigoureuse. En faire une véritable dérivation demanderait de passer par les mathématiques de la relativité générale, ce que nous ne ferons pas dans ce cours.

Nous allons considérer que l'univers est un système isolé, à savoir qu'il n'y a pas d'échange de matière ou d'énergie avec l'extérieur (il est en effet difficile de donner un sens à l'« extérieur de l'univers »). Dans ces conditions, la première loi de la thermodynamique s'applique. Celle-ci dit que toute variation de l'énergie interne de l'univers provient des variations de chaleur et de volume/pression. De plus, on va supposer que l'expansion est adiabatique : il n'y a pas d'échange de chaleur entre l'univers observable et un éventuel extérieur. Dans ces conditions, toute variation de l'énergie interne de l'univers se calcule avec la formule suivante, avec P la pression et V le volume de l'univers.

Utilisons ensuite la relation  :

Le facteur étant constant, nous pouvons le sortir de la dérivée.

Divisons par  :

Reformulons la masse de l'univers en fonction du volume et de la densité de matière

Appliquons la formule sur la dérivée d'un produit.

Factorisons maintenant le terme .

Divisons maintenant par V.

Puis divisons par dt.

Appliquons maintenant l'égalité suivante, vue dans le premier chapitre : .

On peut la récrire de la manière suivante, sous certaines hypothèses :

, où est la densité d'énergie.


Démonstration

Démonstration de la deuxième version. Partons de la première équation de Friedmann :

Et la deuxième :

Prenant la dérivée temporelle de la première des deux équations :

Que l'on peut mettre sous la forme :

Et donc :

En identifiant avec la seconde équation de Friedmann :

On bouge un peu les termes et on identifie le dernier terme avec la première équation de Friedmann :

Il reste à simplifier comme :

On trouve donc enfin :

La seconde équation de Friedmann[modifier | modifier le wikicode]

La seconde équation de Friedmann est la suivante, dans sa forme newtonienne.

Dans la démonstration newtonienne, la masse utilisée était la masse grave active, ce qui fait qu'on doit utiliser l'équation suivante :

, avec la densité de masse inertielle et P la pression.

En combinant les deux équations précédentes, on retrouve la seconde équation de Friedmann :

Cette seconde équation de Friedmann nous dit quelque chose d'assez contre-intuitif concernant la pression : celle-ci lutte contre l'expansion. L'intuition nous dirait pourtant le contraire, mais celle-ci est trompeuse. La pression de la matière ou du rayonnement ne pousse pas sur les bords de l'univers, et ne peut donc guider l'expansion. Rappelons que l'horizon cosmologique n'est pas une barrière matérielle sur laquelle la pression pourrait pousser, mais une simple limite liée à la vitesse de la lumière. L'effet de la pression sur l'expansion ne peut donc provenir de ce mécanisme intuitif.

Pour comprendre l'effet contre-expansionniste de la pression, il faut se rappeler que la pression est proportionnelle à la densité d'énergie. Par exemple, on peut facilement démontrer que la pression d'un gaz parfait est égale aux deux tiers de sa densité d'énergie interne. Même chose pour le rayonnement, quoique le coefficient de proportionnalité soit différent. Or, rappelez-vous que l'énergie et la masse sont reliées dans la théorie de la relativité, l'équation en étant la plus simple expression. Pour simplifier, l'énergie a un poids, un effet gravitationnel qui va lutter contre l'expansion. Plus la pression et donc la densité d'énergie sont grandes, plus cet effet gravitationnel sera fort, plus l'expansion sera contrecarrée.

On peut démontrer la seconde équation de Friedmann (relativiste) à partir de la première équation et de l'équation du fluide.


Démonstration

Partons de la première équation de Friedmann, écrite comme ceci :

Multiplions des deux côtés par  :

Dérivons maintenant par rapport au temps :

Divisons par 2 les deux membres de l'équation :

Calculons la dérivée dans le second terme :

Divisons par  :

On utilise alors la relation pour simplifier le second terme :

Simplifions par  :

Divisons par  :

Or, l'équation du fluide nous dit que . Nous pouvons donc faire la substitution dans l'équation précédente, ce qui donne :

En simplifiant, nous obtenons :