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Sans recourir à ces calculs compliqués, on peut calculer l'abondance des éléments principaux. L'idéal est de se concentrer sur l'hydrogène (le protium) et l'hélium-4 uniquement. Négliger les autres éléments n'est pas un problème tant ils sont rares. En faisant cela, on doit considérer que tous les neutrons ont étés capturés dans les noyaux d'hélium-4. Dans les calculs qui vont suivre, nous noterons le nombre d'atomes d'hélium <math>n_{He}</math> alors que le nombre d'atomes de protium sera noté <math>n_H</math>. Les nombres de neutrons et de protons seront notés <math>n_n</math> et <math>n_p</math>.
Sans recourir à ces calculs compliqués, on peut calculer l'abondance des éléments principaux. L'idéal est de se concentrer sur l'hydrogène (le protium) et l'hélium-4 uniquement. Négliger les autres éléments n'est pas un problème tant ils sont rares. En faisant cela, on doit considérer que tous les neutrons ont étés capturés dans les noyaux d'hélium-4. Dans les calculs qui vont suivre, nous noterons le nombre d'atomes d'hélium <math>n_{He}</math> alors que le nombre d'atomes de protium sera noté <math>n_H</math>. Les nombres de neutrons et de protons seront notés <math>n_n</math> et <math>n_p</math>.

Le fait que l'on se préoccupe seulement de l'hélium-4 et de l'hydrogène signifie que le nombre total de noyaux est égal à la somme suivante :

: <math>n_{total} = n_H + n_{He}</math>


L'hypothèse comme quoi tous les neutrons sont capturés dans les noyaux d'hélium-4 signifie que :
L'hypothèse comme quoi tous les neutrons sont capturés dans les noyaux d'hélium-4 signifie que :

Version du 30 décembre 2019 à 22:31

Au tout début de sa formation, l'univers était clairement chaud et dense : les températures quelques microsecondes après le big-bang dépassaient le million voire le milliard de degrés. L'univers était en première approximation un gaz parfait de particules très différentes : neutrons, protons, neutrinos, électrons, photons, quarks, et autres. Au tout début de l'univers, les températures étaient tellement fortes que toutes les populations de particules réagissaient entre elles : à peu-près n'importe quelle particule pouvait se transformer en une autre, homogénéisant les températures. Le mélange était tel que l'on pouvait définir une température moyenne valable pour tous les types de particules : les neutrons avaient une température moyenne similaire à celle des protons, elle-même identiques à celle des quarks, etc. On dit que l'équilibre thermique est respecté. Les différences d'équation d'état étaient ainsi mineures, et étaient compensées par les nombreuses interactions entre particules.

La baryogenèse

Au tout début, on pouvait voir l'univers comme un mélange de plusieurs gaz composés de particules élémentaires. Du temps des fortes températures, quelques micro-secondes avant le big-bang, les particules composites ne pouvaient pas se former à partir de quarks : la température trop intense faisait que les particules composites étaient brisées par le chaos ambiant quelques microsecondes après leur formation. C'était essentiellement les photons et neutrinos qui réagissaient avec la matière et brisaient les structures ainsi formées. Il a fallu attendre que la température du rayonnement baisse pour que les quarks puissent s'assembler en protons et neutrons sans interagir avec un photon qui passe sur le chemin. Ce processus de formation des protons et neutrons s'appelle la baryogenèse, ce qui signifie formation des baryons (les protons et neutrons sont des exemples de baryons, d'où le nom).

Le rapport protons/neutrons

La théorie du big-bang nous permet de déterminer comment s'est produit ce processus. Une réussite de la théorie tient dans le fait qu'elle prédit le rapport entre le nombre de protons et de neutrons dans l’univers. Celui-ci peut se calculer à partir du raisonnement suivant. Avant que les noyaux se forment, les protons et neutrons étaient libres et formaient un plasma de nucléons. La température de ce plasma a diminué progressivement avec l'expansion. Peu avant la formation des noyaux, la température était faible comparé à la masse des protons et neutrons (). Dans ces conditions, le gaz peut être décrit par ce qu'on appelle la distribution de Maxwell-Boltzmann. Celle-ci dit que la quantité de particules d'énergie par unité de volume est de :

Ainsi, on peut calculer le rapport entre protons et neutrons. Il suffit de faire le calcul de la densité de protons, et de la densité de neutrons séparément, et de diviser le premier par le second :

Les protons et neutrons forment un plasma tant que protons et neutrons peuvent interagir. Il arrive notamment que des protons se transforment en neutrons et réciproquement. Ces transformations, des réactions nucléaires, ont une probabilité d’occurrence qui dépend de la température. Quand le produit descend en-dessous de 0.8 Mev, ces réactions deviennent de plus en plus rares, au point que l'équilibre thermique du plasma est brisé. Les quantités de protons et de neutrons sont alors figées, de même que le rapport de leurs densités volumiques. Les calculs donnent 6 protons pour 1 neutron : . Dit autrement, ème de la matière baryonique est sous la forme de neutrons, alors que ème sont des protons.

Par la suite, ce rapport va cependant évoluer à cause de désintégrations de neutrons en protons (désintégration bêta). Ces désintégrations suivent la fameuse loi de désintégration radioactive , avec égal à 880,3 s. On a alors :

La nucléosynthèse primordiale

Une fois les protons et neutrons formés, l'univers était rempli de protons, de neutrons, d'électrons et de neutrinos, qui formaient un gaz à haute température. Durant un temps assez court, protons et neutrons ne pouvaient pas s'assembler pour former des noyaux, la température brisant les noyaux qui avaient l'occasion de se former. Mais, la température diminuant, cela ne dura guère. Après un certain temps, protons et neutrons ont pu s'assembler pour former des noyaux, quand la température a atteint un certain seuil.

La formation des premiers noyaux porte le nom de nucléosynthèse primordiale. Un nom barbare assez simple à comprendre : nucléo-synthése veut dire "synthèse de noyaux atomiques", et primordiale pour dire qu'elle a eu lieu peu après le big-bang. Ce terme sert à la distinguer de la nucléosynthèse qui a lieu actuellement au cours des étoiles, la nucléosynthèse stellaire. Les différences entre les deux sont assez nombreuses. Déjà, la nucléosynthèse primordiale s'est faite sur un temps très court, d'à peine quelques secondes grand maximum, alors que la nucléosynthèse des étoiles est un processus continu qui dure durant plusieurs milliards d'années. Ensuite, la nucléosynthèse primordiale a majoritairement créé des éléments chimiques légers, mais guère plus. Elle a permit de fabriquer de l'hydrogène, de l'hélium, du béryllium et du lithium, mais pas plus. Les autres éléments chimiques ont été fabriqués ultérieurement par la nucléosynthèse stellaire, qui a donné naissance à du carbone, de l'oxygène, de l'azote, et d'autres noyaux lourds.

Isotopes de l'hydrogène.

Suite à la nucléosynthèse primordiale, la quasi-totalité de la matière est composée d’hydrogène et d'hélium : environ 3/4 d'hydrogène et 1/4 d'hélium, le reste étant présent en quantités négligeables. C'est pour cela que la quasi-totalité de la matière des étoiles et planètes est sous la forme d'hélium et d'hydrogène, des particules formées par l'assemblage de neutrons et de protons. Pour rappel, Un noyau d'hydrogène est formé d'un simple proton, le nombre de neutrons variant de zéro à deux neutrons. La plupart de l'hydrogène ne contient pas de neutron, cette forme d'hydrogène étant appelé du protium. L'isotope avec un neutron est appelé le deutérium, alors que celui avec deux neutrons est appelé le tritium. Le protium est de loin la forme d’hydrogène dominante, les autres formes n'étant présentes que dans les étoiles, rarement dans le milieu interstellaire. Quant à l'hélium, il possède deux protons, avec un nombre variable de neutrons. Ses deux isotopes les plus fréquents possédent deux neutrons pour l'hélium-4, un seul pour l'hélium-3.

Les réactions de la nucléosynthèse primordiale

Résumé des réactions nucléaires principales de la nucléosynthèse primordiale, sous forme de liste.

La nucléosynthèse commence avec la fabrication de deutérium, un des isotopes de l'hydrogène. C'est à partir du deutérium que peuvent s'enclencher les réactions qui donnent naissance au tritium, à l'hélium, au lithium et au béryllium.

Dans ce qui suit, on notera D un noyau de deutérium, T un noyau de tritium, p un proton et n un neutron.
Illustration des réactions nucléaires donnant naissance au deutérium, au tritium et à l'hélium (3 et 4).

Le deutérium se forme en fusionnant un proton avec un neutron. La formation du deutérium ne s'est produite qu'une fois la température suffisamment basse. Au-dessus de cette température, les noyaux de deutérium ne survivent pas bien longtemps, à cause de la photodissociation. Les photons énergétiques brisent ces noyaux en quelques microsecondes, ne laissant que des protons et des neutrons. Mais une fois que la température descend sous la température critique du deutérium, les photons ne sont plus assez énergétiques pour briser les noyaux de deutérium, qui survivent.

Une fois le deutérium formé, des réactions donnent naissance soit à de l'hélium-3, soit à du tritium. L'hélium-3 peut se former de deux manières : soit par addition d'un proton, soit par fusion de deux noyaux de deutérium.

Le tritium peut lui aussi se former de deux manières différentes. Dans le premier cas, il est formé par la fusion de deux noyaux de deutérium. Dans le second cas, il est formé à partir d'un noyau d'hélium-3, dans lequel on remplace un proton par un neutron (par désintégration bêta, ou par capture/émission de nucléons).

Une fois le tritium ou l'hélium-3 formé, l'hélium-4 peut enfin apparaitre. Il se forme soit à partir d'hélium-3, soit à partir de tritium. Et les méthodes pour se faire assez diverses. Dans les deux cas, il se forme en ajoutant un noyau de deutérium, suivi par l'émission d'un nucléon. Le nucléon émit est un proton pour la fusion avec l'hélium-3, un neutron pour la fusion avec le tritium. Une autre manière consiste à ajouter un proton à du tritium, ou du neutron à de l'hélium-3.

Enfin, les autres éléments légers peuvent se former à partir de l'hélium-4. En fusionnant de l'hélium-4 avec soit du tritium, soit de l'hélium-3, on obtient respectivement du lithium et du béryllium. Le lithium peut aussi se former à partir du béryllium, par remplacement d'un neutron en proton. De plus, le lithium peut fusionner avec un proton pour donner deux noyaux d'hélium-4.

L'ensemble de ces réactions est résumé dans le schéma ci-dessous.

Réactions nucléaires principales de la nucléosynthèse primordiale, en schéma.

Le calcul de l'abondance de l'Hélium

Des calculs théoriques poussés, basés sur la physique nucléaire, nous disent que la concentration en éléments chimiques a évolué rapidement au cours de la nucléosynthèse primordiale, avant de stabiliser. Le résultat est que les deux éléments majoritaires sont l'hydrogène (le protium) et l'hélium-4. Le deutérium et l'hélium-3 sont plus rares et ont une concentration assez similaires. Le tritium et les neutrons libres sont eux encore plus rares. Enfin, le lithium et le béryllium ferment la marche et sont sont les éléments les plus rares. Pour simplifier, on peut dire que l'univers est rempli presque exclusivement d'hydrogène et d'hélium-4. Les autres éléments sont tellement rares qu'ils sont presque négligeables.

Évolution de la concentration de chaque élément chimique dans l'univers, au cours de la nucléosynthèse primordiale.

Sans recourir à ces calculs compliqués, on peut calculer l'abondance des éléments principaux. L'idéal est de se concentrer sur l'hydrogène (le protium) et l'hélium-4 uniquement. Négliger les autres éléments n'est pas un problème tant ils sont rares. En faisant cela, on doit considérer que tous les neutrons ont étés capturés dans les noyaux d'hélium-4. Dans les calculs qui vont suivre, nous noterons le nombre d'atomes d'hélium alors que le nombre d'atomes de protium sera noté . Les nombres de neutrons et de protons seront notés et .

L'hypothèse comme quoi tous les neutrons sont capturés dans les noyaux d'hélium-4 signifie que :

, car il y a deux neutrons dans un noyau d'hélium-4.

La première étape est de calculer la quantité totale de baryons enfermés dans les noyaux d'hélium-4. Un atome d'hélium-4 contient 4 baryons, deux neutrons et deux protons. En multipliant par le nombre de noyaux, on obtient cette quantité totale, égale à :

Pour la seconde étape, on a besoin du nombre total de baryons dans l'univers. Par définition, il est égal à la somme (la somme du nombre de protons et de neutrons). En combinant les deux équations précédentes, on obtient le rapport entre le nombre de baryons dans les atomes d'hélium et le nombre total de noyaux, que nous noterons .

On utilise alors l'équation  :

On peut réécrire cette équation en utilisant uniquement le rapport protons/neutrons calculé dans la section précédente. Il suffit pour cela de diviser l'équation précédente par le nombre de protons. On a alors :

On a vu dans la section précédente que le le rapport protons/neutrons suite au big-bang est de . En utilisant cette valeur, on trouve que , ce qui est très proche de la valeur observée.

Le découplage des photons et neutrinos

La température baissant avec l'expansion, certaines interactions entre particules deviennent de plus en plus rares. Par exemple, en-dessous d'une certaine température, certaines réactions entre neutrinos et matière deviennent rares, voire inexistantes. Ces populations de particules cessent alors d'interagir. Lorsque cela se produit, l'équilibre thermique est rompu : les deux populations de particules s'isolent thermiquement, et divergent en terme de température moyenne. On nomme découplage de telles situations où deux populations de particules n'interagissent plus à la suite d'une baisse de température. Après un découplage, chaque population de particule a sa propre équation d'état : un gaz monoatomique n'aura pas le même coefficient w qu'un gaz de protons ou un gaz d'électrons. Ainsi, une population de particule se refroidira différemment d'une autre. Par exemple, le rayonnement s'est refroidi plus vite que la matière, à cause de la diminution de fréquence des photons (la température du rayonnement n'est autre que la moyenne de l'énergie des photons, qui diminue avec le facteur d'échelle, comme vu précédemment).

Le découplage des photons

La matière neutre est transparente, ce qui induit un découplage des photons.

Le cas le plus classique est celui du découplage des photons, qui s'est produit 380 000 ans après le big bang lorsque la matière est passée de l'état de plasma à un gaz d'atomes. Avant ce découplage, la matière était composée d'un plasma d'électrons libres, de baryons (protons, neutrons, noyaux d'atomes), et de photons. Les photons interagissaient fortement avec les électrons, par diverses processus (diffusion Compton, et autres). Ces interactions faisaient que les photons échangeaient de la quantité de mouvement avec les électrons, ce qui redistribuait la température : les photons chauffaient les électrons et réciproquement. Un équilibre thermique s'était ainsi installé entre photons et électrons libres, les deux ayant la même température/énergie cinétique moyenne. Cet équilibre incluait aussi les baryons, bien que les baryons n'interagissaient pas directement avec les photons : les baryons interagissaient fortement avec les électrons, qui servaient d'intermédiaires avec les photons. Ce plasma avait naturellement des propriétés thermodynamiques simples : une pression, une température, un volume, etc. Sa pression était essentiellement causée par la pression de radiation des photons, avec une participation mineure de la pression des électrons libres et des baryons.

Après le découplage, les électrons se sont mis à orbiter autour des noyaux, formant des atomes. Ces électrons n'étant plus libres, ils interagissaient bien moins avec les photons. Les photons n'avaient plus d’électrons libres à disposition, ceux-ci étant enfermés dans les atomes. Les photons ont donc vu leurs interactions avec la matière diminuer fortement, et ont continué leur vie chacun dans leur coin. Une partie de ces photons ont survécu jusqu’à aujourd'hui et continuent de se balader dans l'univers : ils forment le rayonnement de fond diffus cosmologique, aussi appelé CMB (Cosmic Microwave Background).

La découverte du CMB

Histoire de la découverte du fond diffus cosmologique.

Le CMB a été théorisé avant d'être découvert. Dans un article de 1948, Alpher et ses collègues théorisèrent l'existence du CMB à partir d'un modèle de big-bang usuel. Mais il fallut attendre 1965 pour que ce signal soit observé pour la première fois, par Penzias et Wilson. Ceux-ci utilisaient une antenne de grandes dimensions, pour tester la fiabilité des communications entre satellites, et étudiaient des interférences radio qui apparaissaient à haute fréquence. Leurs investigations leur ont permis de capter un signal dans la bande de 4Ghz, qui avait des caractéristiques étranges : isotrope, non-polarisé et libre de toute variation saisonnière. L'origine de ce signal est restée inconnue durant quelques années, mais les scientifiques (dont Pensias et Wilson) avaient éliminé toute origine terrestre. Il fallu que Dicke et ses collaborateurs fassent le lien avec l'article d'Arpher. Par la suite, diverses campagnes d'observation ont permis d'obtenir une carte assez détaillée du fond diffus. De nombreux projets d'observations scientifiques ont ainsi observé le fond diffus cosmologique avec une précision de plus en plus grande : COBE, puis WMAP, et enfin la mission PLANCK.

Les observations de Penzias et Wilson montraient un CMB relativement uniforme. Par la suite, les observations du satellite COBE ont montré que le CMB a l'air d'avoir une structure en forme de dipôle, à savoir qu'il a un pole chaud opposé à un pole froid. On pourrait croire que cela réfute l'idée d'un univers isotrope, mais il est rapidement apparu que cette structure en dipôle était liée au mouvement de la Terre par rapport au CMB. Ce mouvement est à l'origine d'un effet Doppler : les zones du CMB qui s'éloignent de nous sont vues comme refroidies, alors que les zones qui s'approchent (opposées, donc) sont vues comme plus chaudes. Les observations plus récentes éliminent cet effet Doppler par divers traitements informatiques, et montrent un CMB sans dipôle, mais avec quelques inhomogénéités. On observe notamment une zone plus chaude au niveau de l'équateur, liée à la présence de la voie lactée (notre galaxie), qui réchauffe quelque peu le CMB de par son rayonnement.

Le découplage des neutrinos

La même chose a eu lieu pour les neutrinos et anti-neutrinos qui se sont découplés de la matière et des photons un peu avant les photons. Ce fond diffus de neutrinos est malheureusement nettement moins étudié que le fond diffus cosmologique, car les neutrinos n'interagissent pas beaucoup avec la matière, et qu'ils sont donc difficiles à détecter. Nous n'en parlerons donc pas dans ce cours, par manque d'informations à leur sujet.