La politique monétaire/Les microfondations de la courbe de Phillips : les rigidités nominales

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Les modèles microfondés des chapitres précédents supposent que la demande et l'offre sur le marché des biens s'équilibre. Dans ces conditions, le PIB est à sa valeur d'équilibre qu'est le PIB potentiel et il n'existe pas de courbe de Phillips. Le seul moyen pour que cette dernière existe est de faire en sorte qu'offre et demande soient en déséquilibre temporaire. Pour cela, il faut que les prix (y compris les salaires et les taux d'intérêts) ne réagissent pas immédiatement à une variation de la demande. Une manière commode de rendre compte de cette inertie des prix et salaires est de supposer qu'ils sont rigides, ce qui veut dire qu'ils mettent du temps avant de s'adapter. Les prix et/ou salaires rigides sont à opposer aux prix dits flexibles, qui peuvent s'adapter selon la loi de l'offre et de la demande. Il existe plusieurs manières différentes de dériver la courbe de Phillips NK (New Keynesian), chacune faisant appel à un modèle particulier. Si la plupart des démonstrations utilisent des prix rigides, il est possible de démontrer la courbe de Phillips avec des prix et salaires flexibles, si on suppose que quelque chose vient mettre son grain de sel (mais nous laissons cela pour la fin du chapitre). On peut schématiquement distinguer plusieurs rigidités principales :

  • une rigidité des prix : les prix mettent un certain temps avant d'égaliser offre et demande, suite à la mise en place d'une politique monétaire quelconque ;
  • une rigidité des salaires, à savoir que les salaires évoluent peu à court-terme, notamment quand il s'agit de les baisser : peu d'employés accepteraient, à raison, une baisse de salaire, même justifiée par la conjoncture économique.
  • une rigidité des anticipations d'inflation, causée par le fait que les agents n'ont pas forcément accès à toute l'information disponible, ce qui rend leurs anticipations d'inflation assez rigides.

Salaires et des prix ont en commun le fait qu'ils sont des variables dites nominales, à savoir dépendantes du niveau général des prix. La rigidité des prix et des salaires sont donc deux formes de ce qu'on appelle des rigidités nominales, à savoir le fait qu'une valeur nominale tend à rester la même et met du temps à s'adapter. La section qui va suivre vise à étudier plus en détail ces rigidités nominales et les théories qui les décrivent. Ces théories sont obligées de postuler l'existence de frictions, d’imperfections de marchés qui empêchent l'offre et la demande de s'égaliser à court-terme. Il existe diverses théories qui visent à rendre compte des rigidités nominales, deux modèles étant le plus souvent utilisés : le modèle de Taylor pour la rigidité des salaires, et le modèle de Calvo pour la rigidité des prix. Mais ces deux modèles sont loin d'être les seuls : il existe des modèles plus réalistes, mais aussi plus compliqués à appréhender.

Le modèle de Rotemberg[modifier | modifier le wikicode]

Le modèle de Rotemberg est plus simple à comprendre que le modèle de Calvo, sans compter qu'il est vraisemblablement plus réaliste, ce qui fait que nous allons le voir en premier. Ce premier part du principe que mettre à jour les prix entraîne des coûts, appelés coûts de menu, pour l'entreprise. L'entreprise va limiter ces coûts, sans pour autant se priver des gains liés à une hausse des prix. On peut prendre l'exemple d'un restaurant qui doit mettre à jour ses prix. Certes, la mise à jour des prix lui fera gagner de l'argent, en augmentant son chiffre d'affaire. Mais cela demandera aussi de réimprimer à jour la carte des menus, de revoir les procédures de calcul de la TVA et potentiellement d'autres coûts. Autant les coûts peuvent paraître dérisoires dans cet exemple, autant ceux-ci peuvent être coûteux pour d'autres entreprises. Pensez à une multinationale qui doit revoir les prix dans plusieurs pays, mettre à jour son catalogue, ses sites internets, avertir ses distributeurs, etc. De plus, outre ces coûts physiques, il faut prendre en compte la réaction des consommateurs à une éventuelle hausse des prix ! Ceux-ci pourraient ne pas la voir d'un bon œil et aller acheter chez la concurrence. Une telle réaction fait implicitement partie des coûts de menu, le terme coût de menu englobant tout ce qui peut réduire le profit suite à une hausse des prix.

Les calculs par unité produite[modifier | modifier le wikicode]

Divers modèles micro-économiques permettent d'établir des équations pour les coûts de menu, mais le modèle de Rotemberg ne part pas de celles-ci. À la place, il suppose que ces coûts sont proportionnels à sa production, mais dépendant aussi de la hausse des prix. Dans ce qui va suivre, nous allons travailler avec des coûts ou gains par unité produite/vendue. Le coût de menu est proportionnel au carré de la hausse des prix. Plus précisément, le modèle postule l'équation suivante pour les coûts de menu, avec :

  • les coûts de menu par unité produite ;
  • un coefficient qui modélise la valeur de la rigidité des prix : plus il est élevé, plus les prix seront rigides;
  • la production de l’entreprise ;
  • la valeur de la hausse des prix.

Outre les coûts de menu, l'entreprise va aussi gagner de l'argent en augmentant ses prix. Le gain (par unité produite) n'est autre que la hausse des prix de chaque unité . Cette hausse va cependant être grignotée par les coûts marginaux, à savoir les coûts nécessaires pour produire une unité supplémentaire. On a donc, en posant le coût marginal d'une nouvelle unité produite. Le gain réel d'une entreprise sera donc :

Les calculs agrégés[modifier | modifier le wikicode]

Si on se place du point de vue de l'économie tout entière, on sait que : . Ce qui donne :

Nous allons multiplier le calcul précédent par le nombre d'unité vendues. On a donc :

Comme dans le modèle de Calvo, l’entreprise va sommer l'ensemble des gains réels pour tout les pas de temps, chaque gain étant pondéré du fait de la préférence pour le passé proche. On a donc :

L'entreprise cherche à maximiser ce gain. Le maximum peut se calculer assez simplement, vu qu'il va, par définition d'un extremum, annuler sa dérivée. Il nous reste donc à dériver l'équation précédente en fonction du prix, et trouver quelle valeur annule la dérivée. Quelques manipulations algébriques permettent alors de retrouver l'équation de la courbe de Phillips néo-keynésienne.

Le modèle de Taylor[modifier | modifier le wikicode]

Le modèle de Taylor est un des tout premiers modèles macroéconomiques des rigidités salariales. Le modèle que nous allons voir est ce qu'on appelle un modèle log-linéarisé, dans lequel on manipule uniquement les logarithmes des valeurs pertinentes. Les économistes adorent ce genre de modèles, qui sont très courants dans le domaine de la macroéconomie. Les raisons pour faire cela sont multiples, mais la principale est que le logarithme d'une valeur est approximativement égal à sa variation en taux.

Le modèle de Taylor fait partie de la classes des modèles de type staggered contracts, où les prix et salaires sont fixés une fois pour toutes. Par exemple, les salaires sont fixés lors de la signature du contrat de travail. Ils peuvent évoluer ensuite, les augmentations n'étant pas un mythe, mais cela prend suffisamment de temps pour qu'on considère qu'un salaire est fixe durant plusieurs mois, plusieurs années. Dit autrement, tous les employés qui commencent à travailler à l'instant auront leur salaire fixé sur plusieurs périodes.

La relation entre prix et salaires[modifier | modifier le wikicode]

Pour commencer, le modèle que suppose que les prix et les salaires sont reliés par la formule suivante :

Si on prend le logarithme de cette formule, on trouve :

On applique alors la formule qui dit que le logarithme d'un produit est la somme des logarithmes : .

On utilise alors l'approximation .

Par la suite, nous noterons le logarithme d'une variable comme suit : . En clair, les variables en minuscules sont le logarithme de la variable écrite en majuscules. Pour donner un exemple, l'équation précédente devient, avec cette notation, cette formule :

Sur le court-terme, la croissance de la productivité est négligeable et on peut la négliger dans l'équation précédente. La formule précédente devient alors :

Si on suppose de plus une situation de concurrence pure et parfaite, le profit disparaît et on se retrouve alors avec :

C'est une approximation grossière, mais qui donne des résultats assez bons dans le cas où la croissance de la productivité est nulle (ce qui est une bonne approximation sur le cour-terme) et où le profit l'est aussi (la dernière hypothèse est réalisée en concurrence pure et parfaite).

Le salaire moyen sur deux périodes[modifier | modifier le wikicode]

A un instant t, la moyenne des salaires dépend des contrats signés à l'instant t, mais aussi des contrats anciens, signés dans les périodes antérieures. Dans ce qui suit, on va prendre deux périodes de temps, à savoir l'instant et l'instant . Les salariés signent des contrats à chaque période et négocient un salaire , qui correspond à un salaire réel . Les logarithmes de ces valeurs sont naturellement notés et (salaire réel). On suppose que le nombre de personnes recrutées à un instant quelconque est constant : il est le même à l'instant et à l'instant . Le logarithme du salaire moyen à l'instant t est donc de :

Maintenant, on a besoin d'une équation qui fixe l'évolution des salaires dans le temps. Il est raisonnable de supposer que les salaires dépendent certes des prix, mais aussi de l'activité économique. Cela peut se résumer avec une formule de la forme . Pour simplifier les calculs, nous allons prendre la formule suivante :

À partir de cette équation, on peut calculer le salaire moyen. Pour cela, commençons par calculer la somme  :

En simplifiant, on trouve :

Maintenant, regardons le terme . À l'instant t, on sait quel est le niveau des prix et on peut le comparer à la valeur anticipée . On sait qu'il y aura une différence entre les deux, l'erreur de prédiction, qui est plus ou moins négligeable. Formellement, on a : . Nous allons ici faire le choix de négliger l'erreur de prédiction afin de simplifier les calculs. On peut alors remplacer par . L'équation précédente devient alors :

On peut alors simplifier, ce qui donne :

Divisons par 2 pour obtenir le salaire moyen :

Le niveau général des prix et l'inflation[modifier | modifier le wikicode]

Maintenant, rappelons que le prix moyen est égal au salaire moyen, ce qui donne :

Soustrayons des deux côtés :

En simplifiant par 1/2, on a :

Le taux d'inflation est égal, par définition, à , ce qui donne :

On retrouve bien l'équation d'une courbe de Phillips augmentée des anticipations.

Le modèle de Calvo[modifier | modifier le wikicode]

Le modèle de Calvo est à la base de la théorie New Keynesian, aussi mérite-il d'être abordé ici. Son principe est très simple, ce qui fait que le modèle n'est pas vraiment réalise. Néanmoins, celui-ci donne des prédictions similaires à celles obtenues avec des modèles plus complets et réalistes. De plus, il est assez simple à comprendre (du moins, dans une certaine mesure) et facile à utiliser. Cette simplicité lui a permis d'être la pierre angulaire du traitement des rigidités nominales.

Ce modèle part de deux hypothèses :

  • les firmes ne mettent pas à jour leurs prix en permanence, à cause des coûts que cela induirait : les prix sont rigides pour une partie des entreprises et flexibles pour l'autre ;
  • les entreprises décident à quel prix elles vendent leurs produits, ce qui n'est possible que si celles-ci sont des monopoles ou oligopoles en compétition les uns avec les autres.

Première hypothèse[modifier | modifier le wikicode]

La version du modèle que nous allons aborder suppose que l'entreprise peut modifier ses prix à des instants bien précis, séparés par un pas temporel constant. La première version publiée par Calvo utilisait cependant un temps continu, moins facile à manier. Mais cette différence entre temps continu et discret est cependant sans importance sur les résultats. Le point de départ du modèle est de négliger les facteurs qui poussent une entreprise à mettre à jour ses prix. Il est juste supposé qu'à chaque instant t, une entreprise a une probabilité (1 - h) de mettre à jour ses prix et une probabilité h de les garder tels quel. Ainsi, on peut facilement déterminer le niveau général des prix à un instant t+1, à partir des prix à un instant t :

  • soit le niveau général des prix à l'instant t ;
  • le prix mis à jour par les entreprises à l'instant t ;
  • la différence entre .

Divisons par  :

On a alors :

Seconde hypothèse[modifier | modifier le wikicode]

La firme sait qu'elle va devoir garder ce prix durant un moment, sans vraiment possibilité de l'ajuster précisément à la conjoncture économique. Cela entraînera un manque à gagner, dans le sens où le prix choisit ne sera pas forcément optimal comparé au prix idéal que choisirait l'entreprise si elle pouvait mettre à jour ses prix à la volée. La solution idéale, qui minimise le manque à gagner est de fixer la prix à une valeur précise, qui se calcule assez facilement. Cette valeur est simplement la moyenne du prix idéal, obtenu en mettant les prix continuellement à jour. La moyenne est effectuée sur les prix idéaux anticipés entre la mise en place du prix et son abandon (sa mise à jour). Cette moyenne est pondérée, pour une raison simple : le manque à gagner proche dans le temps a plus d'impact qu'un manque à gagner lointain dans le futur. Chaque prix idéal pour un pas de temps se voit donc attribuer un coefficient, coefficient qui diminue avec le temps qui passe. Ce phénomène est assez classique en économie, et est étudié par les économistes qui étudient le choix intertemporel. Ceux-ci ont démontré que pour que les préférences soient stables, la décroissance des coefficients avec le temps doit être exponentielle.

On peut formaliser cela par l’équation suivante :

Si on omet le terme , l'équation nous dit que le prix choisit est la moyenne des prix idéaux , chaque prix étant pondéré par le coefficient en fonction du temps et la probabilité que l'entreprise garde le prix jusqu'à cette période.


Démonstration

On part du principe que l'entreprise souhaite minimiser une fonction de perte , qui prend en compte le manque à gagner.

Voici les points qui doivent apparaître dans cette équation :

  • Il faut donc calculer le manque à gagner pour chaque pas de temps et en faire la somme. Si on pose le manque à gagner lors du pas de temps t, on a :
  • Lors d'un pas temporel, ce manque à gagner est égal à la différence entre le prix choisi et le prix idéal (anticipé par l'entreprise)  : .
  • L'entreprise souhaite diminuer la variance du prix choisit par rapport au prix idéal, c'est à dire minimiser l'expression .
  • L'entreprise a une préférence pour les gains proches comparé aux gains dans un futur lointain. Ainsi, elle donne un poids différent aux manques à gagner proches dans le temps qu'aux lointains. On peut modéliser cela en supposant qu'à chaque pas de temps, le manque à gagner estimé est multiplié par un coefficient .
  • A chaque pas de temps, l'entreprise a une probabilité h de ne pas changer son prix, mais aussi une probabilité ( 1 - h ) de les changer. Seul le premier cas doit être pris en compte, alors que le second n’entraîne aucun manque à gagner.

En prenant ces faits en compte, on obtient :

Le prix mis à jour est naturellement celui qui minimise le manque à gagner, c'est à dire celui tel que . On obtient alors :

On peut alors factoriser et simplifier par deux, ce qui donne :

Vu que est une constante, on peut la factoriser de la somme, ce qui donne :

Pour le terme de gauche, on peut utiliser la formule d'une série géométrique pour simplifier la somme, ce qui donne :

Toute entreprise qui met à jour ses prix a intérêt à choisir le prix de manière à maximiser ses profits. On peut formuler cela mathématiquement en disant que le prix sera le somme d'un bénéfice/profit et du reste, composé de coûts appelés coûts marginaux (salaires, prix des matières premières et autres).

En injectant cette équation dans la précédente, on trouve l'équation de Calvo proprement dite. Il faut cependant signaler que les coûts marginaux sont des coûts anticipés, ce qui fait qu'on leur mettra un indice e.

La courbe de Phillips néo-keynésienne[modifier | modifier le wikicode]

On peut alors égaliser avec l'équation , ce qui donne :

Quelques manipulations algébriques nous donnent l'inflation :

Le terme est appelé le coût marginal réel. Certains ont supposé une relation entre ce coût marginal réel et l'écart de production, sur des arguments qualitatifs. On peut parfaitement supposer que les deux sont proportionnels, ce qui donne :

On retrouve ainsi l'équation vue au début de ce paragraphe, en posant .