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Jeu de rôle sur table — Jouer, créer/Au cœur du jeu de rôle, la partie

Un livre de Wikilivres.

Des parties de jeu de rôle

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De manière générale, un jeu se fait en parties. C'est également le cas du jeu de rôle.

Par une « partie », on entend une session de jeu, c'est-à-dire une ou plusieurs personnes qui décident de participer au jeu pendant une durée donnée, et dans un environnement donné. Dans le cas « classique », cet environnement est un lieu — une pièce, un terrain de jeu plus ou moins grand. Cela peut aussi être un environnement « virtuel » : des échanges de lettre pour un jeu épistolaire ou des parties par correspondance, des appels téléphoniques ou des outils de communication en ligne — par exemple Jitsi, Discord (et les générateurs de jets de dés DiceParser ou Dice Maiden), Skype, Microsoft Teams, Google Hangouts, Zoom, Facebook Messenger… —, souvent couplé à d'autres outils de partage d'informations — comme Miro[1], Framapad ou Padlet[2], Notion[3], Obsidian[4] — et à un générateur de jets de dés — Rolladie[5] ou DnDdiceroller[6]. Il peut aussi s'agir d'un réseau informatique : jeux par forum, jeux vidéo en ligne, plateformes de jeu de société — pour le jeu de rôle, en particulier Roll20[7], Fantasy Grounds[8], Rolisteam[9] ou Let's Role[10].

La participation est volontaire ; on y participe librement. Le consentement peut être implicite, on se laisse entraîner dans le jeu, mais à tout moment il y a la possibilité de dire « pouce, je ne joue plus ». La notion de consentement est importante, c'est ce qui fait la différence entre, par exemple, un match de boxe et une agression, entre des railleries entre potes et du harcèlement.

Le jeu donc est limité dans l'espace et dans le temps. Cette activité se partage avec d'autres activités de la vie comme dormir, se nourrir, se laver, apprendre, travailler…

La partie au cœur des préoccupations

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Puisque le jeu de rôle se déroule essentiellement en parties, c’est ce qui se déroule lors des parties qui doit être la préoccupation principale des joueur·euses et des concepteur·trices de jeu. Cela peut sembler une évidence mais ce n’est pas toujours clair pour tout le monde. En particulier, certains jeux peuvent être conçus avec des idées a priori sans vraiment correspondre à ce qui est censé se dérouler à la table.

« En gros voilà ce qui se passe dans les 90’s, d’où je me tiens : le style de “jeu par défaut” — la doxa, la norme tacite, l’hypothèse de base, bref : la représentation que s’en font la plupart des gens qui pratiquent quand on leur dit “faire du jeu de rôle” — semble glisser lentement du défi de groupe avec objectif collectif (“on va descendre dans le donj’ avec ce qu’on a et si on joue finement on va le meuler ce dragon”) vers une envie de faire du tourisme dans un monde fictif en jouant le perso de nos rêves, pour voir ce que ça fait. En gros : on passe du sport d’équipe à la fanfiction collective.

Or faut bien le dire, des règles prévues pour la première façon ne permettent pas la seconde sans heurts. Mais gros souci : on n’a jamais fait autrement donc on n’a pas vraiment conscience du problème. On se dit pas qu’il faut changer les fondations et reconstruire vers le haut. On se dit juste qu’on va prendre ce qu’on fait d’habitude et raboter en partant de la surface pour enlever ce qui gène, en espérant qu’on va pas devoir tout raboter, puis recoller dessus des bouts qui collent mieux.

Du coup tu te retrouves avec une base bien solide, souvent caraque + compète, dont on va presque pas se servir parce qu’on en n’a pas tellement besoin, en tout cas pas comme elles tournent. Puisqu’elles tournent toujours en répondant à la question “c’est qui le plus fort” parfaitement appropriée au défi de groupe face aux éléments, mais pas du tout à de la fanfic collective, qui demande elle, et sans cesse, “comment je me démarque”. Si chaque mécanique est une façon de mettre en scène un certain type d’événements dans le cadre de ton jeu, dans les 90’s on filme Hamlet comme une retransmission de l’Eurocup. »

— Gregory Pogorzelsky (2016)[14], Cthulhutech - Ep. 1: un nouveau costard

Lorsqu’un auteur ou une autrice crée un jeu, il ou elle veut créer une expérience partagées par les joueurs et joueuses. Ambiance, choix à faire, suspense créé par une attente ou du hasard, dilemmes moraux… Et cela est transmis notamment par les règles du jeu[15]. Mais aussi, dans le cas du jeu de rôle, par la description de l’univers fictionnel (background, cadre de jeu, diégèse), les éléments de l’univers créés par les joueurs et joueuses, la préparation de la partie (scénario le cas échéant), le matériel de jeu (dés, paravent, illustrations et aides de jeu, figurines, feuilles de personnage, fonctionnalités du réseau informatique utilisé)… Tout cela influe sur ce que vont se représenter les joueurs et joueuses et les décisions qu’elles vont prendre, sur ce qu’elles vont éprouver, et sur le déroulement de l’histoire.

Quelques outils

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Lorsque nous prenons une décision en dehors du jeu — choix de lecture, achat de matériel, conception d’une règle, d’un scénario, préparation d’une partie, création d’un personnage, développement d’une région géographique… —, il faut donc s’intéresser à la répercussion qu’elle va avoir au cours de la partie. Nous présentons ci-dessous quelques outils qui permettent de bien considérer cet impact.

Le système selon Baker-Care

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On peut ici introduire la notion de « système » définie par le principe de Baker-Care, ou principe de Lumpley (D. Vincent Baker, fondateur de Lumpley Games, et Emily Care Boss) :

« Le système (comprenant, mais pas limité aux “règles” [dans le sens traditionnel]) est défini comme étant le moyen par lequel les joueurs [y compris le MJ] se mettent d’accord sur les événements imaginés au cours de la partie. »

— Ron Edwards (2004)[16], The Provisional Glossary

Le jeu en tant que produit, diffusé sous la forme de livre papier, de document électronique, pourquoi pas de vidéo ou de bande son (probablement radio Web ou fichier MP3), est donc destiné à créer un système permettant de reproduire l’expérience de jeu telle qu’elle est conçue par son créateur ou créatrice. Libre aux joueuses de se l’approprier et d’en faire autre chose ensuite, mais au moins le produit doit permettre de reproduire cette expérience.

Dans le jeu de rôle « traditionnel » le système regroupe donc ce qui a été évoqué ci-dessus :

  • le « livre de base » du jeu : texte de règles, illustrations, textes d’ambiance…
  • les éventuels suppléments, en général la description d’une partie du cadre de jeu : région de l’univers, bestiaire…
  • le scénario ;
  • le matériel : fiches de personnages, crayons et gommes, dés, figurines, paravent…
  • mais aussi les règles explicites et implicites au sein du groupe (par exemple la politesse et le respect), les interventions hors-jeu (commentaires, reproches, compliments, plaisanteries)…
  • le caractère de chacun·e des participant·es ; l’humeur de chacun·e, ce qui s’est passé avant la partie ;
  • les connaissances en dehors du jeu et notamment la connaissance des univers de science-fiction et de merveilleux (fantasy), ce qui forme une culture commune entre les joueur·euses, facilitant l’immersion dans le monde imaginaire ;

Voir aussi :

Exemple : jet de perception

Le jet de perception est une règle que l’on trouve couramment. Les ouvrages contiennent souvent des conseil pour indiquer à la MJ dans quelles circonstances elle doit la mettre en œuvre. Un scénario peut aussi mentionner d’y avoir recours à tel ou tel moment. La MJ peut aussi décider de faire faire un jet au débotté, ad hoc. Règles, conseils, scénario, décision ad hoc, le jet de perception se retrouve dans plusieurs niveau du système.

Exemple : enquête policière

Considérons un scénario de type enquête policière. Les personnages doivent collecter des indices puis les analyser pour avancer dans l’histoire (typiquement trouver le coupable). Mais que se passe-t-il s’ils ne trouvent pas les indices ? Cela pourrait mener à un blocage de l’histoire, à un échec de la mission. Ce problème peut être réglé par différents éléments du système : cadre de jeu, scénario, règles ou décisions ad hoc du meneur ou de la meneuse de jeu.

Par le cadre de jeu : supposons que les personnages soient des policiers dans un commissariat miteux et manquant de moyens, ambiance Hill Street Blues ou bien RoboCop. Ils sont en permanence pressé par la hiérarchie et les crimes pleuvent. Le jeu est plus centré sur les problèmes humains, sociaux et politiques que par le fait de résoudre l’enquête en soi. S’ils échouent, c’est un peu plus de rancœur, de dénigrement par la population, de réprimandes par les chefs et le maire. Sans être forcément du « jouer pour échouer » (play to lose), rater un indice et donc une enquête n’est pas forcément en problème vis-à-vis du plaisir de jeu.

Par le scénario : un méthode classique consiste à prévoir trois manières de progresser[17]. On peut par exemple connaître le nom d’un suspect soit en interrogeant un témoin, soit en demandant à un indic, soit en trouvant un pochette d’allumettes portant le sigle du bar qu’il fréquente. On divise ainsi par trois les risques de passer à côté de l’indice.

Par les règles : certain jeux prévoient que l’on fasse des jets de dés pour interroger un témoin, un complice ou trouver un objet caché. Il est toujours possible de rater un jet de dés, faut-il laisser reposer tout l’intérêt de l’histoire sur le hasard ? On peut proposer deux règles du jeu pour éviter ce problème :

  • un échec au jet ne signifie pas que l’action échoue mais qu’il survient une complication : les enquêteurs perdent du temps, ils éveillent l’attention d’une faction rivale, l’interrogatoire dérape et ils blessent le complice, ils se blessent en fouillant ou bien perdent leur téléphone dans la nature…
  • on ne fait pas de jet pour trouver un indice ; soit il suffit de demander car il se trouve facilement — témoins coopératif, objet en évidence —, soit il faut dépenser un « point d’enquête », représentant le fait que les moyens d’enquête sont limités, que la concentrations s’émousse au fur et à mesure ; on passe ainsi d’un jeu de hasard à un jeu de gestion de moyens : faut-il dépenser les points d’enquête tout de suite pour progresser ou bien les garder pour plus tard, pour d’autres indices ? On pourra se référer aux jeu utilisant le système Gumshoe de Robin D. Laws (2007).

Par les décisions du meneur ou de la meneuse de jeu : il ou elle donne un coup de pouce discret aux joueuses pour les mettre sur la voie.

Exemple : passé d’un personnage (background)

On joue un personnage adulte, parfois enfant, mais qui a déjà vécu avant la partie. Ce passé va servir de support à la joueuse : il donne une logique à la manière dont la joueuse va jouer ce personnage, les actions qu’il va faire, la manière dont il va interagir avec les autres personnages et l'environnement[18]. C’est donc bien un élément du système.

Parfois, on crée un historique sans y être contraint par les règles mais, par exemple, pour donner de l’épaisseur, justifier le métier, une capacité donnée, la raison pour laquelle il va à l’aventure. La mention de ce passé peut être totalement absent du livre de règles ou bien figurer sous forme de conseils aux joueuses[18].

Parfois, l’historique est géré par des règles. Il peut s’agir de déterminer certaines capacités justifiées par un élément du passé, par un tirage aléatoire ou par un choix volontaire. Par exemple, dans Rolemaster 2e éd. (Coleman Charlton et Pete Fenelon, 1982), on tire des capacités spéciales justifiées par le passé du personnage[19] ; dans Empire galactique[20], l’histoire préliminaire (les études et le métier exercé) détermine les compétences initiales et dans SteamShadows[21], le personnage se construit en faisant des choix d’historique des arbres narratifs, chaque choix ayant un coût ; ou encore le système d’avantages et désavantages de GURPS (Steve Jackson, 1986) prévoit des éléments comme « allégeance » ou « personne à charge » qui impliquent des relations sociales passées.

Parfois, l’historique est le cœur de la création du personnage. Par exemple, dans Fiasco (Jason Morningstar, 2009), la création de la partie consiste à définir des liens entre les différents personnages. Certains jeux prévoient la création du groupe de PJ en tant que tel ; on crée ainsi un historique commun qui fait du lien. Par ailleurs, cela répond à un élément fondamental de la partie : comment les PJ se sont rencontré, que font-ils ensemble ? C’est le cas par exemple de Tenga (Jérôme Larré, 2011)[22] et de Homeka (Célia Chen et coll., 2017)[23].

On peut considérer deux situations « extrêmes » :

  • une joueuse choisit un personnage archétypal et n’envisage rien quant à son passé ; cette manière de faire permet de jouer très rapidement, le personnage est tout à fait fonctionnel, il est défini de manière « existentielle[24] » c’est-à-dire que c’est ce qu’il fait qui le définit ; la joueuse peut définir des éléments de son passé en cours de partie ; c’est la situation qui est décrite, caricaturée dans la saga MP3 Le Donjon de Naheulbeuk[25] ;
  • la joueuse imagine un passé riche et écrit cinq pages d’historique ; le personnage a une épaisseur, des raisons d’agir ; cependant, il est probable que la table — la meneuse de jeu et les autres joueuses — n’assimileront que peu d’éléments et donc seule une faible partie de l’historique sera utilisée concrètement en jeu ; il s’agit donc pour une grande partie d’un plaisir d’écrivain plus que d’élément utiles concrètement en jeu.

Les deux situations sont légitimes et on peut envisager toutes les nuances entre ces deux situations. Une manière de faire consiste à se concentrer sur des éléments qui vont être facilement investis dans la partie, typiquement des relations avec des PJ ou des PNJ, des secrets. On pourra lire par exemple Avant la partie de Coralie David[26] et Rendre les choses personnelles de Gregory Pogorzelski[27].

En conclusion : en tant que manière dont la joueuse imagine son personnage, l’historique fait partie du système mais il peut en faire « encore plus partie » si des éléments de l’historique sont pris en compte par les autres joueuses. C’est plus facile si :

  • l’élément historique s’accompagne d’un effet « mécanique » sur le jeu comme une capacité spéciale ou un objet utile au cours de la partie ;
  • l’élément historique est un lien avec un PNJ ou une faction ; en particulier, la MJ devrait prévoir l’intervention de ces éléments en cours de partie, en particulier s’il s’agit d’un lien « désavantage » (allégeance, personne à charge) — dont le choix s’est accompagné d’une contrepartie, faute de quoi cette contrepartie serait gratuite — ou d’un lien « avantage » (ressource) — faut de quoi la joueuse se sentirait « trahie » d’avoir choisi un avantage qui n’en est pas un ;
  • il y a peu d’éléments dans l’historique ; certains éléments peuvent même être inventés en cours de partie ou bien être élaborés en commun.

Voir aussi :

 Le mot « système » peut être utilisé avec un sens plus restreint, y compris au sein de la communauté de The Forge dont font partie Vincent D. Baker et Emily Care Boss. Par exemple, dans l'article de Ron Edwards System does matter (1998)[28], le mot « système » désigne la façon dont les joueurs et joueuses résolvent ce qui se passe dans la partie ; la résolution de situations (sens de Edwards) n'étant qu'une partie de la construction de la fiction (sens de Baker-Care). Et pour un certain nombre de joueurs et joueuses, le mot « système » désigne uniquement les règles écrites (RAW, rules as written). Lorsque l'on utilise le mot « système de jeu de rôle », il convient donc de bien définir ce que l'on entend par là.

Le jeu de rôle c’est plein de choses, et on pourra se référer au chapitre précédent Qu'est-ce que le jeu de rôle ?, mais c’est en particulier : un jeu de société consistant à vivre une histoire en s’immergeant dans un monde imaginaire et en relevant des défis.

  • S, un jeu de société : on en a touché quelques mots ci-dessus, la notion de jeu n’est pas évidente à définir mais on pourra retenir en particulier qu’il s’agit d’une activité faite volontairement et pour le plaisir ; en dehors des jeux de rôle solo, il s’agit d’un jeu pratiqué à plusieurs et les interaction entre les joueurs et joueuses, les interactions sociales, sont une part importante ; on peut par exemple retenir les notions de coopération et de compétition, le partage de la parole, le fait que chacun et chacune contribue à la partie et y retire un plaisir…
  • H, histoire : on attend des événements de jeu qu’ils soient liés entre eux par une certaine logique, qu’il y ait des relations de cause à effet ; à la fin, le récit des événements fictif constituent une histoire, ce qui ne veut pas dire que cela ferait un livre ou un scénario de BD ou de film exploitable ;
  • I, immersion dans le monde imaginaire : « imaginaire » signifie qu’il est imaginé, qu’il est présent essentiellement dans l’imagination des joueurs et joueuses même si l’histoire se déroule dans le « monde réel » ;
  • D, défis : il s’agit de jeux dans le jeu : jeux de hasard, résolutions d’énigmes, jeux tactiques (par exemple combat), jeu d’improvisation théâtral…

Partant de là, le système sert principalement à quatre choses : permettre à chacun et chacune de participer, faire avancer l’histoire (comment évolue une situation et quelle sera la situation suivante), créer une immersion dans le monde imaginaire (s’y croire), proposer des défis à relever avec des enjeux et une opposition (créer du jeu).

Cette description SHID du jeu de rôle ressemble à la « théorie LNS » (ou GNS) et en est évidemment inspirée mais elle diffère dans sa finalité : il ne s’agit pas de comprendre les attentes des joueurs et joueuses mais d’avoir un guide de réflexion sur les différents éléments du jeu. Nous avons utilisé des dénominations différentes à la fois pour qu’il n’y ait pas de confusion avec la théorie LNS mais aussi pour lever quelques ambiguïtés sur certains termes (en particulier « narrativisme » et « simulationnisme »).

Exemple : jet de perception

Regardons la notion de jet de perception avec la loupe SHID :

  • S (jeu de société) : il s’agit d’un jeu de hasard ; il n’y a ici pas de notion de collaboration ou de compétition, la composante S n’est a priori pas impliquée ;
  • H (histoire) : comment va évoluer l’histoire si l’on réussit, si l’on échoue ? Les deux possibilités ont-elles leur intérêt — si l’on détecte une embuscade, on est content d’y échapper, si on ne la détecte pas, cela rajoute du piment au combat — ou bien l’une d’elle est-elle nuisible — si l’on passe à côté d’un indice et que cela bloque l’histoire par exemple (voir ci-dessus) ?
  • I (immersion, monde imaginaire) : d’un point de vue vraisemblance, remarquer ou pas un détail a une composante chance ; demander un jet peut faire sortir de l’immersion — puisque la joueuse est rappelée dans le monde réel pour se saisir des dés — mais peut aussi la renforcer — en reproduisant la notion de chance présente dans le monde imaginaire ;
  • D (défis) : il s’agit d’un jeu de hasard, cela peut être apprécié s’il y a un enjeu connu, on attend alors fébrilement que le dé s’arrête de rouler pour savoir si l’on réussit ou si l’on échoue ; mais cela s’applique-t-il dans le cas d’un jet de perception ? Rien n’est moins sûr, surtout s’il est caché des joueuses.

Ainsi, en considérant un élément du système — règle du jeu, élément du cadre de jeu (monde imaginaire), élément du scénario, décision de la meneuse de jeu… — sous les aspects SHID, on s’oblige à considérer cet élément au cœur de la partie et cela permet d’évaluer sa pertinence.

Cela peut mener à des situations très différentes. Considérons par exemple une meneuse de jeu qui a recours abondamment aux jets de perception. Elle peut justifier cela par :

  • le fait que ça maintient la tension nerveuse et donc favorise l’identification de la joueuse avec son personnage (I) puisqu’elle éprouve le même sentiment que son PJ ; par exemple, s’il s’agit d’apercevoir un bâtiment dans le lointain alors que l’on s’approche, un jet réussi permettrait de voir le bâtiment plus tôt ; même si cela n’a pas d’importance, les joueuses peuvent toujours se demander si elles réussissent le jet : que ce serait-il passé si j’avais raté le jet ? Et à l’inverse, si elles le ratent, elles se demandent ce qu’elles ont pu ne pas remarquer ;
  • cela oblige les joueuses à faire des choix lorsqu’elles créent et font monter l’expérience de leur personnage : la compétence de perception entre en concurrence avec d’autres, la joueuse doit donc faire un pari sur l’avenir (D), la perception sera-t-elle plus utile que d’autres compétences ?

À l’inverse, une MJ peut bannir les jets de perception. En effet, chaque jet interrompt la narration (H) puisque l’on met en œuvre une procédure (lire une valeur sur la fiche de personnage, jeter les dés, comparer le résultats des dés à la valeur, décider des conséquences du jet) ; cette interruption peut aussi rappeler la joueuse à la réalité (I).

Exemple : enquête policière

  • S : la recherche et l’interprétation des indices est une activité collaborative ;
  • H : l’enquête est le cœur de l’histoire ;
  • I : la joueuse doit réfléchir comme le ferait son personnage en prenant en compte les éléments du monde imaginaire ; elle suit des procédures réglementaires internes à ce monde ;
  • D : la résolution d'une énigme.

Exemple : passé d’un personnage (background)

  • S : l’historique d’un personnage crée du jeu « inter-joueuses » s’il contient des relations entre PJ ou des éléments communs au groupe ;
  • H : l’historique contribue à l’histoire s’il contient des liens avec des PNJ ou des factions ; il peut s’agir du moteur d’un arc narratif — une allégeance ou un ennemi est à l’origine de l’intrigue, une personne à charge ou une personne proche est en danger — ou d’éléments adjuvants — un indicateur, un contact dans la pègre ou une personne redevable donne un coup de pouce ;
  • I : l’historique ancre le PJ dans le monde imaginaire ;
  • D : des liens forts peuvent constituer un enjeu fort pour des défis ; ils peuvent eux-même constituer des défis, comme par exemple la nécessité de protéger une personne ou bien progresser socialement au sein d’un groupe comme les sociétés secrètes de Paranoïa (Greg Costikyan et coll., 1984), en particulier si cela est en concurrence avec d’autres objectifs.

Le jeu de rôle au petit déjeuner

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Ron Edwards a énoncé un principe connu sous le sobriquet du « truc impossible avant le petit-déj’ »[29] : si les PJ sont les personnages principaux de l’histoire, la narration devrait être entre les mains des joueuses les incarnant. Même dans les jeux avec MJ, des éléments importants devraient être de la responsabilité des joueuses.

On peut concevoir cela de deux manières, non exclusives. En premier, la préparation de la partie, le scénario, devrait laisser un large marge de manœuvre aux initiatives des joueuses ; la MJ ne devrait pas tenter de ramener le groupe « sur les rails », et même accepter que les actions des PJ puissent bouleverser le monde servant au cadre de jeu (faire et défaire des rois et pourquoi pas déboucher sur une apocalypse). En second, les joueuses devraient pouvoir injecter dans le jeu des éléments qui leur plaisent.

Concernant le premier point, lorsque la MJ conçoit des situations, elle doit bien sûr prévoir au moins une solution pour ces situations, à moins de vouloir volontairement mettre les PJ dans une impasse ; mais elle doit accepter que les joueuses fassent autrement, qu’elles trouvent une autre solution que celles prévues. Pour passer de l’étape A à l’étape B, les PJ peuvent combattre l’adversité, mais elles peuvent aussi la contourner, la tromper, négocier avec elle, négocier avec une faction rivale de l’adversité…

Concernant le second point, si les joueuses décident de se regrouper pour jouer, cela implique qu’elles aient des envies communes sur ce qui va se passer au cours de la partie (cela recroise le S de SHID). Cela concerne le choix de l’univers — plutôt réaliste ou fantastique, époque médiévale, contemporaine ou futuriste, licence (univers d’un autre média comme Star Wars) — mais aussi le choix du type d’histoire — aventure, enquête, environnement dur (gritty, « réaliste ») voire désespéré (survie, horreur) — et les thèmes abordés — légèreté ou gravité. Mais les joueuses peuvent aussi contribuer à l’élaboration du cadre de jeu ; certains jeux prévoient une première étape de création du monde, comme Apocalypse World (D. Vincent Baker et Meguey Baker, 2010) ou Sombre (Johan Scipion, 2011). Un des avantages de cette méthode est que comme les éléments viennent des joueuses, ils sont déjà assimilés, il n’y a pas besoin de les leur présenter. Cela ne doit pour autant pas émousser d’autres sources de plaisir d’une partie de jeu de rôle comme l’effet de surprise et le fait de surmonter une adversité, comme l’énonce le principe de Paul Czege : le joueur qui définit un obstacle ou un adversaire n'est pas celui qui est chargé de le surmonter.

On peut aussi considérer les bacs à sable : un cadre de jeu dans lequel rien ne contraint les personnages de faire ci ou ça — pas de contrainte par une hiérarchie, pas de mission divine ni de quête, pas de recrutement par un commanditaire dans une auberge, pas d’appât, pas d’appel à l’aide d’un lointain cousin —, ce sont les joueuses qui sont totalement motrices de l’action, qui choisissent ce que les PJ vont faire. C’est un mode de jeu appelé « simulationniste »[30]. Pour autant, à moins d’avoir des joueuses très actives — on utilise parfois le terme abusif « proactives » —, il y a un risque réel que la partie s’enlise. Les PJ doivent avoir quelque chose à faire en temps normal — par exemple surveiller et explorer un territoire dans Oltréé ![31] — et le cadre doit receler des intrigues, libre aux joueuses de suivre telle ou telle intrigue. Elles doivent avoir des éléments à disposition pour savoir ce qui se trame[32],[33].

Exemple : jet de perception

Ce point-là ne nous semble pas pertinent à étudier à la lumière du « truc impossible avant le petit-déj’ ».

Exemple : enquête policière

Le mode « jeu de piste » où les indices s’enchaînent dans un ordre donné A → B → C… est contraignant pour les joueuses. Celles-ci devraient avoir le choix de la manière de résoudre l’affaire et dans l’ordre d’aborder les situations.

Exemple : passé d’un personnage (background)

Les joueuses devraient avoir une large responsabilité dans la conception du passé et ce passé devrait avoir un réel effet en jeu, faute de quoi leurs choix auraient été vains.

Mimétisme et fonctionnalité

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Les PJ sont les « outils » qui permettent aux joueuses de vivre l’aventure, de percevoir l’environnement et d’agir sur lui. Isabelle Périer relève qu'un personnage a deux dimensions[34] : une dimension mimétique, c’est-à-dire qu’il « imite » une personne réelle, il a un nom, un métier, un statut social, une apparence, une manière de s’exprimer ; et une dimension fonctionnelle, c’est-à-dire qu’il « fonctionne » dans le monde, qu’il a des capacités d’action en général cadrées par des règles comme les « caractéristique » et les « compétences ».

Ceci est en fait valable pour tous les éléments du monde imaginaire. Une arme, une pièce d'or, un mur, ont une dimension mimétique — une apparence, un poids, une texture au toucher, une odeur… — et une dimension fonctionnelle, des règles y sont attachées — combien de dégâts je fais avec une épée, combien de points d'expérience me rapporte la récolte d'une PO, quelles probabilités j’ai d’escalader le mur.

Exemple : jet de perception

La partie mimétique est importante pour ce qui est de l’identification au personnage et de l’immersion dans le monde imaginaire. Cela va passer par l’utilisation de tous les sens et pas seulement de la vue ; en particulier, on commence à percevoir des sons et des odeurs d’un phénomène avant de le voir, la peau est sensible à la chaleur et à l’humidité, les surfaces ont une texture (lisse, rugueuse, collante, humide, chaude ou froide, spongieuse…). On va d’abord percevoir des changements rapides comme un mouvement dans le coin du champ de vision ou un éclat ; on va d’abord percevoir un apparence générale — carrure et démarche d’un personnage, vague forme et couleur d’un objet ou d’un bâtiment, perspective atmosphérique et première impression. La partie fonctionnelle est la règle du jeu.

Exemple : enquête policière

Les éléments de l’enquête — indices, témoins, indics — sont mimétiques : ce sont des éléments « réels » à l’intérieur du monde imaginaire et pour que les joueuses sachent comment gérer l’affaire, il serait intéressant que ces éléments soient proches de ce que connaissent les joueuses (de la réalité ou des fictions : romans, film, séries policières). Faut-ils que ces éléments soient fonctionnels ? Pas obligatoirement, progresser dans l’enquête, c’est essentiellement une démarche intellectuelle, des réflexions et déductions dans la tête des joueuses. Mais les éléments peuvent avoir une fonction dans l’univers : par exemple, posséder tel élément fournit un bonus pour résoudre telle situation. Si le groupe enquête pour préparer une infiltration, les éléments collectés peuvent constituer une réserve de points permettant d’affronter l’adversité, ces points représentant de manière abstraite la préparation (penser à emporter tel ou tel matériel).

Exemple : passé d’un personnage (background)

Le passé du personnel est évidemment mimétique. Il peut aussi être fonctionnel : par exemple, telle expérience permet de mieux gérer une situation (procurant ainsi un bonus), tel lien permet d’avoir accès à une ressource (ami pouvant rendre un service ou prêter du matériel, PNJ ayant une dette envers un PJ). On peut aussi à l’inverse « mimétiser » une fonctionnalité : le PJ possède une compétence et la joueuse invente un élément historique pour le justifier. Certains jeux mêlent mimétisme et fonctionnalité, comme par exemple dans Les Errants d'ukiyo[35] : les PJ ont des « techniques » qui sont une phrase descriptive associée à une valeur ; du point de vue mécanique, c’est l’équivalent de compétences mais s’appliquant à toutes les situations en rapport avec la phrase descriptive. Dans Simulacres[36], les PJ ont un métier et un hobby qui donnent un bonus à toutes les situations entrant dans ces périmètres.

  • [David 2016] Coralie David, « Rassembler et diviser », dans Mener des parties de jeu de rôle, Saint-Orens-de-Gameville, Lapin Marteau, coll. « Sortir de l'auberge », (ISBN 978-2-9545811-4-9), p. 235-259
  • [Pogorzelski 2016] Gregory Pogorzelski, « Rendre les choses personnelles », dans Mener des parties de jeu de rôle, Saint-Orens-de-Gameville, Lapin Marteau, coll. « Sortir de l'auberge », (ISBN 978-2-9545811-4-9), p. 261-275
  1. (en) « Miro, free online collaborative whiteboard plateform » (consulté le 20 avril 2020).
  2. « Padlet » (consulté le 27 avril 2020).
  3. « Notion » (consulté le 6 mars 2023).
  4. « Obsidian » (consulté le 6 mars 2023).
  5. « Roll a Die » (consulté le 27 avril 2020)/
  6. « DnD Dice Roller » (consulté le 27 avril 2020).
  7. « Roll20 : table de jeu virtuelle en ligne pour JdR papier et jeux de société » (consulté le 20 avril 2020).
  8. (en) « Fantasy Grounds » (consulté le 20 avril 2020).
  9. (en) « Rolisteam » (consulté le 20 avril 2020).
  10. « Let's Role » (consulté le 29 avril 2020).
  11. On pourra notamment se référer à Johan Huizinga, Homo ludens, Gallimard (1938).
  12. On pourra lire à ce propos Jean Piaget, La formation du symbole chez l'enfant : imitation, jeu et rêve, image et représentation, Delachaux et Niestlé (1945), http://www.fondationjeanpiaget.ch/fjp/site/textes/index.php
  13. On se souviendra par exemple des accidents liés au jeu Pokémon Go, lire par exemple Vincent Romain, « Coups de feu, chutes, accidents : quand les joueurs de Pokémon Go vont trop loin », sur Sud-Ouest, (consulté le 17 avril 2020).
  14. Gregory Pogorzelsky, « Cthulhutech - Ep. 1: un nouveau costard », sur Du bruit derrière le paravent, (consulté le 16 avril 2020).
  15. Lire par exemple Jérôme « Brand » Larré, « Une règle, ça sert à quoi ? », sur Lapin Marteau (anciennement Tartofrez), (consulté le 16 avril 2020).
  16. Ron Edwards, « The Provisional Glossary », sur The Forge, (consulté le 17 avril 2020). Pour la traduction : M. J. Young (trad. Pierre Carmody), « Théorie 101 - 1re partie : le système et l’espace imaginaire commun », sur PTGPTB, (consulté le 17 avril 2020).
  17. Justin Alexander, « règle des trois indices », sur PTGPTB, (consulté le 29 avril 2020).
  18. 18,0 et 18,1 Voir par exemple Coleman Charlton et Pete Fenelon (trad. Michel Serrat), « Expériences et antécédents familiaux », dans Manuel des personnages & des campagnes, Hexagonal, (ISBN 2-84188-000-1), p. 68.
  19. Coleman Charlton et Pete Fenelon (trad. Michel Serrat), « Table des options historiques », dans Manuel des personnages & des campagnes, Hexagonal, (ISBN 2-84188-000-1), p. 90-91.
  20. François Nedelec, Sylvie Barc et Jean-Charles Rodriguez, Empire galactique, Robert Laffont, .
  21. Camille Claben, Delphine Denocq, Christophe Dénouveaux, Frédéric Dorne, Nicolas Pierre et Laura Pierre, SteamShadows, JdR Éditions, (ISBN 978-2-9540908-5-6).
  22. Jérôme Larré, Tenga, John Doe, , p. 34-42.
  23. Célia Chen, Delphine Denocq, Frédéric Dorne et Gabriel Glachant, Homeka, JdR éditions, (ISBN 979-10-94445-19-8).
  24. Sur cette notion, voir la vidéo de Frederic Ferro, « [Colloque] Personnage et Personnalité », sur Youtube, (consulté le 2 mai 2020), de 15 min 03 s à 20 min 22 s.
  25. John Lang, « Le Donjon de Naheulbeuk », sur Pen of Chaos (consulté le 2 mai 2020).
  26. David 2016, p. 236-240.
  27. Pogorzelski 2016.
  28. Ron Edwards, « Le système est important », sur Places to go, people to be, (consulté le 13 avril 2018)
  29. M. Joseph Young, « Théorie 101 - 2e partie : Le Truc impossible avant le petit-déj’. Qui a le contrôle de l'histoire ? », sur Places to go, people to be, (consulté le 2 mai 2020)
  30. Lire la section Création d’aventure sur John H. Kim, « Clarification du simulationnisme dans le modèle à trois volets », sur PTGPTB, (consulté le 9 mai 2020).
  31. John Grümph, Oltréé !, Les XII Singes, (ISBN 978-2-91689819-3).
  32. Joseph Bloch, « Les Bacs à sable », sur PTGPTB, (consulté le 9 mai 2020).
  33. Acritarche, « Lancer ou relancer un bac-à-sable », sur Contes des ères abyssales, (consulté le 9 mai 2020).
  34. Isabelle Périer, « Le jeu de rôle : une autre forme de littérature de jeunesse ? », sur Youtube, (consulté le 2 avril 2020), de 20 min 42 s à 22 min 10 s. }}
  35. Vivien « Faesson » Féasson, Les Errants d'ukiyo, Icare, (ISBN 978-2-917475-79-9).
  36. Pierre Rosenthal, Simulacres, auto-édité, 1986. Plusieurs versions imprimées, par exemple la version 7 du jeu dans le hors-série no 10 de Casus Belli, Excelsior éditions, mars 1994. Le jeu Capitaine Vaudou utilisera la version 8 du système et devrait être publié en 2020 par Monolith Board Games et Black Book Éditions.

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