« Philosophie/Thalès de Milet/Tannery » : différence entre les versions

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Vers le milieu du septième siècle avant Jésus-Christ, la reconnaissance du fondateur de la dynastie saïte ouvre l'E;ypte aux Grecs et en particulier à ceux de l'Asie Mineure. 11 y avait déjà huit siècles au moins que les marins de l'Archipel connaissaient les côtes du Delta. Bien avant les chants homériques ', la mémoire de leurs pirateries était conservée par les monuments de Ramsès II. Enfin elles ont eu un terme heureux; la soitd'aventures, la curiosité de l'inconnu n'ont plus besoin des armes; derrière le soldat de fortune, qui vient se louer comme mercenaire, les voyageurs affluent. Ceux-là sont des marchands : Thalès vendra du sel, Platon vendrâ de l'huile. Contes de Plutarque, dit l'historien rigoureux; mais c'est là le roman plus vrai que l'histoire. En fait, nous ne pouvons constater un seul voyage entrepris dans un but exclusivement scientifique.
Vers le milieu du septième siècle avant Jésus-Christ, la reconnaissance du fondateur de la dynastie saïte ouvre l'Egypte aux Grecs et en particulier à ceux de l'Asie Mineure. Il y avait déjà huit siècles au moins que les marins de l'Archipel connaissaient les côtes du Delta. Bien avant les chants homériques ', la mémoire de leurs pirateries était conservée par les monuments de Ramsès II. Enfin elles ont eu un terme heureux ; la soif d'aventures, la curiosité de l'inconnu n'ont plus besoin des armes ; derrière le soldat de fortune, qui vient se louer comme mercenaire, les voyageurs affluent. Ceux-là sont des marchands : Thalès vendra du sel, Platon vendra de l'huile. Contes de Plutarque, dit l'historien rigoureux ; mais c'est là le roman plus vrai que l'histoire. En fait, nous ne pouvons constater un seul voyage entrepris dans un but exclusivement scientifique.

A côté des mercenaires et des commerçants arrivent de nombreux émigrants qui fondent de véritables colonies. Des Milésiens viennent avec trente navires et établissent un comptoir fortifié. II y a bientôt dans le Delta une caste formée par les interprètes. L'invasion pacifique s'étend sur l'E~ypte entière; il y a des Milésiens dans l'antique Abydos, des Samiens jusque dans la grande Oasis.


A côté des mercenaires et des commerçants arrivent de nombreux émigrants qui fondent de véritables colonies. Des Milésiens viennent avec trente navires et établissent un comptoir fortifié. II y a bientôt dans le Delta une caste formée par les interprètes. L'invasion pacifique s'étend sur l'Egypte entière ; il y a des Milésiens dans l'antique Abydos, des Samiens jusque dans la grande Oasis.


== Notes ==
== Notes ==

Version du 15 septembre 2005 à 21:41


THALÈS ET SES EMPRUNTS L'ÉGYPTE


I

Dans l'histoire de la philosophie prédomine aujourd'hui la croyance que, dès son aurore, la pensée hellène s'est développée indépendamment de toute influence étrangère. Il n'y a pas encore bien longtemps qu'une semblable opinion était également en faveur parmi les historiens des mathématiques ; mais, quoique ce soit peut-être dans les sciences exactes que s'affirme le plus la personnalité du génie inventeur, il semble que, de nos jours, les doctrines évolutionnistes aient rallié presque tous ceux qui étudient l'origine et les progrès de ces sciences, et c'est l'opinion inverse qui triomphe sans contestations sérieuses.

La divergence est parfaitement constatée par Edouard Zeller1, pour ce qui concerne, en particulier, le premier sage dont le nom se retrouve au début des deux côtés, dans l'histoire des sciences comme dans celle de la philosophie. « Nous savons, en outre, que Thalès s'est distingué par ses connaissances en mathématiques et en astronomie. C'est lui qui transporta les principes de ces sciences, des pays orientaux et méridionaux, dans la Grèce. » Mais « aucun témoignage n'indique que Thalès ait emprunté aux Orientaux, outre des connaissances géométriques et astronomiques, des connaissances philosophiques et physiques. »

Cependant, à moins de parti pris, il faut avouer que la reconnaissance de l'influence étrangère sur le premier point crée un préjugé en ce qui regarde le second. L'absence de témoignages positifs invoquée par E. Zeller ne peut d'ailleurs avoir une importance décisive, dès que l'on considère à quel degré sont restreintes les données que nous possédons sur les connaissances et les opinions de Thalès, et d'autre part, combien était profonde l'ignorance des auteurs de l'antiquité sur les croyances des barbares ayant trait à la philosophie.

Sans révoquer en doute l'incontestable originalité du génie hellène, il est donc permis de dire que, pour Thalès au moins, la question reste ouverte. Si l'on veut d'ailleurs chercher à l'élucider, il nous semble indispensable de préciser avant tout, autant qu'il est du moins possible de le faire aujourd'hui, le caractère réel de l'influence exercée par les barbares sur la constitution des sciences mathématique et astronomique en Grèce. En l'absence de documents probants, c'est le seul moyen de pouvoir juger, par analogie, quelle a pu être la nature de cette influence sur le développement des premières idées philosophiques.

Nous nous proposons de tenter ici cette double étude. Il nous a semblé que les résultats des travaux de notre siècle, les points acquis dans l'histoire des mathématiques d'une part, et de l'autre, dans celle des anciens peuples de l'Orient, pouvaient mieux servir qu'ils ne l'ont fait jusqu'à présent à éclairer les sources de la philosophie. Quel que soit d'ailleurs le sort réservé aux thèses que nous soutiendrons, nous espérons que l'exposé des faits mis à l'appui suffira pour intéresser nos lecteurs. Quant à nos conclusions, peut-être convient-il de les résumer d'avance. Nous essaierons de montrer que c'est vraiment aux Grecs qu'appartient la gloire d'avoir constitué les sciences aussi bien,que la philosophie ; mais si l'originalité de leur génie éclate, par exemple dès Anaximandre, le véritable chef de l'école ionienne, rien ne prouve que Thalès en particulier ait fait autre chose que de provoquer le mouvement intellectuel, que de susciter l'étincelle, en introduisant dans le milieu hellène des procédés techniques empruntés aux Barbares et en y faisant connaitre leurs opinions. Ce rôle a pu être joué également par beaucoup d'autres voyageurs de son temps; mais il fut sans doute l'observateur le plus sagace et le plus habile initiateur. Esprit d'ailleurs, semble-t-il, moins spéculatif que pratique2, il n'a pas fait de longues études auprès des sanctuaires de l'Egypte; niais il a profité de toutes les occasions pour s'enquérir de ce qui lui semblait utile ou curieux, et il sut apprendre à ses compatriotes qu'on résolvait à l'étranger des problèmes auxquels ilsn'avaient guère pensé jusque-là, qu'on y avait des croyances au moins aussi plausibles que les leurs. Ainsi, sans peut-être rien inventer ou imaginer réellement par lui-même, donna-t-il le branle à l'inconsciente activité qui sommeillait et mérita-t-il par là ce renom que lui décernèrent ses contemporains et que la postérité la plus lointaine s'est plu à lui conserver.

II

Vers le milieu du septième siècle avant Jésus-Christ, la reconnaissance du fondateur de la dynastie saïte ouvre l'Egypte aux Grecs et en particulier à ceux de l'Asie Mineure. Il y avait déjà huit siècles au moins que les marins de l'Archipel connaissaient les côtes du Delta. Bien avant les chants homériques ', la mémoire de leurs pirateries était conservée par les monuments de Ramsès II. Enfin elles ont eu un terme heureux ; la soif d'aventures, la curiosité de l'inconnu n'ont plus besoin des armes ; derrière le soldat de fortune, qui vient se louer comme mercenaire, les voyageurs affluent. Ceux-là sont des marchands : Thalès vendra du sel, Platon vendra de l'huile. Contes de Plutarque, dit l'historien rigoureux ; mais c'est là le roman plus vrai que l'histoire. En fait, nous ne pouvons constater un seul voyage entrepris dans un but exclusivement scientifique.

A côté des mercenaires et des commerçants arrivent de nombreux émigrants qui fondent de véritables colonies. Des Milésiens viennent avec trente navires et établissent un comptoir fortifié. II y a bientôt dans le Delta une caste formée par les interprètes. L'invasion pacifique s'étend sur l'Egypte entière ; il y a des Milésiens dans l'antique Abydos, des Samiens jusque dans la grande Oasis.

Notes

1. Nous empruntons l'excellente traduction de La philosophie des Grecs, par M. Boutroux - Paris, Hachette, 1877. - Voir pages 199-201.

2. (texte grec) Platon, Civitas, X, 600, a.