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====Le phénomène de ''Bursting''====
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Certains neurones ont des réponses qui sont partiellement toniques. Je veux dire par là qu'ils ont tendance à émettre des rafales de potentiels d'action avant de se taire pendant un moment. Le neurone montre une série de trains de potentiels d'action, séparés par des périodes quiescentes. Ce phénomène est appelé le ''bursting'', '''émission en rafale''' en français (''burst'' veut dire rafale en anglais). Fait étonnant, ce phénomène ne s'observe pas sur tous les neurones et ses circonstances d'apparition varient grandement selon le neurone étudié. Certains neurones sont comme prédisposés à burster, alors que d'autres ne le font que rarement et quand ils sont soumis à des stimulus bien précis. L'origine de ce comportement est encore mal connue, de même que son utilité dans le codage de l'information. Il aurait un rôle important à jouer dans le système nerveux central, au niveau du codage de l'information.
Certains neurones ont des réponses qui sont partiellement toniques. Je veux dire par là qu'ils ont tendance à émettre des rafales de potentiels d'action avant de se taire pendant un moment. Le neurone montre une série de trains de potentiels d'action, séparés par des périodes quiescentes. Ce phénomène est appelé le ''bursting'', '''émission en rafale''' en français (''burst'' veut dire rafale en anglais). Fait étonnant, ce phénomène ne s'observe pas sur tous les neurones et ses circonstances d'apparition varient grandement selon le neurone étudié. Certains neurones sont comme prédisposés à burster, alors que d'autres ne le font que rarement et quand ils sont soumis à des stimulus bien précis. L'origine de ce comportement est encore mal connue, de même que son utilité dans le codage de l'information.


[[File:Bursting-recording.png|centre|vignette|upright=2.0|Illustration du phénomène de ''Bursting''.]]
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Version du 12 juillet 2020 à 13:41

Les chapitres précédents ont été très instructifs. Ils nous ont appris comment les neurones communiquent entre eux, comment ils se connectent, comment ils échangent des signaux nerveux. Nous avons même vu comment les réseaux neuronaux et les synapses s'adaptent et se remodèlent. Nous savons comment l'influx nerveux est créé et se propage. Mais nous avons oublié de parler de quelque chose d’extrêmement important : comment une information est codée dans un réseau neuronal ?

Par exemple, prenons le cas d'un souvenir ou d'une connaissance quelconque, que nous avons appris et qui est stocké dans notre mémoire. Nul doute que cette information est quelque part dans notre cerveau, mais où ? Un autre problème, relié au précédent, est celui du codage de l'information dans l'influx nerveux. Par exemple, imaginons que je ressente une forte douleur. Les neurones qui captent la douleur vont alors activer et envoyer un train de potentiel d'action au cerveau pour prévenir celui-ci qu'ils ont perçu un stimulus douloureux. Mais comment la douleur est codée par le train de potentiels d'action ? Comment retrouver la localisation de la douleur et son intensité à partir du train de potentiel d'action ? Ces questions sont des défis pour les scientifiques et le problème n'est pas encore résolu. Mais les chercheurs ont cependant quelques pistes assez intéressantes, que nous allons voir dans ce chapitre.

Le codage de l'information dans l'influx nerveux

Un neurone a une tendance naturelle à réagir à un stimulus, si celui-ci est assez puissant. Dans cette section, nous allons voir comment un neurone répond quand on le soumet à un stimulus quelconque. Le stimulus en question peut être une impulsion unique sur sa membrane, un potentiel post-synaptique unique ou une rafale de potentiels d'action. Pour les neurones sensoriels, le stimulus en question est un stimulus sensoriel, qui a une intensité et une durée. Par exemple, ce peut être une lumière vive, un son soudain plus ou moins fort, etc. Évidemment, si le stimulus est assez fort, le neurone va réagir en émettant un ou plusieurs potentiels d'action (plusieurs si le stimulus est assez long).

Les réponses phasique, tonique et en rafale

Pour les stimulus courts, le neurone émet un ou plusieurs potentiels d'action, avant de se taire. Mais certains stimulus sont des stimulus longs, qui sont maintenus durant longtemps comparé à la durée d'un potentiel d'action. Dans ces conditions, le neurone peut réagir de plusieurs manières. Les deux plus courantes sont les réponses phasique et tonique, ainsi que les réponses en rafale.

Les réponses toniques et phasiques

Avec une réponse phasique, le neurone émet des potentiels d'action au début du stimulus, mais il en émet de moins en moins et finit par se taire au bout d'un certain temps. Sa réponse au stimulus est donc temporaire et s'atténue avec le temps. Pour le dire autrement, le neurone s'habitue au stimulus et réagit de moins en moins.

Avec une réponse tonique, le neurone émet des potentiels d'action tant que le stimulus est maintenu. De tels neurones ne s'habituent pas ou alors le font très lentement.

Les réponses toniques sont observées pour la plupart des neurones sensoriels liés au toucher et à la proprioception (perception de la contraction musculaire et de la position des membres). Par exemple, les neurones qui captent la douleur sont de ce type : tant que le stimulus douloureux est maintenu, les récepteurs de la douleur émettent des potentiels d'action sans faillir. Les réponses phasiques sont observées dans d'autres neurones sensoriels. Par exemple, les neurones du toucher qui captent la pression et les vibrations sont de ce type. Une pression constante appliquée sur un doigt va exciter ces neurones durant quelques secondes, guère plus. On voit qu'un neurone n'est capable que d'un seul type de réponse : soit le neurone est de type phasique, soit il est de type tonique. Les deux types de neurones se distinguent par des propriétés membranaires différentes, qui font qu'ils peuvent s'habituer.

Les réponses phasique et tonique ne codent pas pour les mêmes caractéristiques. Les réponses toniques permettent d'indiquer au cerveau que le stimulus est présent et pendant combien de temps. Quant aux réponses phasiques, elles indiquent les changements du stimulus. Si un stimulus change d'intensité et de fréquence brusquement, une réponse tonique ne peut pas l'indiquer, alors qu'une réponse phasique le peut. Pour le dire de manière plus formelle, les réponses phasiques codent les caractéristiques dynamiques du stimulus, alors que les réponses toniques codent les caractéristiques statiques du stimulus.

Le phénomène de Bursting

Certains neurones ont des réponses qui sont partiellement toniques. Je veux dire par là qu'ils ont tendance à émettre des rafales de potentiels d'action avant de se taire pendant un moment. Le neurone montre une série de trains de potentiels d'action, séparés par des périodes quiescentes. Ce phénomène est appelé le bursting, émission en rafale en français (burst veut dire rafale en anglais). Fait étonnant, ce phénomène ne s'observe pas sur tous les neurones et ses circonstances d'apparition varient grandement selon le neurone étudié. Certains neurones sont comme prédisposés à burster, alors que d'autres ne le font que rarement et quand ils sont soumis à des stimulus bien précis. L'origine de ce comportement est encore mal connue, de même que son utilité dans le codage de l'information.

Illustration du phénomène de Bursting.

Le bursting serait lié à l'existence d'un mécanisme qui forcerait le neurone à se calmer après un certain nombre de potentiels d'action. Sans ce mécanisme, le neurone aurait une réponse tonique pure, sans période quiescente. Mais avec ce mécanisme, les périodes quiescentes (sans potentiels d'action) apparaissent après une excitation suffisante. Le mécanisme est lié à des courants qui hyperpolarisent la membrane neuronale. Ces courants sont liés à des canaux ioniques bien précis, qui s'ouvrent lors des potentiels d'action. L'ouverture de ces canaux modifient le potentiel de membrane, en l'augmentant pour une durée assez longue. A chaque potentiel d'action, le potentiel de membrane s'hyperpolarise un petit peu plus qu'avant. Au fur et à mesure que le neurone émet des potentiels d'action, l'hyperpolarisation augmente et finit par empêcher la survenue d'un potentiel d'action.

Pour hyperpolariser un neurone, ces courants hyperpolarisateurs permanents doivent : soit activer un courant d'ions sortant, soit activer un courant entrant. L'ouverture des canaux ioniques associés peut être activé par le voltage, ou dépendre de la présence de calcium. Les quatre mécanismes ont étés observés dans des neurones, dans des conditions in vitro (en laboratoire). Des exemples de neurones sont décrit pour les quatre mécanismes dans le tableau ci-dessous.

Exemples Voltage-gated Calcium-gated
Courant sortant (expulsion de ) Voltage-gated M-current des neurones pyramidaux du cortex cérébral. -gated AHP-current des neurones dopaminergiques du tronc cérébral.
Courant entrant (entrée de ) Voltage-gated T-current des neurones des relais thalamiques. -gated L-current des neurones du ganglion somatogastrique du homard.

Les codages de fréquence et temporel

Nous avons vu dans les chapitres précédents que tous les potentiels d'action sont identiques, dans le sens où ils ont la même forme et ont toujours la même amplitude. On dit que les potentiels d'action sont générés en tout ou rien. En conséquence, l'amplitude du potentiel d'action n'a aucun impact dans le transfert d'informations entre neurones. Par exemple, si je prends un stimulus douloureux, l'intensité de la douleur n'est PAS codée par l'amplitude du potentiel d'action. Ce serait très simple, mais ce n'est pas comme cela que ça marche. Le codage de l'information est donc effectué par d'autres paramètres, indépendants de la forme du potentiel d'action.

Le codage de fréquence

Pour de nombreux stimulus sensoriels, les informations seraient représentées par la fréquence d'émission des potentiels d'action. Prenons l'exemple d'un neurone sensoriel qui capte un stimulus précis : l'intensité du stimulus sera représentée par la fréquence d'émission de potentiels d'action par le neurone sensoriel. Même chose pour un neurone moteur : l'intensité de la contraction musculaire induite par le neurone sera proportionnelle à la fréquence d'émission des potentiels d'action par le neurone moteur. Un tel codage est appelé un codage de fréquence (rate coding en anglais).

Illustration du codage de fréquence. On soumet un neurone à un stimulus initialement peu intense, puis moyennement intense et enfin très intense. On voit que la fréquence d'émission des potentiels d'action augmente de plus en plus avec l'intensité du stimulus.

Mais tous les stimulus ne semblent pas coller parfaitement à ce codage théorique. Dans les grandes lignes, certains neurones semblent bien fonctionner avec du codage de fréquence, alors que d'autres non. Hodgin et Huxley, dans un article de 1952, semblent avoir montré qu'il existe deux classes de neurones. Ceux de la classe I émettent des trains de potentiels d'action dont la fréquence dépend du stimulus appliqué, ceux de la classe II émettent des trains de potentiels d'action dont la fréquence ne dépend pas du stimulus. Si les neurones de classe I fonctionnent bien avec le codage de fréquence, ceux de classe II ne le font pas et émettent à une fréquence constante, toujours la même. Précisons que cela vaut pour les neurones à réponse tonique ou en rafale, pas pour les neurones à réponse phasique. Aussi, les chercheurs ont supposé que d'autres mécanismes entreraient en jeu.

Les codages temporels

Pour un neurone seul, les codages autres que le codage de fréquence sont regroupés sous le terme de codage temporel, qui regroupe plusieurs idées différentes et sans liens entre elles. Le terme est donc assez traitre, mais il est utilisé malgré tout, sa signification étant évidente avec un peu de contexte. La première signification est que l'information est codée par le timing exact des potentiels d'action, non leur fréquence. La seconde est que l'information est codée par la synchronisation de nombreux neurones qui émettent des potentiels d'action en même temps. Dans ce qui suit, nous réserverons le terme codage temporel pour parler de la première idée.

Une première forme de codage temporel est liée au fait que les neurones n'ont pas une fréquence d'émission stable. Par exemple, prenons un neurone qui émet une rafale de potentiels d'action à une fréquence de 2000 Hz, soit un potentiel d'action toutes les 0.5 millisecondes. En théorie, la fréquence devrait être stable, mais ce n'est pas tout à fait le cas. On observe de petites variations, la période entre deux potentiels d'action variant de 0.3 à 0.7 millisecondes. Ces variations ont lieu assez rapidement et on pourrait penser qu'elles sont du bruit. Si ce n'est pas impossible qu'elles soient effectivement du bruit, des scientifiques ont supposé que ces variations pourraient encoder de l'information.

Une seconde forme tient dans le délai entre le stimulus et l'émission du potentiel d'action. L'information est alors encodée dans le timing exact du signal, mais son extraction demande une comparaison avec d'autres signaux ou un signal de référence.

  • Prenons un exemple pour étudier le cas d'une comparaison avec d'autres signaux) : la localisation des sons chez les vertébrés. Les vertébrés sont capable de localiser l'origine d'un son par plusieurs méthodes. La principale est l'utilisation du délai d'arrivée du son entre les deux oreilles. Un son émis à gauche arrivera à l'oreille gauche avant d'arriver à l'oreille droite, et le délai exact permet de localiser le son dans l'espace. Pour cela, il faut faire une comparaison entre le temps d'arrivée dans chaque oreille. Pour cela, le cerveau compare le délai entre les potentiels d'action qui arrivent de l'oreille gauche et ceux qui viennent de l'oreille droite. Le timing exact des potentiels d'action encode donc de l'information, qui se révèle par comparaison entre rafales de potentiels d'action. Ici, le signal de référence est plus un train de potentiel d'action provenant d'autres neurones. Ce type de codage temporel s'appelle le Latency to first spike coding.
  • Une autre possibilité est que l'information soit codée par le timing, sauf que cette fois-ci, le timing est mesuré par rapport à un signal de référence présent naturellement dans le cerveau. Certains réseaux de neurones sont parcourus par des oscillations synchronisées, qui servent de signal de référence. L'information est alors codée par le délai entre une oscillation et l'émission du potentiel d'action. Un tel codage est appelé un Phase of firing coding.

La sélectivité des réponses neuronales

Illustration de la sélectivité d'un neurone : la réponse neurale est indiquée en ordonnée et l'intensité du stimulus est en abscisse. L'illustration est une simulation d'un neurone avec une sélectivité bien précise, dans un environnement bruité qui perturbe la réponse neurale.

Un neurone ne réagit pas à n'importe quelle stimulation, mais ne répond qu'à un certain type de stimulus bien précis. Le stimulus en question dépend du neurone, de ses connexions avec les autres neurones, de son intégration dans les réseaux synaptiques, de ses récepteurs synaptiques, et de bien d'autres choses. Les neurones sensoriels sont conçus pour répondre à des stimulus bien précis, du fait de leur nature même. Par exemple, un récepteur de stimulus douloureux ne réagit pas à la lumière. La preuve est que vous n'avez pas mal quand vous allez au Soleil (sauf si vous abusez ou que vous avez des maladies particulières, mais cela n'a rien à voir avec ce dont nous parlons). Mais on observe la même chose dans le système nerveux central : les neurones centraux réagissent à certains stimulus, mais pas d'autres. On dit que les neurones ont une certaine sélectivité en terme de stimulus.

La sélectivité des neurones sensoriels

Un exemple est celui des neurones du cortex visuel et plus précisément ceux de la couche V1. Ces neurones réagissent quand on présente un stimulus penché d'un certain angle, mais pas quand la barre est trop ou pas assez penchée. Des expériences chez le singe, le chat et l'homme, on montré que quand on affiche une barre noire, les neurones répondent quand la barre est penchée d'un certain angle. Certains neurones répondent quand la barre est horizontale, d'autres quand elle est verticale, d'autre quand elle est à 45°, etc. Prenons par exemple un neurone qui répond pour une barre verticale. La fréquence d'émission des potentiels d'action est maximale quand la barre est verticale. Elle diminue quand on augmente l'angle, et est nulle au-delà de 20 à 30° d'inclinaison. D'autres neurones ont le même comportement, mais pour une orientation différente. De tels neurones sont donc sélectifs : ils réagissent au maximum quand le stimulus a certaines caractéristiques, ou pour certains stimulus, mais réagissent pas ou peu quand ce n'est pas le cas.

Réponses des neurones de la couche V1 du cortex visuel, en fonction de l'orientation d'un stimulus visuel.

La sélectivité des neurones non-sensoriels

La sélectivité des neurones a une importance assez capitale dans le système sensoriel. Mais sa présence dans le reste du cerveau est encore en débat. Autant on peut comprendre que des neurones répondent de manière sélective à certains stimulus simples, autant on peut se demander si c'est le cas pour autre chose que des stimulus. Qu'en est-il pour les concepts : a-t-on des neurones spécialisés dans tel ou tel concept abstrait ? Mine de rien, la question est très compliquée et les scientifiques s'écharpent encore pour savoir quelle est la réponse. C'est un problème assez connu en neuroscience, qui s'appelle le problème de l'engramme. L'engramme est la trace qu'un apprentissage dans le cerveau, le réseau de neurone qui correspond à ce qui a été appris. Quand on apprend quelque chose, des changements biochimiques et structuraux ont lieu dans le cerveau et les réseaux neuronaux s’altèrent. Le résultat de ces modifications est l'engramme proprement dit, le substrat biologique de l'apprentissage. Reste à savoir si ce substrat est localisé à un endroit bien précis dans le cerveau et où.

La première avancée expérimentale importante sur le sujet date des années 2000, avec les travaux de Rodrigo Quian Quiroga, dans son article "Concept cells: the building blocks of declarative memory functions". L'étude suivait un protocole assez simple, basé sur des enregistrements électrophysiologiques de neurone isolés. Les chercheurs ont recruté des patients épileptiques qui devaient se faire opérer du cerveau. L'opération avait pour but d'enlever le morceau de cerveau responsable des crises (très graves chez ces patients, d'où le fait qu'ils aient recours à cette opération). les chirurgiens, soucieux de limiter au maximum d'éventuelles séquelles neurologiques/cognitives, cherchent à circonscrire le morceau de cerveau à enlever au minimum. Pour cela, ils placent des électrodes dans le cerveau de leurs patients, pour vérifier qu'ils n’enlèvent rien d'important. Les chercheurs ont alors demandé aux sujets s'ils pouvaient faire quelques expériences et regarder les résultats sur les électrodes mentionnées. Une dizaine de patients a accepté (ce qui est un échantillon assez faible, mais passons). Les enregistrements des électrodes captent l'activité de plusieurs neurones, mais des traitements informatiques permettent, en théorie, d'isoler le signal de neurones seuls.

Dans leurs expériences, les chercheurs présentaient des images diverses aux sujets et regardaient ce que les électrodes captaient. Les résultats étaient assez surprenants. Les chercheurs avaient remarqués que les réponses neuronales étaient assez spécifiques et que les neurones ne s'activaient que pour un type de stimulus bien précis, voire pour des stimulus uniques. Par exemple, chez un de leur patient, un neurone s'activait quand on présentait une image de Jennifer Anniston, mais aussi quand on affichait le nom de l'actrice sur un écran ou quand on prononçait son nom à l'oral. Un autre patient avait la même chose, mais pour des concepts comme l'opéra de Sydney, Luke Skywalker et quelques autres. Et les réponses étaient spécifiques de ces stimulus : les neurones concernés ne réagissaient pas quand on présentait une image toute autre. En somme, ces neurones codaient pour un concept, ici des personnes. Précisons que les neurones en question étaient localisés dans le lobe temporal médian, une région du cerveau impliquée dans la mémoire, la compréhension du langage, la catégorisation et la reconnaissance des objets.

D'autres expériences ont répliqué ces résultats, mais avec quelques nuances. Dans le détail, les réponses ne sont pas aussi spécifiques que dans l'expérience princeps. Les neurones ont tendance à réagir à non pas un seul stimulus bien précis, mais à plusieurs stimulus semblables de la même catégorie. Par exemple, des expériences ont montré que les neurones du cortex temporal inférieur s'activent quand on présente des visages, mais pas à d'autres stimulus. De même, si on répliquait l'expérience princeps, on verrait que certains neurones qui répondent aux images de Luke Skywalker répondraient sans doute à une image de Yoda, à une image de TIE-fighter, etc. De même, plusieurs neurones différents peuvent répondre au même stimulus.

Le codage de l'information par les réseaux de neurones : le codage de population

On vient de voir que l'information est codée dans le cerveau de diverses manières. Si les stimulus simples peuvent être représentés par un influx nerveux provenant de neurones spécialisés, ce mécanisme ne marche pas pour tout type d'information. Il est des informations qui ne peuvent pas être codées par un seul neurones. Pour ces informations, le cerveau recourt à ce qu'on appelle un codage de population, qui combine les informations provenant de plusieurs neurones pour représenter une information complexe. Un tel codage part d'un réseau contenant de nombreux neurones distincts. Chaque neurone a une sélectivité pour un certain type de stimulus : il répond fortement pour certains stimulus, faiblement voire pas du tout pour les autres. De plus, les neurones ne sont pas sélectifs du même stimulus : chaque stimulus répond à un stimulus différent. Ainsi, des neurones différent peuvent coder des informations complémentaires. Quand on présente un stimulus quelconque au réseau de neurone, certains neurones vont s'activer et d'autres vont rester silencieux. Le motif d'activation neuronal (quels sont les neurones activés/éteints) code pour une information.

Les codages denses et épars

Au vu des expériences mentionnées plus haut, on peut se demander combien de neurones il faut pour coder un concept, un percept ou toute autre unité d'information. Diverses sensibilités s'affrontent sur le sujet et on peut distinguer deux grands types de codes neuraux à cet égard : le codage épars et le codage dense. Avec le codage dense, une information est représentée par l'activation d'un grand nombre de neurones, plusieurs milliers au minimum. Avec le codage épars (sparse coding), une unité d'information est représentée par l'activation d'un faible nombre de neurones, de quelques neurones à quelques dizaines de milliers de neurones tout au plus. Un codage épars s’accommode fort bien avec une forte sélectivité des neurones. Si les neurones répondent à un nombre restreint de stimulus, alors le codage épars est assez efficient. À l'inverse, si les neurones sont peu sélectifs, le codage épars marche bien moins bien que le codage dense. Le codage épars a l'avantage d'être économe énergétiquement. Seul un petit nombre de neurones est activé, ce qui signifie que le cerveau n'a pas à dépenser beaucoup d'énergie en potentiels d'action. À l'inverse, un codage dense a le désavantage de dépenser beaucoup d'énergie pour activer les nombreux neurones nécessaires. Reste à savoir ce que l'évolution a choisi...

Théorie de la cellule grand-mère. On aurait un neurone spécifique à Jennifer Anniston, aux polyèdres, etc.

Le cas le plus extrême de codage épars est celui où un neurone code pour une information et seulement celle-ci. L'idée comme quoi un seul neurone code pour un concept ou une unité d'information est cependant assez peu probable. L'idée est d'ailleurs appelée humoristiquement la théorie du neurone grand-mère, la boutade étant qu'on aurait un neurone pour le concept de "grand-mère". La théorie exacte est plus compliquée que cela, mais cette description simplifiée n'est pas si fausse. Pour faire moins simple, le cerveau aurait une organisation hiérarchique, en forme d'arbre hiérarchique. Les neurones en bas de l'échelle coderaient des propriétés sensorielles simples, alors que ceux tout en haut coderaient des concepts abstraits. Plus on monte dans la hiérarchie, plus les propriétés sont assemblées pour coder des stimulus de plus en plus complexes et abstraits. Par exemple, tel ensemble de stimulus serait assemblé pour coder des formes, qui seraient elle-mêmes assemblées en représentations visuelles d'objets, qui seraient combinées avec d'autres représentations sensorielles pour donner des concepts abstraits, et ainsi de suite.

Un autre cas moins extrême, mais tout aussi irréaliste, est celui des codages locaux (un terme utilisé avec plusieurs sens en neuroscience, faites attention). Avec ces codages, une information est représentée par un petit groupe de quelques neurones hautement sélectifs. Par hautement sélectifs, on veut dire que chaque neurone de l'ensemble ne s'active pour l'information codée et pour aucune autre. Deux informations différentes ne partagent pas le moindre neurone commun. Ce faisant, il n'y a pas d'interférences entre informations, qui sont physiquement séparées dans le cerveau. Mais le défaut de ce codage est qu'il a une capacité de stockage limitée : avec N neurones, on peut coder N informations au maximum. La mémoire a donc une capacité assez limitée. Un autre défaut est que ce tels codages ne permettent pas la généralisation des connaissances acquises. Toute connaissance est distincte des autres dans le cerveau et les associations formées entre deux connaissances ne se généralisent pas à d'autres connaissances reliées. Évidemment, ces deux propriétés ne sont pas franchement intuitives, surtout au vu de ce que l'on sait de la mémoire.

En réalité, l'engramme n'est pas qu'un seul neurone, mais un réseau de neurones qui code aussi pour d'autres concepts similaires. Par exemple, si on prend le réseau des neurones qui répondent au concept "chat", certains de ces neurones font partie d'un autre réseau qui code le concept de mammifère, d'autres font partie du réseau du concept "mignon", etc. Ce codage est assez efficient, dans le sens où des concepts semblables qui partagent des points communs, vont partager un même réseau neuronal. En clair, tout concept est représenté par un réseau de neurones, l'ensemble des neurones activés étant petit pour le codage épars, grand pour le codage dense.

Les codages locaux et distribués

Nous venons de voir que les unités d'informations sont codées par plusieurs neurones, par un réseau de neurones plus ou moins grand. Notons que rien ne dit que les neurones d'une même information soient proches. Il se peut que les neurones en question soient proches les uns des autres, regroupés dans des réseaux locaux de petite taille. Mais il se peut aussi que les neurones soient dispersés dans tout le cerveau. On doit là encore faire une différence : celle entre codage distribué et local. Avec un codage local (rien à voir avec les codages locaux précédents), les neurones d'un même concept sont regroupés et sont proches les uns des autres. Avec un codage distribué, les neurones sont répartis dans l'ensemble du cerveau et peuvent être assez éloignés les uns des autres. On peut même les retrouver dans des régions du cerveau totalement distinctes, voire dans des hémisphères différents. De nos jours, on ne sait pas si la localisation d'un concept dans le cerveau est locale ou distribuée dans l'ensemble du cerveau.

Les codages indépendants et à corrélation

En 1986, Georgopoulos proposa le premier modèle de codage de population, appelé le codage de population vectoriel (population vector model en anglais). Son article portait sur les neurones du cortex moteur primaire, une région du cerveau qui se charge de la gestion des mouvements. Le but de ce chercheur était de créer un modèle qui rende compte d'observations physiologiques sur ces neurones. Dans son modèle, la direction d'un mouvement était décidée par une assemblée de neurones. Les neurones en question sont supposés utiliser un codage de fréquence pour encoder leur information individuelle. Chaque neurone est censé avoir une sélectivité pour une direction précise : il émettrait un influx nerveux de fréquence maximale pour cette direction, mais la fréquence chute rapidement quand la direction s'en éloigne. Le modèle explique comment les influx nerveux de tous ces neurones sont combinés pour donner la direction finale. Dans ce modèle, la direction finale est la moyenne pondérée des directions de tous les neurones, les coefficients de pondérations étant la fréquence de décharge de chaque neurone.

Ce modèle, très simple, a été un pas en avant assez important dans l'étude du domaine. Mais il était assez limité sur de nombreux points. Le premier est que la fonction utilisée pour combiner les influx nerveux est particulièrement simple, trop simple pour être réaliste. Mais c'est une approximation qui peut se défendre. La seconde est que chaque neurone répond à un stimulus indépendamment des autres. Tous les neurones sont indépendants et ne sont pas connectés entre eux. Combiner leurs influx nerveux de sortie est alors assez facile. Un tel codage est appelé un codage indépendant. Mais un tel codage n'est pas la panacée : on a observé de nombreuses situations où un tel codage échoue. Quand les neurones sont interconnectés, ils s'influencent mutuellement et leurs réponses ne sont plus indépendantes. Par exemple, ils peuvent synchroniser leurs influx nerveux et générer des oscillations périodiques. Tout cela pour dire que les codages indépendants ne tiennent pas compte de ce genre de phénomène. Pour le faire, il faut utiliser des codages à corrélation, qui tiennent compte de la structure des réseaux de neurones et des influences réciproques entre neurones.

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