États généraux du multilinguisme dans les outre-mer/Thématiques/L’emploi des langues : plurilinguisme, pratiques individuelles et pratiques sociales/Table ronde plénière : transcription
- Xavier North (délégué général à la langue française et aux langues de France)
Que le chemin a été long pour arriver jusqu’à Cayenne. Je ne veux pas parler du trajet aérien que beaucoup d’entre nous ont dû faire pour parvenir jusqu’ici (encore que la fatigue du voyage ne soit pas tout à fait étrangère à cette exclamation liminaire) ; non je veux parler des travaux préparatoires à ces états généraux, menés depuis plus d’un an maintenant au sein d’un Conseil d’orientation auquel nombre d’entre vous ont participé, ou dans le cadre de rencontres organisées localement en Nouvelle Calédonie, en Guyane, à la Réunion ou en Guadeloupe ; et parce que la plupart de ceux qui ont contribué activement à ces travaux se trouvent réunis ici aujourd’hui, je voudrais d’entrée de jeu leur rendre hommage, comme je voudrais remercier l’équipe organisatrice, animée par Florence Gendrier à Paris, inspirée par Michel Colardelle depuis Cayenne.
C’est grâce à ces travaux que nous avons pu dégager pour nos débats 6 principaux thèmes, qui ont été couplés deux par deux afin que nous puissions les déployer sur trois demi-journées, le 7ème thème (« le plurilinguisme, une ressource à exploiter ») étant traité au cours de la quatrième demi-journée, c'est-à-dire au début de l’après-midi du deuxième jour (j’espère que tout le monde se retrouve dans cette architecture un peu complexe). Comme vous le savez, chaque demi-journée se déroule en trois temps, séparés chacun par une pause : exposé des problématiques sous la forme de deux tables-rondes correspondant chacune à un thème, puis travail dans les ateliers, et enfin restitution des ateliers en semi-plénière, chaque semi-plénière faisant écho à l’une des deux tables rondes par lesquelles aura commencé la demi-journée. J’espère que chacun aura pu s’inscrire à l’atelier ou à la semi-plénière de son choix, étant entendu que la plénière de vendredi après-midi permettra à tous de prendre connaissance de l’ensemble des travaux accomplis. Cette organisation signifie que chacun pourra prendre la parole à son gré, dans les ateliers, les semi-plénières de restitution, et même, si le temps nous le permet, dans la plénière de synthèse finale, l’objectif étant de faire alterner des exposés généraux, d’une part, et des « retours d’expériences » ou des présentations de « bonnes pratiques » pour aboutir, au bout du compte, à un ensemble de préconisations, adossées à quelques grands principes dont on pourra toujours, bien sûr, discuter la formulation, mais qui auront fait sur le fond l’objet d’un consensus. Ces recommandations feront l’objet d’une synthèse publique, en présence du ministre, qui nous rejoindra vendredi soir. Réalisée à chaud, elle sera nécessairement incomplète : c’est pourquoi nous prenons l’engagement d’établir un relevé plus détaillé de ces recommandations, sous la forme de conclusions qui feront autorité.
Je remercie les participants aux tables rondes, les modérateurs et les rapporteurs, qui ont bien voulu se porter volontaires pour structurer nos débats. Cela, je le précise, ne leur confère aucun statut, ni aucun privilège : dans des états généraux, comme je le laissais entendre hier soir, tout le monde est égal aux autres. Mais vous conviendrez avec moi que cela leur donne quelque titre à notre reconnaissance.
Partager la parole est un art difficile, il faut du temps pour cela, donc je vais avoir un œil sur la montre, pour vous, tout au long de ces deux jours et, avant de démarrer nos travaux, je voudrais inviter Yvan Amar qui est présent ici, à venir nous dire en quelques minutes quel est son projet et son désir dans ces états généraux.
- Yvan Amar (Radio France Internationale)
Merci beaucoup Florence. Je travaille à Radio France Internationale où je m’occupe des émissions sur la langue, souvent sur la langue française, mais sur toutes les langues qui sont parlées dans les territoires français et même toutes les problématiques de langue. Je suis heureux d’être ici.
Je voudrais réaliser deux choses. Tout d’abord ramener des documents sonores pour pouvoir faire des émissions sur un certain nombre de situations linguistiques dans les outre-mer. Et aussi, me semble-t-il, pour garder une trace sonore de ces états généraux, interroger un certain nombre d’entre vous qui représentez des langues particulières pour les faire parler un temps très court. Cela peut durer 5 minutes ou 3 minutes peut-être suffisent, avec un certain nombre d’entre vous, pour que, dans leur langue, ils fassent une petite carte postale sonore, un photomaton : dire qui je suis, comment j’ai appris cette langue, était-ce la langue que je parlais avec mes parents, mes deux parents la parlaient-ils entre eux, la parlé-je avec mes enfants, si j’en ai, etc. ? Le tout agrémenté éventuellement d’une recette de cuisine, d’une petite chanson, d’un proverbe et, chaque fois, disons toutes les 30 secondes, traduit en français. Pour que, justement, on puisse, après, faire une sorte de petit album de photos qui servira d’abord d’album souvenir, ensuite d’archives pour peut-être les générations futures ou nous quand on sera un peu plus vieux. Se souvenir que, fin 2011, il y avait une situation linguistique dans les outre-mer dont on pouvait donner, aussi imparfait que ce soit, un petit instantané.
Donc tous ceux que cela intéresse et qui sont locuteurs d’un certain nombre de langues, je les engage à venir me voir, peut-être à la fin de cette matinée, pour que l’on puisse prendre rendez-vous pour une entrevue extrêmement courte. C’est 5, 6 minutes, si vous ne savez pas quoi dire, je vous aiderai, mais j’en ai déjà fait un tout à l’heure et je n’ai rien eu à dire, cela s’est extrêmement bien passé. Donc, n’hésitez pas à venir me voir et on essaiera de faire un petit calendrier et je vous prendrai à part, les uns et les autres, compte non tenu d’autres émissions, d’autres entretiens plus longs que je pourrais faire avec certains d’entre vous pour essayer de faire le point sur des situations linguistiques. Merci.
Nous allons commencer nos travaux avec une première thématique : « L’emploi des langues , plurilinguisme, pratiques individuelles et pratiques sociales ». c’est Isabelle Léglise qui va faire le propos introductif de cette table ronde. Hidaya Chakrina qui nous fera part de son expérience et de son témoignage, Richard Waminya, si vous voulez bien venir vous installer sur l’estrade. Michel Colardelle nous donnera, à la fin de cette première table ronde plénière, le point de vue de l’institution, à savoir le ministère de la Culture et de la Communication.
- Propos introductif : Isabelle Léglise (Structure et dynamique des langues - Centres d'études des langues indigènes d'Amérique / CNRS)
Bonjour,
il m’incombe la tâche difficile d’introduire des discussions sur multilinguisme et plurilinguisme, pratiques individuelles, pratiques sociales. Je vais rappeler un certain nombre de termes qui sont chargés de sens, chargés d’enjeux et il me semble que quand on parle de multilinguisme, il faut d’abord partir d’une idéologie dominante et de la méconnaissance ou de la négation de la diversité linguistique, en France, en général.
Nous sommes en France, et en France métropolitaine en particulier, dans le cas d’une idéologie monolingue qui est dominante. Quand je commence mes cours, souvent je pose cette question à mes étudiants : « À votre avis, combien y-a-t-il de langues parlées en France ? », la réponse qui arrive immédiatement c’est « le français » et ensuite, les étudiants sont très secs. Et pourtant, l’enquête famille de l’INSEE montrait qu’il y avait plus de 400 langues maternelles parlées en France métropolitaine. Cette idéologie monolingue dominante qui est au moins métropolitaine, probablement aussi nationale et qui déborde loin aussi dans les outre-mer, elle est présente et je pense qu’il faut partir d’elle. Pourtant, on connaît évidemment ces actes de la diversité linguistique en France métropolitaine et ces résultats de l’INSEE qui montrent, pour les langues issues de l’immigration, les questions de transmission en famille avec de nombreux locuteurs pour toutes ces langues.
La question que l’on peut se poser ici est : quelles sont les idéologies dominantes dans les outre-mer ? Je ne répondrai évidemment pas à cette question, mais je la pose. L’idéologie métropolitaine nationale agit-elle ? Probablement. D’autres idéologies agissent-elles ? Probablement également. En Guyane, je pense notamment, parce que c’est le terrain que je connais le mieux, qu'il y a une idéologie de la juxtaposition, de la mosaïque qui n’est pas la même que d’autres idéologies que nous pouvons avoir dans d’autres territoires.
Une autre question importante me semble être celle du statut et de la reconnaissance des langues et de cette diversité. Reconnaissance par l’État. On connaît évidemment les langues de France, et donc l’apport important des langues de l’outre-mer aux langues de France, 50 sur 75, à quoi il faut ajouter la grande diversité linguistique en outre-mer qui n’est pas reconnue comme langue de France. Donc je prendrai trois exemples : Nouvelle-Calédonie, Polynésie et Guyane, à la fois pour des langues qui sont des langues proches des territoires environnants, comme des langues issues de mobilités plus lointaines, et on arrive à des nombres de langues très importants et des diversités linguistiques extrêmement importantes.
Ce n’est pas parce que nous avons une diversité linguistique et que nous la reconnaissons à un certain niveau que nous ne sommes pas encore entachés d’idéologie monolingue quand on s’intéresse à la coprésence des langues. Vous avez ici une carte de la Guyane avec des espaces de peuplement, c’est la façon dont on représentait traditionnellement où se situent les populations et quelles langues elles parlent. Donc vous avez ici, par exemple, des populations amérindiennes, ici des populations marrons, bushinenge, ici des populations traditionnellement créoles et métropolitaines, cela induit une vision cloisonnée des groupes et des langues.
Parler de multilinguisme et de plurilinguisme, voici les définitions que je vais utiliser : le multilinguisme, et j’utilise ici les définitions du conseil de l’Europe, renvoie à la coprésence, à la présence, sur un même espace géographique, d’un certain nombre de langues et, sur cet espace géographique, on peut avoir des locuteurs monolingues ou plurilingues. Par ailleurs, le plurilinguisme renvoie plus du point de vue du locuteur qui parle et cela renvoie au répertoire des variétés de langues que de nombreux individus utilisent sur un espace, que cet espace soit vu comme monolingue ou multilingue. Et donc, dans ces espaces multilingues, nous pouvons avoir des locuteurs monolingues ou plurilingues. Il me semble que cette distinction est importante à mettre en exergue.
Pour citer l’exemple de la Guyane, nous sommes ici face à une Guyane multilingue où il y a un certain nombre de langues qui sont parlées. Vous avez ici les résultats d’une enquête que j’ai menée dans les écoles en Guyane et qui montre la grande diversité de langues maternelles, de langues transmises en famille, on arrive à une quarantaine avec des pourcentages plus ou moins importants. Non seulement la Guyane est multilingue, mais elle est également plurilingue, majoritairement plurilingue. Si je m’intéresse aux élèves de 10 ans, 93% d’entre-eux déclarent parler deux langues, en général leur langue maternelle plus le français, c’est normal, c’est la langue de l’école, mais 41% déclarent parler au moins trois langues et 11% au moins quatre langues, etc. Donc, la Guyane,c'est non seulement un territoire multilingue mais aussi une population majoritairement plurilingue. Je vous ai parlé des répertoires, vous voyez ici que le français (là c’était une enquête à Apatou) est déclaré par 2% des élèves comme parlé avant d’aller à l’école et puis, évidemment, une fois qu’ils sont rentrés à l’école, ils le parlent tous au bout d’un certain temps. Vous avez par exemple ici le Sranan Tongo qui n’apparaît pas comme dans les langues maternelles des élèves mais qui est appris par la suite par les élèves, au contact de leurs amis, suite à des voyages dans la région environnante, etc. Et donc ces élèves plurilingues se retrouvent dans des classes multilingues, vous avez ici la représentation des langues maternelles parlées par des élèves dans une classe (ici dans la ville de Kourou) et puis vous avez la représentation sur le graphique, plus bas, de l’empilement des langues que l’on apprend progressivement, les langues que l'on apprend en famille, les langues que l'on apprend à l’école, les langues que l'on apprend auprès des amis, lors des voyages, les langues étrangères que l'on apprend ensuite à l’école, etc. Ce qui fait que les locuteurs possèdent des répertoires plurilingues et que ces répertoires évoluent au cours du temps, c’est-à-dire qu’évidemment le répertoire n'est pas le même à trois ans, à dix ans, à quinze ans, à vingt ans, quarante, etc.
Face à ces répertoires plurilingues, les individus utilisent leurs langues, gèrent leur plurilinguisme. Vous avez l’empilement des répertoires sur l’ensemble des élèves en Guyane, ce sont les résultats que j’ai pour l’instant, avec évidemment un poids extrêmement important du français, pas tant comme langue maternelle, mais ajoutée au répertoire par la suite avec les autres langues. Et évidemment, cela est à un instant T, pour des élèves qui ont 10 ans. On n’aurait pas les mêmes résultats si on prenait une tranche d’âge comme 25 ans, 40 ou 60 ans. Un individu, par exemple un enfant, qui déclare parler 5 langues dans son répertoire, quel que soit la compétence qu’il ait dans ces langues, il peut parler dans une langue à son père, son père peut lui répondre dans cette langue plus une autre langue, il peut s’adresser à sa mère dans une 3ème langue, par ailleurs, avec ses frères et sœurs le français rentre parce qu’il y a l’école et donc le français, et avec ses amis, non seulement les langues de la maison plus le français plus le créole, la cour de récréation, etc. Vous voyez là un autre exemple où l’on voit l’entrée des langues, comment les locuteurs gèrent les langues. Vous avez par exemple des enfants dans une famille. Tout ce qui est en rouge est leur langue maternelle, un créole à base anglaise, et puis vous voyez des entrées du français, à l’intérieur, dans leurs échanges entre eux, les enfants, mais aussi quand ils s’adressent à leurs parents, parents qui ne parlent pas le français par ailleurs. Donc, là, vous avez le vocabulaire d’origine scolaire qui entre. Là, vous avez des exemples plus complexes de communication en situation exolingue, c’est-à-dire une situation dans laquelle les interlocuteurs ne partagent pas les mêmes langues. C’est une chose très fréquente en Guyane et fréquente aussi dans d’autres contextes. Ici, vous avez par exemple des échanges à l’hôpital, entre l’équipe soignante et le patient, et la famille du patient, avec des essais pour communiquer minimalement. Mais on n’arrive pas à dépasser le stade du minimal. Vous avez là d’autres exemples de l’hôpital où, face à un patient brésilien, l’infirmière, alors que tous les échanges sont en français et le patient brésilien ne parle pas français, va essayer d’approximer le portugais du Brésil et donc utiliser ce qu’elle possède dans son répertoire plurilingue, l’espagnol qu’elle a appris à l’école il y a longtemps, qu’elle parle très imparfaitement, pour essayer, par une communication minimale l’un avec l’autre, et le patient brésilien va essayer d’aller du portugais vers l’espagnol pour que, finalement, ils arrivent à, établir le diagnostic, là en l’occurrence : il a mal au ventre quand il marche.
Face à de telles situations, face à tous ces points à la fois, multilinguisme et plurilinguisme, quelles politiques linguistiques implicites ou explicites ? Explicites, ce sont les politiques que l’on définit, auxquelles on croit, sur lesquelles on légifère. Et implicites, ce sont les politiques dont on ne parle pas, mais qui, par une analyse, permettent de remonter. Dans le cas des échanges à l’hôpital, par exemple, on peut dire que la politique explicite est uniquement de favoriser le français. En même temps, on voit bien que le fait de ne pas s’intéresser aux langues des autres ou de ne pas avoir les outils pour s’intéresser aux langues des autres, fait que sur les acteurs sociaux pèse un poids monumental qui est de devoir s’adapter ou de refuser de s’adapter à la personne que l’on a en face de soi. Et donc la question qui se pose est quelle politique linguistique peut-on mettre en place dans des lieux très différents tels que l’école, mais aussi la santé, la justice — la question des prisons, par exemple — et la question se pose à tous les niveaux, à la fois au niveau de l’État, des collectivités territoriales, mais aussi au niveau des familles qui se posent aussi la question de savoir si elles doivent ou non transmettre leurs langues et quelles langues transmettre, surtout s’il y en a plusieurs. Je vous remercie.
Merci Isabelle. Hidaya Chakrina, je vous propose d’intervenir maintenant. Vous avez été chargée de mission pour les langues régionales au conseil général de Mayotte.
- Expert 1 : Hidaya Chakrina (Conseil général de Mayotte)
Bonjour à tous.
J’ai eu en charge la direction des langues régionales du conseil général de Mayotte pendant 2 ans, de 2009 à 2011, avant de rejoindre le cabinet du président du conseil général, il y a quelques mois. C’est effectivement à ce titre, en temps qu’ancienne responsable de cette structure que j’ai été conviée aujourd’hui. Cela dit, mon propos sera forcément en lien avec ma mission actuelle qui consiste à faire le suivi des orientations politiques du président auprès de l’administration.
En ce qui concerne mon travail à la direction des langues régionales, nous avons été sollicités par l’exécutif de l’époque pour mettre en place une politique de sauvegarde en direction des langues mahoraises, mais également pour sensibiliser la population aussi bien mahoraise que le reste de la population, sur la nécessité de cette sauvegarde. On me pose toujours la question de savoir si les langues mahoraises sont véritablement en danger pour que l’on ait besoin de sauvegarde, et ma réponse est oui. Oui quand on voit que l’utilisation qui est faite auprès des jeunes aujourd’hui, auprès du public scolaire, est une utilisation quelque peu approximative. Il y a donc des raisons de s’inquiéter de l’évolution de ces langues mahoraises. Alors, quelles sont-elles ? Nous avons trois langues qui sont majoritairement parlées à Mayotte : la langue française, langue officielle, le shimaoré qui est d’origine bantoue, le shibushi qui appartient à la famille des langues malayo-polynésiennes. S’interroger sur leur emploi dans la société mahoraise, cela signifie analyser les usages linguistiques, les codes de langage, les pratiques des locuteurs en tout temps mais également en tout lieu, dans la mesure où tout espace qui est physiquement occupé et potentiellement un espace de production verbale ou écrite ou un lieu d’interaction pour les individus. Ces usages ou ces pratiques sont nécessairement à mettre en lien avec les comportements généraux ou spécifiques des locuteurs et avec les choix opérés par ces derniers, étant entendu que les uns comme les autres sont tributaires des représentations sociales et culturelles qui sont à l’œuvre sur le territoire. L’emploi des langues présuppose la définition d’un territoire symbolique qui permette au locuteur de dire son identité, mais encore faut-il savoir quelle langue utiliser dans son environnement, dans les espaces que l’on investit, sur des territoires anciennement colonisés tels que les nôtres, tels que Mayotte et dans lesquels les langues régionales n’ont pas encore véritablement leur place. La pratique des langues mahoraises jusque là inscrite dans un climat social apaisé est un peu mis à mal, notamment par des discours idéologiques qui incitent le locuteur à subir l’impératif de la pratique de la langue française ou qui le place dans une incapacité à se défaire de ces discours. L’un de ces derniers consiste ainsi à faire croire que la pratique libre du shimaoré ou du shibushi ne permet pas aux mahorais de maîtriser la langue française, langue de la réussite scolaire. Un tel propos ne peut évidemment pas être compris par les mahorais parce que cela signifierait que l’inverse est également vérifiable, en ce sens que la pratique accrue du français est susceptible de freiner ou d’étouffer le développement des langues mahoraises. Mais affirmer l’un comme l’autre de ces discours, le discours réel et le discours hypothétique, reviendrait finalement à vivre le plurilinguisme plutôt comme une voie sans issue au lieu de le considérer comme une ouverture ou comme le début du rapprochement entre les cultures. Affirmer cela reviendrait aussi à laisser sous-entendre que la coexistence des langues en présence sur le territoire mahorais constituerait un problème et que les institutionnels seraient dans l’impossibilité de prendre en charge une société où le multilinguisme a toujours existé et où les locuteurs sont plurilingues. Le discours idéologique qui lui est réel, est assez dévastateur. Il culpabilise le mahorais dans son effort d’apprentissage ou dans sa réappropriation de la langue française, mais également dans sa pratique de sa langue première. Sa force ou sa persistance est que ce discours joue sur la peur que le mahorais peut avoir par rapport à l’avenir de sa progéniture. On lui fait comprendre que si cette progéniture ne maîtrise pas correctement la langue française, alors son avenir sera quelque peu compromis. Mais en vérité nous avons le sentiment que les affirmations idéologiques dont nous parlons ici, ne font que détourner notre attention du véritable problème, en faisant des langues régionales de Mayotte des espèces de boucs émissaires. Ces affirmations idéologiques ne permettent pas de rechercher la ou les causes véritables de la défaillance de la politique de la maîtrise de la langue française au sein du territoire mahorais. Dans ce contexte, on peut s’interroger sur le devenir de notions telles que plurilinguisme ou pratique linguistique, parce que l’une comme l’autre tendent à perdre de leur sens et de leur fonctionnalité, tout comme le locuteur mahorais perd actuellement ses repères linguistiques et culturels alors qu’auparavant il savait quand et comment employer les trois principales langues du territoire : le français à l’école et face à un interlocuteur qui ne pratiquait pas les langues mahoraises, et les langues mahoraises en dehors des deux cadres indiqués, quel que soit le lieu d’expression. Pour ce locuteur-là, l’essentiel était l’intercompréhension avec son interlocuteur, c’est pourquoi il ne s’inquiétait pas de savoir si l’espace de la pratique du shimaoré ou du shibushi dévorait celui de sa pratique de la langue française. Aujourd’hui, le locuteur mahorais est dans l’obligation de réinventer d’autres espaces d’expression pour sa langue première, ce qui pose ici la question de la survivance des langues mahoraises à long terme, mais en même temps celle de la capacité à mettre en place des politiques linguistiques publiques adaptées sans que cela ne se fasse au détriment d’une langue et ce, quels que soient le statut et la valeur conférés à celle-ci. Agir au lieu de subir. Cela est plus que nécessaire quand l’on voit que la perception du mahorais à l’égard de ses langues premières a changé et que celui-ci finit par s’autocensurer dans sa pratique individuelle ou sociale des langues mahoraises car il considère que cette pratique est dévalorisante, qu’elle altère l’image qu’il souhaite projeter au reste de la société, à savoir celle d’un individu qui a réussi le défi de maîtriser la langue française et qui ne se trouve pas ou qui ne se trouve plus dans le groupe peu envieux, selon lui, de ceux qui peinent encore dans leur acquisition linguistique. Pour le locuteur mahorais décrit à l’instant, parler français est valorisant et ne plus parler shimaoré ou shibushi, quel que soit son interlocuteur, est encore plus valorisant. C’est paradoxal à dire mais cela fait partie des choses qui sont ressenties. Ce rejet de la langue première est, avant tout, la négation consciente ou dont la portée n’est pas encore complètement mesurée de sa propre identité. Il ne permet pas de se construire à partir de sa culture. Alors le discours de la culpabilisation permanente finit-il par déteindre sur ce locuteur ? C’est une question qui resterait à approfondir. Agir au lieu de subir, voilà précisément où nous en sommes à Mayotte et voilà la gageure que le politique mahorais doit relever avec des moyens financiers qui resteraient à redéfinir si l’on estime que la question des langues fait partie des priorités du pays. Je vous remercie.
Merci Hidaya Chakrina. Alors Richard Waminya, vous travaillez dans la province des îles Loyauté en Nouvelle-Calédonie et vous essayez de mettre en place des processus d’apprentissage des mathématiques à partir de la philosophie et des langues kanakes.
- Expert 2 : Richard Waminya (Province des îles Loyauté en Nouvelle Calédonie)
Tout d’abord, c’est parti d'un objet d'étude qui est sur la perception des gens de dire que les langues sont un obstacle dans l’apprentissage des mathématiques. Il est avéré que dans la situation que l’on connaît au niveau du pays, en libérant 20% des élèves qui sont en réussite au niveau des autres champs disciplinaires, on se rend compte que la plupart des enfants qui rencontrent des problèmes au niveau du pays sont des enfants qui sont d’origine mélanésienne et même océanienne. La question que l’on s’est posée a été : la langue kanake ou océanienne est-elle un véritable obstacle dans l’apprentissage des champs disciplinaires comme les mathématiques, ou est-ce un potentiel ? Selon l’approche d’Ubiratan d’Ambrosio qui est un chercheur brésilien qui utilise l’approche ethno mathématique qui dit qu’à partir de la culture, de la philosophie et d’un peuple, on peut comprendre les concepts mathématiques qui sont perçus au niveau de l’école. On est parti de cette étude et on s’est rendu compte au niveau de la culture kanake puisque c’est dans cette culture que je me suis engagé à travailler, notamment à Lifou. Je me suis rendu compte que dans la culture, il y avait des concepts mathématiques qui étaient inscrits et que si on pouvait extraire ces concepts mathématiques qui sont logés à l’intérieur de ces cultures, on pourrait aider l’enfant à procéder à une sorte de continuité pédagogique du milieu social, c’est-à-dire de la famille, directement dans l’école. Et si on arrivait à articuler ces deux types d’enseignement, ces deux types de culture, on arrivait à aider ces enfants à mieux s’intégrer dans l’apprentissage scolaire. Alors on s’est attaché au fait que si on devait percevoir la langue, il ne fallait pas simplement rester au niveau de la langue, mais il fallait revenir sur la philosophie qui a permis de mettre en place cette langue. La philosophie, il fallait la retrouver au niveau des tribus c’est-à-dire faire des recherches au niveau des anciens et essayer de percevoir toutes ses connaissances, ses techno pédagogies, c’est-à-dire comment ils ont su enseigner à leurs enfants dans les tribus. Parce que dans les activités sociales qui sont mobilisées dans les tribus, se retrouvent des concepts mathématiques qui sont similaires au niveau de l’école : construction d’une case, la forme triangulaire ou la forme rectangulaire ou la forme circulaire. Ce sont des formes qui sont vues au niveau géométrique et mathématique, au niveau de l’école. Comment procéder à une articulation entre 2 espaces soi-disant différents mais qui travaillent sur des analogies, qui sont pareils. Ainsi on se rend compte qu’au niveau du milieu social se dégage ce que l’on appelle une conceptualisation implicite. C’est-à-dire des concepts dans lesquels on est incapable de réexpliquer au niveau de l’école mais qui sont vraiment vécus concrètement au niveau de la maison. Et cet espace scolaire où se pratique ce que l’on appelle une conceptualisation explicite, c’est-à-dire où l’enseignant demande à l’enfant d’expliquer ce qu’il est en train de faire. Il se trouve entre deux espaces, entre deux formes de conceptualisation et il lui manque le pan qui relie ces deux espaces. Alors on a mis en place le fait de dire que c’est la langue qui entrave cette articulation entre ces deux espaces. Mais dans l’autre manière de voir, la langue, si c’est un vecteur de transmission, c’est avant tout chez nous un élément important puisqu’à l’intérieur de cette langue, sont inscrites des valeurs philosophiques comme le concept de relation qui sont la base même de notre philosophie dans la culture kanake, mais qui sont aussi travaillées au niveau de l’école. A partir de ces concepts de relation, se dégage par rapport à notre philosophie kanake, une approche multidimensionnelle, c’est-à-dire que l’on voit deux types de conception au niveau de l’école : la conception que l’enfant a perçue chez lui et la conception qu’on lui fait admettre au niveau de l’école. À partir de ce moment-là, on se rend compte que les pratiques sociales existantes à la maison sont pratiquées dans les gestes de l’enfant, sont associées aussi à des mots, mais des mots qui ont un sens et qui ont une valeur philosophique et ce sont ces mots-là qu’on travaille, qu’on essaie d’étudier, de manière à trouver, au travers de ces mots, ces processus mentaux qui vont aider l’enfant à mieux intégrer tout l’apprentissage qu’il va découvrir à l’école. A partir de ce moment là, on va établir une véritable continuité pédagogique entre l’espace social, c’est-à-dire l’espace culturel de l’enfant et l’espace scolaire qui est beaucoup plus formalisé. D’Ambrosio parle des mathématiques informelles qui sont pratiquées quotidiennement à la maison. Et ces mathématiques formelles, demandées à partir d’un programme officiel, pratiquées à l’école. Comment faire ? L’expérience qui est menée dans les îles consiste à repartir, à partir des activités sociales comme la confection de nattes, la construction d’une case qui est le symbole de la culture kanake, et à partir de ces constructions, se dégage derrière tout cet aspect philosophique important pour donner du sens à l’apprentissage. Et c’est dans ces processus que l’on appuie notre étude pour permettre non seulement à l’enfant mais à l’enseignant, pour qu’il puisse savoir quels sont les types et quelles sont les situations qu’il doit mettre en place en classe pour permettre à l’enfant de continuer cet apprentissage qu’il a perçu à la maison et qu’il continue à apprendre à l’école. L’approche multidimensionnelle est tout à fait différente, étant donné que l’on ne considère plus une seule dimension, un seul aspect du savoir, mais dans la culture kanake, notre manière de faire est de pouvoir mobiliser toutes les dimensions d’une manière simultanée pour comprendre un seul concept. Vérîot parle de la définition du concept. Qu’est-ce que le concept ? Trois éléments. Vous avez le signifiant : les mots, les choses que l’on voit, qui sont palpables ; le signifié : qui est du domaine psychologique, qu’on ne voit pas, dans le domaine de l’implicite ; et vous avez le référent : ce qui est lié à la culture ou à la situation dans laquelle la personne va vivre. J’ajouterais un 4ème élément qu’on appellerait l’inférent. Dans cet infèrent, on va loger toute cette approche multidimensionnelle. C’est-à-dire qu’au moment où un ancien va parler dans la tribu, il parle d’un concept, il ne restera pas dans cette dimension. Il va parcourir plusieurs dimensions pour arriver, à la fin, à la compréhension du même concept. Et cela, c’est l’image philosophique de la pensée du kanak. C’est une pensée qui est circulaire. Il est capable de mobiliser toutes les émotions en même temps pour parler d’un seul objet. Le problème est que l’enfant qui arrive en classe, on lui apprend à rentrer dans une approche qui est plutôt linéaire et à ce moment, l’enfant est confronté à 2 types de langues : le français perçu comme une langue seconde et les langues kanakes perçues comme langues maternelles. On se rend compte que l’enfant qui a bien appris sa langue à la maison, qui est bien rentré dans la culture, quand il rentre à l’école, il arrive à rentrer facilement dans les apprentissages, il rentre facilement dans le français. Et les enfants qui arrivent à l’école, soit ils apprennent la langue à l’école ou soit ce sont des enfants qui ont grandi à la maison qui parle la langue française, quand ils arrivent à l’école, ils rencontrent des difficultés d’apprentissage, ils rentrent moins vite dans l’apprentissage du français. En fin de compte, dans le triangle dont on parlait tout à l’heure, entre les 2 langues, la langue seconde et la langue maternelle, il y a une relation qu’on appelle la « conceptualisation tacite ». C’est-à-dire que lorsqu’un enseignant parle en français et qu’un enfant ne comprend pas, rien ne lui dit qu’il restera en français, de temps en temps, il fait l’appointement dans sa langue mais le processus de compréhension continue. Il rentre dans sa langue et il revient au français et cette alternance, cette conceptualisation tacite, permet à l’enfant de rentrer progressivement dans les deux langues. Cette approche multidimensionnelle est importante dans le sens qu’elle n’est pas applicable seulement dans la culture kanake, mais c’est une approche utilisable dans toutes les autres cultures. L’important est que l’enfant puisse acquérir ce savoir culturel, c’est-à-dire la philosophie de chez lui, sa culture, les pratiques sociales, il faut qu’il donne du sens à ces pratiques sociales. Pourquoi ? Parce qu’à l’intérieur de ces pratiques, sont logés ces processus mathématiques et ces processus d’apprentissage qu’il va redécouvrir à l’école. Le problème est que quand il part de la maison pour aller à l’école, il y a rupture. Quand il revient à l’école, l’enfant a l’impression de recommencer l’apprentissage alors qu’il a déjà commencé son apprentissage à la maison. Il faut maintenant établir cette continuité en s’appuyant sur tous ces aspects culturels ou linguistiques ou langagiers, pour permettre à l’enfant de rentrer progressivement à l’école, de maîtriser la langue kanake, le français, mais aussi d’autres langues. Au niveau de l’expérience menée à l’école, on se rend compte que les enfants de la maternelle sont des enfants qui rentrent dans cette perspective et les résultats sont assez satisfaisants par rapport à ce travail de recherche. Merci beaucoup.
Merci Richard. Michel Colardelle, directeur des affaires culturelles en Guyane, quel peut être le point de vue de l’institution face à des situations telles qu’elles viennent de nous être décrites, individuelles ou sociales ?
- Représentant de l'institution : Michel Colardelle (Direction des affaires culturelles de Guyane)
Bonjour à tous. Je dois dire que ma position est difficile parce que parler d’une posture cohérente de l’institution serait déjà présumer que nos états généraux se soient tenus, qu’ils aient été conclus de manière un peu consensuelle, que l’Administration avec un grand A en ait tiré les conséquences et que, ensuite, la déclinaison régionale en ait été faite et que, au-delà des textes éventuellement promulgués, les esprits aient été convaincus. Vous pensez bien qu’en disant cela, je vous laisse penser qu’il n’en est rien, et c’est ce qui est d’ailleurs passionnant dans nos états généraux.
Je voudrais d’abord dire que la seule position de l’institution pour celle que je représente, celle des affaires culturelles, c’est celle de l’acte et d’un acte aux côtés de. Nous ne concevons pas notre action dans ce domaine comme une action d’initiation ou de prescription. C’est très différent d’une très grande part de nos métiers qui sont justement des métiers d’application de normes, de règles et éventuellement de contraintes. Je pense au patrimoine matériel, je pense aux monuments et à bien d’autres choses.
Ici, ce qui nous anime, c’est la volonté d’être avec et je ne voudrais en prendre qu’un exemple, c’est le spectacle que vous avez vu hier, conçu, écrit, composé, y compris la musique, y compris les paroles, par des enfants venant de tous les quartiers de Kourou, venant de 3 lycées et de 4 collèges et rassemblés miraculeusement autour d’un grand texte classique d’un grand homme de théâtre de la Grèce classique. À partir de là, je vais vous décliner quelques postulats que j’essaie d’expliciter chaque jour davantage et, par conséquent, aujourd’hui vous n’en serez pas étonnés, mon discours est assez prudent. D’abord, premier postulat : l’inquiétude. Nous sommes inquiets, ici, devant le constat du réel. Des langues sont en voie de disparition. Ce n’est pas original, c’est commun sur la planète, mais c’est la situation et elle n’est pas acceptable. C’est lié au nombre des locuteurs, mais ce n’est pas seulement lié à ce nombre des locuteurs, c’est aussi lié aux politiques publiques, de façon d’ailleurs plus large, des politiques françaises. Les transmissions qui sont partiellement interrompues, j’entends transmissions intrafamiliales, transmissions trans générationnelles, ce qui signifie que l’on est bien au-delà de la langue. Lorsque les transmissions s’interrompent, cela veut dire que la relation, je me réfère à l‘intervenant précédent, la relation d’une certaine manière se dégrade. Et c’est aussi important bien sûr, que les faits. La difficulté d’accès à une scolarité normale et, on n’en sera pas étonné, à un emploi. C’est évident aujourd’hui, ici, la situation est, de ce point de vue, complexe. Et puis, les effets toujours croissants, toujours plus rapides d’une mondialisation de la communication sur laquelle je n’ai pas besoin de revenir, mais qui évidemment touche, au-delà de tout, le plus profond du territoire, le plus éloigné sur les fleuves, au fil de l’arrivée de ces moyens de communication qui, par ailleurs, sont évidemment indispensables, nous n’en doutons pas non plus. Un dilemme par conséquent. Dilemme encore quand on se pose la question de la valorisation des cultures comme une valorisation touristique, ce qui n’est pas non plus scandaleux, mais qui pose de multiples problèmes. L’arrivée du tourisme n’est pas indolore dans le paysage des langues et des cultures minoritaires et éloignées.
Deuxième grand principe après cette inquiétude, j’aurais pu continuer mon propos, il est banal et je ne le continuerai pas, c’est évidemment un concept de culture langue. Pas de langue, pas de culture, mais de culture langue. Rien ne sert de parler de diversité culturelle si on ne se préoccupe de diversité linguistique. Il y a évidemment une relation étroite entre l’un et l’autre, même si les champs ne se recouvrent pas exactement, si les apparentements sont également distincts, mais de toute manière, il y a là, évidemment, quelque chose de fondamental. Nous avons des patrimoines immatériels, nous avons des patrimoines matériels, nous avons des formes de convivialité et de sociabilité, c’est-à-dire des formes de cohérence et de Co cohérence, donc des formes de solidarité. Tout cela s’articule autour de langue et cela s’articule autour de culture, les uns et les autres étant au fond de même nature, c’est-à-dire de l’ordre de la représentation et de l’ordre du symbolique et de l’ordre aussi de la reconnaissance entre soi et vis à vis des autres, bien sûr, c’est ce qui pose les problèmes de la confrontation. Ce qui en sort, c’est évidemment une position, vous allez me dire qu’elle est un peu lâche et je le reconnais avant même de vous le dire, c’est que ne pouvant agir sur la massivité des problèmes, dans la complexité de l’inter administratif, de façon efficace, nous en sommes réduits, mais c’est aussi parce que nous le pensons, à proposer que la question symbolique soit mise au centre de la réflexion d’une administration comme la nôtre. Je dis symbolique, c’est-à-dire que la considération apportée par l’état aux représentations culturelles dans leur diversité, le combat contre l’idée que certaines seraient, parce qu’elles sont minoritaires, moins importantes, moins structurées, moins cultivées, c’est quelque chose qui est important. Lorsque la parole de l’état par la voix du préfet, vient au secours, vient affirmer que chaque langue et chaque culture a un égal droit de dignité, à ce moment-là, je pense que ce symbole est puissant se doutant, finalement, qu’il contredit, d’une certaine manière, le fondement même de l’histoire de la république qui, comme nous l’avons les uns et les autres dit, est un fondement d’éradication. Je reprends le mot de l’abbé Grégoire, des patois, c’est-à-dire des langues. Tout cela se décline ensuite en une réflexion sur à la fois la lutte contre la dévalorisation externe, mais aussi contre l’auto intimidation. Quand on sort adolescent, enfant, persuadé que sa culture n’est pas la plus enviable, qu’elle est peut-être même un défaut, un péché, une tare et que, par conséquent on ne se donne pas soi-même le droit d’être audacieux, d’aller dans la société et d’y affirmer son être, je crois que là c’est une chose très importante. Encore une fois, ne pouvant agir sur l’ensemble, nous pouvons agir pour trouver des leviers, mais on sait bien qu’avec un point d’appui, on peut soulever le monde. Alors, essayons ! Essayer c’est quoi ? D’abord faciliter la réflexion et l’échange autour des questions linguistiques. C’est la raison pour laquelle nous sommes engagés aux côtés de Xavier North et de la délégation générale dans ces états généraux. Fondamentalement, c’est pour que la réflexion sur la Guyane et la réflexion que nous avons s’enrichisse et se confronte aux réflexions des autres pays qui ont, d’une certaine manière des problèmes à la fois semblables et différents et dont nous pouvons peut-être extrapoler quelques lois. Mais c’est aussi tout simplement la réunion qui a été organisée pour travailler sur la question de l’équipement linguistique du Saramaka. On vient à l’appui pour essayer d’être très concret et faciliter le débat, parce que les langues sont un sujet de débat et même de conflit. Il ne faut pas l’éviter, il ne faut pas se cacher derrière je ne sais quel angélisme et irénisme, c’est une situation de combat et, par conséquent, il faut laisser s’exprimer les contradicteurs de façon à ce que quelque chose puisse naître. On sait toujours que de la contradiction peut naître, à tout moment, quelque chose de positif, c’est même mieux que le consensus quelquefois.
L’aide à l’expression artistique plurilingue. Je ne vais pas insister beaucoup mais nous essayons d’être systématiquement aux côtés des expressions plurilingues. Dans les festivals, lorsqu’un festival fait appel à des artistes qui ne sont pas forcément des artistes professionnels, mais qui sont des gens qui ont l’expression de leur culture et qui viennent, dans leur langue et dans leur forme artistique, exprimer leur être profond au plan social et au plan individuel. Les scènes théâtrales. Nous essayons de faciliter les festivals, on pourrait en citer beaucoup comme les transamazoniennes, les biennales du marronnage et il y en a bien d’autres qui sont extrêmement dynamiques de ce point de vue. On pourrait parler également des scènes de théâtre et nous essayons d’encourager des expressions artistiques comme celle, par exemple à Saint-Laurent du Maroni, qui mixe des expressions artistique saramaka et des expressions artistiques et des modèles qui sont plus occidentaux.
C’est aussi l’aide à la formation. Nous essayons d’encourager — puisque les transmissions sont, pour une part seulement, bien sûr ça dépend des groupes, du nombre des locuteurs, etc. interrompus —, nous essayons de faciliter des transmissions d’arts qui sont vraiment représentatifs d’un groupe culturel, toujours avec ce principe que la relation entre culture et langue est tellement forte qu’en aidant l’expression artistique, même lorsqu’elle n’a pas, comme la danse, une transcription à proprement parler phonétique, il y a quand même quelque chose qui se passe et qui est de l’ordre de la préservation, mais aussi de la préservation dans la vie, c’est-à-dire dans un éventuel mixage — je n’ose dire métissage, c’est un mot très difficile à utiliser de façon intelligente — avec d’autres formes de cultures, avec d’autres formes artistiques.
C’est aussi, c’est très important de le dire, je veux l’affirmer ici parce que je suis non seulement directeur des affaires culturelles mais aussi, je ne l’ai pas oublié, un ancien conservateur, le rôle important du musée. Non pas comme un musée de vieilles choses poussiéreuses mises derrière des vitrines, mais un musée qui interroge le monde, qui interroge soi-même, un musée qui n’est pas un reflet de ce que l’on est mais qui est un reflet des inquiétudes que l’on porte. Et ce qui est très intéressant dans la démarche qui a été menée par le conseil régional, au cours de ces derniers mois, pour l’élaboration de son schéma régional de développement culturel qui va se conclure dans les prochains mois et qui donne lieu, actuellement, à la préparation d’une convention de développement culturel avec l’État, c’est vraiment au cours de l’enquête et de la réflexion à travers tout le territoire, la remontée non pas d’un désir, mais d’une volonté, d’une requête de considération pour le patrimoine. Le patrimoine immatériel en particulier, et la création de la « maison des mémoires et des cultures de la Guyane », en cours de préparation avec le conseil général de la Guyane, le conseil régional, à l’ancien hôpital Jean Martial, en plein cœur de la ville, peut répondre à cela. Les langues sont un objet culturel que l’on peut muséifier. Je crois que c’est un sujet dont il sera parlé plus tard. Nous affirmons cela et nous affirmons que le patrimoine immatériel dans toutes ses formes, y compris les langues, y sera présent.
Puisque j’ai parlé de patrimoine immatériel, je ne peux pas manquer de faire référence à l’UNESCO. Nous avons ici, et cela a été initié très largement avec la direction des affaires culturelles et le parc amazonien de Guyane et, évidemment par définition, les communautés concernées, l’inscription sur la liste « sauvegarde du patrimoine immatériel » de l’UNESCO du rite du Maraké dont vous avez certainement déjà entendu parler et par conséquent, pour ne pas alourdir mon propos, je n’en ferai pas la description, mais qui est ce grand rituel qui dépasse très largement l’image classique des piqûres par les abeilles et les fourmis sur le dos des jeunes, qui est tout un rituel de passage, tout un rite de passage, selon la terminologie de van Gennep, qui permet de franchir l’étape de l’adolescence pour accéder à l’âge adulte, c’est-à-dire à l’âge de la sociabilité.
Enfin, l’aide à la consolidation des langues maternelles. Sujet que nous partageons difficilement, douloureusement, évidemment, avec le rectorat qui fait des efforts aussi puissants que possible dans les conditions juridiques, administratives, financières qui sont les siennes. Mais je voudrais insister beaucoup là-dessus : la langue est la première transmission culturelle d’organisation et de structuration de l’esprit et de la pensée, et avoir des jeunes qui sont en insécurité linguistique, qui n’ont pas acquis les fondements de façon parfaite et complète de leur langue d’origine et qui se retrouvent, je l’ai dit hier et je le redis, parce que c’est très fort, devant un maître qui ne parle pas leur langue et lorsqu’ils n’ont pas l’accès à la langue du maître, vous imaginez les problèmes que cela peut poser. Bien entendu un retard scolaire qu’on ne rattrape jamais, mais aussi un sentiment d’insécurité, un sentiment de déchéance vis à vis de ses parents qui parlent la langue que l’on ne parle pas dans l’institution. Excusez-moi de dire les choses avec un peu de violence, mais je ne sais pas me réfréner, je n’en ferai pas plus, mais c’est un problème majeur qu’on ne pourra régler qu’avec des mesures exceptionnelles. Donc voilà la position de l’institution, une position que je vous dis en toute sincérité, très hésitante, très consciente de l’insuffisance et de la limitation mais qui, en même temps, est déterminée. Et je voudrais dire que, puisque l’on ne peut pas agir fondamentalement beaucoup plus au niveau scolaire à cause des difficultés que rencontrent, je répète, de façon réelle et irrépressible, les instances de l’éducation nationale, malgré tous ses efforts, il faut aussi penser à tout ce qu’on appelle le périscolaire, à tout ce qui est autour de l’école. Et je reviens, par une pirouette, par où j’ai commencé, le spectacle d’hier, c’est un spectacle qui vous montre le travail qui est fait par des gens qui, justement, ne sont pas strictement dans le cadre scolaire, sont à la fois dans le cadre scolaire et dans le cadre extrascolaire, parmi les jeunes qui ont joué devant vous hier, qui ont composé, écrit, vous avez des jeunes qui n’ont pas d’identité française, qui n’ont pas de papiers comme on dit, des jeunes qui ne sont pas scolarisés, d’autres qui le sont et certains qui ne parlaient pas le français il y a deux ans, me disait Isabelle hier soir, et qui aujourd’hui s’expriment comme vous l’avez entendu. Je crois que partout aujourd’hui, ce genre d’action doit être encouragé. Je reprendrai un autre exemple à Saint-Laurent du Maroni dans lequel la violence de la confrontation est extrême et risque d’un jour à l’autre, d’ailleurs, de se traduire par quelque chose d’encore plus brutal, où c’est exemplaire. La ville d’art et d’histoire qui est un label du ministère de la culture strictement et classiquement patrimonial, se décline ici avec des visites en langue Saramaka dans les quartiers, avec des prises de documentaires, de recueils de la parole des gens des différents quartiers, en s’exprimant dans leur langue, en faisant ce que le journaliste a tout à l’heure expliqué : comment vous dites les choses, comment vous les traduisez, qu’avez-vous envie de dire et donnez-nous vos légendes et vos contes et dites ce que vous avez envie de dire. Et on le partage. Je voudrais juste terminer en disant que les langues c’est aussi une merveilleuse musique, une merveilleuse poétique, une merveilleuse rythmique du corps et de l’esprit, et c’est cela qu’il faut arriver à partager : l’amour des langues et c’est comme cela que l’on arrivera, pour ce qui me concerne, dans l’institution, à faire partager, au-delà des textes, une passion pour une cause qui est essentielle.