« Philosophie/Thalès de Milet/Textes et traductions Ier millénaire AEC » : différence entre les versions

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<div style="text-align: justify; direction: ltr; margin-left: 1em; margin-right: 1em;">''<i>([[w:Ablatif#En_latin|Ablatif]] singulier de [[wikt:divinatio#Latin|divinatio]], « divination, faculté de prédire la volonté du Ciel, des dieux »; dérivé de [[wikt:divinatus#la|divinatus]]; [[w:Participe|Participe]] passé de [[wikt:divino#Latin|divino]], « prédire, présager, prophétiser, deviner, dévoiler »; de [[wikt:divinus#Latin|divinus]], « divin, devin, prophétique »; dérivé de [[wikt:divus#Latin|divus]], « divin » et/ou [[wikt:divum#Latin|divum]], « plein air, ciel »; tous deux de l’indo-européen commun * di, « briller, soleil, jour, dieu »)</i>''</div>
<div style="text-align: justify; direction: ltr; margin-left: 1em; margin-right: 1em;">''<i>([[w:Ablatif#En_latin|Ablatif]] singulier de [[wikt:divinatio#Latin|divinatio]], « divination, faculté de prédire la volonté du Ciel, des dieux »; dérivé de [[wikt:divinatus#la|divinatus]]; [[w:Participe|Participe]] passé de [[wikt:divino#Latin|divino]], « prédire, présager, prophétiser, deviner, dévoiler »; de [[wikt:divinus#Latin|divinus]], « divin, devin, prophétique »; dérivé de [[wikt:divus#Latin|divus]], « divin » et/ou [[wikt:divum#Latin|divum]], « plein air, ciel »; tous deux de l’indo-européen commun * di, « briller, soleil, jour, dieu »)</i>''</div>
<div style="text-align: justify; direction: ltr; margin-left: 1em; margin-right: 1em;">Dialogue philosophique de '''Cicéron''', publié en [[w:44_av._J.-C.|-44]] qui traite des divers procédés de [[w:Divination|divination]] connus et pratiqués à son époque. Cet ouvrage constitue avec [[w:De_natura_deorum|''<i>De natura deorum</i>'']] [[s:la:De_natura_deorum|<sup>📜</sup>]] et [[w:De_fato|''<i>De fato</i>'']] [[s:Du_Destin|<sup>📚</sup>]] [[s:la:De_fato|<sup>📜</sup>]] une trilogie d’ouvrages traitant du sacré et des pratiques et phénomènes qui lui sont liés. '''Cicéron''' y analyse avec scepticisme les diverses formes de la divination et critique les théories des stoïciens qui la défendent.</div></poem>
<div style="text-align: justify; direction: ltr; margin-left: 1em; margin-right: 1em;">Dialogue philosophique de '''Cicéron''', publié en [[w:44_av._J.-C.|-44]] qui traite des divers procédés de [[w:Divination|divination]] connus et pratiqués à son époque. Cet ouvrage constitue avec [[w:De_natura_deorum|''<i>De natura deorum</i>'']] [[s:la:De_natura_deorum|<sup>📜</sup>]] et [[w:De_fato|''<i>De fato</i>'']] [[s:Du_Destin|<sup>📚</sup>]] [[s:la:De_fato|<sup>📜</sup>]] une trilogie d’ouvrages traitant du sacré et des pratiques et phénomènes qui lui sont liés. '''Cicéron''' y analyse avec scepticisme les diverses formes de la divination et critique les théories des stoïciens qui la défendent.</div></poem>





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:'''Traductions'''
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<div style="text-align: justify; direction: ltr; margin-top: 2em; height: 520px; overflow: auto; border: 2px solid;"><br /><poem><div style="text-align: justify; direction: ltr; margin-left: 2em; margin-right: 2em;">'''XLIX.''' Mais revenons à l’objet de ce discours. Si, ne pouvant dire pourquoi chacune de ces choses est arrivée, je puis du moins prouver qu'elles sont arrivées , est-ce répondre faiblement à [[w:Épicure|'''Épicure''']] et à [[w:Carnéade|'''Carnéade''']]? Mais j'ose dire même que, s’il est difficile de rendre compte de la divination naturelle, l’artificielle peut être aisément expliquée. Les prédictions fournies par l’inspection des entrailles, par les foudres, par les prodiges et par les astres, sont fondées sur une longue observation. Or, en toutes choses, le temps et l'étude sont la source des connaissances les plus mer-
<div style="text-align: justify; direction: ltr; margin-top: 2em; height: 520px; overflow: auto; border: 2px solid;"><br /><poem><div style="text-align: justify; direction: ltr; margin-left: 2em; margin-right: 2em;">'''XLIX.''' Mais revenons à l’objet de ce discours. Si, ne pouvant dire pourquoi chacune de ces choses est arrivée, je puis du moins prouver qu'elles sont arrivées , est-ce répondre faiblement à [[w:Épicure|'''Épicure''']] et à [[w:Carnéade|'''Carnéade''']]? Mais j'ose dire même que, s’il est difficile de rendre compte de la divination naturelle, l’artificielle peut être aisément expliquée. Les prédictions fournies par l’inspection des entrailles, par les foudres, par les prodiges et par les astres, sont fondées sur une longue observation. Or, en toutes choses, le temps et l’étude sont la source des connaissances les plus merveilleuses; on peut les acquérir même sans l’entremise et l’inspiration des dieux, lorsqu’on a observé à plusieurs reprises les effets de chaque chose, et ce qu'elle signifie. La divination naturelle peut, de son côté, par des raisons physiques, être rapportée à la nature des dieux, de laquelle, selon l’opinion des hommes les plus sages et les plus instruits, nos âmes sont émanées, et qui, remplissant tont d’une intelligence éternelle et d’un esprit céleste, doit nécessairement faire sentir quelquefois à l'âme humaine l’influence de cette parenté divine. Mais, pendant la veille, nos âmes sont asservies aux besoins du corps, et se trouvent éloignées, par les liens qui les enchaînent, du commerce de la divinité. Il n’y a qu’un petit nombre de mortels qui, se détachant en quelque sorte de leur corps, s’élèvent de toute la force de leur âme à la connaissance des choses supérieures à l’homme. Le talent qu’ils ont de lire dans l’avenir ne vient point immédiatement des dieux, mais de leur propre raison [[#raison|<sup>'''1'''</sup>]]; et c’est la nature même qui leur montre d’avance les déluges, et l’embrasement futur du ciel et de la terre. D’autres, appliqués au gouvernement des états, prévoient de loin, comme [[w:Solon|'''Solon''']], la naissance de la tyrannie [[#tyrannie|<sup>'''2'''</sup>]]. Nous pouvons les appeler prudents, c’est-à-dire prévoyants; mais nous ne pouvons non plus leur donner le nom de devins qu’au philosophe '''Thalès''', qui, prévoyant qu’il y aurait une grande abondance d’olives dans le territoire de [[w:Milet|''<i>Milet</i>'']], et voulant faire voir à ceux qui lui reprochaient son indifférence pour la fortune, qu’il ne tenait qu’à un philosophe de s’enrichir, acheta toute la récolte des oliviers avant qu’ils fussent en fleurs [[#oliviersPrediction|<sup>'''3'''</sup>]]. On dit aussi qu’il prédit le premier une éclipse de soleil, qui eut lieu sous [[w:Astyage|'''Astyage''']]. [[#eclipseAstyage|<sup>'''4'''</sup>]]
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veilleuses ; on peut les acquérir même sans l'entre-
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mise et l'inspiration des dieux, lorsqu'on a observé à
plusieurs reprises les effets de chaque chose, et ce
qu'elle signifie. La divination naturelle peut, de son
côté, par des raisons physiques, être rapportée à la
nature des dieux, de laquelle, selon l'opinion des hom-
mes les plus sages et les plus instruits, nos âmes sont
émanées, et qui, remplissant tont d'une intelligence
éternelle et d'un esprit céleste, doit nécessairement
faire sentir quelquefois % l'âme humaine l'influence de
cette parenté divine. Mais, pendant la veille, nos
âmes sont asservies aux besoins du corps, et se trou-
vent éloignées, par les liens qui les enchaînent, du
commerce de la divinité. Il n'y a qu'un petit nombre
de mortels qui, se détachant en quelque sorte de leur
corps, s'élèvent de toute la force de leur âme à la con-
naissance des choses supérieures à l'homme. Le talent
qu'ils ont de lire dans l'avenir ne vient point immé-
diatement des dieux, mais de leur propre raison * ; et
c'est la nature même qui leur montre d'avance les
déluges, et l'embrasement futur du ciel et de la terre.
D'antres, appliqués au gouvernement des états, pré-
voient de loin, comme Solon, la naissance de la ty-
rannie *. Nous pouvons les appeler prudents, c'est-à-
dire prévoyants ; mais nous ne pouvons non plus leur
donner le nom de devins qu'au philosophe Thalès,
qui, prévoyant qu'il y aurait une grande abondance
d'olives dans le territoire de Milet, et voulant faire
voir à ceux qui lui reprochaient son indifférence pour
la fortune, qu'il ne tenait qu'à un philosophe de s'en-
richir , acheta toute la récolte des oliviers avant qu'ils
fussent en fleurs **. On dit aussi qu'il prédit le premier
une éclipse de soleil, qui eut lieu sous Astyage. ***





<div style="text-align: center; direction: ltr; margin-left: 1em; margin-right: 1em;">'''<small><span id="raison"><sup>1</sup></span> ''<i>Voy.</i>'' [[w:Maxime_de_Tyr|Maxime de Tyr]], ''<i>Dissertat.</i>'' XIX, c. 5, saint Augustin, ''<i>de Divin. dæmon.</i>'', c. 4, etc. ''<i>Davies.</i>''—— <span id="tyrannie"><sup>2</sup></span> Celle de [[w:Pisistrate|Pisistrate]].—— <span id="oliviersPrediction"><sup>3</sup></span> ''<i>Voy.</i>'' la ''<i>Politique</i>'' d’Aristote, I, 11, et les auteurs cités par Ménage sur Diogène Laërce, I, 26.—— <span id="eclipseAstyage"><sup>4</sup></span> Hérodote, I, 74, 103, etc.</small>'''</div>




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<div style="text-align: right; direction: ltr; margin-left: 2em; margin-right: 1em;">[https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9795804z/f7.item <u>Œuvres complètes de M. T. Cicéron. Tome Trente-Unième</u>]. [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9795804z/f9.item <u>De Divinatione.</u>] [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9795804z/f29.item <u>Livre Premier</u>]. [https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9795804z/f135.item ''<i>XLIX</i>''], publiées en français, avec le texte en regard, par [[w:Joseph-Victor_Leclerc|Jos.-Vict. Le Clerc]], professeur d’éloquence latine à la faculté des lettres, Académie de Paris, Chez E. A. Lequien, Librairie, 1826.</div>
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Version du 23 septembre 2021 à 16:51

Présocratiques La philosophie antique Anaximandre de Milet
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Thalès de Milet (-625/-620 🏺, à Milet-548/-545 🏺, à Milet)

(en grec ancien Θαλῆς ὁ Μιλήσιος / Thalễs ho Milếsios; peut-être de θᾰ́λλω / thállō, « prospérer » +‎ le suffixe adjectival -ης / -ēs; ce qui donnerait « celui qui prospère »)

Philosophe (en grec ancien φιλόσοφος / philósophos, « celui qui aime la sagesse »; de φίλος / phílos, « aimer » + σοφός / sophós, « sagesse ») et savant grec (en grec ancien Ελλην(sing.) -> Ελληνες(plur.) / Hellên -> Hellênes).


Ier millénaire avant notre ère

Hérodote (-480, à Halicarnasse en Carie-425, à Thourioi) 🏺

(en grec ancien Ἡρόδοτος / Hēródotos)

Historien (en grec ancien ἱστοριόγραφος / ἱstoriógraphos; de ἱστορία / historía, « Histoire » + γράφω / gráphô, « écrire ») et géographe (en grec ancien γεω / geô, « Terre » + γράφος / graphos, « écrire ») grec.


Histoire/Enquête

(en grec ancien Ἱστορίαι / Historíai)

Seule œuvre connue d’Hérodote, y exposant le développement de l’empire perse (Livres I à IV), puis y relatant les guerres médiques qui opposèrent les Perses (en grec ancien Περσης(sing.) -> Περσαι(plur.) / Persês -> Persai, du vieux-perse 𐎱𐎠𐎼𐎿 / Pārsa ou apparenté à πέρθω / pérthô, « ravager ») aux Grecs (Première: Livres V et VI; Seconde: Livres VII à IX).


Livre I — CLIO

(en grec ancien Κλειώ / Kleiố, de κλέω / kleô, « célébrer, chanter »; fille de Zeus et de Mnémosyne (déesse de la mémoire), CLIO est la Muse de l'Histoire)

Victoire du Grand roi achéménide (en grec ancien Ἀχαιμένης / Ἀkhaiménis, du vieux-perse 𐏃𐎧𐎠𐎶𐎴𐎡𐏁 / Haxāmaniš, « homme sage, d'un esprit amical ») Cyrus II (en grec ancien Κῦρος / Kŷros, du vieux-perse 𐎤𐎢𐎽𐎢𐏁 / Kūruš) sur le roi de Lydie (en grec ancien Λυδία / Lȳdíā) Crésus (en grec ancien Κροῖσος / Kroîsos) (I, 6-94).


LXXIV
Récit de La bataille de l’Éclipse / de l’Halys (en grec ancien Ἅλυς / Halys), prédite par Thalès de Milet.


Texte grec
Μετὰ δὲ ταῦτα, οὐ γὰρ δὴ ὁ Ἀλυάττης ἐξεδίδου τοὺς Σκύθας ἐξαιτέοντι Κυαξάρῃ, πόλεμος τοῖσι Λυδοῖσι καὶ τοῖσι Μήδοισι ἐγεγόνεε ἐπ᾽ ἔτεα πέντε, ἐν τοῖσι πολλάκις μὲν οἱ Μῆδοι τοὺς Λυδοὺς ἐνίκησαν, πολλάκις δὲ οἱ Λυδοὶ τοὺς Μήδους, ἐν δὲ καὶ νυκτομαχίην τινὰ ἐποιήσαντο· [2] Διαφέρουσι δέ σφι ἐπὶ ἴσης τὸν πόλεμον τῷ ἕκτῳ ἔτεϊ συμβολῆς γενομένης συνήνεικε ὥστε τῆς μάχης συνεστεώσης τὴν ἡμέρην ἐξαπίνης νύκτα γενέσθαι. Τὴν δὲ μεταλλαγὴν ταύτην τῇ ἡμέρης Θαλῆς ὁ Μιλήσιος τοῖσι Ἴωσι προηγόρευσε ἔσεσθαι, οὖρον προθέμενος ἐνιαυτὸν τοῦτον ἐν τῷ δὴ καὶ ἐγένετο ἡ μεταβολή. [3] οἱ δὲ Λυδοί τε καὶ οἱ Μῆδοι ἐπείτε εἶδον νύκτα ἀντὶ ἡμέρης γενομένην, τῆς μάχης τε ἐπαύσαντο καὶ μᾶλλόν τι ἔσπευσαν καὶ ἀμφότεροι εἰρήνην ἑωυτοῖσι γενέσθαι. Οἱ δὲ συμβιβάσαντες αὐτοὺς ἦσαν οἵδε, Συέννεσίς τε ὁ Κίλιξ καὶ ΛαβύνητοςΒαβυλώνιος. [4] οὗτοί σφι καὶ τὸ ὅρκιον οἱ σπεύσαντες γενέσθαι ἦσαν καὶ γάμων ἐπαλλαγὴν ἐποίησαν· Ἀλυάττεα γὰρ ἔγνωσαν δοῦναι τὴν θυγατέρα Ἀρύηνιν Ἀστυάγεϊ τῷ Κυαξάρεω παιδί· ἄνευ γὰρ ἀναγκαίης ἰσχυρῆς συμβάσιες ἰσχυραὶ οὐκ ἐθέλουσι συμμένειν. [5] ὅρκια δὲ ποιέεται ταῦτα τὰ ἔθνεα τὰ πέρ τε Ἕλληνες, καὶ πρὸς τούτοισι, ἐπεὰν τοὺς βραχίονας ἐπιτάμωνται ἐς τὴν ὁμοχροίην, τὸ αἷμα ἀναλείχουσι ἀλλήλων.


Traductions
« Cyaxare (en grec ancien Κυαξάρης / Uvaxštra, du vieux-perse 𐎢𐎺𐎧𐏁𐎫𐎼 / *ʰUvaxštra-) les réclama, le roi de Sardes (en ancien grec Σάρδεις / Sardis) refusa de les livrer; une guerre s’engagea entre les Lydiens (en grec ancien Λυδός / Ludós, en vieux-perse cunéiforme 𐎿𐎱𐎼𐎭 / Sparda, du Lydien 𐤮𐤱𐤠𐤭𐤣‎ / śfard) et les Mèdes (en grec ancien Μῆδοι / Madoi, du vieux-perse cunéiforme 𐎶𐎠𐎭 / Māda; potentiellement du Proto-Iranien *mádyah, et du Proto-Indo-Européen *médʰyos, « milieu »); elle dura cinq ans, pendant lesquels les deux peuples furent tour à tour vainqueurs et vaincus. Il y eut même une sorte de bataille nocturne; ce fut en la sixième année; les succès de la lutte jusque-là se balançaient également; on était aux prises, quand, au fort du combat, soudain le jour devint nuit.1 Thalès de Milet avait annoncé aux Ioniens (en grec ancien Ἴωνες / Íōnes) ce changement et avait même fixé d’avance l’année où il arriva. Les Lydiens et les Mèdes, lorsqu'ils virent la nuit prendre la place du jour, suspendirent le combat, après quoi ils se montrèrent des deux parts plus empressés de faire la paix. Ceux qui les réconcilièrent furent Syennésis (en grec ancien Συέννεσις / Syennesis) le Cilicien (en grec ancien Κιλικία / Cilicie), et Labynète (en grec ancien Λαβύνητος / Labynetos, de l’akkadien 𒀭𒀝𒉎𒌇 / dNabû-naʾid, « Nabu est loué ») le Babylonien (en grec ancien Βαβυλών / Babylṓn, de l’akkadien 𒆍𒀭𒊏𒆠 / bābili). Tous les deux hâtèrent la conclusion du traité, d’où résulta un mariage. En effet, ils décidèrent Alyatte (en ancien grec Ἀλυάττης / Aluáttēs, du lydien 𐤥𐤠𐤩𐤥𐤤𐤯‎ / walwet) à donner sa fille Aryénis (en grec ancien Ἀρύηνις / Arúēnis) à Astyage (orthographié en grec ancien Ἀστυάγης / Astyages par Hérodote, Ἀστυϊγας / Astyigas par Ctesias, Ἀσπάδας / Aspadas par Diodore de Sicile; en babylonien Ištumegu; du vieux-mède R̥štivaigah, « menacer d’une lance »), fils de Cyaxare. Car, sans un lien puissant, les conventions n'ont aucune solidité. Les traités, chez ces nations, se contractent avec les mêmes cérémonies que chez les Grecs, si ce n'est qu'ils se font aux bras de légères incisions et sucent réciproquement le sang qui s’en échappe.
1 Le 30 septembre 610 avant J. J., dans la matinée.
Histoires d’Hérodote(Neuvième edition), Livre I - CLIO, LXXIV, traduction par Pierre Giguet, Librairie Hachette et Cie, 1913


« Depuis la guerre se mut et continua cinq ans entre les Mèdes et Lydiens, parce que Halyatte ne voulait rendre les Scythes (en grec ancien Σκύθοι / Skúthoi, du vieux-perse cunéiforme 𐎿𐎤𐎢𐎭𐎼 / Skudra, emprunté au Proto-Scythian *Skuδat, du Proto-Indo-European *(s)kewd-, « propulser, tirer ») à Cyaxare qui les demandait. Durant ces cinq ans, les Mèdes gagnèrent plusieurs fois contre les Lydiens, et semblablement les Lydiens contre les Mèdes : et fut environ ce temps-là que, à l’heure du combat, le jour fut converti en nuit. Car étant les forces pareilles d’un côté et d’autre, avint, sur la sixième année, que, comme ils combattaient, soudain le jour se tourna en noire nuit. Thalès Milésien avait prédit cette mutation aux Ioniens, et leur avait déterminé l’an qu'elle avint. Ce vu par les Mèdes et Lydiens, ils cessèrent la guerre, et furent près d’entendre au bien de paix, laquelle fut moyennée par Syennésis, roi de Cilicie, et par Labynète, roi de Babylone, qui furent diligents de les allier par mariage. Ils avisèrent que Halyatte donnerait sa fille Arianis à Astyage, fils de Cyaxare, pensant bien que, sans grande nécessité et alliance étroite, tels grands marchés ne peuvent tenir. Ces nations se gouvernent en leurs traités et contrats ainsi que font les Grecs, et davantage s’entament le bras, puis lèchent le sang les uns des autres.


« Cyaxare les redemanda. Sur son refus, la guerre s’alluma entre ces deux princes. Pendant cinq années qu'elle dura, les Mèdes et les Lydiens eurent alternativement de fréquents avantages, et la sixième il y eut une espèce de combat nocturne : car, après une fortune égale de part et d’autre, s’étant livré bataille, le jour se changea tout à coup en nuit, pendant que les deux armées en étaient aux mains. Thalès de Milet avait prédit aux Ioniens ce changement, et il en avait fixé le temps en l’année où il s’opéra. Les Lydiens et les Mèdes, voyant que la nuit avait pris la place du jour, cessèrent le combat, et n'en furent que plus empressés à faire la paix. Syennésis, roi de Cilicie, et Labynète, roi de Babylone, en furent les médiateurs; ils hâtèrent le traité, et l’assurèrent par un mariage. Persuadés que les traités ne peuvent avoir de solidité sans un puissant lien, ils engagèrent Alyattes à donner sa fille Aryénis à Astyages, fils de Cyaxare. Ces nations observent dans leurs traités les mêmes cérémonies que les Grecs; mais ils se font encore de légères incisions aux bras, et lèchent réciproquement le sang qui en découle.


LXXV
Récit de la traversée de l’Halys (en grec ancien Ἅλυς / Hálūs) par l’armée de Crésus (en grec ancien Κροῖσος / Kroîsos) grâce à Thalès de Milet.


Texte grec
Τοῦτον δὴ ὦν τὸν Ἀστυάγεα Κῦρος ἐόντα ἑωυτοῦ μητροπάτορα καταστρεψάμενος ἔσχε δι᾽ αἰτίην τὴν ἐγὼ ἐν τοῖσι ὀπίσω λόγοισι σημανέω· [2] Τὰ Κροῖσος ἐπιμεμφόμενος τῷ Κύρῳ ἔς τε τὰ χρηστήρια ἔπεμπε εἰ στρατεύηται ἐπὶ Πέρσας, καὶ δὴ καὶ ἀπικομένου χρησμοῦ κιβδήλου, ἐλπίσας πρὸς ἑωυτοῦ τὸν χρησμὸν εἶναι, ἐστρατεύετο ἐς τὴν Περσέων μοῖραν. [3] Ὡς δὲ ἀπίκετο ἐπὶ τὸν Ἅλυν ποταμὸν ὁ Κροῖσος, τὸ ἐνθεῦτεν, ὡς μὲν ἐγὼ λέγω, κατὰ τὰς ἐούσας γεφύρας διεβίβασε τὸν στρατόν, ὡς δὲ ὁ πολλὸς λόγος Ἑλλήνων, Θαλῆς οἱ ὁ Μιλήσιος διεβίβασε. [4] Ἀπορέοντος γὰρ Κροίσου ὅκως οἱ διαβήσεται τὸν ποταμὸν ὁ στρατός (οὐ γὰρ δὴ εἶναι κω τοῦτον τὸν χρόνον τὰς γεφύρας ταύτας) λέγεται παρεόντα τὸν Θαλῆν ἐν τῷ στρατοπέδῳ ποιῆσαι αὐτῷ τὸν ποταμὸν ἐξ ἀριστερῆς χειρὸς ῥέοντα τοῦ στρατοῦ καὶ ἐκ δεξιῆς ῥέειν, ποιῆσαι δὲ ὧδε· [5] Ἄνωθεν τοῦ στρατοπέδου ἀρξάμενον διώρυχα βαθέαν ὀρύσσειν, ἄγοντα μηνοειδέα, ὅκως ἂν τὸ στρατόπεδον ἱδρυμένον κατὰ νώτου λάβοι, ταύτῃ κατὰ τὴν διώρυχα ἐκτραπόμενος ἐκ τῶν ἀρχαίων ῥεέθρων, καὶ αὖτις παραμειβόμενος τὸ στρατόπεδον ἐς τὰ ἀρχαῖα ἐσβάλλοι· ὥστε ἐπείτε καὶ ἐσχίσθη τάχιστα ὁ ποταμός, ἀμφοτέρῃ διαβατὸς ἐγένετο, [6] οἳ δὲ καὶ τὸ παράπαν λέγουσι καὶ τὸ ἀρχαῖον ῥέεθρον ἀποξηρανθῆναι. Ἀλλὰ τοῦτο μὲν οὐ προσίεμαι· κῶς γὰρ ὀπίσω πορευόμενοι διέβησαν αὐτόν;


Traductions
« Cyrus (en grec ancien Κῦρος / Kŷros, du vieux-perse cunéiforme 𐎤𐎢𐎽𐎢𐏁 / ku-u-ru-u-š) renversa cet Astyage (en grec ancien Ἀστυάγης / Astyagês), qui était son grand-père maternel : je dirai plus tard pour quels motifs. Crésus (en grec ancien Κροῖσος / Kroîsos) s’armant de ce grief contre Cyrus, consulta l’oracle pour savoir s’il devait engager la guerre contre lui. Lorsqu'il eut reçu la réponse à double sens, il crut qu'elle était en sa faveur et il marcha pour entrer sur le territoire des Perses (en grec ancien Περσαι / Persai). Arrivé sur l’Halys (en grec ancien Ἅλυς / Hálūs), il fit passer le fleuve à son armée, en profitant, selon moi, des ponts existants. Selon le récit accrédité en Grèce, ce fut Thalès de Milet qui dirigea le passage : car disent-ils, les ponts n'étaient pas encore construits et Crésus était en peine de l’opérer, quand Thalès, qui se trouvait au camp, détournant le fleuve, le fit couler non plus sur le front, mais sur les derrières de l’armée. Il s’y prit de cette manière : en amont du camp, on commença par creuser un fossé profond qui en embrassa tout le contour, de sorte que les eaux, sortant à l’une des ses extrémités de leurs cours habituel, y rentrassent par l’autre; puis cette tranchée achevée, ils y firent couler le fleuve, pour qu'en se divisant, des deux parts il devînt guéable. Quelques-uns ajoutent que l’ancien lit se trouva tout à fait à sec; pour moi, je ne puis admettre ce récit, car comment, dans la retraite, les Lydiens (en grec ancien Λυδός / Ludós) auraient-ils pu passer ?
Histoires d’Hérodote(Neuvième edition), Livre I - CLIO, LXXV, traduction par Pierre Giguet, Librairie Hachette et Cie, 1913


« Cyrus donc avait défait celui Astyage, son aïeul maternel, pour cause que je toucherai ci-après en cette mienne histoire. Crésus en fut marri et envoya vers les oracles savoir si devait mener la guerre aux Perses. Entre ces oracles, un fut faux, lequel néanmoins Crésus espéra être à son avantage, et là-dessus s’achemina vers le pays des Perses avec son armée. Arrivé au fleuve Halys, il passa sur les ponts qui y étaient, et telle est mon opinion, encore que la commune renommée des Grecs tienne que Thalès de Milet donna le moyen de passer. Car on dit que, se souciant Crésus comment il passerait son armée, qui fait présupposer faute de ponts, Thalès fut là présent, qui conseilla expédient, suivant lequel le fleuve, qui coulait à gauche pour le respect de l’armée qui là séait1, coulerait aussi à droite. Et fut son invention telle. Il fit commencer une tranchée au-dessus du camp, et la fit conduire en forme de croissant, afin que l’armée l’eût à dos, et que, prenant le fleuve cours par icelle tranchée, il laissât son canal accoutumé pour environner le camp, puis retournât. Par ce moyen, le fleuve s’écoula incontinent, et fut guéable d’une part en autre. Les aucuns veulent dire que l’ancien giron2 du fleuve devint tout sec. De ma part, je ne puis accordrer à telles paroles, et je voudrais savoir le moyen de repasser au retour.
1 D’après la situation de l’armée qui campait là. — 2 Lit.


« Cyrus tenait donc prisonnier Astyages, son aïeul maternel, qu'il avait détrôné pour les raisons que j'exposerai dans la suite de cette histoire. Crésus, irrité à ce sujet contre Cyrus, avait envoyé consulter les oracles pour savoir s’il devait faire la guerre aux Perses. Il lui était venu de Delphes (en grec ancien Δελφοί / Delphoí; pluriel de δελφύς / delphús, « matrice, giron, creux, utérus »; qui a donné « cochon » (δέλφος / délphos), « dauphin, cochon de mer » (δελφίς / delphís)) une réponse ambiguë, qu'il croyait favorable, et là dessus il s’était déterminé à entrer sur les terres des Perses. Quand il fut arrivé sur les bords de l’Halys, il le fit, à ce que je crois, passer à son armée sur les ponts qu'on y voit à présent ; mais, s’il faut en croire la plupart des Grecs, Thalès de Milet lui en ouvrit le passage. Crésus, disent-ils, étant embarrassé pour faire traverser l’Halys à son armée, parce que les ponts qui sont maintenant sur cette rivière n'existaient point encore en ce temps-là, Thalès, qui était alors au camp, fit passer à la droite de l’armée le fleuve, qui coulait à la gauche. Voici de quelle manière il s’y prit. Il fit creuser, en commençant au-dessus du camp, un canal profond en forme de croissant, afin que l’armée pût l’avoir à dos dans la position où elle était. Le fleuve, ayant été détourné de l’ancien canal dans le nouveau, longea derechef l’armée, et rentra au-dessous de son ancien lit. Il ne fut pas plutôt partagé en deux bras, qu'il devint également guéable dans l’un et dans l’autre. Quelques-uns disent même que l’ancien canal fut mis entièrement sec ; mais je ne puis approuver ce sentiment. Comment en effet Crésus et les Lydiens auraient-ils pu traverser le fleuve à leur retour ?


CLXX
Récit du Bouleutérion (en grec ancien βουλευτήριον / bouleutếrion; dérivé de βουλευτής / bouleutês, « sénateur »; dérivé de βουλεύω / bouleuô, « délibérer, prendre conseil » + le suffixe -τής / -tês; dérivé de βουλή / boulế, « conseil »; dérivé du verbe βούλομαι / boúlomai, « vouloir ») à Téos (en grec ancien Τέως / Téos) et Témoignage sur l’origine phénicienne (en grec ancien Φοινίκη / Phoiníkē; dérivé de Φοῖνῐξ / Phoînix, potentiellement dérivé de l’homophone φοῖνιξ / phoînix, nom grec du « pourpre de Tyr ») de Thalès de Milet.


Texte grec
Κεκακωμένων δὲ Ἰώνων καὶ συλλεγομένων οὐδὲν ἧσσον ἐς τὸ Πανιώνιον, πυνθάνομαι γνώμην Βίαντα ἄνδρα Πριηνέα ἀποδέξασθαι Ἴωσι χρησιμωτάτην, τῇ εἰ ἐπείθοντο, παρεῖχε ἂν σφι εὐδαιμονέειν Ἑλλήνων μάλιστα· [2] Ὃς ἐκέλευε κοινῷ στόλῳ Ἴωνας ἀερθέντας πλέειν ἐς Σαρδὼ καὶ ἔπειτα πόλιν μίαν κτίζειν πάντων Ἰώνων, καὶ οὕτω ἀπαλλαχθέντας σφέας δουλοσύνης εὐδαιμονήσειν, νήσων τε ἁπασέων μεγίστην νεμομένους καὶ ἄρχοντας ἄλλων· μένουσι δέ σφι ἐν τῇ | Ἰωνίῃ οὐκ ἔφη ἐνορᾶν ἐλευθερίην ἔτι ἐσομένην. [3] Αὕτη μὲν Βίαντος τοῦ Πριηνέος γνώμη ἐπὶ διεφθαρμένοισι Ἴωσι γενομένη, χρηστὴ δὲ καὶ πρὶν ἢ διαφθαρῆναι Ἰωνίην Θάλεω ἀνδρὸς Μιλησίου ἐγένετο, τὸ ἀνέκαθεν γένος ἐόντος Φοίνικος, ὃς ἐκέλευε ἓν βουλευτήριον Ἴωνας ἐκτῆσθαι, τὸ δὲ εἶναι ἐν Τέῳ (Τέων γὰρ μέσον εἶναι Ἰωνίης), τὰς δὲ ἄλλας πόλιας οἰκεομένας μηδὲν ἧσσον νομίζεσθαι κατά περ ἐς δῆμοι εἶεν· οὗτοι μὲν δή σφι γνώμας τοιάσδε ἀπεδέξαντο.


Traductions
« Les Ioniens (en grec ancien Ἴωνες / Íōnes), réduits en servitude, ne cessèrent cependant pas de se réunir au Panionium (en grec ancien Πανιώνιον / Paniônion; de Πανιώνιος / Paniônios, « De tous les Ioniens »; de Πανίωνες / Paníônes, « tous les Ioniens » + le suffixe adjectival -ιος / -ios; de πᾶς / pâs, « tout » + Ἴων / Íôn, « Ionien »); à l’une de ces assemblées, comme je l’ai appris, Bias (en grec ancien Βίας / Bías) de Priène (en grec ancien Πριήνη / Priēnē) leur donna un conseil excellent ; s’ils l’avaient suivi, ils pouvaient devenir les plus prospères de tous les Grecs. « Équipez une seule flotte, leur dit-il, levez l’ancre, partez pour la Sardaigne (en grec ancien Σαρδώ / Sardô), fondez-y pour tous les Ioniens une seule ville, rendez-vous heureux en vous affranchissant ainsi. Car, en colonisant la plus grande des îles, vous gouvernerez toutes les autres, tandis que, si vous demeurez en Ionie (en grec ancien Ἰωνῐ́ᾱ / Iōníā), je ne vois pas que vous puissiez jamais recouvrer la liberté. » Tel fut le conseil que Bias de Priène donna aux Ioniens, après leurs désastres. Celui de Thalès de Milet, qui avait précédé la ruine de l’Ionie, n'était pas moins salutaire. Thalès, par ses ancêtres d’origine phénicienne (en grec ancien Φοινίκη / Phoiníkē), fut d’avis qu'ils devaient instituer une assemblée unique, la placer à Téos (car Téos est située au centre de la contrée) et laisser néanmoins les autres villes se gouverner, comme si elles étaient des États isolés. tels furent les deux conseils qui furent donnés aux Ioniens.
Histoires d’Hérodote(Neuvième edition), Livre I - CLIO, CLXX, traduction par Pierre Giguet, Librairie Hachette et Cie, 1913


« Depuis, voyant la grandeur de leurs calamités, non-obstant qu'ils se fussent donnés aux Perses, ils s’assemblèrent au Panionion : et comme j'entends, Brias de Priénéee donna conseil fort profitable pour les Ioniens, auquel s’ils eussent prêté l’oreille, il leur baillait expédient pour être les plus heureux de tous les Grecs. Il leur conseillait naviguer de compagnie en la Sardaigne, et là bâtir une ville commune à tous les Ioniens : en quoi faisant, ils jetteraient servitude et se rendraient heureux, attendu qu'ils posséderaient une des plus grandes îles du monde, et domineraient sur les autres. Au contraire, s’ils demeuraient en Ionie, il disait qu'il n'apercevait moyen par lequel ils pussent jamais regagner liberté. Tel fut le conseil de Brias de Priénée, après que les Ioniens étaient jà défaits et réduits en servitude. Thalès Milésien bailla pareillement une opinion, laquelle, avant la ruine des Ioniens, eût été fort bonne. Lui, qui était descendu d’une ancienne race des Phéniciens, opina que les Ioniens devaient avoir maison de conseil, et la devaient construire en Téos comme au milieu de Ionie : voulait néanmoins que les autres villes fussent estimées pour ligues et cantons de même autorité que Téos. Ces deux personnages donc baillèrent ce conseil.


« Quoique accablés de maux, les Ioniens ne s’en assemblaient pas moins au Panionium. Bias de Priène leur donna, comme je l’ai appris, un conseil très avantageux, qui les eût rendus les plus heureux de tous les Grecs, s’ils eussent voulu le suivre. Il les exhorta à s’embarquer tous ensemble sur une même flotte, à se rendre en Sardaigne, et à y fonder une seule ville pour tous les Ioniens. Il leur fit voir que, par ce moyen, ils sortiraient d’esclavage, qu'ils s’enrichiraient, et qu'habitant la plus grande de toutes les îles, les autres tomberaient en leur puissance; au lieu que, s’ils restaient en Ionie, il ne voyait pour eux aucune espérance de recouvrer leur liberté. Tel fut le conseil que donna Bias aux Ioniens, après qu'ils eurent été réduits en esclavage ; mais, avant que leur pays eût été subjugué, Thalès de Milet, dont les ancêtres étaient originaires de Phénicie, leur en donna aussi un qui était excellent. Ce fut d’établir à Téos, au centre de l’Ionie, un conseil général pour toute la nation, sans préjudicier au gouvernement des autres villes, qui n'en auraient pas moins suivi leurs usages particuliers que si elles eussent été autant de cantons différents.

Livre II — EUTERPE

(en grec ancien Εὐτέρπη / Eutérpê, « qui sait plaire »; de εὖ- / eũ-, « bien » + de τέρπω / térpô, « plaire »; EUTERPE est la muse qui présidait à la Musique.)

Conquête de l' Égypte (en grec ancien Αἴγυπτος / Aíguptos, de l’égyptien ancien 𓉗𓏏𓉐𓂓𓏤𓊪𓏏𓎛 / Ḥwt kȝ Ptḥ, « Temple de l’âme/ka de Ptah ») par Cambyse II (en grec ancien Καμϐύσης / Kambysês; du vieux perse 𐎣𐎲𐎢𐎪𐎡𐎹 / k-b-u-ji-i-y), fils de Cyrus.


XX
Réfutation d’Hérodote d’une théorie supposée de Thalès de Milet sur la crue du Nil (en grec ancien Νεῖλος / Neῖlos ; transcription déformée de l’égyptien Na-eiore, pluriel de eior désignant le delta, et signifiant « rivière, cour d’eau »).
M17X1
D21
G43N35AN36
N21 Z1


Texte grec
Ἀλλὰ Ἑλλῄνων μὲν τινὲς ἐπίσημοι βουλόμενοι γενέσθαι σοφίην ἔλεξαν περὶ τοῦ ὕδατος τούτου τριφασίας ὁδούς· τῶν τὰς μὲν δύο τῶν ὁδῶν οὐδ᾽ ἀξιῶ μνησθῆναι εἰ μὴ ὅσον σημῆναι βουλόμενος μοῦνον· [2] Τῶν ἡ ἑτέρη μὲν λέγει τοὺς ἐτησίας ἀνέμους εἶναι αἰτίους πληθύειν τὸν ποταμόν, κωλύοντας ἐς θάλασσαν ἐκρέειν τὸν Νεῖλον. Πολλάκις δὲ ἐτησίαι μὲν οὔκων ἔπνευσαν, ὁ δὲ Νεῖλος τὠυτὸ ἐργάζεται. [3] Πρὸς δέ, εἰ ἐτησίαι αἴτιοι ἦσαν, χρῆν καὶ τοὺς ἄλλους ποταμούς, ὅσοι τοῖσι ἐτησίῃσι ἀντίοι ῥέουσι, ὁμοίως πάσχειν καὶ κατὰ τὰ αὐτὰ τῷ Νείλῳ, καὶ μᾶλλον ἔτι τοσούτῳ ὅσῳ ἐλάσσονες ἐόντες ἀσθενέστερα τὰ ῥεύματα παρέχονται. Εἰσὶ δὲ πολλοὶ μὲν ἐν τῇ Συρίῃ ποταμοὶ πολλοὶ δὲ ἐν τῇ Λιβύῃ, οἳ οὐδὲν τοιοῦτο πάσχουσι οἷόν τι καὶ ὁ Νεῖλος.
Herodotus, With an English Translation by A. D. Godley, Book II. EUTERPE. XX., texte établi par [w:en:A._D._Godley|A. D. Godley], Cambridge, 1920


Traductions
« Quelques Grecs, ambitieux de se signaler par leur sagesse, ont expliqué ce mouvement des eaux de trois manières dont deux ne mériteraient pas que j'en fisse mention, si je voulais faire plus que les indiquer. Selon l’une de ces solutions1, les vents étésiens* seraient cause du gonflement du fleuve en empêchant les eaux de s’écouler dans la mer. Or, souvent les étésiens ne soufflent pas et le Nil (en grec ancien Νεῖλος / Neῖlos) ne déborde pas moins ; outre cela, si les étésiens avaient cette puissance, les autres fleuves contre lesquels ils soufflent devraient en éprouver les mêmes effets que le Nil, et avec d’autant plus de raison qu'ils sont moindres et qu'ils ont des courantsplus faibles. Cependant, il y a beaucoup de fleuves en Syrie (en grec ancien Συρία / Suría; de Σῠ́ρος / Súros +‎ -ῐ́ᾱ / -íā; de l’akkadien 𒀭𒊬 / Aššur) et beaucoup en Libye (en grec ancien Λιβύη / Libúē; de Λῐ́βῠς / Líbus +‎ -η / -ē, suffixe formant un verbe d’action; de Libu, une tribu du Nord de l’Afrique) qui en aucune façon ne se comportent comme le Nil.
1 Celle de Thalès.
Histoires d’Hérodote(Neuvième edition), Livre II — EUTERPE, XX, traduction par Pierre Giguet, Librairie Hachette et Cie, 1913
* en grec ancien μελτέμι / meltémi, du turc ottoman ملتم‎ / meltem, « un vent fort, sec, du nord et saisonnier dans la mer Égée; vent étésien »; ou en grec ancien ἐτήσιος / etēsios, « annuel, qualifie le vent qui souffle du Nord en Méditerranée orientale l’été  »; de ἔτος / étos, « année »; du Proto-Indo-Européen *u̯et-, « année ».


« Certains grands personnages de la Grèce qui se cuident1 la sagesse même assignent trois causes de ce débord, dont je n'estime les deux dignes d’être récitées; seulement je les veux bien conter ici. En l’une2, ils disent que les vents étésies sont cause que le fleuve s’enfle, parce qu'ils l’empêchent de se décharger en la mer. Mais je leur réponds que souvent les étésies ne soufflent en sorte qui soit, et néanmoins le fleuve ne laisse à faire son accoutumé. Davantage, si les étésies étaient cause de ce débord, il faudrait que le pareil avînt aux autres fleuves, voire beaucoup plus, d’autant qu'ils sont moindres, et ont leurs cours plus faibles et plus lents que le Nil; et on sait assez que plusieurs fleuves sont en Syrie et AfriqueI qui ne soufflent rien tel que le Nil.
1 Croient. — 2 C'est l’opinion de Thalès. Diodore de Sicile, liv. I, 38, la réfute par les mêmes raisons qu' Hérodote.


I Du latin Āfrica, de Āfrī, singulier Āfer (habitant du pays de Carthage), à son tour soit :
  • du punique ou du phénicien 𐤏𐤐𐤓 / ʿpr (/ʿafar/), « poussière ».
  • du berbère ifri, « caverne »; pluriel ifran, en référence aux habitants des cavernes de Tunisie.
  • du grec ancien ἀ- / a-, préfixe privatif, aussi appelé alpha privatif (en grec ancien ἄλφα στερητικόν / álpha sterētikón) + φρίκη / phríkē, « frisson »; signifiant donc « sans froid/frisson ».
  • du latin aprica, « ensoleillé ».


« Cependant il s’est trouvé des gens chez les Grecs qui, pour se faire un nom par leur savoir, ont entrepris d’expliquer le débordement de ce fleuve. Des trois opinions qui les ont partagés, il y en a deux que je ne juge pas même dignes d’être rapportées ; aussi ne ferai-je que les indiquer. Suivant la première, ce sont les vents étésiens qui, repolissait de leur souffle les eaux du Nil, et les empêchant de se porter à la mer, occasionnent la crue de ce fleuve ; mais il arrive souvent que ces vents n'ont point encore soufflé, et cependant le Nil n'en grossit pas moins. Bien plus, si les vents étésiens étaient la cause de l’inondation, il faudrait aussi que tous les autres fleuves dont le cours est opposé à ces vents éprouvassent la même chose que le Nil, et cela d’autant plus qu'ils sont plus petits et moins rapides : or, il y a en Syrie et en Libye beaucoup de rivières qui ne sont point sujettes à des débordements tels que ceux du Nil.
CIX
Récit de l’apport (supposemment implicite) de la Géométrie (en grec ancien γεωμετρία / geōmetría, « géométrie, arpentage »; de γεωμέτρης / geōmétrēs, « arpenteur »; de γῆ / gê, « terre, terrain, pays » + -μετρία / -metría, « mesure »; de μέτρον / métron, « une mesure ») en Grèce depuis l’Égypte par Thalès.


Texte grec
Κατανεῖμαι δὲ τὴν χώρην Αἰγυπτίοισι ἅπασι τοῦτον ἔλεγον τὸν βασιλέα, κλῆρον ἴσον ἑκάστῳ τετράγωνον διδόντα, καὶ ἀπὸ τούτου τὰς προσόδους ποιήσασθαι, ἐπιτάξαντα ἀποφορὴν ἐπιτελέειν κατ᾽ ἐνιαυτόν. [2] Εἰ δὲ τινὸς τοῦ κλήρου ὁ ποταμός τι παρέλοιτο, ἐλθὼν ἂν πρὸς αὐτὸν ἐσήμαινε τὸ γεγενημένον· ὁ δὲ ἔπεμπε τοὺς ἐπισκεψομένους καὶ ἀναμετρήσοντας ὅσῳ ἐλάσσων ὁ χῶρος γέγονε, ὅκως τοῦ λοιποῦ κατὰ λόγον τῆς τεταγμένης ἀποφορῆς τελέοι. [3] Δοκέει δέ μοι ἐνθεῦτεν γεωμετρίη εὑρεθεῖσα ἐς τὴν Ἑλλάδα ἐπανελθεῖν· πόλον μὲν γὰρ καὶ γνώμονα καὶ τὰ δυώδεκα μέρεα τῆς ἡμέρης παρὰ Βαβυλωνίων ἔμαθον οἱ Ἕλληνες.


Traductions
« Les prêtres m'ont dit encore que ce roi] (en grec ancien βᾰσῐλεύς / basileús) partagea la contrée entre tous les Égyptiens, donnant à chacun un égal (en grec ancien ῐ̓́σος / ísos) carré (en grec ancien τετράγωνο / tetrágono; de τετρα- / tetra-, « quatre » + γωνία / gōnía, « coin, angle ») de terre ; qu'il établit en conséquence ses revenus, fixant la redevance à payer par chacun annuellement. Si le fleuve venait à emporter quelque partie de l’héritage d’un habitant, celui-ci allait trouver le roi et lui déclarait ce qui était advenu. Sésostris (en grec ancien Σέσωστρις / Sésostris) alors envoyait des inspecteurs pour mesurer de combien le champ était diminué, afin que l’impôt fût réduit, et perçu en proportion de ce qu'il en restait. Il me semble que la géométrie fut inventée à cette occasion, et qu'elle passa d’Égypte en Grèce. Quand au cadran solaire (en grec ancien σκιοθηρικὸν / skiothirikὸn ou σκιακὸν ὡρολόγιον / skiakὸn ὡrolóyion), au gnomon (en grec ancien γνώμων / gnōmōn « indicateur, instrument de connaissance ») et aux douzes divisions du jour, les Grecs les ont reçus des Babyloniens.
Histoires d’Hérodote(Neuvième edition), Livre II — EUTERPE, CIX, traduction par Pierre Giguet, Librairie Hachette et Cie, 1913


« Outre, disaient les prêtres, que ledit roi Sésostris avait départi l’Égypte à tous les Égyptiens, baillant à chacun son partage en carré, à la charge d’en payer par chacun an rentes et censives1; mais avenant que la rivière gagnât sur la portion de quelqu'un, cestui devait avoir recours vers le roi, et faire entendre sa perte. Adonc étaient envoyés commissaires pour visiter les lieux et mesurer la diminution, afin que le tenancier ne payât dorénavant qu'au prorata2. Par cet acensement, comme je pense, fut inventée géométrie, et de là a été apportée en Grèce : car, quant est de l’élévation du pôle, de l’usage du quadrant et de la division du jour en douze parts, les Grecs ont appris les trois des Babyloniens.
1 Redevances annuelles. — 2 En proportion de ce qui restait.


« Les prêtres me dirent encore que ce même roi fit le partage des terres, assignant à chaque Égyptien une portion égale de terre, et carrée, qu'on tirait au sort ; à la charge néanmoins de lui payer tous les ans une certaine redevance, qui composait son revenu. Si le fleuve enlevait à quelqu'un une partie de sa portion, il allait trouver le roi, et lui exposait ce qui était arrivé. Ce prince envoyait sur les lieux des arpenteurs pour voir de combien l’héritage était diminué, afin de ne faire payer la redevance qu'à proportion du fonds qui restait. Voilà, je crois, l’origine de la géométrie, qui a passé de ce pays en Grèce1. A l’égard du gnomon du pôle, ou cadran solaire, et de la division du jour en douze parties, les Grecs les tiennent des Babyloniens.
1 Pamphile raconte que Thalès de Milet apprit la géométrie des Égyptiens et qu'il en apporta la connaissance en Grèce. (Diogène Laërce, liv. 1.).

Platon (-428/-427 🏺, Athènes-348/-347 🏺, Athènes)

(en grec ancien Πλάτων / Plátôn; de l'adjectif πλατύς / platús, « large »)

Philosophe antique de la Grèce classique, contemporain de la démocratie (en grec ancien δῆμος / dêmos, « le peuple »; de δαίομαι / daíomai, « distribuer, répartir » + le suffixe nominal sur une base verbale -μος / -mos, + κράτος / krátos, « la puissance, le pouvoir ») athénienne (du grec ancien Ἀθῆναι / Athễnai) et des sophistes (du grec ancien σοφιστής / sophistès, « spécialiste du savoir », de σοφίζω / sophízô, « être savant » + -τής / -tḗs, suffixe permettant de créer d’un adjectif le nom de la qualité correspondante), virulent critique de ces derniers et enseignant à l'Académie (en grec ancien Ἀκᾰδημῐ́ᾱ / Akadēmíā; de Ἀκάδημος / Akádēmos ou de Ἑκάδημος / Hekádēmos, un héro athénien propriétaire du site à l'origine + -ία / -ía; On dit que le nom signifie « quartier silencieux »; de ἀκή / akḗ, « silence » + δῆμος / dêmos, « district, quartier »).


Période de jeunesse (-399/-390) 🏺

Il n'y a aucun accord des spécialistes sur la périodisation des dialogues de Platon, aucun critère n'apparaissant suffisamment probant, et les classifications sont ainsi toutes plus ou moins spéculatives. Une manière de détailler cette succession (mais non la périodisation) est proposée par Luc Brisson (directeur de recherche au Centre Jean Pépin du CNRS, et considéré comme l’un des meilleurs spécialistes contemporains de Platon).


Protagoras

(en grec ancien Πρωταγόρας / Prōtagóras; du préfixe πρωτο- / prōto-, « premier » +‎ ἀγορᾱ́ / agorā́, « assemblée »; penseur présocratique et enseignant du ve siècle avant notre ère)

Dialogue entre Socrate et le sophiste Protagoras, sur la question de la vertu ou de l’excellence, en s’attachant à définir les parties qui la composent, mais aussi à déterminer si elle peut s’enseigner ou non.


Texte grec

Τοῦτο οὖν αὐτὸ καὶ τῶν νῦν εἰσὶν οἳ κατανενοήκασι καὶ τῶν πάλαι, ὅτι τὸ λακωνίζειν πολὺ μᾶλλόν ἐστιν φιλοσοφεῖν (« aimer la sagesse »)φιλογυμναστεῖν (« aimer la gymnastique »), εἰδότες ὅτι τοιαῦτα οἷόν τ' εἶναι ῥήματα φθέγγεσθαι [343a] τελέως πεπαιδευμένου ἐστὶν ἀνθρώπου. Τούτων ἦν καὶ Θαλῆς ὁ Μιλήσιος καὶ Πιττακὸς ὁ Μυτιληναῖος καὶ Βίας ὁ Πριηνεὺς καὶ Σόλων ὁ ἡμέτερος καὶ Κλεόβουλος ὁ Λίνδιος καὶ Μύσων ὁ Χηνεύς, καὶ ἕβδομος ἐν τούτοις ἐλέγετο Λακεδαιμόνιος Χίλων. Οὗτοι πάντες ζηλωταὶ καὶ ἐρασταὶ καὶ μαθηταὶ ἦσαν τῆς Λακεδαιμονίων παιδείας, καὶ καταμάθοι ἄν τις αὐτῶν τὴν σοφίαν τοιαύτην οὖσαν, ῥήματα βραχέα ἀξιομνημόνευτα ἑκάστῳ εἰρημένα· οὗτοι καὶ κοινῇ συνελθόντες [343b] ἀπαρχὴν τῆς σοφίας ἀνέθεσαν τῷ Ἀπόλλωνι εἰς τὸν νεὼν τὸν ἐν Δελφοῖς, γράψαντες ταῦτα ἃ δὴ πάντες ὑμνοῦσιν, γνῶθι σεαυτόν [Connais-toi toi-même, devise de Chilon de Sparte] καὶ μηδὲν ἄγαν [Rien de trop, devise de Solon d'Athènes].

Œuvres de Platon, Tome Troisième, Protagoras, 343a, textes établis par Victor Cousin, Bossange Frères, 1824


Traductions
(en grec ancien Σωκρᾰ́της / Sōkrátēs; de σῶς / sôs, « sain et sauf » +‎ κράτος / krátos, « la puissance, le pouvoir » +‎ le suffixe adjectival -ης / -ēs)

« Beaucoup d’observateurs, dans le passé comme de nos jours, ont compris que laconiser (en grec ancien Λᾰκωνῐκός / Lakōnikós, « Laconien, de Laconie ») consistait bien moins à cultiver la gymnastique (en grec ancien γυμναστικός / gumnastikós, « gymnastique, d'exercice physique »; de γυμναστής / gumnastês, « entraineur d'athlètes » + le suffixe adjectival -ικός / -ikós; de γυμνάζω / gumnazô, « entrainer » + le suffixe nominatif -τής / -tês; de γυμνός / gumnós, « nu » + le suffixe verbal -άζω / -ázô) que la philosophie (en grec ancien φιλοσοφία / philosophía, « état de celui qui est philosophe »), se rendant compte que prononcer des mots de cette sorte ne pouvait être que le fait d’un homme parfaitement élevé. De ce nombre furent Thalès de Milet, Pittacos de Mitylène, Bias de Priène, notre Solon, Cléobule de Lindos, Myson de Chénée, et un septième, dit-on, Chilon de Lacédémone. Tous ces hommes furent des admirateurs passionnés et des disciples de l’ éducation (en grec ancien παιδείᾱ / paideíā; de παιδεύω / paideúō, « élever un enfant » +‎ le suffixe adjectival -ίᾱ / -íā; de παῖς / paîs, « enfant ») lacédémonienne (en grec ancien Λακεδαίμων / Lakedaímôn); et ce qui prouve bien que leur science était de même sorte, ce sont les mots brefs et mémorables prononcés par chacun d’eux lorsque, s’étant réunis à Delphes (en grec ancien Δελφοί / Delphoí), ils voulurent offrir à Apollon (en grec ancien Ἀπόλλων / Apóllôn), dans son temple, les prémices de leur sagesse, et qu’ils lui consacrèrent les inscriptions que tout le monde répète, « Connais-toi toi-même » [Γνῶθι σεαυτόν, devise de Chilon de Sparte] et « Rien de trop » [Μηδὲν ἄγαν, devise de Solon d'Athènes].

Œuvres complètes de Platon, tome III, 1re partie, p. 20-86, Protagoras, 343a, traduction par Alfred Croiset, texte établi par Alfred Croiset et Louis Bodin, Les Belles Lettres, 1923



« Aussi a-t-on remarqué de nos jours, comme certains l’avaient déjà fait autrefois, que l’institution lacédémonienne repose beaucoup plus sur le goût de la philosophie que sur le goût de la gymnastique, parce que le talent de trouver des traits pareils n’appartient qu’à des gens d’une éducation parfaite. De ce nombre étaient Thalès de Milet, Pittacos de Mytilène, Bias de Priène, notre Solon, Cléobule de Lindos, Mison de Khéné et Chilon de Lacédémone qui passait pour être le septième de ces sages. Tous furent des émules, des partisans et des sectateurs de l’éducation lacédémonienne, et il est facile de voir que leur sagesse ressemblait à celle des Lacédémoniens par les sentences concises et dignes de mémoire attribuées à chacun d’eux. Ces sages s’étant rassemblés offrirent en commun à Apollon les prémices de leur sagesse et firent graver sur le temple de Delphes ces maximes qui sont dans toutes les bouches Connais-toi toi-même [Γνῶθι σεαυτόν, devise de Chilon de Sparte] et Rien de trop [Μηδὲν ἄγαν, devise de Solon d'Athènes].

Œuvres de Platon, Ion, Lysis, Protagoras, Phedre, Le Banquet, Protagoras, traduites en français par Émile Chambry, Garnier frères, 1919.



« Aussi a-t-on remarqué de nos jours, comme déjà anciennement, que l’institution lacédémonienne consiste beaucoup plus dans l’étude de la sagesse que dans les exercices de la gymnastique ; car il est évident que le talent de prononcer de pareilles sentences suppose en ceux qui le possèdent une éducation parfaite. De ce nombre ont été Thalès de Milet, Pittacus de Mitylène, Bias de Priène, notre Solon, Cléobule de Lindos, Myson de Chêne, et Chilon de Lacédémone, que l’on compte pour le septième de ces sages. Tous ces personnages ont admiré, aimé et cultivé l’éducation lacédémonienne ; et il est aisé de connaître que leur sagesse a été du même genre que celles des Spartiates, par les sentences courtes et dignes d’être retenues, qu’on attribue à chacun d’eux. Un jour s’étant rassemblés, ils consacrèrent les prémices de leur sagesse à Apollon, dans son temple de Delphes, y gravant ces maximes qui sont dans la bouche de tout le monde : Connais-toi toi-même [Γνῶθι σεαυτόν, devise de Chilon de Sparte], et rien de trop [Μηδὲν ἄγαν, devise de Solon d'Athènes].

Œuvres de Platon, Tome Troisième, Protagoras, 343a, traduites par Victor Cousin, Bossange Frères, 1824


Période de maturité (-385 🏺/-370 🏺)

La République

(en grec ancien Περὶ πολιτείας / Perì politeías, « à propos de l'État / de la Cité » ou Πολιτεία / politeía, « la constitution »)

Dialogue de Platon portant principalement sur la justice dans l'individu et dans la Cité.


Texte grec

Ἀλλὰ δή τις πόλεμος ἐπὶ ῾Ομήρου ὑπ’ ἐκείνου ἄρχοντος ἢ συμβουλεύοντος εὖ πολεμηθεὶς μνημονεύεται;



Οὐδείς.


Σωκράτης

Ἀλλ’ οἷα δὴ εἰς τὰ ἔργα σοφοῦ ἀνδρὸς πολλαὶ ἐπίνοιαι καὶ εὐμήχανοι εἰς τέχνας ἤ τινας ἄλλας πράξεις λέγονται, ὥσπερ αὖ Θάλεώ τε πέρι τοῦ Μιλησίου καὶ Ἀναχάρσιος τοῦ Σκύθου;


Γλαύκων

Οὐδαμῶς τοιοῦτον οὐδέν.


Œuvres de Platon, Tome Dixième, La République, Livre X, 600a, textes établis par Victor Cousin, 1834


Traductions

« Mais quelle guerre mentionne-t-on, à l'époque d'Homère, qui ait été bien conduite par lui, ou par ses conseils ?


Glaucon d'Athènes
(en grec ancien Γλαύκων / Glaúkōn; de γλαυκώψ / glaukops, « aux yeux pers/bleu-vert »; de γλαυκός / glaukós, « bleu-vert » + ὄψ / óps, « œil »; philosophe et musicien, élève de Socrate)

« Aucune.


Socrate

« Cite-t-on alors de lui, comme d'un homme habile dans la pratique, plusieurs inventions ingénieuses concernant les arts ou les autres formes de l'activité, ainsi qu'on le fait de Thalès de Milet et d'Anacharsis le Scythe1 ?


Glaucon d'Athènes

« Non, on ne cite rien de tel.


1 Sur les inventions de Thalès voy. Zeller, Phil. der Griech., I, p. 183, n. 2. Certains auteurs attribuent à Anacharsis l'invention de l'ancre et de la roue de potier. - Note d'Adam.

Platon. La République, Texte intégral, Livre X, 600a, traduit par Robert Baccou, Garnier frères, 1936



Socrate

« Mais quelle guerre mentionne-t-on qui, du temps d’Homère, 600 et sous sa direction ou avec la contribution de ses conseils, aurait été bien menée ?


Glaucon d'Athènes

« Aucune.


Socrate

« Mais pour ce qui est des œuvres de l’habileté humaine, y a-t-il des idées nombreuses et inventives dans les arts, ou dans certaines autres pratiques, qui lui soient attribuées, comme il y en a qui sont attribuées à Thalès de Milet ou au Scythe Anacharsis ?


Glaucon d'Athènes

« Absolument rien de tel.


Platon. Œuvres Complètes. Tome X. La République., Livre X, traduit par Émile Chambry, Librairie Garnier Frères, 1934



Socrate

« Fait-on mention de quelque guerre heureusement conduite par Homère lui-même ou par ses conseils ?


Glaucon d'Athènes

« Nullement.


Socrate

« Ou bien encore, ce qu'aurait dû faire un homme habile, s'est-il signalé par beaucoup d'inventions utiles dans les arts ou autres métiers, comme on le dit de Thalès de Milet, et du Scythe Anacharsis1 ?


Glaucon d'Athènes

« On ne raconte de lui rien de semblable.


1 Voyez sur Thalès de Milet, Hérodote, I ; Aristote, Polit., I, 2 ; et Diogène de Laërce, 1, 24 et sqq.; sur Anacharsis, Diogène de Laërce, I, 105.

Œuvres de Platon, Tome Dixième, La République, 600a, traduction par Victor Cousin, Rey et Gravier, Librairies, 1834
(également disponible ici et )

Période d’auto-critique (-370 🏺/-358 🏺)

Théétète

(en grec ancien Θεαίτητος / Theaítētos; de θεός / theós « dieu », du Proto-Indo-Européen *dʰ(e)h₁s- « souffle, esprit », +‎ αἰτητός / aitētós « demandé, requis »; Théétète est un mathématicien grec dont l'œuvre nous est transmise par Platon, son condisciple auprès de Socrate)

Dialogue de Platon sur la science et sa définition.


Texte grec

Ὥσπερ καὶ Θαλῆν ἀστρονομοῦντα, ὦ Θεόδωρε, καὶ ἄνω βλέποντα, πεσόντα εἰς φρέαρ, Θρᾷττά τις ἐμμελὴς καὶ χαρίεσσα θεραπαινὶς ἀποσκῶψαι λέγεται ὡς τὰ μὲν ἐν οὐρανῷ προθυμοῖτο εἰδέναι, τὰ δ' ἔμπροσθεν αὐτοῦ καὶ παρὰ πόδας λανθάνοι αὐτόνν.

Œuvres de Platon, Tome Deuxième, Théétète, 174a, textes établis par Victor Cousin, Bossange Frères, 1824


Traductions
Socrate

« L’exemple de Thalès te le fera comprendre, Théodore (en grec ancien Θεόδωρος ὁ Κυρηναῖος / Theódoros ὁ Kirinaῖos; de θεός / theós, « dieu » +‎ δῶρον / dôron, « don, présent »). Il observait les astres et, comme il avait les yeux au ciel (en grec ancien οὐρᾰνός / ouranós), il tomba dans un puits (en grec ancien φρέᾱρ / phréār, « puits artificiel, réservoir, citerne »). Une servante de Thrace (en grec ancien Θρᾷσσᾰ / ThrâissaΘρᾴκη, « une Thrace »; de la base de θράσσω / thrássō, « troubler, remuer »), fine et spirituelle, le railla, dit-on, en disant qu’il s’évertuait à savoir ce qui se passait dans le ciel, et qu’il ne prenait pas garde à ce qui était devant lui et à ses pieds (en grec ancien πούς / poús, « jambes, pieds », unité de mesure).



« On raconte de Thalès, Théodore, que tout occupé de l’ astronomie (en grec ancien ἀστρονομία / astronomía; de ἄστρον / ástron, « astre, constellation, étoile » +‎ νόμος / nómos, « loi, usage, coutume ») et regardant en haut, il tomba dans un puits, et qu’une servante de Thrace, d’un esprit agréable et facétieux, se moqua de lui, disant qu’il voulait savoir ce qui se passait au ciel, et qu’il ne voyait pas ce qui était devant lui et à ses pieds.

Œuvres de Platon, Tome Deuxième, Théétète, 174a, traduction par Victor Cousin, Bossange Frères, 1824
(également disponible ici)

Aristote (-384, à Stagire-322, à Chalcis) 🏺

(en grec ancien Ἀριστοτέλης / Aristotélēs; du superlatif ἄριστος / áristos, « le meilleur/plus » + τέλος / télos, « achèvement, réalisation, accomplissement » +‎ -ης / -ēs)

Philosophe antique de la Grèce classique, polymathe, disciple de Platon et enseignant à l'Académie (en grec ancien Ἀκᾰδημῐ́ᾱ / Akadēmíā).


Politique

(en grec ancien Πολιτικά / Politiká; de πολίτης / polítēs, « citoyen » + le suffixe adjectival -ικός / -ikós; de πόλις / pólis, « cité » + le suffixe formant les personnes -ίτης, -ítês; du Proto-Indo-Européen *pelH-, « remplir »)

Ouvrage en huit livres dans lequel le philosophe grec s'attache à étudier les diverses questions que pose la vie d'une cité-État (en grec, πόλις / pólis).


Livre I

Discussion sur la cité ou la « communauté politique » (en grec ancien κοινωνία πολιτικη / koinōnia politikē) par opposition à d'autres types de communautés et de partenariats tels que le « ménage, train de maison » (en grec ancien οἶκος / oîkos) et le village.


Texte grec

§ 5. Πάντα γὰρ ὠφέλιμα ταῦτ' ἐστὶ τοῖς τιμῶσι τὴν χρηματιστικήν, οἷον καὶ τὸ Θάλεω τοῦ Μιλησίου· τοῦτο γάρ ἐστι κατανόημά τι χρηματιστικόν, ἀλλ' ἐκείνῳ μὲν διὰ τὴν σοφίαν προσάπτουσι, τυγχάνει δὲ καθόλου τι ὄν. Ὀνειδιζόντων γὰρ αὐτῷ διὰ τὴν πενίαν ὡς ἀνωφελοῦς τῆς φιλοσοφίας οὔσης, κατανοήσαντά φασιν αὐτὸν ἐλαιῶν φορὰν ἐσομένην ἐκ τῆς ἀστρολογίας, ἔτι χειμῶνος ὄντος εὐπορήσαντα χρημάτων ὀλίγων ἀρραβῶνας διαδοῦναι τῶν ἐλαιουργίων τῶν τ' ἐν Μιλήτῳ (datif singulier) καὶ Χίῳ (datif singulier) πάντων, ὀλίγου μισθωσάμενον ἅτ' οὐθενὸς ἐπιβάλλοντος· ἐπειδὴ δ' ὁ καιρὸς ἧκε, πολλῶν ζητουμένων ἅμα καὶ ἐξαίφνης, ἐκμισθοῦντα ὃν τρόπον ἠβούλετο, πολλὰ χρήματα συλλέξαντα ἐπιδεῖξαι ὅτι ῥᾴδιόν ἐστι πλουτεῖν τοῖς φιλοσόφοις, ἂν βούλωνται, ἀλλ' οὐ τοῦτ' ἐστὶ περὶ ὃ σπουδάζουσιν.

§ 6. Θαλῆς μὲν οὖν λέγεται τοῦτον τὸν τρόπον ἐπίδειξιν ποιήσασθαι τῆς σοφίας· ἔστι δ', ὥσπερ εἴπομεν, καθόλου τὸ τοιοῦτον χρηματιστικόν, ἐάν τις δύνηται μονοπωλίαν αὑτῷ κατασκευάζειν. Διὸ καὶ τῶν πόλεων ἔνιαι τοῦτον ποιοῦνται τὸν πόρον, ὅταν ἀπορῶσι χρημάτων· μονοπωλίαν γὰρ τῶν ὠνίων ποιοῦσιν.

§ 7. Ἐν Σικελίᾳ δέ τις τεθέντος παρ' αὐτῷ νομίσματος συνεπρίατο πάντα τὸν σίδηρον ἐκ τῶν σιδηρείων, μετὰ δὲ ταῦτα ὡς ἀφίκοντο ἐκ τῶν ἐμπορίων οἱ ἔμποροι, ἐπώλει μόνος, οὐ πολλὴν ποιήσας ὑπερβολὴν τῆς τιμῆς· ἀλλ' ὅμως ἐπὶ τοῖς πεντήκοντα ταλάντοις ἐπέλαβεν ἑκατόν.

§ 8. Τοῦτο μὲν οὖν Διονύσιος αἰσθόμενος τὰ μὲν χρήματα ἐκέλευσεν ἐκκομίσασθαι, μὴ μέντοι γε ἔτι μένειν ἐν Συρακούσαις, ὡς πόρους εὑρίσκοντα τοῖς αὑτοῦ πράγμασιν ἀσυμφόρους· τὸ μέντοι ὅραμα Θάλεω καὶ τοῦτο ταὐτόν ἐστιν· ἀμφότεροι γὰρ ἑαυτοῖς ἐτέχνασαν γενέσθαι μονοπωλίαν. Χρήσιμον δὲ γνωρίζειν ταῦτα καὶ τοῖς πολιτικοῖς. Πολλαῖς γὰρ πόλεσι δεῖ χρηματισμοῦ καὶ τοιούτων πόρων, ὥσπερ οἰκίᾳ, μᾶλλον δέ· διόπερ τινὲς καὶ πολιτεύονται τῶν πολιτευομένων ταῦτα μόνον.

Politique d'Aristote, Livre I. Chapitre IV. 1259a. §§ 5-8., texte collationné sur les manuscrits et les éditions principales par J. Barthélemy-Saint-Hilaire, Librairie Philosophique de Ladrange, 1874


Traductions

§ 5. Je citerai ce qu'on raconte de Thalès de Milet ; c'est une spéculation lucrative, dont on lui a fait particulièrement honneur, sans doute à cause de sa sagesse, mais dont tout le monde est capable. Ses connaissances en astronomie lui avaient fait supposer, dès l'hiver (en grec ancien χειμῶνος / kheimônos, « en hiver » génitif singulier), que la récolte suivante des olives (en grec ancien ἐλαία / elaía, « olive, nævus (grain de beauté) ») serait abondante ; et, dans la vue de répondre à quelques reproches sur sa pauvreté, dont n'avait pu le garantir une inutile philosophie, il employa le peu d'argent qu'il possédait à fournir des arrhes (en grec ancien ἀρραβών / arrhabon, « arrhes, caution, garantie »; de l’hébreu ancien ערבון / erabon, « gage, caution ») pour la location de tous les pressoirs de Milet (en grec ancien Μῑ́λητος / Mī́lētos) et de Chios (en grec ancien Χίος / Khíos); il les eut à bon marché, en l'absence de tout autre enchérisseur. Mais quand le temps fut venu, les pressoirs étant recherchés tout à coup par une foule de cultivateurs, il les sous-loua au prix qu'il voulut. Le profit fut considérable ; et Thalès prouva, par cette spéculation habile, que les philosophes, quand ils le veulent, savent aisément s'enrichir, bien que ce ne soit pas là l'objet de leurs soins.

§ 6. On donne ceci pour un grand exemple d'habileté de la part de Thalès ; mais, je le répète, cette spéculation appartient en général à tous ceux qui sont en position de se créer un monopole. Il y a même des États qui, dans un besoin d'argent, ont recours à cette ressource, et s'attribuent un monopole général de toutes les ventes.

§ 7. Un particulier, en Sicile (en grec ancien Σικελία / Sikelía), employa les dépôts faits chez lui à acheter le fer (en grec ancien σίδηρος / sídêros) de toutes les usines; puis, quand les négociants venaient des divers marchés, il était seul à le leur vendre ; et, sans augmenter excessivement les prix, il gagna cent talents pour cinquante.

§ 8. Denys (en grec ancien Διονύσιος / Dionýsios; de Διόνυσος / Diónusos + le suffixe adjectival -ιος, -ios; de Διός / Diós, « de Zeus » + νύσος / núsos, « plante » ou Νῦσα / Nûsa, montagne où les nymphes Hyades ont élevé le dieu enfant Dionysos) en fut informé; et tout en permettant au spéculateur d'emporter sa fortune, il l'exila de Syracuse (en grec ancien Συρᾱ́κουσαι / Surā́kousai) pour avoir imaginé une opération préjudiciable aux intérêts du prince. Cette spéculation cependant est au fond la même que celle de Thalès : tous deux avaient su se faire un monopole. Les expédients de ce genre sont utiles à connaître, même pour les chefs des États. Bien des gouvernements ont besoin, comme les familles, d'employer ces moyens-là pour s'enrichir ; et l'on pourrait même dire que c'est de cette seule partie du gouvernement que bien des gouvernants croient devoir s'occuper.

§ 5. Thalès de Milet, chef de l’école ionienne, né vers 640 av. J.-C., et mort dans une vieillesse fort avancée ; il était contemporain de Solon, et, comme lui, rangé parmi les sept sages. Voir Platon, Rép., liv. X, p. 245, trad. de M. Cousin. Voir aussi Diogène de Laërte, liv. I. Vie de Thalès, p. 9, § 38, édit. Firmin Didot. —Cicéron (de Divin , lib. I, cap. III) raconte le même trait. Il est probable qu'il l'avait emprunté à Aristote, dont il connaissait certainement l'ouvrage.

§ 8. Denys l'Ancien, qui régna de 406 à 367 av. .J.-C. —Pour les chefs des États. Presque tous les gouvernements modernes, et nous pourrions citer le nôtre en particulier, sont de l'avis d'Aristote, et ils demandent une partie de leurs ressources au monopole.

Politique d'Aristote, Livre I. Chapitre IV. 1259a. §§ 5-8., traduite en français par J. Barthélemy-Saint-Hilaire, Librairie Philosophique de Ladrange, 1874


§ 5. Telle est l’aventure qu’on raconte de Thalès de Milet ; car elle nous fait connaître une invention relative à cette science. Mais on la lui attribue probablement à cause de son habileté connue, car c’est d’ailleurs quelque chose d’assez ordinaire. En effet, comme on lui faisait un sujet de reproche de sa pauvreté, d’où l’on inférait l’inutilité, de la philosophie, on prétend qu’ayant prévu, dès l’hiver, au moyen de ses connaissances en astrologie, qu’il y aurait une abondante récolte d’olives, il loua tous les pressoirs à huile (en grec ancien ἔλαιον / élaion, « huile d’olive ») de Milet et de Chios, à un prix fort modéré, attendu que personne ne songeait à enchérir sur lui ; et ensuite, au moment de la récolte, comme il se présentait un grand nombre de demandeurs, qui étaient fort pressés par le temps, il céda (dit-on) ses marchés aux conditions qu’il voulait, et ayant ainsi gagné beaucoup d'argent, il fit bien voir qu'il serait facile aux philosophes de s'enrichir s'ils le voulaient, mais que ce n'est pas à cela qu'ils s'appliquent.1

§ 6. Telle est donc la manière dont on raconte que Thalès fit montre de son habileté ; mais c’est, comme je l’ai dit, un genre de spéculation fort ordinaire, quand on est à portée de se ménager quelque monopole ; aussi y a-t-il des gouvernements qui ont recours a cette ressource, quand ils manquent d’argent, et qui s’attribuent le monopole ou la vente exclusive des denrées.

§ 7. Il y eut aussi en Sicile un homme qui employa l’argent qu’on avait déposé chez lui à acheter tout le fer qui provenait des mines, et qui ensuite, lorsque les négociants vinrent de tous les marchés pour s’approvisionner, se trouva seul dans le cas de leur en vendre. Sans même augmenter beaucoup le prix ordinaire, il ne laissa pas de faire un bénéfice de cent talents, sur cinquante qu’il avait avancés.

§ 8. Cependant Denis ayant été informé de ce fait lui permit à la vérité d’emporter son argent, mais il lui défendit de demeurer plus longtemps à Syracuse, comme ayant imaginé, pour s’enrichir, un moyen contraire aux intérêts du prince. Au reste, la spéculation de ce Syracusain était la même que celle de Thalès, car tous deux avaient trouvé le moyen d’exercer un monopole. Il est même quelquefois utile à ceux qui gouvernent de connaître, ce genre de ressources2, car il y a bien des gouvernements qui sont obligés d’employer de pareils moyens pour s’enrichir, aussi-bien que les simples familles, et qui même en ont encore plus besoin. Aussi, parmi ceux qui s’occupent de l’administration des états, y en a-t-il qui sont uniquement appliqués à cette partie [de la science politique, c’est-à-dire celle des finances].


1 Cicéron (De Divinat, I.i, c. 49) rapporte la même anecdote en ces termes:

Qui (Thales scil.) ut objurgatores suos convinceret, ostenderet que etiam philosophum, si ei commodum esset, pecuniam facere posse, omnem oleam, antequam florere cœpisset, in agro Milesio coemisse dicitur. Animadverterat fortasse quadam scientid olearum ubertatem fore.


2 On trouve, parmi les ouvrages d’Aristote, un petit traité intitulé Œconomica, qui n’est certainement pas de ce philosophe, et dont l’auteur a recueilli un nombre assez considérable d’exemples de ce genre d’industrie, et d’autres traits de violence ou de fourberie encore plus odieux, attribués à des rois, princes, ou républiques.

« De quoy (dit L. Leroi, dans ses
« notes sur cet endroit de sa traduction) n’est besoing escrire
« livres, parce que ès cours des rois, et ès maniemens des au-
« tres gouvernemens, se trouvent toujours assez de tels inven-
« teurs, voire plus, bien souvent, qu’il ne seroit besoing : à la
« grande foulle et oppression des subjects, et peu d’avantage
« des seigneurs, qui ne s’en enrichissent guères, despendant
« tout à la mesure qu’ils aient, apportant la facilité de recou-
« vrer facilité de despendre. »


La Morale et La Politique d'Aristote. Tome II. Politique, Livre I. Chap. IV. §§ 5-8., traduites du grec par M. Thurot, Chez Firmin Didot, Père et Fils, 1824


« Je me contenterai de citer ici la spéculation de Thalès de Milet : il fit une affaire d'argent dont le succès fut attribué à ses rares connaissances, quoique, dans le fait, son opération fût fort ordinaire et sûre. On lui reprochait sa pauvreté, d'où l'on concluait que la philosophie ne servait à rien. 11 avait prévu par ses connaissances astronomiques qu'il y aurait l'année suivante une grande abondance d'olives; on était encore en hiver; il se procura quelque argent, loua tous les pressoirs de Milet et de Chio, et donna des arrhes ; il les afferma tous à un prix très modéré, attendu qu'il ne se trouva pas d'enchérisseurs ; au moment de la récolte, il y eut concurrence ; alors il mit à ses pressoirs le prix qu'il voulut, fit de gros bénéfices, et prouva ainsi qu'il était facile aux philosophes de gagner de l'argent, quoique les spéculations mercantiles ne soient pas l'objet de leurs études.

Thalès, dit-on, fit cette affaire afin de prouver l'étendue des ressources de la philosophie ; mais, je le répète, son opération n'exigeait pas une science profonde, attendu que l'accaparement réussit toujours. Ainsi, les gouvernements emploient quelquefois le monopole dans la pénurie de leurs finances, et la vente exclusive leur forme une branche de revenu. Un Sicilien avait une sommé- d'argent en dépôt; il en acheta tout le fer qui se trouva dans les forges ; bientôt les marchands arrivèrent de différentes contrées, et ne trouvèrent du fer que chez lui. Quoiqu'il n'en eût pas trop élevé le prix, il doubla cependant sa mise de fonds qui était de cinquante talents.

Denys eut connaissance de cette spéculation. Il ne dépouilla pas cet adroit monopoleur de son argent; mais il lui ordonna de sortir de Syracuse, attendu qu'un tel système de commerce était nuisible à l'État. Ce Sicilien avait fait le même calcul que Thalès, c'est- à-dire que tous deux avaient habilement accaparé à leur profit.

Il est bon que les hommes qui sont à la tête des gouvernements, connaissent ces sortes de spéculations ; elles sont utiles à un État qui a souvent autant et plus besoin qu'une famille, d'argent et de moyens d'en acquérir. Aussi voit-on partout que quelques-uns des premiers magistrats sont uniquement chargés des finances.

La Politique d'Aristote ou La Science des Gouvernements, Tome Premier. Chapitre VII. 1259a., ouvrage traduit du grec par le Citoyen Champagne, Imprimerie d'Antoine Bailleul, An V de la République Française (1797)

Métaphysique

(en grec moderne τὰ μετὰ τὰ φυσικά / ta metá ta physiká, « au-delà de la physique, ce qui n’est pas accessible à nos sens, ce qui se trouve au-delà du monde sensible »; du grec ancien φύσις / phúsis, « nature, environnement »; de φύω / phúô, « croitre » + le suffixe nominal d'actions -σις / -sis; du Proto-Indo-Européen *bʰuHyéti, « devenir, grandir, apparaître »)

Ensemble de quatorze livres écrits par Aristote, rassemblés et organisés après sa mort par le bibliothécaire Andronicos de RhodesI (en grec ancien Ἀνδρόνικος / Andrónikos; de ᾰ̓νδρο- / andro-, « homme » +‎ νῑ́κη / nī́kē, « victoire » +‎ suffixe nominal d'actions -ος / -os; « l'homme victorieux »), qui leur donna le titre Métaphysique. Aristote n'employe jamais ce terme, mais plutôt « philosophie première », la science des causes premières, des premiers principes et de l'être en tant qu'être aussi appelé ontologie (terme du milieu du XVIIe siècle ; emprunté du latin scientifique ontologia ; d’onto-, tiré du grec ancien ὤν / ôn « étant, ce qui est » + -logia, tiré du grec ancien λόγος / logos « discours, traité »).

I En grec ancien ὁ Ῥόδιος / ho Rhódios; 4 possibilités étymologiques :
  • soit il s’agit d’un nom en Préhellénique A, tiré du phénicien 𐤄𐤓𐤏𐤃‎, hrʿd, « serpent » faisant référence aux serpents qui y auraient habité dans les temps anciens.
  • soit de ῥοία / rhoía, « grenade, fruit du grenadier »; de ῥέω / rhéō, « couler, (d’un fluide) se déplacer de manière régulière et continue » +‎ le suffixe adjectival -ίᾱ / -íā.
  • soit de όδον / rhódon, « rose ».
  • soit de Ῥόδη / Rhódê ou Ῥόδος / Rhódos, « Rhodé ou Rhodos » divinité marine de la mythologie grecque, épouse du titan Hélios (en grec ancien Ἥλιος / Hêlios; de ἥλῐος / hḗlios, « le soleil, l’est, la journée, l’ensoleillement », divinité tutélaire de Rhodes, et fille de Poséidon (en grec ancien Ποσειδῶν / Poseidỗn).


Livre Α

(en grec ancien Aλφα το μειζον / álpha to meizon, « Alpha majuscule »; du phénicien 𐤀 / aleph, première lettre de l'abjad* phénicien; du Proto-Cananéen , du Proto-Sinaïtique , de l'egyptien 𓃾 representant une tête de bœuf, d'où le nom de la lettre phénicienne 𐤀𐤋𐤐 / ʾlp, « tête de bétail »).

Le livre I ou Alpha décrit la « philosophie première », qui est une connaissance des premiers principes ou causes des choses. Les sages sont capables d'enseigner parce qu'ils connaissent le pourquoi des choses, contrairement à ceux qui savent seulement que les choses sont d'une certaine manière en fonction de leur mémoire et de leurs sensations. En raison de leur connaissance des causes et des principes premiers, ils sont mieux placés pour commander que pour obéir. Le livre Alpha passe également en revue les philosophies antérieures de Thales à Platon, en particulier leur traitement des causes.

* De l’arabe أبجد / abjad, « alphabet »; mot composé de ﺍ / alif, « a » + ﺏ / bâ, « b » + ﺝ / ǧīm, « g » + ﺩ / dāl, « d », les quatre premières lettres de l’alphabet arabe historique.


Chapitre III.

Texte grec

§ 7 Τῶν δὴ πρώτων φιλοσοφησάντων οἱ πλεῖστοι τὰς ἐν ὕλης εἴδει μόνας ᾠήθησαν ἀρχὰς εἶναι πάντων·

§ 8 ἐξ οὗ γὰρ ἔστιν ἅπαντα τὰ ὄντα καὶ ἐξ οὗ γίγνεται πρώτου καὶ εἰς ὃ φθείρεται τελευταῖον, τῆς μὲν [10] οὐσίας ὑπομενούσης τοῖς δὲ πάθεσι μεταβαλλούσης, τοῦτο στοιχεῖον καὶ ταύτην ἀρχήν φασιν εἶναι τῶν ὄντων, καὶ διὰ τοῦτο οὔτε γίγνεσθαι οὐθὲν οἴονται οὔτε ἀπόλλυσθαι, ὡς τῆς τοιαύτης φύσεως ἀεὶ σωζομένης,

§ 9 ὥσπερ οὐδὲ τὸν Σωκράτην φαμὲν οὔτε γίγνεσθαι ἁπλῶς ὅταν γίγνηται καλὸς ἢ μουσικὸς [15] οὔτε ἀπόλλυσθαι ὅταν ἀποβάλλῃ ταύτας τὰς ἕξεις, διὰ τὸ ὑπομένειν τὸ ὑποκείμενον τὸν Σωκράτην αὐτόν, οὕτως οὐδὲ τῶν ἄλλων οὐδέν·

§ 10 ἀεὶ γὰρ εἶναί τινα φύσιν ἢ μίαν ἢ πλείους μιᾶς ἐξ ὧν γίγνεται τἆλλα σωζομένης ἐκείνης.

§ 11 Τὸ μέντοι πλῆθος καὶ τὸ εἶδος τῆς τοιαύτης ἀρχῆς οὐ τὸ αὐτὸ [20] πάντες λέγουσιν,

§ 12 ἀλλὰ Θαλῆς μὲν ὁ τῆς τοιαύτης ἀρχηγὸς φιλοσοφίας ὕδωρ φησὶν εἶναι (διὸ καὶ τὴν γῆν ἐφ' ὕδατος ἀπεφήνατο εἶναἰ, λαβὼν ἴσως τὴν ὑπόληψιν ταύτην ἐκ τοῦ πάντων ὁρᾶν τὴν τροφὴν ὑγρὰν οὖσαν καὶ αὐτὸ τὸ θερμὸν ἐκ τούτου γιγνόμενον καὶ τούτῳ ζῶν (τὸ δ' ἐξ οὗ γίγνεται, τοῦτ' ἐστὶν [25] ἀρχὴ πάντων) -

§ 13 διά τε δὴ τοῦτο τὴν ὑπόληψιν λαβὼν ταύτην καὶ διὰ τὸ πάντων τὰ σπέρματα τὴν φύσιν ὑγρὰν ἔχειν, τὸ δ' ὕδωρ ἀρχὴν τῆς φύσεως εἶναι τοῖς ὑγροῖς.

§ 14 Εἰσὶ δέ τινες οἳ καὶ τοὺς παμπαλαίους καὶ πολὺ πρὸ τῆς νῦν γενέσεως καὶ πρώτους θεολογήσαντας οὕτως οἴονται περὶ τῆς φύσεως [30] ὑπολαβεῖν· ᾿Ωκεανόν τε γὰρ καὶ Τηθὺν ἐποίησαν τῆς γενέσεως πατέρας, καὶ τὸν ὅρκον τῶν θεῶν ὕδωρ, τὴν καλουμένην ὑπ' αὐτῶν Στύγα [τῶν ποιητῶν]· τιμιώτατον μὲν γὰρ τὸ πρεσβύτατον, ὅρκος δὲ τὸ τιμιώτατόν ἐστιν.

§ 15 [984a] [1] εἰ μὲν οὖν ἀρχαία τις αὕτη καὶ παλαιὰ τετύχηκεν οὖσα περὶ τῆς φύσεως [1] ἡ δόξα, τάχ' ἂν ἄδηλον εἴη, Θαλῆς μέντοι λέγεται οὕτως ἀποφήνασθαι περὶ τῆς πρώτης αἰτίας

Aristotle's Metaphysics, texte établi par W.D. Ross, Oxford: Clarendon Press. 1924.



Traductions



La philosophie est l'étude des causes premières ou principes; quatre espèces de causes : la substance, la matière, l'origine du mouvement et le but final; citation de la Physique; les premiers philosophes s'attachèrent à l'idée de la matière; ils sont unanimes à cet égard, mais ils diffèrent sur le nombre des principes; Thalès se prononce pour l'eau; les Théologues; Hippon; Anaximène et Diogène se prononcent pour l'air; Hippase et Heraclite, pour le feu ; Empédocle admet les quatre éléments; insuffisance de ces systèmes, aboutissant tous à l'unité de l'Être ; nécessité d'une recherche plus profonde, et d'une cause autre que la matière; Parménide la pressent; Anaxagore de Clazomène la trouve dans l'Intelligence; immensité de cette découverte ; Hermotime de Clazomène.

§ 7 C'est uniquement dans l'ordre de la matière que les premiers philosophes, ou du moins la plupart d'entre eux, ont cru découvrir les principes de tous les êtres.

§ 8 En effet, ce qui constitue tous les êtres sans exception, ce qui est la source primordiale d'où ils sortent, ce qui est le terme où ils finissent par rentrer, quand ils sont détruits, substance qui au fond est persistante et qui ne fait que subir des modifications, ce fut là, aux yeux de ces philosophes, l'élément des choses et leur principe; ils en conclurent que d'une manière absolue rien ne naît et que rien ne périt, puisque cette nature, telle qu'ils la comprenaient, se conserve el subsiste perpétuellement.

§ 9 De même qu'on ne peut pas dire de Socrate (en grec ancien Σωκράτης / Sōkrátēs), d'une manière absolue, qu'il est produit et qu'il naît, par cela seul qu'il devient beau ou qu'il devient savant, el que l'on ne dit pas non plus qu'il périt absolument quand il ne perd qu'une de ces manières d'être, par cette excellente raison que le sujet qui est Socrate lui-même n'en subsiste pas moins ; de même, selon ces premiers philosophes, aucun des autres êtres ne se produit ni ne périt absolument.

§ 10 Car il faut que ce soit ou une nature unique ou des natures multiples, d'où tout le reste puisse sortir, puisque cette nature demeure et persiste toujours.

§ 11 Cependant, quand il s'agît de déterminer le nombre de ces principes ou la nature spéciale de ce principe unique, les opinions ne sont plus unanimes.

§ 12 Par exemple, Thalès (en grec ancien Θαλῆς / Thalễs), auteur et chef de ce système de philosophie, prétendit que l'eau (en grec ancien ὕδωρ / húdōr; du Proto-Indo-Européen *wódr̥ qui donne water en anglais) est le principe de tout, et c'est là ce qui lui fît affirmer aussi que la terre repose et flotte sur l'eau. Probablement, il tira son hypothèse de ce fait d'observation que la nourriture de tous les êtres est toujours humide, que la chaleur même vient de l'humidité, et que c'est l'humidité qui fait vivre tout ce qui vit. C'est ainsi que l'élément d'où proviennent quelques-unes des choses parut à Thalès le principe de toutes choses sans exception.

§ 13 A ce premier motif, qui déjà lui suffisait, il ajouta cette autre observation, que les germes de tous les êtres sont de nature humide, et que l'eau est le principe naturel de tous les corps humides.

§ 14 C'est là, du reste, l'opinion que l'on prête aussi quelquefois aux plus anciens philosophes, qui ont de beaucoup précédé notre âge, et aux premiers Théologies (en grec ancien θεός / theós, « dieu » + λέγω / légô, « dire, réciter »), qui, dit-on, ont compris la nature comme la comprenait Thalès. Pour eux, en effet, l'OcéanI et TéthysVI passaient pour les auteurs de toute génération ; les dieux ne juraient que par l'eau que les poètes nommaient le StyxVII; or, ce qu'il y a de plus ancien est aussi ce qui est le plus sacré, et rien n'est plus sacré que la chose par laquelle on jure.

§ 15 [984a] Du reste, que cette antique et vieille idée de la nature ait été réellement professée, c'est ce qu'on ne sait pas très clairement. Mais le système qu'on vient d'attribuer à Thalès sur la cause première a certainement été le sien.


§ 12 Thalès. Thalès passe pour le plus ancien des philosophes grecs; il serait impossible de préciser le temps où il a vécu ; mais on peut rapporter son existence d'une manière approximative à l'an 600 avant J.-C. C'est près de trois siècles avant Aristote. Le premier témoignage sur Thalès est celui d'Hérodote, liv. I, ch. CLXX, p. 56, édition Firmin-Didot ; Hérodote faisait descendre Thalès d'une famille phénicienne établie à Milet. Voir sur Thalès la Philosophie des Grecs, de H. Ed. Zeller, t. I, p. 165 et suiv.
Auteur et chef de ce système de philosophie, et non, d'une manière générale, « Fondateur de la philosophie», comme l'ont cru quelques commentateurs. On sait, d'ailleurs, que Thalès n'avait rien écrit.
La terre repose et flotte sur l'eau. Voir le Traité du ciel, liv. II, ch. xiii, § 7, p. 194 de ma traduction. Aristote a parlé plusieurs fois de Thalès, et avec plus d'estime qu'il ne semble en avoir ici.
La nourriture de tous les êtres est toujours humide. Il est vrai qu'il y a une partie des aliments qui est humide ; mais il y en a aussi une bonne partie qui est sèche, et l'observation de Thalès ne serait pas exacte.
La chaleur même vient de l'humidité. Il n'y a pas à s'arrêter beaucoup à ces explications physiques. Dans le Traité de l'âme, liv. 1, ch. ii, § 18, p. 118 de ma traduction, Aristote prête une partie de ces doctrines sur l'eau non point à Thalès, mais à Hippon ; voir plus bas, § 16.

§ 13 Les germes de tous les êtres sont de nature humide. Voir le Traité de l'âme, loc. cit.

§ 14. Aux plus anciens philosophes. Il n'y a guère avant Thalès d'autres philosophes que les Théologues, dont il est question un peu plus bas ; mais ici la contexture de la phrase semble distinguer les uns et les autres, quoique des traducteurs paraissent les avoir confondus.
Aux premiers Théologues. Alexandre d'Aphrodise croit qu'Aristote veut désigner ici Homère et Hésiode. On pourrait sans doute ajouter Orphée.
L'OcéanI et TéthysVI, Platon dans le Cratyle, p. 55, traduction de M. V. Cousin, cite des vers d'Homère, d'Hésiode et d'Orphée, où se retrouvent des idées analogues.
Les poètes. C'est Homère qui est certainement désigné ici; voir l'Iliade, chant xv, vers 37 et 38 : « Et l'eau noire du StyxVII en ses torrents secrets, Le plus grand des serments que les dieux font jamais! »

§ 15. Antique et vieille idée. Les deux épithètes sont dans le texte. Cette idée est celle des Théologues et des poètes qu'Aristote vient d'indiquer, et qui étaient de quatre ou cinq siècles antérieurs à Thalès lui-même.

La Métaphysique d'Aristote, Tome Premier. Chapitre III. §§7-15., traduite en français par Jules Barthélemy-Saint-Hilaire, Librairie Germer-Baillière et Cie, 1879


I En grec ancien Ὠκεανός / Ōkeanós; Titan, fils d'OuranosII et de GaïaV, frère et époux de TéthysVI; divinisation de ὠκεανός / ōkeanós, Chez Homère - fleuve circulaire qui entoure les terres , il est « refluant » (en grec ancien ἀψόρροος / apsórroos; de ἄψ / aps, « en arrière » + ῥόος / rhóos, « courant »; de ῥέω / rhéô, « couler ») et se jette dans lui-même.

II En grec ancien Οὐρανός / Ouranós, divinité primordiale personnifiant le Ciel étoilé et l'Esprit démiurgiqueIII d'une puissance des premiers temps; antonomaseIV de οὐρανός / ouranós, « ciel »; du Proto-Indo-Européen *u̯er-s-, « hauteur ».

III En grec ancien δημιουργός / dêmiourgos, « Créateur de l’Univers, Qui travaille pour le public »; de δῆμος / dêmos, « peuple » + ἔργον / érgon, « travail ».

IV Du grec ancien ἀντονομασία / antonomasíā; de ἀντί- / antí-, « à la place de » + ονομάζειν / onomádzein « nommer », de ὄνομα / ónoma, « nom ».

V En grec ancien Γαῖα / Gaîa, Divinité fondamentale (la Terre) qui a enfanté les premiers êtres divins (Ouranos, Pontos, etc.) et de nombreuses divinités monstrueuses (Titans, Géants, Cyclopes, etc.); de γαῖα / gaîa, utilisé comme nom propre, doublet de même sens de γῆ / gê, « terre ».

VI En grec ancien Τηθύς / Tēthús, déesse marine archaïque, benjamine des Titanides, fille d'OuranosII et de GaïaV, sœur et épouse d'OcéanI; potentiellement apparenté à τήθη / tḗthē, « grand-mère »; du Proto-Indo-Européen *dhē-dhē-, mot enfantin désignant les grands-parents.

VII En grec ancien Στύξ / Stúx, océanide (en grec ancien Ὠκεανίδες / Ōkeanídes), fille aînée d'OcéanI et de TéthysVI, ou une déesse, fille d'ÉrèbeVIII et de NyxIX selon d'autres traditions. Elle personnifie le Styx, l'un des fleuves et points de passage des Enfers; du verbe στυγέω / stugéō, « détester, haïr ».

VIII En grec ancien Ἔρεβος / Érebos, frère et époux de NyxIX, divinité primordiale et infernale née du Chaos, personnifiant les ténèbres, l'obscurité des Enfers.

IX En grec ancien Νύξ / Núx, déesse primordiale de la Nuit personnifiée; de νύξ / núx, « nuit ».




Doctrines des anciens touchant les causes premières et les principes des choses. Thalès, Anaximène, etc. Principe découvert par Anaxagore, l’Intelligence.

La plupart de ceux qui philosophèrent les premiers ne considérèrent les principes de toutes choses que sous le point de vue de la matière. Ce d'où sortent tous les êtres, d'où provient tout ce qui se produit, où aboutit toute destruction, la substance persistant la même sous ses diverses modifications, voilà, selon eux, l'élément, voilà le principe des êtres. Aussi pensent-ils que rien ne naît ni ne périt véritablement, parce que cette nature première subsiste toujours. De même que nous ne disons pas que Socrate naît réellement lorsqu'il devient beau ou musicien, ni qu'il périt quand il perd ces manières d'être, parce que le sujet des modifications, parce que Socrate lui-même persiste dans son existence ; de même on ne peut se servir de ces expressions pour aucun des autres êtres. Car il faut qu'il y ait une nature première, soit unique, soit multiple, qui, subsistant toujours, produit toutes les autres choses. Quant au nombre et au caractère propre des éléments, ces philosophes ne sont point d'accord.

Thalès1, fondateur de cette philosophie, regarde l'eau comme premier principe. C'est pourquoi il va jusqu'à prétendre que la terre repose sur l'eau ; amené probablement à cette idée, parce qu'il voyait que c'est l'humidité qui nourrit toutes choses, que le chaud lui-même en vient, et que tout animal vit de l'humidité. Or, ce dont viennent les choses, est le principe de toutes choses. Une autre observation encore l'amena à cette opinion. Les semences de toutes choses sont humides de leur nature. Or l'eau est le principe de l'humidité des choses humides.

Quelques-uns pensent que les hommes des plus anciens temps, et, avec eux, les premiers Théologiens2, bien antérieurs à notre époque, se figurèrent la nature de la même manière que Thalès. Ils ont en effet représenté, comme les auteurs de l'univers, l' Océan et Téthys3 ; et les dieux jurent, selon eux , par l'eau, par cette eau que les poètes appellent le Styx. Car ce qu'il y a de plus ancien est aussi ce qu'il y a de plus sacré ; et ce qu'il y a de plus sacré, c'est le serment4. Y a-t-il dans cette vieille et antique opinion une explication de la nature ? c'est ce qu'on ne voit pas clairement. Telle fut toutefois, à ce qu'on dit, la doctrine de Thalès sur la première cause.

1 De Milet, 600 ans avant J.-C. — 2 Orphée, Musée, Eumolpe et les anciens poètes. — 3 Homère, Hésiode, passim. — 4 Le raisonnement est facile à compléter. Donc le serment est ce qu'il y a de plus ancien. Or, le serment se jure par le Styx, par l'eau ; donc l'eau est ce qu'il y a de plus ancien.

La Métaphysique d'Aristote, Tome Premier. III. §§3-5., traduite en français pour la première fois (mention erronée) par Alexis Pierron et Charles Zévort, Ébrard, Librairie-Éditeur, Joubert, Librairie-Éditeur, 1840




La plupart des premiers philosophes ont cherché dans la matière les principes de toutes choses. Car ce dont toute chose est, d'où provient toute génération et où aboutit toute destruction, l'essence restant la même et ne faisant que changer d'accidens, voilà ce qu'ils appellent l'élément et le principe des êtres; et pour cette raison, ils pensent que rien ne naît et que rien ne périt, puisque cette nature première subsiste toujours. Nous ne disons pas d'une manière absolue que Socrate naît, lorsqu'il devient beau ou musicien, ni qu'il périt lorsqu'il perd ces manières d'être, attendu que le même Socrate, sujet de ces changemens, n'en demeure pas moins ; il en est de même pour toutes les autres choses; car il doit y avoir une certaine nature, unique ou multiple, d'où viennent toutes choses, celle-là subsistant la même. Quant au nombre et à l'espèce de ces élémens, on ne s'accorde pas.

Thalès, le fondateur de cette manière de philosopher, prend l'eau pour principe, et voilà pourquoi il a prétendu que la terre reposait sur l'eau, amené probablement à cette opinion parce qu'il avait observé que l'humide est l'aliment de tous les êtres, et que la chaleur elle-même vient de l'humide et en vit (1); or, ce dont viennent les choses est leur principe. C'est de là qu'il tira sa doctrine, et aussi de ce que les germes de toutes choses sont de leur nature humides, et que l'eau est le principe des choses humides. Plusieurs pensent que dès la plus haute antiquité, bien avant notre époque, les premiers théologiens ont eu la même opinion sur la nature: car ils avaient fait l' Océan et Téthys auteurs de tous les phénomènes de ce monde, et ils montrent les Dieux jurant par l'eau que les poètes appellent le Styx. En effet, ce qu'il y a de plus ancien est ce qu'il y a de plus saint; et ce qu'il y a de plus saint, c'est le serment. Y a-t-il réellement un système physique dans cette vieille et antique opinion? c'est ce dont on pourrait douter (2). Mais pour Thalès on dit que telle fut sa doctrine.

(1) Rapport du système d'Aristote à celui de Thalès, de ὕδωρ à l'ὑγρόν, considéré comme le principe même du chaud, τὸ θερμὸν, et par conséquent comme principe unique. Histor. Animal. I, 4, Bekk. I, 489. De partibus animal. II, 3, Bekk. I, 649. Meterol. IV, 4. De longitudine et brevitate vitæe, 5, Bekk. I, 240.

(2) En effet les prêtres de l'Ionie n'avaient pas le système physique de Thalès, et pourtant la mythologie de ces prêtres qui faisaient de l'Océan et de Téthys les auteurs de toutes choses, est le fond primitif d'où plus tard est sorti le système de Thalès á l'insu de Thalès lui-même. La mythologie, non seulement précède, mais enferme déjà la philosophie à l'insu de l'une et de l'autre.

De La Métaphysique d'Aristote, Tome Premier. Chapitre III. §§2,3., essai de traduction du Premier et du Douzième Livres de la Métaphysique par Victor Cousin, Chez Ladrange, Librairie, 1835

Du ciel

(en grec ancien Περὶ οὐρανοῦ / Peri uranú; avec περί / perí (+ génitif), « autour de, pour (au sujet de, en vue de), par-dessus, au-dessus de » et le génitif de οὐρανός / ouranós; de ὅρος / hóros, « limite »)

Traité constitué de quatre livres dans lesquels Aristote expose ses théories astronomiques.


Livre II

Texte grec


§ 7. Ὥστε τὸ μὲν ἀπορεῖν εἰκότως ἐγένετο φιλοσόφημα πᾶσιν· τὸ δὲ τὰς περὶ τούτου λύσεις μὴ μᾶλλον ἀτόπους εἶναι δοκεῖν τῆς ἀπορίας, θαυμάσειεν ἄν τις. Οἱ μὲν γὰρ διὰ ταῦτα ἄπειρον τὸ κάτω τῆς γῆς εἶναί φασιν, ἐπ´ ἄπειρον αὐτὴν ἐρριζῶσθαι λέγοντες, ὥσπερ ΞενοφάνηςΚολοφώνιος, ἵνα μὴ πράγματ´ ἔχωσι ζητοῦντες τὴν αἰτίαν· διὸ καὶ Ἐμπεδοκλῆς οὕτως ἐπέπληξεν, εἰπὼν ὡς

-εἴ περ ἀπείρονα γῆς τε βάθη καὶ δαψιλὸς αἰθήρI,

-ὡς διὰ πολλῶν δὴ γλώσσης ῥηθέντα ματαίως

-ἐκκέχυται στομάτων, ὀλίγον τοῦ παντὸς ἰδόντων.

Οἱ δ´ ἐφ´ ὕδατος κεῖσθαι. Τοῦτον γὰρ ἀρχαιότατον παρειλήφαμεν τὸν λόγον, ὅν φασιν εἰπεῖν Θαλῆν τὸν Μιλήσιον, ὡς διὰ τὸ πλωτὴν εἶναι μένουσαν ὥσπερ ξύλον ἤ τι τοιοῦτον ἕτερον (καὶ γὰρ τούτων ἐπ´ ἀέρος μὲν οὐθὲν πέφυκε μένειν, ἀλλ´ ἐφ´ ὕδατος),


(également disponible ici, Aristotle, De caelo, par Karl Anton Eugen Prantl, Teubner, 1881)


I Αἰθήρ / Αithḗr, divinité primordiale du Ciel supérieur personnifié; de αἰθήρ / aithḗr, « ciel, paradis, éther », l'air supérieur (plus pur, plus chaud, respiré par les dieux) par opposition à ÉrèbeII (ou Erebus, le monde souterrain) ou à l'ÆrV, l'air des parties inférieures du ciel, respiré par les mortels; de αἴθω / aíthō, « allumer, enflammer, faire brûler »; du Proto-Indo-Européen *h₂eydʰ-, « brûler, feu ».

II En grec ancien Ἔρεβος / Érebos, divinité primordiale et infernale née du Chaos, personnifiant les ténèbres, l'obscurité des Enfers, frère et époux de NyxIII, avec qui il a engendré ÉtherI (aussi orthographié Æther), et entre autres, CharonIV, le passeur des Enfers; du Proto-Indo-Européen *h₁régʷos, « obscurité »; de *h₁regʷ-, « être sombre » +‎ le suffixe nominal *-os.

III En grec ancien Νύξ / Núx, déesse primordiale de la Nuit personnifiée; de νύξ / núx, « nuit ».

IV En grec ancien Χάρων / Khárōn, potentiellement du nom propre χάρων / charon, une forme poétique de χαρωπός / charopós, « de regard vif », se référant soit à des yeux féroces, clignotants ou fiévreux, soit à des yeux d'un gris bleuâtre.

IV En grec ancien ἀήρ / aḗr, « air, atmosphère autour de la Terre, air que l’on respire, vapeur, brume, brouillard »; de ἄημι / áêmi, « souffler »; du Proto-Indo-Européen *au̯e-, « souffler » ou du Proto-grec *auhḗr, « brume matinale »; du Proto-Indo-Européen *h₂ewsḗr; de *h₂ews-, « aube, est ».


Traductions


De l'immobilité et du mouvement de la terre : de sa forme. Systèmes divers : système des Pythagoriciens, qui placent le feu au centre du monde et croient au mouvement de la terre; insuffisance des raisons sur lesquelles ce système s'appuie. Autre théorie sur le mouvement de la terre; citation du Timée. -- De la forme de la terre; elle est sphérique. Explications diverses : Xénophane, Empédocle, Thalès de Milet; objections contre ces systèmes. Difficulté de la question. Anaximène, Anaxagore et Démocrite ont soutenu que la terre est immobile, parce qu'elle est plate : fausseté de cette théorie. Considérations générales sur le mouvement rotatoire des corps; opinion d'Empédocle; réfutation de cette opinion. Effets réels que produirait la rotation. Explication particulière d'Anaximandre sur l'immobilité de la terre; réponse à cette théorie. — Insuffisance évidente de toutes les théories antérieures.

§. 7. C'est donc à bon droit que tous les philosophes se sont occupés de ces questions et ont exposé leurs doutes. Mais l'on doit s'étonner peut-être que les solutions qu'ils ont données du problème, ne leur aient pas paru plus étranges encore que les doutes auxquels elles prétendaient répondre. Ainsi. les uns ont soutenu que le bas de la terre était infini, et ils ont donné à la terre des racines sans fin, comme le fait Xénophane de Colophon (en grec ancien ΞενοφάνηςIΚολοφώνιοςII / Xenophánēs ho Kolophṓnios), afin de s'éviter la peine de rechercher la véritable cause. Aussi Empédocle (en grec ancien : Ἐμπεδοκλῆς / Empedoklês)III lui-même n'a-t-il pas manqué de réfuter ces théories, quand il a dit :

» Les fondements du globe et l'éther impalpable,

» Dont on nous parle tant, ne sont que de vains mots,

» Répétés sans raison par la langue des sots. »

D'autres philosophes font reposer la terre sur l'eau. La plus ancienne opinion de ce genre que nous ait transmise la tradition, est celle de Thalès de Milet, qui a dit, assure-t-on, qu'elle restait immobile, parce qu'elle surnageait comme un morceau de bois flottant ou quelqu'autre matière analogue, attendu que dans l'ordre de la nature les corps ne flottent pas sur l'air, mais sur l'eau.

§ 7. Se sont occupés : le texte n'est pas aussi explicite.
Plus étranges, le mot grec est précisément : « plus absurdes. »
Infini... sans fin, cette répétition est dans le texte, où elle est même encore plus marquée. — Xénophane de Colophon, Aristote a fait un traité spécial sur le système de Xénophane; et il y rappelle cette théorie sur la profondeur infinie de la terre; voir l'édition de Berlin, page 976, a, 32 ; voir aussi l'étude de M. V. Cousin sur Xénophane, pages 32 et 33, édition de 1847.
Empédocle lui-même, voir les fragments d'Empédocle, édition de Firmin Didot, page 53, colonne 1.
Font reposer la terre sur l'eau, il restait alors à savoir sur quoi reposait l'eau, comme il est dit un peu plus bas, au § 8.
Thalès de Milet, voir sur Thalès, le 1er livre de la Métaphysique, ch. 3, page 134, traduction de M. V. Cousin.
Ou quelqu'autre matière analogue, c'est-à-dire plus légère que l'eau.

La Métaphysique d'Aristote, Livre II. Chapitre XIII. 294b. §7. (également disponible ici), traduite en français pour la première fois (et au moment de l'écriture de cet article, l'unique traduction disponible en ligne) par Jules Barthélemy-Saint-Hilaire, Librairie Philosophique de Ladrange, A. Durand, Librairie-Éditeur, 1866
(également disponible ici)


IDe ξένος / xénos, « étranger, étrange, inhabituel » +‎ φαίνω / phaínō +‎ -ης / -ēs; littéralement « avoir une apparence étrange ».

IIDu Proto-Indo-Européen *kel- / kol-, « pointe, sommet ».

IIIDe ἔμπεδος / émpedos, « sur ses pieds, ferme, inébranlable »; de ἐμ- / em- + le radical de πούς / poús, « jambes, pieds », unité de mesure; littéralement «[ferme] sur les pieds, sur le pied»; + κλέος / kléos, « gloire »; littéralement « durablement célèbre ».

De l’âme

(en grec ancien Περὶ Ψυχῆς / Peri psychès; avec περί / perí (+ génitif), « autour de, pour (au sujet de, en vue de), par-dessus, au-dessus de » et le génitif singulier de ψυχή / psūkhḗ, « souffle de vie, âme, esprit » mais aussi « papillon », symbole de l’immortalité de l’âme chez les Anciens; déverbal de ψύχω / psúkhō, « souffler »)

Œuvre majeure d’Aristote sur les principes du vivant, son mouvement, sa génération, ses passions, ses dispositions et ses moyens de connaissance.


Livre I

(en grec ancien ΒιβλιονI ΠρωτονII / Βiblíon Prôton).

Introduction du thème du traité dans le chapitre 1. — Aperçu des points de vue de ses prédécesseurs sur l'âme des chapitres 2 à 5.

I De βιβλίον / biblíon, « papier à écrire »; de βίβλος / bíblos, « écorce/bande de papyrus » + le suffixe diminutif -ίον / -íon, « petite écorce/bandelette de papyrus »; de βύβλος / búblos, « papyrus »; de Βύβλος / Búblos, ville portuaire du Liban d'où il a été importé; du phénicien 𐤂𐤁𐤋 / gbl (/gebal/); synchroniquement depuis 𐤂𐤁 / gb, « puits, origine » + 𐤀𐤋 / ʾl, « Dieu »; diachroniquement depuis Proto-cananéen g-b-l / Gubla.

II De πρῶτος / prỗtos, « premier »; superlatif de πρό / pró, « avant, antérieur »; du Proto-Indo-Européen *per-, « devant, au-delà ».


Texte grec


§ 13. Ἀναξαγόρας δ' ἔοικε μὲν ἕτερον λέγειν ψυχήν τε καὶ νοῦν, ὥσπερ εἴπομεν καὶ πρότερον, χρῆται δ' ἀμφοῖν ὡς μιᾷ φύσει, πλὴν ἀρχήν γε τὸν νοῦν τίθεται μάλιστα πάντων· μόνον γοῦν φησὶν αὐτὸν τῶν ὄντων ἁπλοῦν εἶναι καὶ ἀμιγῆ τε καὶ καθαρόν. Ἀποδίδωσι δ' ἄμφω τῇ αὐτῇ ἀρχῇ, τό τε γινώσκειν καὶ τὸ κινεῖν, λέγων νοῦν κινῆσαι τὸ πᾶν.

§ 14. Ἔοικε δὲ καὶ Θαλῆς ἐξ ὧν ἀπομνημονεύουσι κινητικόν τι τὴν ψυχὴν ὑπολαβεῖν, εἴπερ τὴν λίθον ἔφη ψυχὴν ἔχειν, ὅτι τὸν σίδηρον κινεῖ·

Aristotle, De Anima, Βιβλιον Πρωτον, Κεφαλαιον B' (également disponible ici), p.164, 405a, texte établi par August Immanuel Bekker, Oxford, 1837.


Traductions


Opinions des philosophes antérieurs sur l'âme ; elles se rapportent toutes à deux caractères de l'âme : le mouvement et la sensibilité.
Pour le mouvement, opinions de Démocrite, de Leucippe, des Pythagoriciens et d'Anaxagore.
Pour la sensibilité et la connaissance, opinions d'Empédocle, de Platon et de quelques autres, de Démocrite, d'Anaxagore, de Thalès, de Diogène, d'Héraclite, d'Alcméon, d'Hippon, de Critias. - Exception pour Anaxagore. Diversité des systèmes sur l'espèce et le nombre des principes des choses.

§ 13. Anaxagore semble distinguer l'âme et l'intelligence, comme nous l'avons déjà dit plus haut, bien qu'il les emploie toutes deux, comme si c'était une seule nature : pourtant il fait surtout de l'intelligence le principe de toutes choses. C'est ainsi qu'il dit que, seule de tout ce qui est, l'intelligence est simple, sans mélange et pure. Il attribue à un même principe tout à la fois et de connaître et de mouvoir. quand il avance que l'intelligence meut l'univers.

§ 14. Thalès aussi peut être rangé parmi ceux qui passent pour avoir considéré l'âme comme ce qui produit le mouvement; car il disait que la pierre d'aimant a une âme, parce qu'elle meut le fer.

§ 13. Comme nous l'avons déjà dit, plus haut , § 5. Aristote ne fait guère que répéter ici ce qu'il a déjà dit sur Anaxagore. Voir la note relative au § 9. il semble qu'Aristote ne partage pas l'opinion de Socrate sur le vice du système d'Anaxagore. Voir le Phédon. p. 278, trad. de M. Cousin.

§ 14. Thalès aussi. Philopon blâme Aristote d'avoir ici rapporté l'opinion de Thalès; car il s'agit dans ce passage des philosophes qui ont confondu l'âme avec les principes qu'ils reconnaissaient aux choses, et Aristote revient à l'idée de mouvement dont il n'est plus question. La critique est vraie et cette pensée pouvait être mieux placée.

Psychologie d'Aristote - Traité de l'ame, Chapitre II, 405a, §§ 13-14, traduit en français pour la première fois par J. Barthélemy-Saint-Hilaire, Librairie Philosophique de Ladrange, 1846.



L'âme définie par la connaissance et constituée des éléments.

Anaxagore, lui, semble distinguer l'âme et l'intellect — on l'a dit plus haut —, mais les traite l'un et l'autre comme une seule nature, avec cette réserve qu'il considère l'intellect comme principe souverain de toutes choses. Il déclare en tout cas que seul, parmi tous les êtres, il est simple, sans mélange et pur. Il assigne au même principe les deux fonctions de connaître et de mouvoir, disant que c'est l'intellect qui imprime le mouvement à l'univers. Il semle que Thalès, lui aussi, d'après ce qu'on rapporte, considérait l'âme comme un principe moteur : l'aimant, selon lui, possède une âme puisqu'il met le fer en mouvement.

Aristote, De l'ame, Chapitre II, 405a, p.9, traduction de E. Barbotin, Société d'édition « Les Belles Lettres », 1966.



Texte grec


§ 15. Τοῦτο δὲ πέπονθε καὶ ὁ ἐν τοῖς Ὀρφικοῖς καλουμένοις ἔπεσι λόγος· φησὶ γὰρ τὴν ψυχὴν ἐκ τοῦ ὅλου εἰσιέναι ἀναπνεόντων, φερομένην ὑπὸ τῶν ἀνέμων, οὐχ οἷόν τε δὲ τοῖς φυτοῖς τοῦτο συμβαίνειν οὐδὲ [411a] τῶν ζῴων ἐνίοις, εἴπερ μὴ πάντα ἀναπνέουσιν· τοῦτο δὲ λέληθε τοὺς οὕτως ὑπειληφότας.

§ 16. (Εἰ δὲ δεῖ τὴν ψυχὴν ἐκ τῶν στοιχείων ποιεῖν, οὐθὲν δεῖ ἐξ ἁπάντων· ἱκανὸν γὰρ θάτερον μέρος τῆς ἐναντιώσεως ἑαυτό τε κρίνειν καὶ τὸ ἀντικείμενον. Καὶ γὰρ τῷ εὐθεῖ καὶ αὐτὸ καὶ τὸ καμπύλον γινώσκομεν· κριτὴς γὰρ ἀμφοῖν ὁ κανών, τὸ δὲ καμπύλον οὔθ' ἑαυτοῦ οὔτε τοῦ εὐθέος.)

§ 17. Καὶ ἐν τῷ ὅλῳ δή τινες αὐτὴν μεμῖχθαί φασιν, ὅθεν ἴσως καὶ Θαλῆς ᾠήθη πάντα πλήρη θεῶν εἶναι.

Aristotle, De Anima, Βιβλιον Πρωτον, Κεφαλαιον Ε' (également disponible ici), p.180, 410b-411a, texte établi par August Immanuel Bekker, Oxford, 1837.


Traductions


Suite de la réfutation de cette théories que l'âme est un nombre qui se meut lui-même.
Réfutation de cette autre théorie « que l'âme est formée des éléments, et qu'elle ne peut connaître les choses qu'à la condition de leur être semblable. »
- L'âme n'est pas non plus répandue dans l'Univers entier.
L'âme agit-elle dans tous les cas tout entière ? ou chacune de ses fonctions correspond-elle à une partie spéciale ?

§ 15. C'est là aussi l'erreur que présente cette pensée dans les vers appelés Orphiques. « L'âme, y est-il dit, vient de l'univers entrer dans les animaux, quand ils respirent, apportée par les vents. » Or, cela n'est certes pas possible pour les plantes, ni même pour certains [411a] animaux, puisque tous les animaux ne respirent pas. Mais c'est ce qu'ignoraient ceux qui ont avancé ces assertions hypothétiques.

§ 16. S'il faut d'ailleurs composer l'âme avec les éléments, il ne faut pas du moins la composer avec tous. En effet, il suffit d'une des deux parties de l'opposition, pour juger et cette partie même et l'opposé. Ainsi, par le droit , nous connaissons et le droit lui-même et la courbe. Le juge de tous les deux, c'est la règle, tandis que le courbe ne peut être la mesure ni de lui-même ni du droit.

§ 17. Quelques uns ont cru que l'âme est mêlée dans tout l'univers, et c'est là peut-être ce qui a fait penser à Thalès que tout est plein de dieux.

§ 15. Dans les vers appelés Orphiques. Le mot appelés prouve qu'Aristote ne croyait pas que ces vers fussent réellement d'Orphée (en grec ancien Ὀρφεύς / Orpheús). Le même doute est exprimé encore dans le traité de la Génération des animaux. liv. II. chap. 1, p. 734, a . 19, édit. de Berlin. — Vient de l'univers. Le texte dit « du tout. » Voir aussi sur cette opinion d'Aristote, relative à Orphée, Cicéron, de Natura deorum, liv. 1, chap. 38. — Pour les plantes. Aristote reconnaît une âme dans les plantes, l'âme nutritive. Voir plus loin, liv. Il, chap. 2, § 3.

§ 16. Pour juger et cette partie même. Le texte dit mot à mot . « Et pour que cette partie se juge elle-même. » La traduction que j'ai adoptée me semble plus claire. M. Trendelenbourg rappelle ce principe de Spinoza qui est tout-à-fait identique à celui d' Aristote « Verum sui index et falsi. » — La mesure ni de lui-même ni du droit. Il a donc peut-être eu tort de dire plus haut d'une manière générale qu'une des deux parties de l'opposition est suffisante.

§ 17. Quelques uns ont cru que l'âme est mêlée dans tout l'univers. C'est ainsi que Simplicius comprend ce passage, qui semblerait alors s'adresser aux théories du Timée; mais Philopon admet un autre sens que le texte peut donner aussi « Que l'âme est dans tout corps, et que l'âme se trouve mêlée aux éléments qui composent tous les corps. » Je préfère le premier sens comme étant plus d'accord avec ce qui suit.

Psychologie d'Aristote - Traité de l'ame, Chapitre V, 410b-411a, §§ 15-17, traduit en français pour la première fois par J. Barthélemy-Saint-Hilaire, Librairie Philosophique de Ladrange, 1846.



Critique des théories diverses sur la nature de l'âme : suite et fin

Ces théories ne s'appliquent pas à toute espèce d'âme.

Sous ce même grief tombe aussi la doctrine exprimée dans les vers attribués à Orphée : d'après elle, l'âme provient de l'univers extérieur et pénètre dans les êtres vivants par la respiration, les vents lui servant de véhicule — chose impossible dans le cas des plantes et de certains animaux, puisque tous ne sont pas doués de respiration ! C'est ce qui a échappé aux tenants de cette opinion. — Quand bien même il faudrait constituer l'âme en partant des éléments, il n'est nullement nécessaire de les prendre tous comme principes. En effet, l'un ou l'autre terme de la contrariété suffit à se juger lui-même ainsi que son contraire. C'est ainsi que par la ligne droite nous connaissons la ligne droite elle-même et la courbe, car la règle les juge tous deux (tandis que la courbe ne juge ni elle-même ni la ligne droite).

L'âme serait-elle présente en toutes choses ?

Certains autres penseurs déclarent que l'âme est mêlée à l'univers entier : peut-être est-ce l'origine de l'opinion de Thalès que tout est plein de dieux.

Aristote, De l'ame, Chapitre V, 410b-411a, p.25, traduction de E. Barbotin, Société d'édition « Les Belles Lettres », 1966.



Callimaque de Cyrène (-305 🏺, à Cyrène-240 🏺, à Alexandrie)

(en grec ancien Καλλίμαχος ὁ Κυρηναῖος / Kallímakhos ho Kurênaîos;
↳ de κᾰλλῐ́μᾰχος / kallímakhos, « se battre noblement »; de κάλλος / kállos, « beauté, noblesse » + μᾰ́χη / mákhē, « combat » + -ος / -os, suffixe nominale masculin.
↳ Κῡρηναῖος / Kūrēnaîos, « un Cyrénien, une habitant de Cyrène »; de Κῡρήνη / Kūrḗnē, « Cyrène » + le suffixe adjectival d'appartenance -ῐος / -ios, « de »; dans la mythologie grecque, Cyrène ou Kyrène, « reine souveraine », était une princesse de Thessalie, et plus tard, la reine de la ville nord-africaine de Cyrène en Libye.)

Poète, critique et érudit à la Bibliothèque d'Alexandrie, il jouissait du patronage des pharaons égypto-grecs PtoléméeI II PhiladelphusII et Ptolémée III Euergetes. Bien qu'il n'ait jamais été nommé bibliothécaire en chef, il était chargé de produire une enquête bibliographique basée sur le contenu de la bibliothèque. Il fait partie des savants-poètes les plus productifs et les plus influents de l'époque hellénistique.

I En grec ancien Πτολεμαίος / Ptolemaios, « combattant »; de πτόλεμος / ptólemos, « bataille, guerre » + le suffixe adjectival -αῖος / -aîos.

II En grec ancien Φιλάδελφος / Philadelphos, « Qui aime / marque de l'affection pour son frère / sa sœur »; de φίλος / phílos, « aimant » + ἀδελφός / adelphós, « frère »; du Proto-Hellénique * pʰílos; du Proto-Indo-Européen * bʰil-o-s; de * bʰil-, « décent, bon, harmonieux, amical » + de δελφύς / delphús, « matrice, utérus » + le préfixe copulatif (qui sert à lier, à unir) ἀ- / a-, « en- »

II En grec ancien Εὐεργέτης Euergetes, « le Bienfaiteur »; du préfixe εὐ- / eu-, « bien » + ἔργον / érgon, « travail, labeur, tâche » + suffixe agentif masculin -της / -tēs (Suffixe permettant de créer à partir d’un adjectif le nom désignant la qualité correspondante).


Iambes

(en grec ancien ἴαμβος / íambos; (Prosodie ancienne) Pied de deux syllabes dont la première est brève et la dernière longue, pamphlet.)

“ Les Iambes tiraient leur nom du mètre employé par Callimaque dans cet ouvrage : le « choliambe » ou iambe « scazon », emprunté au vieux poète Hipponax I. Nous savons que le livre était divers de matière avec un caractère polémique. Dans l'état de mutilation où il nous est parvenu, on ne saurait songer à s'en faire une idée nette. ”

Callimaque, Iambes (également disponible ici), I, pp.79-80, texte traduit par Joseph Trabucco, Librairie Garnier Frères, 1934

I En grec ancien Ἰππῶναξ / Hippỗnax, « seigneur des chevaux »; Poète grec de la deuxième moitié du VIe siècle av. J.-C. Avec Archiloque de Paros II et Sémonide d'Amorgos III, il est l'un des trois plus grands représentants de la poésie iambique.

II En grec ancien Ἀρχίλοχος / Arkhílokhos; de ἄρχω / árkhō; du Proto-Indo-Européen * h₂ergʰ-, « commencer, régner, commander »; +‎ λόχος / lókhos; nom verbal de timbre O de λέχομαι / lékhomai, « je gis »; du Proto-Indo-Européen * legʰ-, « gésir, être ou adopter une position horizontale ou de repos sur une surface de support »; poète élégiaque grec.

III En grec ancien Σημωνίδης Ἀμοργῖνος / Simōnidēs Amorginos; de Σῐ́μων / Símōn; de hébreu ancien שִׁמְעוֹן / Šimʿón + suffixe ajouté au nom d'un père pour former un patronyme masculin -ῐ́δης / -ídēs, « fils de »; et de ἀμοργίς / amorgís, « tiges de mauve (plantes du genre Malva ou Lavatera) » + suffixe adjectival relatif à la matière, au temps, etc. -ῐνος / -inos, « fait de, pendant le temps de »; poète iambique grec.


Texte grec

I
(The Oxyrhynchus Papyri. VII, n° 1011, v. 92 sqq.)


Supplementa, aliunde nota, in texta ipso apposuimus.
Ἀνὴρ Βαθυκλῆς Ἀρκάς — οὐ μακρὴν ἄξω
·······························καὶ γὰρ οὐδ αὐτός
μέγα σχολάζων εἰμὶ πὰρ μέσον δινεῖν
···························································································
Quae sequuntur — circa triginta uersus — aut ualde mutila sunt, aut omnino desunt...
···························································································
Ἔπλευσεν ἐς Μίλητον ἦν γὰρ ἡ νίκη
Θάλητος, ὅς τ ἦν τἄλλα δεξιὸς γνώμῃ 15
καὶ τῆς ἁμάξης ἐλέγετο οταθμήσασθαι
τοὺς ἀστερίσκους, ᾗ πλέουσι Φοίνικες.
13 μέσον δινεῖν Iectio incerta ǁ 14-15 in charta non comparent ; restituendi sunt ex Acill. Tat. in Arat. Phaenom. cap. I (fr. 94 Schneid.)
p. 166


Εὗρεν δ ὁ προυσέληνος αἰσίῳ σίττῃ
ἐν τοῦ Διδυμέος τὸν γέροντα κωνείῳ
ξύοντα τὴν γῆν καὶ γράϕοντα τὸ σχῆμα 20
τοὐξεῦῤ ὁ Φρὺξ Εὔϕορϐος, ὅστις ἀνθρώπων
τρίγωνα καὶ σκαληνά πρῶτος ἔγραψε
καὶ κύκλον επ. ············································
τῶν ἐμπνεόντων ε. ······································
οὐ πάντες ἀλλ οὓς εἶχεν ······························· 25
πρὸς δή μιν ὧδ ἔϕησε. ·································
ἐκεῖνο τοὐλόχρυσον ἐξ. ································
οὑμὸς πατὴρ ἐϕεῖτο του ································
δοῦν ὅστις ὑμέων τῶν σοϕ. ···························
τῶν ἑπτά· κἠγὼ σοὶ δίδωμ. ··························· 30
··············· σκίπωνι τοὔδα. ···························
··········· ην ὑπήνην τἠτέρῃ ····························
ἐξεῖπε· τὴν δόσιν μὲν. ···································
···························································································
Quae sequebantur usque ad finem narrationis desunt. Enotuerunt haec :
ex Cramer Anecd. Ox. II, 297 (fr. 89, Schn.).
Σόλων· ἐκεῖνος δʹ ὡς Χίλωνʹ ἀπέστειλε.
ex Etym. Magn. 442, 10 (fr. 96 Schn.).
πάλιν τὸ δῶρον ἐς Θάλητʹ ἀνώλισθεν. 35
ex Diog. Laert. I, 29 (fr. 95 Schn.).
Θαλῆς με τῷ μεδεῦντι Νειλέω δήμου
δίδωσι, τοῦτο δὶς λαϐὼν ἀριστεῖον.
19 ϰωνείῳ Hunt: ϰωνηω ǁ 22 τρίγωνα Hunt: ιγ desunt ǁ σϰαληνὰ Hunt: in charta tantum σϰ. Haec supplementa ex Diog. Laert. I, 24 et Diod X. 6 petita sunt (fr. 83 a. Schneid.) ǁ 23 sqq. Hos uersus sic restituit Hunt, supplementa petens ex iisdem auct. (fr. 83 a. Schn.) atque ex Schol. Pind. Pyth. III, 64 (fr. 91 Schn.). τὸν ϰύϰλον ἐπταμήϰεʹ, ήδὲ νηστεύειν | τῶν ἐμπνεόντων εἷπεν· οἱ δʹὑπήϰουσαν οὐ πάντες, ὰλλʹοὒς εἷχεν οὔτερος δαίμων ǁ 29 δοῦν ʹὅστις Hunt: νʹος in charta desunt. ǁ σοφ: σοφῶν ὁνήιστος restit. Hunt ǁ 30 in fine uersus ἀριστεῑον Hunt ǁ 31-32 Θαλῆς δὲ τῷ σϰίπωνι τοὅδαφος πλήξας ϰαὶ τὴν ύπήνην τἠτέρῃ λαϐὼν χειρί rest. Hunt.
p. 167

Callimaque,Iambes, I, texte établi par Émile Cahen, Société d'édition « Les Belles Lettres», 1922


Traductions

I
Prologue et Histoire de la coupe de Bathyclès I

I En grec ancien Βαθυκλῆς / Bathuklếs; de βᾰθῠ́ς / bathús, « profond » + -κλῆς / -klês, « renommée »; Sculpteur grec du VIe siècle av. J.-C., originaire de Magnésie du Méandre (en Ionie).


Écoutez, écoutez Hipponax 1; j'arrive de là-bas, où l'on a un bœuf pour une obole, et j'apporte ici mes Iambes, mais non pas mes Iambes de guerre, du combat contre Boupalos I...

······················ Lacune et vers mutilés ······················

Par Apollon ! comme les mouches dans la cabane du berger,... ou les guêpes... (ou les convives) au banquet delphien 2... (les gens se rassemblent)... par Hécate II, quelle foule... (à parler) on perdra son souffle... à bas le manteau ! Silence, et passez par écrit mon discours. Bathyclès 3, l'Arcadien — j'irai vite... car je n'ai pas grand loisir pour tournailler par ici.

······························ Lacune ······························

(Le fils de Bathyclès) fit voile vers Milet, car le prix revenait à Thalès, savant en toutes choses, et qui sut déterminer la figure étoilée du Chariot, qui guide le marin de Phénicie. Sous bon auspice, l'Arcadien 4 le trouva dans le temple de Didymes 5 (en grec ancien Δίδυμα / Dídyma), à râcler le sol de sa férule, y gravant la figure trouvée par Euphorbos le Phrygien 6 qui le premier dessina triangles et scalènes et cercles, et qui enseigna à s'abstenir de toute chair; on le suivit, non pas tous, mais ceux que tenait un mauvais démon. L'homme ainsi lui parla...
« Cette coupe d'or massif.... mon père m'a chargé... de la donner au meilleur des sept sages... Et je te la donne.... »

Alors Thalès, frappant le sol de son bâton, et tenant sa barbe dans sa main, répliqua : « Ce présent...

······························ Lacune ······························

(La coupe vint à) Solon; et Solon l'envoya à Chilon 7...

······························ Lacune ······························

... Et le présent revint aux mains de Thalès...

······························ Lacune ······························

... Thalès me consacre au dieu qui veille sur le peuple du Nil, après m'avoir, deux fois, reçue comme prix...


1 Hipponax d'Éphèse, le iambographe de la 2e moitié du VIe siècle avant J.-C. est censé ici arriver des enfers, où un bœuf vaut une obole (cf. Ép. XIII, 6). Il avait poursuivi de ses railleries le sculpteur Boupalos.

2 Le « banquet delphien » était une expression proverbiale, pour désigner le fait de ne pas profiter de ses propres dépenses : la foule était si grande aux sacrifices delphiens que le sacrifiant n'avait pas lui-même sa part de la victime.

3 L'histoire de la coupe offerte « au plus sage des Grecs » est racontée, entre autres, par Diogène Laërce (I, 28 et suiv.), qui en donne trois versions différentes : Callimaque suit ici un historien local, Maiandrios de Milet. Balhyclès l'Arcadien ne semble pas pouvoir être identifié à l'artiste connu du même nom, qui était de Magnésie.

4 Le grec dit « avec un oiseau — le pivert, σίττη📚 — favorable», et « l'homme d'avant la lune», προσεληνος. Les Arcadiens passaient pour le peuple le plus ancien de l'Hellade.

5 Didymes, près de Milet, avec un temple et un oracle célèbres d'Apollon.

6 C'est-à-dire Pythagore. Le Phrygien Euphorbos, un des personnages de l'Iliade, fils de Panthos, fut tué par Ménélas, qui suspendit son bouclier dans un temple d'Argos. Pythagore, de par la métempsychose, prétendait avoir été ce personnage. Dans plusieurs textes il est désigné sans autre explication, comme ici, sous le nom d'Euphorbos : ainsi, chez Lucien (Dial. mort. XX), Ménippe, s'adressant à Pythagore: « Euphorbe, ou Apollon, ou de quelque nom que tu te veuilles être appelé. » De même Horace (Odes, I, 28, 10) le désigne par le nom de Panthoides III.

7 Ces vers et les suivants ne figurent pas sur le papyrus. Ils sont empruntés à diverses sources. Après avoir fait le tour des Sept Sages, a coupe revient une seconde fois à Thalès, qui la consacre dans le temple d'Apollon Didyméen.


Callimaque,Iambes, I, pp.166-167, texte traduit par Émile Cahen, Société d'édition « Les Belles Lettres», 1922


I En grec ancien Βοὐπαλος / Boúpalos; sculpteur et architecte de la Grèce antique, à l'époque archaïque. Il est connu principalement pour sa querelle avec le poète satirique Hipponax, rendue proverbiale par les auteurs de l'Antiquité.

II En grec ancien Ἑκάτη / Hekátê, Déesse de la Lune dans la mythologie grecque.

III Mais aussi fils de Panthoüs



Écoutez Hipponax; je viens du pays où un bœuf coûte une obole, et j'apporte ici mes Iambes, non pas mes Iambes guerriers contre Boupalos 1.

······························ Lacune ······························

Par Apollon! comme les mouches dans la chaumine du berger... ou les guêpes... (ou les invités) au banquet delphien 2... (les gens accourent)... par Hécate, que de monde... (à parler) on perdra le souffle... j'ôterai le manteau. Faites silence et écrivez mon discours. Bathyclès, l'Arcadien, ce ne sera pas long... car le temps me manque pour tournailler par ici.

······························ Lacune ······························

(Le fils de Bathyclès) fit voile vers Milet, car le prix appartenait à Thalès qui, savant universel, avait mesuré, dit-on, la figure étoilée du Chariot, guide du marin de Phénicie. Un pivert donna un présage favorable et l'homme d'avant la lune (l'Arcadien) trouva le vieillard dans le temple de Didymes 3. Il râclait le sol de sa férule et y inscrivait la figure que trouva Euphorbos le Phrygien 4, le premier qui dessina triangles et scalènes et cercles, (et qui enseigna à s'abstenir de la chair) des animaux; (on le suivit), non pas tous, mais ceux qu' (un mauvais démon) possédait. L'homme lui dit ceci... « Cette coupe d'or massif... mon père m'a prié... de la donner au meilleur des sept sages... Je te la donne...» Alors Thalès, frappant le sol de son bâton, et prenant sa barbe dans sa main, parla à son tour ; « Ce présent...

······························ Lacune ······························

Solon (eut la coupe), et il la passa à Chilon...

······························ Lacune ······························

... Et le présent revint à Thalès...

······························ Lacune ······························

Thalès me consacre au dieu qui protège le peuple du Nil, m'ayant deux fois reçue comme prix...


1 Pour Hipponax voir notre notice sur Hérondas. Boupalos : sculpteur, raillé par Hipponax.

2 Expression qui signifie ne pas avoir le profit de ce que l'on dépense. Il y avait une telle presse aux sacrifices de Delphes que celui qui sacrifiait ne recevait même pas ce qui devait lui revenir de la victime.

3 Près de Milet. Il y avait dans cette ville un temple et un oracle d'Apollon.

4 Euphorbos le Phrygien est d'abord un personnage de l'Iliade. Mais Pythagore ayant prétendu que ce héros revivait en lui, c'est de Pythagore qu'il s'agit ici.


Callimaque, Iambes (également disponible ici), I, pp.79-80, texte traduit par Joseph Trabucco, Librairie Garnier Frères, 1934

Cicéron 📚 (3 janvier -106 🏺, à Arpinum7 décembre -43 🏺, assassiné à Formies)

(Tria Nomina en latin Marcus Tullius Cicero;
➥ Le praenomen Marcus (appellation individualisée du citoyen); forme contractée de *Marticus; de l'adjectif Martius + le suffixe adjectival -icus; dérivé de Mars + le suffixe adjectival -ius, « de Mars, provenant du dieu des guerriers, de la jeunesse et de la violence de la mythologie romaine. »

➥ Le nomen Tullius 📚 (nom de famille); dérivé de Tullus + le suffixe -ius, « gros, gras, grand ».

➥ Le cognomen Cicero (le surnom); de cicer, « pois chiche », métaphore pour désigner la verrue faciale d’un ancêtre; du Proto-Indo-Européen *ḱiker-, « pois »)


Orateur, homme politique et philosophe romain; il publie une abondante production, d’ouvrages sur la rhétorique et d’adaptation en latin des théories philosophiques grecques, considérée comme un modèle de l’expression latine classique, et dont une grande partie nous est parvenue.


De Re Publica 📚

(du latin res publica; composé de res et de publicus, « chose publique, bien public »; du Proto-Indo-Européen *reh₁ís, « richesse, biens » et de la forme contractée de populicus; de populus, « peuple » + le suffixe adjectival -icus)

Traité sur la politique, écrit en -54. L'ouvrage, écrit sous la forme d'un dialogue platonicien, traite de la meilleure forme d'État et de la manière de bien conduire un État. Cette question avait déjà été abordée par les Grecs avec La Politique d’Aristote et La République de Platon. Cicéron applique leurs analyses aux institutions de la République romaine, pour établir que la République du IIe siècle avant notre ère était la cité la plus proche de l’équilibre idéal formulé par ces théories. Il complètera ce traité par le De Legibus, ouvrage consacré à l’aspect législatif des institutions.


Livre I

Introduction, présentation des protagonistes, Cicéron place ses dialogues vers -129, moment où, selon lui, cette République quittait l’équilibre idéal qu’il va décrire, avant que, toujours selon lui, l'intervention des Gracques ne bouleverse l’harmonie républicaine.


Texte latin

XIV. Tum Philus : Nihil novi vobis afferam, neque quod a me sit cogitatum aut inventum : nam memoriâ tenio C. Sulpicium Gallum , doctissimum ut scitis hominem , cùm idem hoc visum diceretur , et esset casu apud M. Marcellum , qui cum eo consul fuerat, sphæram 1, quam M. Marcellus avus 2 captis Syracusis ex urbe locupletissimâ atque ornatissimâ sustulisset, cùm aliud nihil ex tantâ prædâ domum suam deportavisset jussisse proferri : cujus ego sphæræ cùm persæpe propter Archimedi 3 gloriam nomen audissem, speciem ipsam non sum tanto opere admiratus : erat enim illa venustior et nobilior 4 in vulgus, quam ab eodem Archimede factam posuerat in templo Virtutis Marcellus idem. Sed postea quàm cœpit rationem hujus operis scientissime Gallus exponere, plus in illo siculo ingenii, quàm videretur natura humana ferre potuisse, judicabam 5 fuisse. Dicebat enim Gallus, sphæræ illius alterius solidæ atque plenæ vetus esse inventum, et eam a Thalete milesio primum esse tornatam 6 : post autem ab Eudoxo cnidio discipulo, ut ferebat, Platonis eamdem illam astris 7 cœlo inhærentibus 8 esse descriptam; cujus omnem ornatum et descriptionem, sumptam ab Eudoxo, multis annis post non astrologiæ scientiâ sed poeticâ quâdam facultate versibus Aratum extulisse. Hoc autem sphæræ genus, in quo solis et lunæ motus inessent, et earum quinque stellarum, quæ errantes et quasi vagæ nominarentur, in illâ sphærâ solidâ non potuisse finiri. Atque in eâ admirandum esse inventum Archimedi, quod excogitasset quemadmodum in dissimillimis motibus inæquabiles et varios cursus servaret una conversio. Hanc sphæram Gallus cùm moveret, fiebat ut soli luna totidem conversionibus in aere illo quot 9 diebus in ipso cœlo succederet; ex quo et in cœlo sphæra 10 solis fieret eadem illa defectio, et incideret luna tum in eam metam, quæ esset umbra terræ, cùm sol e regione. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


XVI. Atque ejusmodi quiddam etiam bello 11 illo maximo, quod Athenienses et Lacædemonii 12 summâ inter se contentione gesserunt, Pericles ille et auctoritate et eloquentiâ et consilio princeps civitatis suæ, cùm obscurato sole tenebræ factæ essent 13 repente, Atheniensiumque animos summus timor occupavisset, docuisse cives suos dicitur id quod ipse ab Anaxagora, cujus auditor fuerat, acceperat, certo illud 14 tempore fieri et necessario, cùm tota se luna sub orbem solis subjecisset : itaque etsi non omni intermenstruo, tamen id fieri non posse, nisi certo intermenstruo 15 tempore. Quod cùm disputando rationibusque docuisset, populum liberavit metu : erat enim tunc 16 hæc nova et ignota ratio, solem lunæ oppositum solere deficere; quod Thaletem milesium primum vidisse dicunt. Id autem postea ne nostrum quidem Ennium fugit, qui 17 ut scribit anno quinquagesimo CCC. fere post Romam conditam non. juniis 18 « soli luna obstitit et nox ». Atque hâc in re tantâ inest ratio atque solertia, ut ex hoc die, quem apud Ennium et in maximis annalibus consignatum videmus, superiores 19 solis defectiones reputatæ sint, usque ad illam quæ nonis quinctilibus 20 fuit regnante Romulo : quibus quidem Romulum tenebris, etiam si natura ad humanum exitum abripuit, virtus tamen in cœlum dicitur sustulisse.


1 In codice modo scribitur sfæra, modo sphæra, modo sphera.
2 Cod. primâ manu Marcellus; secundâ Marcelli avus, quæ est emendatio certissima.
3 Archimedi in secundo casu more suo Tullius, ut pro Balbo XXV Theophani; ad Brut. ep. XV, et de Or. II. 74 Themistocli; ad Att. XIII. 28 Aristoteli; Brut. VII. LXXXIII Thucydidi, Tusc. I. 41 Ulyxi; de Or. II. 22. 23. Brut. XV. LXXXIII Demostheni et Pericli: unde etiam Persius IV. 3 magni pupille Pericli. Lege et Quintilianum Inst. I. 5. Sic loquitur etiam Fronto.
4 Cod. primâ manu novilior, secundâ nobilior.
5 Cod. judicam; sed mox factum judicabat. Mihi videbatur scribendum judicabam.
6 lta cod. secundâ manu; et primâ ornatam. Cicero in Arateis 3o4 : tam tornare cate contorlos possiet orbes.
7 Cod. primâ manu illam stellisque cœlo; secundâ vero deletum stellisque et scriptum astris.
8 Cod. sine diphthongo, inherentibus , sed deinde haud scio an sit superaddita a.
9 Cod. habet quod, ob sonum videlicet similem sequentis litteræ d. Profecto Longus p. 2231 jani obacrvavit, quot et quod male aliquoties confundi.
10 Cod. sphela, quamquam l non caret interpolatione. Superius cap. V vidimus lacelari. Sed enim vox ipsa sphœra hîc omittenda videtur, vel scribendum cœli sphœrâ.
11 Cod. primâ manu vello, secundâ bello.
12 Ita in cod. constanter Lacœdemonius et Lacœdemon curm diphthongo in secundâ syllabâ, cùm vulgo scribatur in tertiâ. Vaticanæ scripturæ favet gentile lacœna, et vocis etymologia, siqua est, ex δῆμος 📚
13 Eadem locutio est in sacris litteris Matth. XXVII. 45, Marc. XV. 33.
14 Cod. illut pro illud.
15 Intermenstruo superadditum est secundâ manu.
16 Cod. primâ manu tum, secundâ tunc.
17 Ita cod.
18 Cod. junis pro juniis.
19 Cod. primâ manu superioris, secundâ superiores.
20 Cod. primâ manu quinctilibus; mox deleta c, quod fieri non fuit necesse, propter alia in vetustis codicibus exempla.


La République de Cicéron. Tome Premier. M. Tulli Ciceronis. De Re Publica. Liber Primus. XIV, XVI, d'après le texte inédit, récemment découvert et commenté par M. Mai (Le palimpseste Vaticanus Latinus 5757 ), Bibliothèque du Vatican. Avec une traduction française par M. Villemain, de l'Académie Française, L.-G. Michaud, Librairie, 1823



XIV. Tum Philus : Nihil novi vobis afferam, neque quod a me sit cogitatum aut inventum ; nam memoria teneo, C. Sulpicium Gallum, doctissimum, ut scitis, hominem, quum idem hoc visum diceretur, et esset casu apud M. Marcellum, quicum eo consul fuerat, sphæram, quam M. Marcelli avus, captis Syracusis, ex urbe locupletissima atque ornatissima sustulisset, quum aliud nihil ex tanta præda domum suam deportavisset, jussisse proferri : cujus ego sphæræ quum persæpe, propter Archimedi gloriam, nomen audissem, speciem ipsam non sum tanto opere admiratus : erat enim illa venustior et nobilior in vulgus, quam ab eodem Archimede factam posuerat in templo Virtutis Marcellus idem. Sed posteaquam cœpit rationem hujus operis scientissime Gallus exponere, plus in illo Siculo ingenii, quam videretur natura humana ferre potuisse, judicabam fuisse. Dicebat enim Gallus, sphæræ illius alterius solidæ atque plenæ vetus esse inventum, et eam a Thalete Milesio primum esse tornatam : post autem ab Eudoxo Cnidio discipulo, ut ferebat, Plalonis eamdem illam astris cælo inhærentibus esse descriptam; cujus omnem ornatum et descriptionem, sumptam ab Eudoxo, multis annis post, non astrologiæ scientia, sed poetica quadam faculiate versibus Aratum extulisse. Hoc autem sphæræ genus, in quo solis et lunæ motus inessent, et earum quinque stellarum, quæ errantes et quasi vagæ nominarentur, in illa sphæra solida non potuisse finiri; atque in eo admirandum esse inventum Archimedi, quod excogitasset, quemadmodum in dissimillimis motibus inæquabiles et varios cursus servaret una conversio. Hanc sphæram Gallus quum moveret, fiebat, ut soli luna totidem conversionibus in aere illo, quot diebus in ipso cælo, succederet, ex quo et in [cælo] sphæra solis fieret eadem illa defectio, et incideret luna tum in eam metam, quæ esset umbra terræ, quum sol e regione.....
(Octo paginæ hic a Maio desiderantur.)


XVI. Atque ejusmodi quiddam etiam bello illo maximo, quod Athenienses et Lacedæmonii summa inter se contentione gesserunt, Pericles ille, et auctoriate et eloquentia et consilio princeps civitatis suæ, quum obscurato sole tenebræ factæ essent repente, Atheniensiumque animos summus timor occupavisset, docuisse cives suos dicitur id, quod ipse ab Anaxagora, cujus auditor fuerat, acceperat, certo illud tempore fieri et necessario, quum tota se luna sub orbem solis subjecisset : itaque etsi non omni intermenstruo, tamen id fieri non posse, nisi certo intermenstruo tempore. Quod quum disputando rationibusque docuisset, populum liberavit metu : erat enim tunc hæc nova et ignota ratio, solem lunæ oppositu[m] solere deficere; quod Thaletem Milesium primum vidisse dicunt. Id autem postea ne nostrum quidem Ennium fugit, qui ut scribit, anno ccc quinquagesimo fere post Romam conditam ?

.... Nonis Junis soli luna obstitit et nox.

Atque hac in re tanta inest ratio atque sollertia, ut ex hoc die, quem apud Ennium et in maximis annalibus consignatum videmus, superiores solis defectiones reputatæ sint usque ad illam, quæ Nonis Quintilibus fuit regnante Romulo : quibus quidem Romulum tenebris etiamsi natura ad humanum exitum abripuit, virtus tamen in cælum dicitur sustulisse.


Œuvres complètes de Cicéron. Tome Quatrième. De Re Publica. Liber Primus. XIV 📜, XVI 📜, avec la traduction en français publiées sous la direction de M. Nisard de l'Académie Française Inspecteur Général de l'Enseignement Supérieur, Chez Firmin Didot Frères, Fils et Cie, Libraires Imprimeurs de l'Institut de France, 1864
(également disponible ici et une édition de 1868 )


Traductions

XIV. Philus prenant la parole : Je ne vous présenterai, dit-il, rien de nouveau, ni découverte, ni pensée qui m'appartienne; car voici ce dont je me souviens. Sulpicius Gallus 1, homme d'une profonde doctrine, comme vous le savez, entendant un jour le récit d'un prodige semblable, et se trouvant chez Marcellus, qui avait été son collègue dans le consulat, demanda qu'on lui mit sous les yeux un globe céleste I, que l'aïeul de Marcellus avait autrefois enlevé après la prise de Syracuse, du milieu de cette magnifique et opulente ville, sans rapporter dans sa maison d'autre butin d'une si grande conquête. J'avais entendu souvent citer cette sphère, à cause de la grande renommée d'Archimède III. L'aspect ne m'en parut pas fort remarquable. Il en existait une autre I, d'une forme plus élégante et plus connue du vulgaire, ouvrage du même Archimède, et placée par le même Marcellus à Rome, dans le temple de la Vertu. Mais sitôt que Gallus eut commencé d'expliquer avec une haute science la composition de cette machine, je jugeai qu'il y avait eu dans le géomètre 2 sicilien un génie supérieur à ce qui semblait la portée de l'humaine nature. Gallus nous disait, que cette autre sphère solide et compacte était d'une invention fort ancienne, et que le premier modèle en avait été donné par Thalès de Milet; que, dans la suite, Eudoxe de Gnide IV, disciple de Platon, avait tracé sur ses contours les astres attachés à la voûte des cieux; et que beaucoup d'années après, empruntant à Eudoxe ce dessin et cette belle ordonnance, Aratus V leur avait donné l'éclat des vers, sans avoir lui-même la connaissance de l'astronomie, et par la seule force de son instinct poétique. Il ajoutait que cette configuration de la sphère, qui représente les mouvemens de la lune, du soleil, et des cinq étoiles nommées errantes ou irrégulières VI, n'avait pu s'appliquer à ce premier globe d'une forme solide; et que l'art merveilleux d’Archimède était d'avoir tellement combiné sa nouvelle sphère, que dans le jeu de mouvemens disparates, une seule impulsion déterminait des résultats inégaux et variés. En effet, Gallus touchait-il cette sphère 3, on voyait, sur sa surface, la lune remplacer le soleil par un tour de cercle, autant de fois qu'elle le remplace dans les cieux par l'intervalle d'un jour; d'où il résultait que la disparition du soleil s'y trouvait marquée comme dans les cieux, et que la lune touchait le point où elle est obscurcie par l'ombre de la terre, à l'instant où le soleil reparaissait sur l'horizon, etc. 4


XVI. On raconte même d’une manière à peu-près semblable, que, dans cette grande guerre où les Athéniens et les Lacédémoniens luttèrent ensemble avec une si violente animosité, ce fameux Périclès VII, le premier homme de son pays par le crédit, l’éloquence et le génie politique, voyant les Athéniens préoccupés d’une excessive frayeur, à la suite d’une éclipse de soleil qui avait répandu tout d’un coup les ténèbres, leur enseigna ce qu’il avait lui-même appris à l’école d’Anaxagore VIII; que de semblables effets arrivaient dans un intervalle précis et nécessaire, lorsque la lune se trouvait placée toute entière sous le soleil; et que par ce motif, bien qu’il n’en fût pas ainsi à tous les commencemens de mois, cela ne pouvait jamais avoir lieu qu’à des renouvellemens de la lune. Ayant démontré cette vérité par le raisonnement, il délivra le peuple de ses craintes. Car c’était alors un système nouveau et inconnu, que celui de l’obscurcissement du soleil par l’interposition de la lune; et l’on dit que Thalès de Milet l’avait entrevu le premier; mais dans la suite cette notion ne fut pas ignorée même de notre Ennius IX, qui écrit que vers l’an 35o de la fondation de Rome, aux nones de juin,

Le soleil fut couvert par la lune et la nuit.

Telle est, au reste, en cette matière, la perfection du calcul et de l’art, qu’à partir de ce jour ainsi consigné pour nous dans les vers d’Ennius, et dans les registres des Pontifes, on a supputé les éclipses antérieures, jusqu’à celle qui était arrivée aux nones de juillet, sous le règne de Romulus X, éclipse dont la soudaine obscurité permit de supposer que Romulus, en dépit de cette périssable nature qui l’entraîna vers une fin toute humaine, avait été miraculeusement porté dans les cieux.


1 Cicéron nomme plusieurs fois ce Gallus, pour sa science et sa passion de l’astronomie. — Pline, liv. II, ch. xix, le cite comme partageant l’opinion de Pythagore, que la terre est éloignée de la lune de 126,000 stades, et que sa distance du soleil est double de ce nombre.
2 On sait que ce fut Cicéron qui, curieux de toute espèce d’étude et de gloire, rechercha et découvrit, à Syracuse, la sépulture d’Archimède, oubliée dans un lieu désert, entourée de ronces, et reconnaissable seulement par la figure d’une sphère qui surmontait le tombeau.
3 Cette sphère, à l’exactitude près, ressemblait, comme l’on voit, à la sphère mobile que les Anglais ont appelée Orery, du nom d’un célèbre protecteur des sciences, qui fit construire cette machine : « C'est, dit Voltaire, une très-faible copie de notre monde
« planétaire et de ses révolutions. La période même du change-
« ment des solstices et des équinoxes, qui nous amène, de jour
« en jour, une nouvelle étoile polaire, cette période, cette course
« si lente d’environ vingt-six mille ans, n'a pu être exécutée par
« des mains humaines, dans nos Orery. Cette machine est très-
« imparfaite; il faut la faire tourner avec une manivelle. Cepen-
« dant c'est un chef-d’œuvre de l’habileté de nos artisans. Jugez
« donc quelle est la puissance, quel est le génie de l’éternel Ar-
« chitecte, si l’on peut se servir de ces termes impropres, si mal
« assortis à l’Être suprême ! » 📚 La science actuelle parlerait avec moins de respect de ces Orery; mais on concevra sans peine quelle admiration devait inspirer, dans la peu savante et ingénieuse antiquité, la première ébauche d’un semblable travail.
4 La traduction a complété la phrase mutilée de l’original; la suite de ce détail astronomique manque dans le manuscrit, jusqu'au moment ou Scipion en revient à parler de Gallus.


La République de Cicéron. Tome Premier. De La République. Livre Premier. XIV, d'après le texte inédit, récemment découvert et commenté par M. Mai (Le palimpseste Vaticanus Latinus 5757 ), Bibliothèque du Vatican. Avec une traduction française par M. Villemain, de l'Académie Française, L.-G. Michaud, Librairie, 1823 (édition de 1878 également disponible ici)



I Dont subsiste un potentiel exemplaire récent de plus d’un siècle, nommé Machine d’Anticythère II puisque découvert au large de cette île grecque en 1901 dans une épave d’un navire de charge romain qui a fait naufrage au deuxième quart du Ier siècle avant notre ère.
II En grec ancien Ἀντῐκῠ́θηρᾰ / Antikúthēra, « en face de Cythère »; de ᾰ̓ντῐ- / anti-, « en face, en opposition, à l’égal de, semblable à ») +‎ Κῠ́θηρᾰ / Kúthēra, « Cythère »; Île grecque située entre le Péloponnèse et la Crète, près de Cythère.
IIIEn grec ancien Ἀρχιμήδης / Arkhimḗdēs; le préfixe ἀρχι- / arkhi- +‎ μήδεα / mḗdea +‎ le suffixe -ης / -ēs
➥ de ἄρχω / árkhō, « commencer, gouverner » ou ἀρχός / arkhós, « chef »; du Proto-Indo-Européen *h₂ergʰ-, « commencer, régner, commander »
➥ du Proto-Hellénique *mḗdeha; du Proto-Indo-Européen *méh₁desh₂; de *med-, « mesurer, conseiller »
Célèbre géomètre, physicien et mathématicien (-287, à Syracuse-212, à Syracuse) 🏺.
IV En grec ancien Εὔδοξος / Eúdoxos ὁ Κνίδιος / ho Knídios; astronome, géomètre (élève du pythagoricien Archytas de Tarente), médecin (élève de Philistion de Locres) et philosophe grec, il composa plusieurs ouvrages dont aucun ne nous est parvenu, seul son traité sur Les Phénomènes se retrouve presque en entier dans la première partie du poème d’Aratos V (-408, à Cnide-355, à Cnide) 🏺.
V En grec ancien Ἄρατος / ÁratosΣολεύς / ho Soleús; poête grec, dont seuls les Phénomènes, un poème de 1 154 vers en grec sur l'astronomie, est parvenu jusqu'à nous. La seconde partie provient du Des Signes du temps de Théophraste, premier ouvrage de prévisions météorologiques en Europe (-315 🏺, à Soles-245 🏺, à Pella).
VI Du latin planeta, planetes; du grec ancien πλανήτης / planḗtēs, « errant »; ellipse de πλάνητες ἀστέρες / plánētes astéres, « étoiles errantes »; de πλανάω / planáō, « errer, s’égarer » et de ᾰ̓στήρ / astḗr, « corps céleste ».
VII En grec ancien Περικλῆς / Periklễs; de περί / perí, « autour » + κλέος / kléos, « gloire »; Stratège, orateur et homme d’État athénien (-495, à Athènes-429, à Athènes) 🏺.
VIII En grec ancien Ἀναξᾰγόρᾱς / Anaxagórās; de ᾰ̓́ναξ / ánax, « seigneur » +‎ ᾰ̓γορᾱ́ / agorā́, « agora, assemblée (par opposition à un conseil, βουλή / boulḗ), le lieu dun rassemblement »; du Proto-Indo-Européen *h₂ger-, « rassembler »; +‎ le suffixe adjectival -ης / -ēs; philosophe présocratique grec s’étant entièrement consacré à la recherche savante et à l’explication rationnelle des phénomènes naturels (-500, à Clazomènes-428, à Lampsaque) 🏺.
IX Poète, dramaturge, écrivain, historien et annaliste de l’époque de la République romaine, dont seuls quelques fragments de son œuvre nous sont parvenus.
X Très probablement une dérivation régressive (ou troncation) de Rōma; le légendaire fondateur de Rome et frère jumeau de Rémus.



XIV. Ce que je vous dirai, reprit Philus, n'est pas nouveau; je n'en suis pas l'inventeur et ma mémoire seule en fera les frais. Je me souviens que C. Sulpicius Gallus, un des plus savants hommes de notre pays, comme vous ne l'ignorez pas, s'étant rencontré par hasard chez M. Marcellus, qui naguère avait été consul avec lui, la conversation tomba sur un prodige exactement semblable; et que Gallus fit apporter cette fameuse sphère, seule dépouille dont l'aïeul de Marcellus voulut orner sa maison après la prise de Syracuse, ville si pleine de trésors et de merveilles. J'avais souvent entendu parler de cette sphère qui passait pour le chef-d'œuvre d’Archimède, et j'avoue qu'au premier coup d'oeil elle ne me parut pas fort extraordinaire. Marcellus avait déposé dans le temple de la Vertu une autre sphère d’Archimède, plus connue du peuple et qui avait beaucoup plus d'apparence. Mais lorsque Gallus eut commencé à nous expliquer, avec une science infinie, tout le système de ce bel ouvrage, je ne pus m'empêcher de juger qu'il y avait eu dans ce Sicilien un génie d'une portée à laquelle la nature humaine ne me paraissait pas capable d'atteindre. Gallus nous disait que l'invention de cette autre sphère solide et pleine remontait assez haut, et que Thalès de Milet en avait exécuté le premier modèle; que dans la suite Eudoxe de Cnide, disciple de Platon, avait représenté à sa surface les diverses constellations attachées à la voûte du ciel ; et que, longues années après, Aratus, qui n'était pas astronome, mais qui avait un certain talent poétique, décrivit en vers tout le ciel d’Eudoxe. Il ajoutait que, pour figurer les mouvements du soleil, de la lune et des cinq étoiles que nous appelons errantes, il avait fallu renoncer à la sphère solide, incapable de les reproduire, et en imaginer une toute différente; que la merveille de l'invention d’Archimède était l'art avec lequel il avait su combiner dans un seul système et effectuer par la seule rotation tous les mouvements dissemblables et les révolutions inégales des différents astres. Lorsque Gallus mettait la sphère en mouvement, on voyait à chaque tour la lune succéder au soleil dans l'horizon terrestre, comme elle lui succède tous les jours dans le ciel ; on voyait parconséquent, le soleil disparaître comme dans le ciel, et peu à peu la lune venir se plonger dans l'ombre de la terre, au moment même où le soleil du côté opposé.....
(Il manque ici huit pages dans le manuscrit, selon Angelo Mai).


XVI. Il arriva quelque chose d’assez semblable pendant la longue guerre que se firent les Athéniens et les Lacédémoniens avec un si terrible acharnement. On nous rapporte que Périclès, qui par son crédit, son éloquence et son habile politique, était devenu le chef d’Athènes, voyant ses concitoyens consternés d’une éclipse de soleil qui les avait plongés dans des ténèbres subites, leur expliqua ce qu’il avait appris lui-même de son maître Anaxagore, qu’un pareil phénomène est dans l’ordre de la nature et se reproduit à des époques déterminées, lorsque le disque de la lune s'interpose tout entier entre le soleil et nous; et que s’il n’est pas amené à chaque renouvellement de la lune, il ne peut toutefois avoir lieu qu’à l’époque précise où la lune se renouvelle. Périclès décrivit aux Athéniens tous ces mouvements astronomiques; il leur en fit comprendre la raison, et dissipa leur terreur; l'explication des éclipses de soleil par l’interposition de la lune était alors assez nouvelle et peu répandue. Thalès de Milet est, dit-on, le premier qui la proposa. Plus tard elle ne fut pas inconnue à notre poêtre Ennius, puisqu’il dit que vers l’an 350 de la fondation de Rome, « aux nones de juin, le soleil fut dérobé aux hommes par la lune et les ténèbres ». Aujourd’hui l’habileté des astronomes et la justesse de leurs calculs vont si loin, qu’à partir de ce jour, indiqué par Ennius et consigné dans les Grandes Annales, ils ont supputé toutes les éclipses de soleil antérieures jusqu’à celle des nones de juillet, arrivée dans le règne de Romulus, et qui répandit sur la terre cette nuit soudaine pendant laquelle le fondateur de Rome, enlevé au monde, subit probablement la loi commune, mais put aux yeux du vulgaire passer pour avoir été ravi au ciel par sa vertu surhumaine.


Œuvres complètes de Cicéron. Tome Quatrième. Traité De La République. Livre Premier. XIV 📜, XVI 📜, avec la traduction en français publiées sous la direction de M. Nisard de l'Académie Française Inspecteur Général de l'Enseignement Supérieur, Chez Firmin Didot Frères, Fils et Cie, Libraires Imprimeurs de l'Institut de France, 1864
(également disponible ici et une édition de 1868 )



VI.Philus. — Ce que je vous dirai n'est pas nouveau, rien là ne m'appartient, c'est un simple souvenir.
S. Gallus, un savant, vous ne l'ignorez pas, se trouvait un jour chez Marcellus, son ancien collègue du consulat, et, entendant parler d'un phénomène semblable, il fit apporter la sphère céleste que l'aïeul de Marcellus se réserva jadis comme le seul monument de sa victoire à la prise de l'opulente et magnifique Syracuse.
J'avais entendu souvent citer cette sphère, à cause de la grande renommée d’Archimède, et je n'y trouvai rien de remarquable au premier abord; elle me parut même inférieure à cet autre globe, plus connu, du même Sicilien, et que Marcellus aussi consacra dans le temple de la Vertu. Mais aussitôt que Gallus, avec sa science profonde, eut commencé l'explication de ces rouages admirables, je reconnus à l'habile inventeur un génie vraiment surhumain.
Gallus nous apprit que la sphère solide et pleine est une ancienne invention due à Thalès de Milet; dans la suite, Eudoxe de Gnide, disciple de Platon, traça, paraît-il, les constellations suspendues à la voûte des cieux; puis longtemps après, empruntant le système d’Eudoxe, Aratus, étranger à l'astronomie, mais inspiré par la seule force de son instinct poétique, chanta dans ses vers l'admirable ordonnance des corps célestes.
Gallus ajoutait que le genre de sphère qui retrace la marche du soleil, de la lune et des cinq étoiles nommées errantes ou irrégulières, était bien différent de la sphère solide, à laquelle ne pouvaient s'appliquer les mêmes évolutions, et l'art merveilleux d’Archimède était d'avoir si bien combiné sa nouvelle œuvre que, dans le jeu de mouvements disparates, une seule impulsion donnait le cours inégal et différent de tous les astres.
Gallus, en effet, touchait-il à cette sphère, chaque tour de cercle amenait la lune à la place du soleil, comme elle lui succède toutes les nuits au firmament, puis encore, de même qu'au ciel, tantôt le soleil disparaissait, tantôt la lune tombait dans l'ombre de la terre, quand le soleil reparaissait à l'horizon...


VIII. — On raconte un fait analogue dans cette grande guerre où Athènes et Lacédémone luttèrent avec tant de haine.
Périclès, à qui son éloquence, son crédit, son habileté donnaient le premier rang dans sa patrie, voyant les Athéniens frappés de terreur à la suite d'une éclipse de soleil, profita des connaissances puisées à l'école de son maître Anaxagore pour apprendre à ses concitoyens que de semblables effets se répètent, dans un intervalle précis et déterminé, quand la lune est placée toute entière devant l'orbe du soleil, et que, s'ils ne se reproduisaient pas nécessairement à chaque période lunaire, ils ne pouvaient cependant arriver qu'à chaque période.
Cette démonstration raisonnée calma le peuple, car c'était alors une découverte nouvelle, l'obscurcissement du soleil par l'interposition de la lune, et Thalès de Milet en eut, dit-on, la première prescience. Plus tard, notre Ennius n'ignora pas non plus cette loi sidérale, et vers l'an 350 de la fondation de Rome, écrit-il, aux nones de juin, « le soleil fut couvert par la lune et la terre plongée dans les ténèbres. »
Tel est du reste le point auquel sont arrivés aujourd'hui l'art et les calculs astronomiques : depuis cette époque, consignée dans Ennius et les Livres des Pontifes, on a pu compter toutes les éclipses précédentes, en remontant jusqu'à celle des nones de juillets, sous le règne de Romulus, ténèbres au milieu desquelles ce roi, en dépit de notre périssable nature et d'une fin tout humaine, passe pour être monté aux cieux dans l'apothéose de sa vertu.


Cicéron. De La République. Livre Premier. VI, VIII, traduction nouvelle par Victor Poupin, Librairie de la Bibliothèque Nationale, 1911


De divinatione


(Ablatif singulier de divinatio, « divination, faculté de prédire la volonté du Ciel, des dieux »; dérivé de divinatus; Participe passé de divino, « prédire, présager, prophétiser, deviner, dévoiler »; de divinus, « divin, devin, prophétique »; dérivé de divus, « divin » et/ou divum, « plein air, ciel »; tous deux de l’indo-européen commun * di, « briller, soleil, jour, dieu »)

Dialogue philosophique de Cicéron, publié en -44 qui traite des divers procédés de divination connus et pratiqués à son époque. Cet ouvrage constitue avec De natura deorum 📜 et De fato 📚 📜 une trilogie d’ouvrages traitant du sacré et des pratiques et phénomènes qui lui sont liés. Cicéron y analyse avec scepticisme les diverses formes de la divination et critique les théories des stoïciens qui la défendent.


Livre I


Le frère cadet de Cicéron, Quintus Tullius Cicero, présente les diverses formes de divination selon la classification traditionnelle énoncée depuis Homère et Platon, qui distingue la divination « artificielle », faite par des techniciens selon des rites institutionnalisés, et la divination « inspirée » dite aussi « naturelle » selon la terminologie introduite par Cicéron. Quintus s’étend longuement sur la forme de divination naturelle qui procède des rêves prémonitoires, manifestation selon les stoïciens d’une inspiration de l’âme humaine recevant un message divin.


Texte latin

XLIX. Sed unde huc digressa est, eodem redeat oratio. Si nihil queam disputare, quamobrem quidque fiat; et tantummodo, fieri ea, quæ commemoravi, doceam : parumne Epicuro Carneadive respondeam ? Quid, si etiam ratio exstat artificiosæ præsensionis, facilis ; divinæ autem, paullo obscurior ? Quæ enim extis, quæ fulguribus, quæ portenlis, quæ astris præsentiuntur, hæc notata sunt observatione diuturna. Affert autem vetustas omnibus in rebus longinqua observatione incredibilem scientiam; quæ potest esse etiam sine motu atque impulsu deorum, quum, quid ex quoque eveniat, et quid quamque rem significet, crebra animadversione perspectum est. Altera divinatio est naturalis, ut ante dixi : quæ physica disputandi subtilitate referenda est ad naturam deorum; a qua, ut doctissimis sapientissimisque placuit, haustos animos et libatos habemus : quumque omnia completa et referta sint æterno sensu, et mente divina, necesse est cognatione divinorum animorum animos humanos commoveri. Sed vigilantes animi vitæ necessitatibus servinnt, dijunguntque se a societate divina, vinctis corporis impediti. Rarum est quoddam genus eorum, qui se a corpore avocent, et ad divinarum rerum cognitionem cura omni studioque rapiantur. Horum sunt auguria non divini impetus, sed rationis humanæ. Nam et, natura futura præsentiunt, ut aquarum fluxiones, et deflagrationem futuram aliquando cœli atque terrarum. Alii autem, in republica exercitati, ut de Atheniensi Solone accepimus, orientem tyrannidem multo ante prospiciunt; quos prudentes possumns dicere, id est, providentes, divinos nullo modo possumus, non plus, quam Milesium Thalem, qui, ut objurgatores suos convinceret, ostenderetque, eliam philosophum, si ei commodum esset, pecuniam facere posse, omnem oleam, antequam florere cœpisset, in agro Milesio coemisse dicitur. Animadverterat fortasse quadam scientia, olearum ubertatem fore. Et quidem idem primus defectionem solis, quæ, Astyage regnante, facta est, prædixisse fertur.


Œuvres complètes de Cicéron. Tome Quatrième. De Divinatione. Liber Primus. XLIX 📜, avec la traduction en français publiées sous la direction de M. Nisard de l'Académie Française Inspecteur Général de l'Enseignement Supérieur, Chez Firmin Didot Frères, Fils et Cie, Libraires Imprimeurs de l'Institut de France, 1864
(également disponible ici, une édition de 1868 ainsi qu'une autre publication de 1826 là encore)


Traductions

XLIX. Mais revenons à l’objet de ce discours. Si, ne pouvant dire pourquoi chacune de ces choses est arrivée, je puis du moins prouver qu'elles sont arrivées , est-ce répondre faiblement à Épicure et à Carnéade? Mais j'ose dire même que, s’il est difficile de rendre compte de la divination naturelle, l’artificielle peut être aisément expliquée. Les prédictions fournies par l’inspection des entrailles, par les foudres, par les prodiges et par les astres, sont fondées sur une longue observation. Or, en toutes choses, le temps et l’étude sont la source des connaissances les plus merveilleuses; on peut les acquérir même sans l’entremise et l’inspiration des dieux, lorsqu’on a observé à plusieurs reprises les effets de chaque chose, et ce qu'elle signifie. La divination naturelle peut, de son côté, par des raisons physiques, être rapportée à la nature des dieux, de laquelle, selon l’opinion des hommes les plus sages et les plus instruits, nos âmes sont émanées, et qui, remplissant tont d’une intelligence éternelle et d’un esprit céleste, doit nécessairement faire sentir quelquefois à l'âme humaine l’influence de cette parenté divine. Mais, pendant la veille, nos âmes sont asservies aux besoins du corps, et se trouvent éloignées, par les liens qui les enchaînent, du commerce de la divinité. Il n’y a qu’un petit nombre de mortels qui, se détachant en quelque sorte de leur corps, s’élèvent de toute la force de leur âme à la connaissance des choses supérieures à l’homme. Le talent qu’ils ont de lire dans l’avenir ne vient point immédiatement des dieux, mais de leur propre raison 1; et c’est la nature même qui leur montre d’avance les déluges, et l’embrasement futur du ciel et de la terre. D’autres, appliqués au gouvernement des états, prévoient de loin, comme Solon, la naissance de la tyrannie 2. Nous pouvons les appeler prudents, c’est-à-dire prévoyants; mais nous ne pouvons non plus leur donner le nom de devins qu’au philosophe Thalès, qui, prévoyant qu’il y aurait une grande abondance d’olives dans le territoire de Milet, et voulant faire voir à ceux qui lui reprochaient son indifférence pour la fortune, qu’il ne tenait qu’à un philosophe de s’enrichir, acheta toute la récolte des oliviers avant qu’ils fussent en fleurs 3. On dit aussi qu’il prédit le premier une éclipse de soleil, qui eut lieu sous Astyage. 4


1 Voy. Maxime de Tyr, Dissertat. XIX, c. 5, saint Augustin, de Divin. dæmon., c. 4, etc. Davies.—— 2 Celle de Pisistrate.—— 3 Voy. la Politique d’Aristote, I, 11, et les auteurs cités par Ménage sur Diogène Laërce, I, 26.—— 4 Hérodote, I, 74, 103, etc.


Œuvres complètes de M. T. Cicéron. Tome Trente-Unième. De Divinatione. Livre Premier. XLIX, publiées en français, avec le texte en regard, par Jos.-Vict. Le Clerc, professeur d’éloquence latine à la faculté des lettres, Académie de Paris, Chez E. A. Lequien, Librairie, 1826.






XLIX Mais revenons au point même où nous avons commencé à nous écarter de notre sujet. Si, ne pouvant prouver pourquoi ces choses arrivent, je démontre seulement que leur existence est cer- taine , n'aurai-je pas répondu victorieusement à Épicure et Carnéade ? J'ose même dire, tout en avouant que la cause de la divination naturelle est plus obscure, qu'il est facile d'expliquer la divi- nation artificielle. On a noté an moyen d'obser- vations continues ce que présagent les entrailles, les fulgurations, les prodiges et les astres. Toute observation prolongée pendant des siècles arrive à des résultats merveilleux, résultats que l'on peut obtenir sans le secours et l'inspiration des Dieux, si on examine assiduement ce que si- gnifie chaque chose en notant l'événement qui la suit. Vient ensuite la divination naturelle, comme je l'ai dit, qui peut, par des raisons physiques, être rattachée à la nature des Dieux. Et comme, selon l'opinion des hommes les plus savants et les plus sages, nos âmes ne sont qu'une émanation de cette nature divine, et que d'ailleurs tout ici-bas est rempli de cet esprit di- vin et éternel, il est nécessaire que nous ressen- tions les effets de cette parenté avec les Dieux. Mais pendant la veille nos âmes, asservies par les nécessités de la vie, s'isolent de cette so- ciété divine, enchaînées par des liens matériels. Combien est petit le nombre de ceux qui se sé- parant , pour ainsi dire, de leurs corps, consa- crent tous leurs soins à la connaissance des choses divines ! La science augurale de ceux-là n'est point le résultat d'une inspiration divine, mais un effort de la raison humaine : c'est la nature qui leur dévoile l'avenir, et qui leur fait prévoir les inondations, et les embrasements futurs du

ciel et de la terre. D'autres, appliqués au gouver- nement des États, pressentent longtemps d'a- vance, comme l'Athénien Solon, la naissance de la tyrannie. Plaçons ces derniers parmi les hom- mes prudents, c'est-à-dire prévoyants, mais ne leur donnons point le titre de devins, pas pins qu'à Thaïes de Milet qui, pour réduire au silence ses détracteurs, et leur prouver que, quoique phi- losophe, il pourrait s'enrichir si cela lui plaisait, acheta toute la récolte des oliviers du territoire de Milet avant qu'ils fussent en fleurs. Grâce à ses connaissances, il avait sans doute prévu qu'il y aurait abondance d'olives. On rapporte aussi qu'il annonça le premier l'éclipsé de soleil qui eut lieu sous le règne d'Astyage.





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De la divination, I, 49, 111,112

Quos prudentes possumus dicere, id est providentes, divinos nullo modo possumus, non plus quam Milesium Thalem, qui, ut obiurgatores suos convinceret ostenderetque etiam philosophum, si ei commodum esset, pecuniam facere posse, omnem oleam, ante quam florere coepisset, in agro Milesio coemisse dicitur. 112Animadverterat fortasse quadam scientia olearum ubertatem fore. Et quidem idem primus defectionem solis, quae Astyage regnante facta est, praedixisse fertur.
De tels hommes nous pouvons les appeler des calculateurs prudents, c'est-à-dire prévoyants, ce ne sont nullement des devins, non plus que Thalès de Milet qui, pour confondre les railleurs et leur montrer qu'un philosophe pouvait, s’il le jugeait bon, gagner de l’argent, avait acheté, dit-on, avant la floraison des oliviers toute la récolte d'huile du territoire milésien. Ses observations lui avaient permis de reconnaître qu'elle serait abondante. C'est le même Thalès qui passe pour avoir, le premier, prédit une éclipse de soleil, celle qui eut lieu sous le règne d'Astyage. (traduction Charles Appuhn, Paris, Garnier, 1935)

Des Lois

Liv II XI https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k282068z/f388.image.r=thales

De la nature des dieux, I, X, 25

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k282068z/f88.image.r=milet


Thales enim Milesius, qui primus de talibus rebus quaesivit, aquam dixit esse initium rerum, deum autem eam mentem, quae ex aqua cuncta fingeret [...]
Thalès de Milet, qui ouvre la marche dans les recherches de cette nature, fit de l’eau le principe de toutes choses, son dieu était l’intelligence qui de cet élément les façonne.

Académiques I, Livre II, XXXVII

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9796311p/f241.item

Clément d'Alexandrie, Stromates, I, 65

Sextus Empiricus

Hypot III, 30, et Liv I contre les phys., sect. 319 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9796311p/f305.item.r=thales

Tatien, Discours aux Grecs, 41

Eusèbe

Preparation Évangélique, XI, 2 Prepar. évang. I, 8, page 22-25 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9796311p/f310.image.r=thales

Sénèque

Questions naturelles, III

[13,1] Adiciam, ut Thales ait, "ualentissimum elementum est."
[14,1] Quae sequitur Thaletis inepta sententia est. Ait enim terrarum orbem aqua sustineri et uehi more nauigii mobilitateque eius fluctuare tunc, cum dicitur tremere: non est ergo mirum, si abundat umor ad flumina profundenda, cum mundus in umore sit totus.

Questions naturelles, IV

[2,22] Si Thaleti credis, etesiae descendenti Nilo resistunt et cursum eius acto contra ostia mari sustinent: ita reuerberatus in se recurrit nec crescit, sed exitu prohibitus resistit et quacumque mox potuit ui congestus erumpit.

Questions naturelles, VI

[6,1] In aqua causam esse nec ab uno dictum est nec uno modo. Thales Milesius totam terram subiecto iudicat umore portari et innare, siue illud oceanum uocas, siue magnum mare, siue alterius naturae simplicem adhuc aquam et umidum elementum. Hac, inquit, unda sustinetur orbis uelut aliquod grande nauigium et graue his aquis quas premit.

Pline

Histoire naturelle, II, 53

Apud Graecos autem investigavit primus omnium Thales Milesius Olympiadis XLVIII anno quarto praedicto solis defectu, qui Alyatte rege factus est urbis conditae anno CLXX.

Plutarque

Vie de Solon §3

En général, Thalès fut de tous les sages le seul qui porta au-delà des choses d’usage la théorie des sciences ; tous les autres ne durent qu’à leurs connaissances politiques leur réputation de sagesse.

Le Banquet des Sept Sages §2

Ainsi, vous, Thalès, le roi d'Egypte vous admire beaucoup, et, entre autres choses, il a été, au-delà de ce qu'on peut dire, ravi de la manière dont vous avez mesuré la pyramide sans le moindre embarras et sans avoir eu besoin d'aucun instrument. Après avoir dressé votre bâton à l'extrémité de l'ombre que projetait la pyramide, vous construisîtes deux triangles par la tangence d'un rayon, et vous démontrâtes qu'il y avait la même proportion entre la hauteur du bâton et la hauteur de la pyramide qu'entre la longueur des deux ombres.

d'Isis et d'Osiris page 364

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9796311p/f306.image.r=thales

Diogène Laërce

Ce texte est un extrait de la traduction de Robert Genaille (1933)

Thalès[1], au dire d’Hérodote, de Douris et de Démocrite, était fils d’Examios et de Cléobuline, et membre de la famille des Thélides, Phéniciens descendant en droite ligne d’Agénor[2] et de Cadmus[3], s’il faut en croire Platon. Le premier, il porta le nom de sage, au temps où Damasias était archonte à Athènes[4]. C’est sous le même archontat que fut créée l’expression : « les sept sages » (cf. Démocrite de Phalère, Registre des Archontes). Thalès fut inscrit comme citoyen de Milet quand il vint dans cette ville avec Nélée chassé de Phénicie. Une autre tradition très courante veut qu’il soit natif de Milet et qu’il descende d’une bonne famille. Il s’occupa de politique avant d’étudier la nature. On croit qu’il ne laissa aucun écrit, car l’Astrologie nautique qu’on lui attribue est de Phocos de Samos.

Callimaque[5] croit qu’il découvrit la Petite Ourse et le raconte en vers iambiques :

Il mesura, dit-on, les étoiles du Chariot

Sur quoi les Phéniciens règlent leur navigation.

D’autres auteurs disent qu’il écrivit seulement deux ouvrages, un sur le solstice et un sur l’équinoxe, car il pensait le reste inaccessible. Il passe pour avoir le premier étudié l’astrologie et prédit les éclipses de soleil et les solstices (cf. Eudème, Histoire de l’astrologie)[6]. Xénophane et Hérodote le louent à ce propos, et leur témoignage est confirmé par celui d’Héraclite et de Démocrite. On dit encore (cf. le poète Choirilos) qu’il fut le premier à affirmer l’immortalité des âmes.

Le premier il dessina la course du soleil d’un solstice à l’autre, et démontra que comparée au soleil, la lune en est la cent vingtième partie. C’est encore lui qui fixa à trente jours la durée du mois, et qui écrivit le premier traité sur la Nature.

Aristote et Hippias disent aussi qu’il accordait une âme aux choses qu’on croit inanimées ; il en donnait pour preuve l’ambre et la pierre de Magnésie.

Selon Pamphile[7], il apprit des Égyptiens la géométrie, inscrivit dans un cercle le triangle rectangle, et pour cette découverte immola un bœuf. D’autres, comme Apollodore le calculateur, attribuent cette invention à Pythagore. Thalès a encore développé et précisé l’invention du Phrygien Euphorbe citée par Callimaque dans ses Iambes et concernant le triangle scalène, et tout ce qui touche aux considérations sur les lignes.

Il semble encore avoir été en politique un homme de bon conseil. Ainsi, quand Crésus[8] envoya une ambassade aux Milésiens pour demander leur alliance, il s’y opposa, et son intervention sauva la ville, puisque Cyrus l’emporta.

Héraclite cite une opinion de Clytos selon laquelle Thalès aurait eu une vie retirée et solitaire. Les uns disent qu’il se maria et eut un fils nommé Kibissos. D’autres prétendent qu’il resta célibataire et adopta le fils de sa sœur, qu’on lui demanda un jour pourquoi il ne cherchait pas à avoir des enfants, et qu’il répondit : « Par amour pour les enfants. » Sa mère l’exhortait à se marier, il lui répondit : « Non, par Zeus, il n’est pas encore temps. » Elle l’y invita une nouvelle fois quand il eut pris de l’âge, mais il lui dit : « Il n’est plus temps. »

D’après Hiéronyme de Rhodes (Notes, livre II), il voulut montrer combien il était facile de s’enrichir ayant prévu pour l’année une abondante récolte d’huile, il prit à loyer une oliveraie et gagna beaucoup d’argent[9].

Il soupçonna que l’eau était le principe des choses, que le monde était animé et rempli de démons. On dit qu’il découvrit les saisons de l’année, et qu’il la divisa en trois cent soixante-cinq jours. Il ne suivit les leçons d’aucun maître, sauf en Égypte, où il fréquenta les prêtres du pays. A ce propos, Hiéronyme dit qu’il mesura les Pyramides en calculant le rapport entre leur ombre et celle de notre corps. Si l’on en croit Minuès, il vivait au temps de Thrasybule, qui fut tyran de Milet[10].

L’histoire du trépied trouvé par des pêcheurs et dédié aux sages par le peuple de Milet est bien connue.

Des jeunes gens d’Ionie achetèrent à des pêcheurs milésiens leur coup de filet. Ils tirèrent de l’eau un trépied. On se querella et les Milésiens envoyèrent une ambassade à Delphes. Voici quel fut l’oracle de la divinité :

Race de Milet, tu interroges Phébus au sujet d’un trépied ?

Au plus sage de tous, je donne ce trépied[11].

Ils le donnent alors à Thalès, qui le donne à un autre, et cet autre à un autre, et ainsi de suite jusqu’à Solon, qui, déclarant que seul le dieu était le plus sage de tous, rendit le trépied à Delphes.

Callimaque, dans ses Iambes, rapporte cette histoire autrement ; il la tient de Léandre de Milet. Il dit qu’un certain Bathyclès d’Arcadie laissa en mourant une coupe pour qu’elle fût donnée à l’homme le plus sage. Elle fut donc donnée à Thalès, et après être passée de main en main et avoir fait le tour des sages, elle revint à Thalès. Celui-ci en fit don alors à Apollon de Didyme, en ces termes selon le poème de Callimaque :

Thalès me donne au protecteur du peuple du Nil,

Thalès qui a reçu deux fois ce présent,

ce qui, en prose, se dit ainsi : « Thalès de Milet, fils d’Examios, à Apollon delphien, ce présent qu’il a reçu deux fois des Grecs. » Celui qui portait la coupe de sage en sage, le fils de Bathyclès, s’appelait Thyrion (cf. Éleusis, Livre sur Achille, et Alexon de Mynde, Fables, livre IX).

Eudoxe de Cnide et Évanthès de Milet disent de leur côté qu’un ami de Crésus reçut du roi un vase d’or, pour le donner au plus sage des Grecs, qu’il le donna à Thalès et que ce vase parvint jusqu’à Chilon. Celui-ci consulta la Pythie, pour savoir qui était plus sage que lui. Elle répondit que c’était Myson (je parlerai de lui : Eudoxe le met parmi les sages à la place de Cléobule et Platon à la place de Périandre.) Voici la réponse que lui fit la Pythie :

Il y a un habitant de l’Oeta, Myson, né à Chénée,

Qui plus que toi est riche de sages pensées.

L’homme qui consulta l’oracle pour Chilon s’appelait Anacharsis. Dédale le Platonicien et Cléarque disent que la coupe fut envoyée par Crésus à Pittacos, et que c’est ainsi qu’elle passa de main en main. D’après Andron, d’autre part (Livre du trépied), les Argiens décidèrent que le trépied serait attribué comme prix de vertu au plus sage des Grecs. Aristodème de Sparte fut choisi et c’est lui qui donna le trépied à Chilon.

Alcée est aussi partisan d’Aristodème dont il parle dans les vers suivants :

Comme jadis Aristodème, dit-on,
Prononça à Sparte cette parole bien juste :
C’est de l’argent, un homme, oui de l’argent,
Car l’homme vertueux n’est jamais pauvre.

D’autres disent encore que Périandre envoya à Thrasybule, tyran de Milet, un navire chargé, que ce navire fit naufrage dans la mer de Cos, et que quelque temps après le trépied fut trouvé par des pêcheurs. Phanodicos dit que le trépied fut trouvé dans la mer Attique, porté à la ville, et que l’assemblée du peuple s’étant réunie le fit porter à Bias. Pourquoi cela, je le dirai quand je parlerai de Bias. Selon d’autres auteurs, le trépied avait été fabriqué par Héphaïstos et donné en présent de la part de ce dieu à Pélops lors de son mariage. Il vint ensuite à Ménélas, fut enlevé avec Hélène par Alexandre, jeté dans la mer de Cos à l’instigation de la Spartiate qui prévoyait qu’il serait un sujet de querelle. Plus tard, en ce lieu, des Lébédiens achetèrent le produit d’un coup de filet et c’est le trépied qui fut tiré de l’eau. Il y eut querelle avec les pêcheurs, on vint jusqu’à Cos, et comme on ne s’accordait pas, on s’adressa à Milet, qui était la capitale. Les Milésiens envoyèrent des députés qui ne furent pas écoutés, aussi firent-ils la guerre aux gens de Cos. Comme de chaque côté il mourait beaucoup de gens, l’oracle déclara qu’il fallait donner le trépied au plus sage. Les deux camps s’entendirent alors pour l’attribuer à Thalès, qui par la suite le consacra à Apollon de Didyme. Pour en revenir à la réponse de l’oracle aux gens de Cos, elle disait ceci :

La querelle entre Ioniens et Méropes ne cessera pas

Avant que le trépied d’or qu’Héphaïstos jeta dans la mer

N’ait quitté votre ville pour la maison de l’homme

Qui connaît le présent, l’avenir et le passé.

La réponse aux Milésiens fut la suivante :

Race de Milet, tu interroges Phoebus au sujet d’un trépied...

comme il a été dit plus haut.

En voilà assez sur ce sujet[12].

Hermippe, dans ses Vies, rapporte à Thalès ce qui est dit par d’autres de Socrate : il aimait à dire qu’il remerciait la fortune de trois choses : d’être un humain et non une bête, d’être un homme et non une femme, enfin d’être un Grec, et non un barbare. On raconte encore qu’étant sorti de chez lui pour contempler les astres, il tomba dans un puits[13]. Une vieille femme survenant se moqua de lui en ces mots : « Comment, Thalès, toi qui n’es pas capable de voir ce qui est à tes pieds, t’imagines-tu pouvoir connaître ce qui est dans le ciel ? »

Timon[14] a bien connu aussi la science de Thalès en astronomie, et dans ses Silles, il le loue en ces termes :

Comme Thalès, un des sept sages, qui fut savant astronome.

L’Argien Lobon dit que ses écrits font un total de quelque deux cents vers, et que sous sa statue on écrivit :

Thalès de Milet repose ici dans le sol qui l’a nourri,

Il fut un sage, et le premier des astrologues.

Voici un de ses poèmes :

Le trop parler n’est pas marque d’esprit.

Trouvez une seule chose sage,

Choisissez une seule chose belle,

Et vous clouerez le bec à bien des bavards.

On lui attribue encore les sentences suivantes : de tous les êtres, le plus ancien, c’est Dieu, car il n’a pas été engendré ; le plus beau, c’est le monde, car il est l’ouvrage du dieu ; le plus grand, c’est l’espace, car il contient tout ; le plus rapide, c’est l’esprit, car il court partout ; le plus fort, c’est la nécessité, car elle vient à bout de tout ; le plus sage, c’est le temps, parce qu’il découvre tout. La mort, dit-il, ne diffère en rien de la vie. On lui répond : « Pourquoi, alors, ne te donnes-tu pas la mort ? » ; « Parce que vie ou mort, c’est tout un », réplique-t-il. Quelqu’un lui demande ce qui du jour ou de la nuit fut créé d’abord ; il répond : « La nuit est en avance d’un jour. » On lui demande si les mauvaises actions d’un homme échappent au regard des dieux. Il répond : « Ils voient même les mauvaises pensées. » Un homme adultère lui demandait s’il pouvait jurer qu’il n’avait pas commis d’adultère. Il répondit : « Le parjure n’est pas pire que l’adultère. »

On lui demandait ce qui était difficile : « Se connaître » dit-il ; ce qui était facile : donner un conseil à autrui ; ce qui était le plus doux : jouir ; ce que c’était que la divinité : un être sans commencement ni fin ; encore une chose difficile : voir un tyran âgé ; comment supporter aisément l’infortune : en voyant ses ennemis plus malheureux encore ; comment vivre vertueusement : en ne faisant pas ce que nous reprochons à autrui ; qui est heureux : l’homme bien portant, riche, courageux et instruit.

Il disait encore que l’on doit penser à ses amis aussi bien en leur absence qu’en leur présence, que la beauté ne vient pas d’un beau visage, mais de belles actions. « Ne t’enrichis pas injustement, conseillait-il, et veille à ne pas être cité en justice pour de mauvaises paroles contre tes proches et tes amis. Comme tu traites tes parents, tes enfants te traiteront. »

Du Nil[15] il disait qu’il débordait quand ses eaux étaient repoussées par les vents étésiens qui soufflent contre son cours.

Apollodore dans ses Chroniques dit que Thalès naquit la première année de la trente-cinquième olympiade[16]. Il mourut dans sa soixante-dix-huitième année ou, comme le dit Sosicrate, dans sa quatre-vingt-dixième année, car ce fut dans la cinquante-huitième olympiade. Il vécut du temps de Crésus, auquel il promit de faire traverser l’Hallys[17] sans pont, en détournant le cours du fleuve.

Il y eut cinq autres personnages du nom de Thalès (cf. Démétrios de Magnésie, Homonymes) : un rhéteur de Callatie, au style prétentieux, un peintre de Sicyone, de noble origine, un troisième, très ancien, du temps d’Hésiode, d’Homère et de Lycurgue, un quatrième, mentionné par Douris dans son traité de la peinture, un cinquième, plus jeune et peu connu, cité par Denys dans ses Critiques.

Pour en revenir à notre sage, il mourut en regardant les jeux gymniques, pour avoir eu trop chaud et trop soif et par suite de sa fatigue et de son grand âge. Voici son épitaphe :

Ce tombeau, certes, est bien petit,
Mais la renommée de l’homme est allée au ciel.
C’est celui de Thalès le très sage.

J’ai écrit sur lui les vers suivants dans le premier livre de mes épigrammes ou « vers de mètres divers[18] :

Tandis qu’il regardait les jeux, ô Zeus Hélios,
Tu as ravi du stade le sage Thalès.
Je te loue de l’avoir rapproché du ciel. Il était si vieux
Que de la terre il ne pouvait plus voir les astres.

Thalès est l’auteur du fameux « connais-toi toi-même » qu’Antisthène (Livre des Filiations) attribue à Phémonoé, en déclarant que Chilon se l’appropria mensongèrement.

Sur les sept sages, qu’il est juste de citer maintenant l’un après l’autre, voici la tradition. Damon de Cyrène, qui blâme tous les philosophes dans ses écrits, s’attaque surtout aux sept sages. Anaximène dit que tous étaient poètes. Dicéarque dit qu’ils n’étaient ni sages ni philosophes, mais hommes d’esprit et législateurs. Archétimos de Syracuse a décrit leurs assemblées chez Cypsélos[19] et dit qu’il y assista personnellement. Euphoros dit que tous, sauf Thalès, fréquentèrent Crésus.

D’autres disent qu’ils se réunirent à Panionium, à Corinthe et à Delphes. On rapporte même leurs paroles, et qui a prononcé telle ou telle. Exemple :

Le Spartiate Chilon fut sage,

Lui qui dit : Rien de trop,

Tout est bien qui vient en son temps !

On n’est pas d’accord sur leur nombre. Léandre, au lieu de Cléobule et de Myson, met Léophante, fils de Gorsias, ou Lébédios d’Éphèse et Épiménide de Crète. Platon, dans le Protagoras[20], met Myson à la place de Périandre. Éphoros met Anacharsis à la place de Myson et d’autres ajoutent Pythagore.

Selon Dicéarque, il y en a quatre sur qui tout le monde est d’accord : Thalès, Bias, Pittacos et Solon. Le même auteur en nomme six autres, parmi lesquels il en choisit trois : Aristodème, Pamphile, le Lacédémonien Chilon, Cléobule, Anacharsis et Périandre. D’autres ajoutent Acousilaos, Caba ou Scala, un Argien.

Hermippe, dans son livre sur les sages, dit qu’ils furent dix-sept et que chacun en choisit sept selon ses préférences. Ce sont Solon, Thalès, Pittacos, Bias, Chilon, Cléobule, Périandre, Anacharsis, Acousilaos, Épiménide, Léophante, Phérécyde, Aristodème, Pythagore, Lasos, fils de Charmantidas ou de Sisambrinos ou, selon Aristoxène, de Chabrinus, Hermonée, Anaxagore.

Hippobotos (Catalogue des Philosophes) les inscrit ainsi : Orphée, Linos, Solon, Périandre, Anacharsis, Cléobule, Myson, Thalès, Bias, Pittacos, Épicharme et Pythagore.

Voici des lettres attribuées à Thalès[21] :

Thalès à Phérécyde

« J’apprends que vous vous disposez à présenter aux Grecs le premier traité ionien des choses divines. Vous agiriez peut-être plus sagement en lisant votre ouvrage à vos amis, qu’en communiquant à n’importe quelles gens des écrits qui ne peuvent guère leur être utiles.

« Si cela vous plaît, j’aimerais profiter de vos recherches et, si vous m’y invitez, je viendrai vous trouver au plus tôt. Car Solon d’Athènes et moi, qui avons déjà traversé deux fois la mer pour aller visiter la Crète, et pour aller en Égypte nous entretenir avec les prêtres et les astronomes du lieu, nous sommes assez sages pour ne pas hésiter à la traverser de nouveau pour aller vous voir.

« Je parle de Solon, parce qu’il viendra avec moi si vous le permettez. Vous êtes un sédentaire, vous allez rarement en Ionie, vous n’aimez guère aller voir les étrangers, et vous ne songez, j’imagine, qu’à écrire.

« Mais nous qui n’écrivons pas, nous parcourons volontiers la Grèce et l’Italie. »

Thalès à Solon

« Si vous quittez Athènes, vous aurez, je crois, tout avantage à venir vous établir à Milet, parmi les colons athéniens. Il n’y a là pour vous aucun danger. Si vous hésitez, sous prétexte que nous, Milésiens, sommes gouvernés par un tyran (je sais que vous haïssez tout pouvoir absolu), songez du moins que vous aurez plaisir à vivre avec nous qui sommes vos amis. Je sais que Bias vous a écrit et vous invite à aller à Priène. Si vous trouvez préférable d’habiter la ville de Priène, j’irai vivre là-bas avec vous. »

Ausone

Le Jeu des Sept Sages

Thalès a trouvé [texte grec] pour nous défendre de nous porter cautions, parce qu'il y a du danger à répondre ainsi pour d'autres[iv]. Nous donnons-là un avis qui ne plaira pas beaucoup aux emprunteurs.
THALÈS : Je suis Thalès de Milet ; j'ai dit, comme le poète Pindare, que l'eau est, le principe de toute chose. C'est à moi que des pêcheurs donnèrent autrefois [un trépied d'or] qu'ils avaient tiré de la mer : ils m'avaient choisi pour obéir au dieu de Délos, qui envoyait ce présent à un sage. Je refusai de le recevoir, je le leur rendis pour le porter à d'autres que je croyais plus dignes. Envoyé à tous les sept Sages, et renvoyé par eux, il nie fut rapporté. Je le reçus alors pour le consacrer à Apollon : car si Phébus a voulu qu'on choisit un sage, ce n'était pas d'un homme, mais d'un dieu qu'il fallait l'entendre. Je suis donc ce Thalès : mais un motif m'amène sur la scène. Comme les deux sages qui m'ont précédé, je viens défendre la sentence dont je suis l'auteur. Elle déplaira, mais non certes aux esprits prudents que l'expérience a instruits et rendus plus avisés. Nous avons dit : [texte grec], ou, en latin : Cautionne, mais tu t'en trouveras mal. Je pourrais parcourir mille exemples pour vous montrer des cautions et des répondants bien et dûment convaincus de repentir. Mais je ne veux nommer personne. Que chacun de, vous ré-fléchisse, et compte en lui-même combien de gens ont perdu ou souffert de s'être ainsi portés cautions pour d'autres. Toutefois, si un pareil service a du charme pour vous, n'y renoncez ni les uns ni les autres.
Alors que les uns applaudissent, et que les autres, si je les blesse, me sifflent.
THALÈS DE MILET.
AVANT d'oser une mauvaise action, à défaut de Témoin redoute ta conscience. La vie s'éteint, mais la gloire de la mort ne meurt point. Ce que tu veux faire, abstiens-toi de le dire. C'est un supplice de craindre ce qu'on ne peut empêcher. Si tu blâmes avec raison, ton hostilité même est profitable ; si tu loues mal à propos, ton amitié même est nuisible. Rien de trop. - Arrêtons-nous, et qu'ici même il n'y ait rien de trop.

Vitruve

De l'architecture, livre VIII

1. Le premier des sept sages, Thalès de Milet, soutenait que l'eau était le principe de toutes choses; Héraclite prétendait que c'était le feu.

De l'architecture, livre IX, 6

3. Mais si l'on veut connaître le principe des choses, il faut lire les savants ouvrages des Thalès de Milet, des Anaxagore de Clazomène, des Pythagore de Samos, des Xénophane de Colophon, des Démocrite d'Abdère, qui nous font connaître les lois qui gouvernent la nature, et les effets qu'elles produisent.


Flavius Josèphe

Contre Apion, I, 2

Mais bien certainement les premiers philosophes grecs qui aient traité des choses célestes et divines, comme Phérécyde de Syros, Pythagore et Thalès furent, tout le monde s'accorde là dessus, les disciples des Égyptiens et des Chaldéens avant de composer leurs courts ouvrages, et ces écrits sont aux yeux des Grecs les plus anciens de tous ; à peine même les croient-ils authentiques.

Lucien

Dialogues des morts

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6227866x/f7.item https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6227866x/f103.double


Hippias ou le bain

(2) Mon but est de prouver que les constructeurs de machines qui méritent le plus notre admiration sont ceux qui, distingués par leur science théorique, ont laissé en outre à la postérité des monuments de leur art et des oeuvres de leur génie, tandis que les hommes, qui se sont seulement exercés dans la parole méritent plutôt le nom de sophistes que celui de savants. C'est sur la liste traditionnelle de ces artistes que nous voyons figurer Archimède et Socrate de Cnide, qui inventèrent, l'un les moyens de soumettre à Ptolémée la ville de Memphis, sans recourir à un siège, mais en détournant et en divisant le cours du Nil ; l'autre, ceux d'incendier les galères des ennemis. Avant eux, Thalès de Milet, ayant promis à Crésus de faire passer à pied sec à son armée les eaux du fleuve Halys, imagina de les détourner en une seule nuit derrière le camp ; et pourtant ce n'était pas un mécanicien de profession, mais un sage d'un esprit inventif et à l'intelligence duquel on pouvait s'en rapporter.

Exemples de longévité

(18) Solon, Thalès et Pittacus, que l'on compte au nombre des Sept sages, vécurent chacun cent années.

Elien

Histoires diverses

On a vu des philosophes à la tête des affaires publiques : d'autres, se bornant à cultiver leur raison, ont passé leur vie dans le repos. Entre les premiers sont Zaleucus et Charondas qui réformèrent, l'un, le gouvernement des Locriens, l'autre, d'abord celui des Catanéens, puis, après qu'il eut été exilé de Catane, celui des Rhéginiens. Archytas servit utilement les Tarentins. Les Athéniens durent tout à Solon. Bias et Thalès rendirent les mêmes services à l'Ionie, Chilon à Lacédémone, Pittacus à Mitylène, Cléobule à Rhodes.

Proclus

Commentaire sur le premier livre d'Euclide, 65, 3

ὥσπερ οὖν παρὰ τοῖς Φοίνιξιν διὰ τὰς ἐμπορείας καὶ τὰ συναλλάγματα τὴν ἀρχὴν ἔλαβεν ἡ τῶν ἀριθμῶν ἀκριβὴς γνῶσις, οὕτω δὴ καὶ παρ' Αἰγυπτίοις ἡ γεωμετρία διὰ τὴν εἰρημένην αἰτίαν εὕρηται. Θαλῆς δὲ πρῶτον εἰς Αἴγυπτον ἐλθὼν μετήγαγεν εἰς τὴν Ἑλλάδα τὴν θεωρίαν ταύτην καὶ πολλὰ μὲν αὐτὸς εὗρεν, πολλῶν δὲ τὰς ἀρχὰς τοῖς μετ' αὐτὸν ὑφηγήσατο τοῖς μὲν καθολικώτερον ἐπιβάλλων, τοῖς δὲ αἰσθητικώτερον.

Valère Maxime

Actions et paroles mémorables, VII, § 2

8. Il y a aussi un mot admirable de Thalès. On lui demandait si les actions des hommes échappaient à la connaissance des dieux. "Leurs pensées non plus", répondit-il. Aussi faut-il nous appliquer à avoir, je ne dis pas seulement les mains, mais encore le coeur pur, dans la persuasion que la divinité est témoin des mouvements les plus secrets de nos âmes.

Suidas, Lexique

Θαλῆς, Ἐξαμύου καὶ Κλεοβουλίνης, Μιλήσιος, ὡς δὲ Ἡρόδοτος Φοῖνιξ: γεγονὼς πρὸ Κροίσου, ἐπὶ τῆς λε# ὀλυμπιάδος, κατὰ δὲ Φλέγοντα γνωριζόμενος ἤδη ἐπὶ τῆς ζ#. ἔγραψε περὶ μετεώρων ἐν ἔπεσι, Περὶ ἰσημερίας, καὶ ἄλλα πολλά. ἐτελεύτησε δὲ γηραιός, θεώμενος γυμνικὸν ἀγῶνα, πιληθεὶς δὲ ὑπὸ τοῦ ὄχλου καὶ ἐκλυθεὶς ὑπὸ τοῦ καύματος. πρῶτος δὲ Θαλῆς τὸ τοῦ σοφοῦ ἔσχεν ὄνομα καὶ πρῶτος τὴν ψυχὴν εἶπεν ἀθάνατον ἐκλείψεις τε καὶ ἰσημερίας κατείληφεν. ἀποφθέγματα δὲ αὐτοῦ πλεῖστα: καὶ τὸ θρυλλούμενον: γνῶθι σαυτόν. τὸ γάρ, ἐγγύα, πάρα δ' ἄτα, Χίλωνός ἐστι μᾶλλον, ἰδιοποιησαμένου αὐτό: καὶ τό, μηδὲν ἄγαν.


Lactance

Épit. 4 (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k282068z/f300.image.r=thales) Inst. 111, 16 (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k282068z/f621.item.r=thales)