Essai de prospective environnementale. 2040, nord de la France.../L'ombreur solaire
(…)Il est 11h,
l’ombreur solaire ne vas pas tarder à se déplier au dessus de la ville pour filtrer les UV et nous rafraichir, car ca commence à chauffer. Il a été réparé par une boite de Roubaix, spécialiste des tissus high-tech photo-intelligents.
Le nouveau modèle produit et comprime son hélium de manière totalement autonome. je vais me trouver un hamac quelque part sous un porche public et faire une petite pause et je finirai le chemin en souterrain le long du canal de Roubaix.. Je coupe mon enregistreur et poursuivrai plus tard..
14 h J’ai mangé un petit plat chez l’habitant.. pas mauvais.. en échange d’une heure de réparation du mur de leur cave (j’ai fait un stage de biomaçonnerie l’an dernier qui m’a donnée une qualification de niveau II m’autorisant ce type de petits travaux).
Ils avaient un ferment bactérien lyophilisé, et des fibres de lin désinfectées au micro-onde du quartier. Je n’ai eu qu’à doser, enrichir le mur en nutriments et appliquer. Il leur restera à passer une huile de lin qui polymérisera en quelques heures.
Toute la difficulté est de trouver le dosage parfait qui favorise les bactéries calcifiantes et non les moisissures et de climatiser la pièce pour avoir la bonne température. Mon secret : un petit coup de chiffon vinaigré après chaque couche. Ca stresse les bactéries qui produisent alors un film plus dense, mais qui reste souple et sans craquelures. Quand j’ai le temps j’y ajoute des pigments et dessine quelques motifs dans l’enduit, mais là, même dans la cave et malgré l’ombreur, il faisait trop chaud pour m’en donner envie..
Nous ne sommes qu’au printemps, mais je n’ai pas réussi à dormir durant la sieste tant il faisait chaud.
Les centrale nucléaires des lands intégrés vont encore surchauffer.
Je suis passé en aval de la centrale sud il y a quelques années en bateau. Le calculateur de trajectoire passive nous a planté sur la plage, à cause d’un mauvais calcul de dérive.. l’eau était si chaude en aval de la centrale (plus de 33°C que les courants en avaient été localement modifiés au point de nous déporter de deux miles marins.. comme nous n’avions ni moteur, ni voilure suffisante, nous avons du attendre la marée et le retour de la fraicheur nocturne. L’analyseur a sonné deux fois en nous alertant sur la présence de virbrions de choléra dans l’eau.. On ne pouvait même pas s’y rafraichir.
Il faudrait arrêter ces centrales, les pannes y sont de plus en plus fréquentes, et elles n’ont plus d’autres usages que d’alimenter les serveurs sécurisés de l’internet protégé et l'une des trois ou quatre dernières ferme de serveurs à bitcoin, des gouffres énergétiques qui refusent de fermer, persuadée qu'un jour le Bitcoin et la blockchain reprendront de la valeur. A condition d'un tout petit peu renforcer nos démarches de sobriété heureuse, les nouveaux modèles de panneaux solaires et de batteries permettraient de compenser l'arrêt de la centrale.
Quand la terre tremble, je crains un accident comme celui qui a ébranlé Gravelines en 2030 (300 000 personnes évacuées pendant 3 ans.. )
Je rêvasse, tant et si bien que le temps passe plus vite que je ne le voudrais. Je vais abandonner mon vélo ici et prendre une micronavette pour rentrer.. tant pis pour mes économies. Mon quota-GES me donne droit à deux fois 20 km/mois. Je la programme pour faire un détour par la coopérative pour échanger deux ou trois services contre de la nourriture. Je passe ensuite à la maison de retraite pour dire bonjour à notre bonne vielle Joséphine qui commence à ne plus me reconnaître, mais dont le sourire me réconforte toujours. De sa fenêtre nous avons vu un avion, probablement de la force pronu ou du SAMU, mis à disposition du HCR. A part les canadairs, on n'en voit plus guère depuis les années 30. Les dirigeables sont par contre de plus en plus nombreux. Le Dirigeable express régional complète très utilement le Tram-train du TER, et il propose aussi ses services aux forestiers pour le débardage ou l’observation de la canopée.
Deux nouvelles stations solaires de production d’hélium sont d’ailleurs ancrées devant St Omer et Watten. L’une d’entre elle produit aussi de l’hydrogène pour les piles à hydrogène. Elle utilise aussi l’énergie du courant, Sa forme de long serpent la fait onduler horizontalement et verticalement dans le courant du goulet, ce qui lui permet de produire de l’énergie. Elle est accrochée sur deux énormes et magnifiques récifs-artificiels d’intérêt halieutiques, et elle n'empêche nullement les poissons de remonter le cours d'eau.
Comment va ta santé ? Je suppose qu’il y a pas mal de blessé sur ta plate forme. Vous avez la chance qu’elle ait été faite avec l’ancien porte avion Amiral de Gaule... et que la piste d’atterrissage en ait été pour partie conservée. Vous êtes en mission prioritaire, et vu le nombre de jeunes qui sont à bord, je ne doute pas qu’on vous enverra au plus vite quelques médecins, si ce n’est pas déjà fait.
Ici c’est un peu la panique. Les plantages récents de l’Alternet ont fortement affecté la télémédecine. Ici nous dépendons maintenant totalement du CHR et d’Eurasanté II, mais malgré des connexions sois-disant prioritaire, le diagnostic en ligne ne fonctionne qu’une fois sur dix. Comme les serveurs de quartiers sont tous en quarantaine, il faut faire la queue à la mairie, ce qui n’est pas épidémiologiquement recommandé. Ca fait 150 ans que les numerus clausus des facultés de médecine n’anticipent pas sur les vrais besoins, et beaucoup de médecins sont morts dans les grandes épidémies.
On va donc revenir je pense aux habitudes des années 20. Nous avons été plusieurs à proposer au comité de relancer la formation des habitants à la médecine collaborative et préventive, aux logiciels de diagnostic différentiel et à l'automédication dirigée. L’indice de promiscuité du quartier étant assez élevé, nous sommes considérés comme prioritaire en terme de biosécurité. La sécurité civile et la croix rouge devraient donc pourvoir nous y aider.
Chaque quartier s’est dit prêt à encourager la formation de volontaires (en les dispensant de travaux d'intérêt généraux).
Je me souviens que dans les années 20, les informaticiens du temps libre avaient bricolé en urgence des logiciels experts d’aide au diagnostic. Ils avaient été fortement critiqués par l'académie de médecine et l’ordre des médecins, mais accompagnés d'une check-list prononcée à voix haute ces logiciels donnaient finalement des résultats aussi honorables (voire meilleurs) que ceux des bons hôpitaux, au moins pour les problèmes courants. Finalement, ce sont les médecins qui utilisent aujourd’hui ces logiciels qui ont entre-temps été interdit au domaine public.
Face à la dégradation et aux crises du système hospitalier et face à l'incapacité de la médecine officielle de l’époque à avancer dans le domaine de la santé-environnementale, ce sont également des citoyens (notamment dans le Nord/Pas-de-Calais devenu Hauts-de France puis Land) qui avaient avec l'aide d'informaticiens et de médecins retraités et bénévoles, sous l'égide d'un comité d'éthique, créé un wiki d'abord intitulé de manière provocante "écoépidémiologie sauvage". Ils ont été rapidement suivi par quelques professionnels et si la crédibilité de cet outil a longtemps été mise en doute, à cause des systèmes de protection des données relatives à la vie privée qui ne permettait pas de vérifier les dires des patients qui y décrivaient leurs symptômes, il a néanmoins en quelques années permis de détecter plus d'une trentaine de maladies émergentes, plusieurs centaines de facteurs de risques professionnels ou familiaux, en particulier pour le cancer, l'asthme, les effets différés de l'alcool, l'exposition aux pesticides, à l'ozone, aux parfums et à de nombreux perturbateurs endocriniens. C'est surtout dans le domaine des synergies entre polluants que les résultats ont été spectaculaires.
Ce sont encore les associations de protection de l'environnement et des citoyens qui ont montré l'intérêt d'équiper les quartiers en compteurs Geiger, en systèmes de biomonitoring, en cartographie du risque (Les analyses annuelles de lichens, mousses et champignons bioindicateurs, ainsi que celles des cadavres humains, de chiens et chats ont apporté plus de données que les 50 ans d'études antérieures. Plus de 1600 décharges anciennes mais activement polluantes, 15 sites sous-marins gravement pollués ont ainsi été détectés, par simplerétrotraçage écoépidémiologique).
Grâce à ces réseaux collaboratifs, après les incursions marines et les tremblements de terre, ou après l'accident de Gravelines, les réactions ont été plus rapides et mieux coordonnées que jamais dans le passé.
Néanmoins ces réseaux ne pouvait empêcher ni les séquelles de pollutions anciennes, ni l'apparition des nouvelles maladies qui nous empoisonnent encore la vie.
D'anciens gitans ou nomades climatiques de diverses origines ont formé des groupes itinérants qui cherchent par leurs déplacements à échapper aux épidémies, d'autres se sont réfugiés sur des villes ou universités flottantes surlesquelles on ne peut apponter qu'après 1 mois de quarantaine et de bilan médical approfondi.. Ces deux méthodes ont un certain succès semble-t-il, mais ne peuvent être adoptées par une grande partie de la population très attaché à leurs logement, leur quartier, malgré les incitations de l'ONU à l'écosobriété.
Le gouvernement nous rabâche depuis 10 ans qu'un pagne, une assiette, un verre et des couverts, un équivalent-lopin de potager sont suffisant pour répondre aux besoins de bases et qu'il est plus éco-logique de faire appel aux ressourceries-partageries pour le reste (livres, vidéogams..) que d'accumuler des dizaines de kg d'objets comme le faisaient les gens il y a encore 30 ou 40 ans.
Ici, quelques objets personnels sont naturellement tolérés (souvenirs de familles, cadeaux d'amour en particulier ou encore CDV musicaux et culturels ou des habits désignés pour les mois d'hiver qui sont encore parfois bien froids (5 jours de gels l'hiver dernier ! avec même de la neige durant quelques jours). Les musées nous permettent de contempler, toucher des exemplaires de tout ce qui a pu s'entasser chez nos ancêtres depuis 20 000 ans.
Néanmoins nous sommes nombreux, chez les vieux comme moi, a avoir conservé quelque chose comme un virus de la collectionnite. En ce moment j'accumule des mèches de cheveux de tous mes amis, pour alimenter la base éco-toxico-épidémiologique du quartier (j'en ferai une analyse approfondie dès que je pourrais emprunter un analyseur Xray-fluorescencce portable. Je sens bien que ca a quelque chose à voir avec la collection de timbre que je faisais quand j'étais petit, même si ca me fait moins rêver, ou alors je rêve que ca sera peut-être utile un jour.
Souvent avec les voisins, le soir sur les terrasses ou dans les patios de jardins, nous discutons et méditons sur ce qui a pu amener l'humanité à presque s'auto-anéantir entre 2020 et 2035. Quand nous pensons avoir une bonne idée, nous regardons si quelqu'un l'a déjà développé sur Wikipédia, Wikilivre, wikiversité ou Ekopédia, et si non, nous ajoutons notre petite pierre à l'édifice. On a de plus en plus de mal à y amener des idées originales. J’ai l’impression parfois que tout est dit et qu’il faudra que ta génération invente un autre jouet aussi utile et passionnant.
Les 11 enfants qui habitent encore le quartier dorment à ces heures là, tout comme les autres qui sont en lycée itinérants. plus tard, ils pourront lire ça et peut-être nous comprendre.
Ils changent déjà curieusement ces enfants. Nos éthiciens nous suggèrent de ne pas trop leur mettre la pression en terme de responsabilités. A Villeneuve-les-lacs, un groupe de jeunes a demandé l'autorisation de vivre en communauté dans une maison commune qu'ils veulent construire de leurs main dans le bois de Proville, sur le modèle des « ghotuls » que les murias reconstruisent en Inde, mais tout en restant connectés à l’Alternet et à l’internet communal. Le comité de quartier était interloqué. Il a demandé un délai, puis un second délai pour se prononcer (ou pour attendre que ces enfants pensent à autre chose.. mais ces gamins persistent dans leur demande). Que cherchent t-ils là qu'il ne peuvent trouver autour d’eux. Peut-être les a-t-on trop choyé ? surprotégé ? Étouffent-ils chez eux ?. Veulent-ils et peuvent-ils produire leur propre nourriture ? Doit-on, peut-on et veut-on les laisser tenter ça ? quitte à les retrouver quand ils en auront assez ?
C'est prendre un gros risque. Tous les réfugiés ou les fous qui ont essayé de vivre seuls dans les bois y sont morts assez rapidement ou en sont revenus pleins de parasites.
Il reste à ces jeunes un gout d'aventure dirait-on ? Je crois me souvenir que j'avais aussi besoin quand j'étais petit de me retrouver seul dans la nature.. C'est une chose qu'on n'ose plus beaucoup faire.
Je note que le quartier ou habitent ces enfants est un de ceux dans lequel plusieurs épidémies de suicides chez les plus âgés ont été signalées ces dernières années. C’est un quartier qui a eu aussi autrefois le plus haut taux d’alzheimer (peut-être à cause du mercure, des métaux lourds et autres métalloïdes qu’on a retrouvé dans presque tous les jardins. C’était avant qu’on ne sache les stabiliser ou les chélater).
Ouh là, je vois qu'il se fait tard.
Il y a d’autres sujets dont j’aurais aimé t’entretenir, je les garde pour plus tard (en particulier un nouveau moyen de calculer plus finement l’empreinte écologique, l’indice de développement humain (IDH) et le Bilan carbone. J’aimerai bien avoir ton avis aussi sur le nouveau projet de loi sur la dette écologique et énergétique. Elle propose que la France ayant émis 1 % des gaz à effet de serre au XXe siècle, n’ait à héberger que 1 % des réfugiés climatiques. C’est un scandale, d’abord par ce que nos contributions délocalisées ne sont pas prises en compte, ensuite parce qu’ave le nucléaire, la France était surfavorisée de ce point de vue. Nous devons rester plus solidaire que ca. Non ?!
En attendant, comme disais ta mère.. Je compte sur toi pour vivre le changement climatique plutôt qu'y survivre. Il faut agir. « Il n’est presque pas trop tard » a dit le président de la banque mondiale au début du Perfect Storm. Ca n’a jamais été aussi vrai qu’aujourd’hui, 20 ans après, notamment pour nos écosystèmes. C’est pour ça que je suis content que tu fasses des études d’écologie, mais n’oublie pas de suivre le module de sociophsychopathologie de l’environnement, tu verras.. c’est passionnant.
C’est un drôle de monde que nous vous laissons. Excuses nous.. et bonne nuit. Je t’embrasse. Fais de beaux rêves.