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Version du 25 septembre 2012 à 14:01

À titre d'introduction, nous allons nous intéresser aux problèmes « épistémologiques » qui sont relatifs aux manuels de sociologie. L’objectif étant de nous positionner en plein centre de la sociologie institutionnelle, tout en conservant une distance critique vis à vis d’elle.


Premièrement. Il est intéressant de remarquer dans un premier temps que l'institutionnalisation croissante de la sociologie au cours des dernières décennies a été accompagnée d'un accroissement significatif du nombre de « manuels » ayant pour thème la sociologie (dictionnaires de sociologie, livres sur l'histoire de la sociologie, ouvrages collectifs qui dressent un panorama de la discipline ou de l'une de ses branches, etc.). Notons que le phénomène n'est pas isolé puisque l'économie, la philosophie, la psychologie sociale sont elles-aussi concernées.

Comment pourrait-on interpréter cette évolution ? Les avis semblent partagés. Alors que certains y voient un signe indiquant que la discipline arrive à maturité[1] d'autres ont tendance à croire que c'est la conséquence d'une mutation socio-économique. La multiplication de ces ouvrages serait alors occasionnée par deux facteurs : 1. la notoriété grandissante de la sociologie auprès du grand public aurait pour effet d'augmenter la demande d'initiation ou de perfectionnement à la sociologie, 2. la croissance rapide des effectifs universitaires en sociologie au cours des deux dernières décennies rendrait la sociologie plus attractive auprès des maisons d'édition.


Deuxièmement. Il est généralement admis que ces ouvrages reflètent l'état d'une discipline à un moment donné. Autrement dit, ils sont fortement dépendants de ce que nous pourrions appeler « l'air du temps » et des centres d'intérêt qui dominent une période. Pour cette raison, la sélection d'auteurs, de thématiques, et le vocabulaire employé (par exemple, depuis quelques temps, certains auteurs ont pris l'habitude de parler de « construction du social »[2] ou de « courant »[3]) sont souvent dépendants du contexte institutionnel, du contexte socio-politique, ou encore d'effets de mode propres au champ sociologique. Bien entendu, il est possible d'arguer que ces manuels ne font alors que refléter le relativisme historique, institutionnel et culturel qui pèse de manière très générale sur les sciences sociales. Troisièmement, la plupart du temps, on admet également que ces manuels sont orientés dans une direction théorique qui est reliée aux positions théoriques et institutionnelles des auteurs qui les rédigent. Par conséquent, ces derniers sont souvent suspectés de partialité. Ainsi, pour présenter la sociologie, certains ne retiendront que des sociologues français, tandis que d'autres sélectionneront de préférence des sociologues traditionnellement considérés comme susceptibles de faire partie du champ sociologique[4]. Par exemple, il est rare que soit mentionné un auteur comme Adam Smith; de même, les référence à la sociobiologie, branche de la sociologie qui fait dépendre les comportements humains de facteurs biologiques, sont exceptionnelles. Ce favoritisme à l'égard de certains auteurs n'est pas forcément anodin ou désintéressé. Je reprends ici l'idée de Pierre Bourdieu : « les dictionnaires – de la sociologie, de l'ethnologie, de la philosophie, etc. – sont souvent des coups de force dans la mesure où ils permettent de légitimer en faisant mine de décrire ; instruments de construction de la réalité qu'ils feignent d'enregistrer, ils peuvent faire exister des auteurs ou des concepts qui n'existent pas, passer sous silence des concepts ou des auteurs qui existent, etc. On oublie souvent qu'une part très importante des sources des historiens est le produit d'un tel travail de reconstruction », (Bourdieu, 2001, p 77).


Troisièmement. Comme Bourdieu et d'autres auteurs le font remarquer, si les classifications, les thématiques et les définitions qui sont retenues dans ces ouvrages jouent un rôle structurant pour la discipline, en lui permettant de s'auto-évaluer, de s'organiser, etc., elles orientent simultanément la direction des recherches en sociologie et légitiment un certain type de sociologie. Car la fonction des manuels est avant tout de s'imposer comme représentants légitimes et porte-paroles d'une discipline auprès des néophytes et personnes extérieures à une communauté. Leur contenu se doit d'être une synthèse fidèle et accessible d'un corps de connaissances parfois assez disparates. Ils sont donc à leur manière des outils essentiels de fédération, de construction et d'orientation du savoir. En effet, en délimitant la sociologie par rapport à d'autres disciplines voisines, en classifiant ses différents domaines (sociologie du sport, sociologie des organisations, sociologie de la famille...), ces manuels assignent une place fixe aux théories et aux thématiques pertinentes en sociologie. Un passage de Bourdieu est sur ce point assez éclairant : « ces non-books, comme disent si bien les Américains, au nombre desquels il faut aussi ranger les manuels, ont une fonction sociale éminente; ils canonisent (...), ils catégorisent, distinguant les subjectivistes et les objectivistes, les individualistes et les holistes, distinctions structurantes génératrices de (faux) problèmes. Il faudrait analyser l'ensemble des instruments de connaissance, de concentration et d'accumulation du savoir qui, étant aussi des instruments d'accumulation et de concentration du capital académique, orientent la connaissance en fonction de considérations (ou de stratégies) de pouvoir académique, de contrôle de la science, etc. », (Bourdieu, 2001, p 77). Il faudrait rajouter que ces manuels ne font référence qu'à la sociologie institutionnalisée. Ce faisant, ils désignent quels auteurs peuvent être considérés comme sociologues (souvent ceux qui appartiennent à l'institution universitaire), et les autres, dont la réflexion sociologique n'est pas prise en compte (par exemple Guy Debord). Paul Feyerabend a ainsi bien mis en évidence l'impact sur les pratiques scientifiques que peuvent avoir les simplifications qui sont faites sur les idées et le contexte des découvertes scientifiques dans l'histoire des sciences, (Feyerabend, 1979, p 15). L'histoire officielle tendrait en effet à favoriser l'image d'une science linéaire et cumulative qui avance de manière méthodique. Mais Feyerabend montre qu'une telle vision des choses n'a pas de fondements empiriques. Il en conclut alors que la croyance dans une science idéalisée servirait avant tout à légitimer un certain type de pratiques scientifiques fondées sur la prééminence de méthodologies strictes (comme le falsificationnisme) et sur la domination d'une poignée de théories. La croyance dans un idéal scientifique, entretenue par les manuels d'Histoire de la Science fonctionnerait alors à la manière d'une mythologie qui aurait comme « fonction » indirecte d'orienter l'ensemble de la recherche scientifique ou de légitimer certaines pratiques scientifiques. Bourdieu exprime la même idée, bien qu'il le fasse dans une intention quelque peu différente de celle de Feyerabend[5] : « La vision officielle de la science est une hypocrisie collective propre à garantir le minimum de croyance commune qui est nécessaire au fonctionnement d'un ordre social ; l'autre face de la science est à la fois universellement connue de tous ceux qui participent au jeu et unanimement dissimulée (...). Tout le monde sait la vérité des pratiques scientifiques, (...) et tout le monde continue à faire semblant de ne pas savoir et de croire que ça se passe autrement » (Bourdieu, 2001, 152). Et, « La science marche (...) parce qu'on parvient à croire et à faire croire qu'elle marche comme on dit qu'elle marche, notamment dans les livres d'épistémologie, et parce que cette fiction collective collectivement entretenue continue à constituer la norme idéale des pratiques. » (Bourdieu, 2001, 153).


De telles constatations ne doivent surtout pas être interprétées comme des critiques à l'égard de ces manuels, puisqu'il va de soi que toute présentation d'une discipline ne peut échapper à des simplifications et à des prises de position. En fait, l'utilité des manuels est incontestable. Ils permettent d'évaluer une discipline et de mettre en avant les principaux thèmes ou débats qui la traversent. Michel Lallement le précise d'ailleurs en introduction de son manuel : « Le risque premier d'un tel projet est d'opérer un survol nécessairement caricatural et émietté, de l'histoire de la sociologie. C'est pourquoi, sans prétendre à l'exhaustivité (comment cela pourrait-il possible ?) et avec la claire conscience de l'oubli parfois injustes de certaines approches, de la réduction de certaines analyses subtiles et complexes, de la sous-estimation de certains facteurs institutionnels, cet ouvrage privilégie non seulement le point de vue sociologique sticto sensu (aux dépens de la psychologie sociale, de l'anthropologie, de la linguistique...) mais également des auteurs ou des écoles qui semblent aujourd'hui les plus significatifs pour comprendre tant la sociologie contemporaine que le monde moderne. », (Lallement, 2003, p 10). C'est donc en quelque sorte la « règle du jeu ». En montrant l'existence de cette règle, nous essayons seulement de pratiquer une démarche réflexive dont le dessein de relativiser la portée du contenu de ces ouvrages et de garder une distance critique vis à vis de la sociologie institutionnelle. Mais nous le faisons en gardant présent à l'esprit que ces manuels demeurent des outils de travail irremplaçables tant pour les sociologues, que pour les néophytes soucieux de s'initier à la sociologie.


Ces précautions étant prises, nous diviserons notre travail en deux parties. Dans un premier temps nous essayerons de voir, dans une perspective synchronique, quels sont les grands traits de structuration du champ de la pensée sociologique. Puis dans un deuxième temps nous nous attacherons à parcourir de manière diachronique l'histoire de la discipline en montrant ses grandes évolutions et les courants qui l'ont marqués, ou du moins ceux qui ont été retenus comme marquants.

Notes

  1. Jean-Pierre Durand et Robert Weil dans « Sociologie contemporaine », (1997, p 7).
  2. Pour s'en convaincre, on peut penser au manuel de Jean-Michel Berthelot, « La construction de la sociologie », (1991) et à celui de Philippe Corcuff, « Les nouvelles sociologies. Constructions de la réalité sociale. », (1995). Des ouvrages plus spécialisés leur font écho comme par exemple celui de John R. Searle, « La construction de la réalité sociale », (1998) ou plus récemment « La construction sociale du corps » de Christine Detrez (2002) et « La construction du social par les objets » de Bernard Blandin (2002). En affirmant cela, je tiens à préciser que je ne remets absolument pas en cause l'emploi du terme construction, je me borne à constater qu'il devient de plus en fréquent en sociologie. Le débat qui sévit depuis quelque temps entre les constructivistes et leurs adversaires (ce que Ian Hacking nomme « guerre intellectuelle »), y est peut-être pour quelque chose.
  3. Il est vrai que le terme de paradigme sous-entend un ensemble de présupposés épistémologiques qui ne font pas forcément l'unanimité chez les chercheurs. Dans un ouvrage généraliste récent, « Sociologie contemporaine », (1997), le terme de courant est préféré à celui de paradigme.
  4. Montesquieu a ainsi été « redécouvert » par Raymond Aron, sociologue qui occupe une place considérable dans l'institutionnalisation de la sociologie française. Peut-être à cause de cela, il figure dans bien des manuels d'introduction à la sociologie. Remarquons aussi que Raymond Aron démarre « Les étapes de la pensée sociologique » avec l'exposé de la pensée de Montesquieu. Ce qui doit certainement jouer un rôle, car je suppose que les auteurs qui entreprennent d'écrire un manuel font au préalable le tour des manuel déjà existants. Une telle hypothèse demanderait bien sûr à être vérifiée.
  5. Bourdieu cherche à remettre la science sur le chemin du rationalisme prôné par Gaston Bachelard, et il tente alors de « court-circuiter » le relativisme dans les sciences sociales en développant une démarche réflexive. Feyerabend, au contraire, s'impose comme un défenseur convaincu du relativisme.


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