Les Stoïciens : Épictète Le poignard à la main
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Les Stoïciens : Épictète Le poignard à la main
À l'attention du lecteur qui peut être en fin de primaire. Dans les pages qui suivent, il y a d’abord ce que tu dis ou ce que pense spontanément l’opinion (« ils disent »). Ensuite il y a la réponse d’Épictète (« il répond », puis mon explication.) Rappelle-toi que c’est un Manuel, qu’il ne se lit pas d’un seul coup, mais qu’il faut ruminer ce que tu as lu. Cela prend du temps que de parvenir au vrai bonheur et il apparaît parfois sous des apparences trompeuses. C’est pourquoi le manuel est un poignard qui tente de trancher le cou à nos fausses idées souvent plus séduisantes que celles produites par la réflexion. |
Qui était Épictète ?
[modifier | modifier le wikicode]Un philosophe…à la recherche d’une morale pour parvenir au bonheur.
[modifier | modifier le wikicode]On dit qu’il est actuel, qu’il permet de comprendre le présent, les questions que l’on se pose aujourd’hui. Tu le vérifieras en lisant les exemples qu’il donnait à ses élèves. Peut-être auras-tu le sentiment qu’il te parle aussi.
« | |
Donc, rappelle-toi que si tu tiens pour libre ce qui est naturellement esclave et pour un bien propre ce qui t’est étranger, tu vivras contrarié, chagriné, tourmenté ; tu en voudras aux hommes comme aux dieux ; mais si tu ne juges tien que ce qui l’est vraiment — et tout le reste étranger —, jamais personne ne saura te contraindre ni te barrer la route ; tu ne t’en prendras à personne, n’accuseras personne, ne feras jamais rien contre ton gré, personne ne pourra te faire de mal et tu n’auras pas d’ennemi puisqu’on ne t’obligera jamais à rien qui pour toi soit mauvais. | |
» | |
Le but de la morale est de nous rendre libre, libéré de notre ignorance… et heureux… Il ne s’agit pas de renoncer à ses désirs. Ce n’est pas une morale triste ! Il faut juste réfléchir.
Être philosophe c’est s’étonner, comme si le tonnerre nous frappait, ne pas accepter tout ce que l’on nous dit. Certains se croient libres, alors qu’ils ne le sont pas. Ils se trompent parce qu’ils ignorent les lois qui organisent le monde, monde dont nous faisons tous partie. Par exemple j’aime quelqu’un. Pourquoi lui ou elle ? Est-ce le hasard ? Une fatalité ? Ou une loi de la nature ?
Seul le savoir nous libère des faux savoirs, et ce savoir est surtout un meilleur savoir sur soi comme le montrera la suite du texte... Il faut apprendre à se connaître ainsi que la nature à laquelle nous appartenons. L’homme est partie d’un tout Il est né en 50 ap. JC, à Hiérapolis en Phrygie (Pammukale, dans la Turquie actuelle).
La Phrygie est célèbre pour son roi Midas : Un jour, Silène, ayant bu plus que de raison, s'égare jusque sur les terres de Midas, qui le recueille et lui offre l'hospitalité. Dionysos, à sa recherche, le trouve là et remercie l'hôte de celui qui l'a élevé en lui accordant un vœu. Midas demande alors la faculté de transformer en or tout ce qu'il touche. Incapable de manger et de boire, il supplie le dieu de reprendre son présent. Dionysos lui ordonne alors de se laver les mains dans les eaux du Pactole, dont le sable se change en or. Cette légende explique le caractère aurifère du Pactole, auquel la Phrygie doit une bonne partie de son empire.
Épictète vint à Rome comme esclave d'un affranchi (un affranchi est quelqu’un que son maître a libéré. Il n’est donc plus esclave) de Néron, Épaphrodite, qui lui permit de suivre des cours de philosophie et l’affranchit finalement. Il ouvrit une école de philosophie à Rome, menant une vie de pauvreté. En 93-94, il tomba sous le coup de la mesure par laquelle l'empereur Domitien chassait les philosophes de Rome et d'Italie. Il s'établit alors à Nicopolis (« la Cité de la Victoire »), en Épire, ville grecque qui servait de port d'embarquement pour se rendre en Italie. Il y ouvrit à nouveau une école.
Une de ses œuvres s’appelle Le Manuel, des textes rassemblés par un de ses disciples, Arrien. Il ne s’adresse ni aux sages ni aux ignorants insensés, mais à ceux qui s’exercent à la sagesse sans être insensés, qui ont compris qu’il faut réfléchir. Le Manuel signifie « le poignard qu’on a sous la main pour affronter toute éventualité ». Il faut donc l’avoir toujours sur soi.
L’école : un espace où on s’exerce à la liberté et au bonheur, dans la contrainte…c’est un paradoxe.
[modifier | modifier le wikicode]Le stoïcisme tire son nom d'un lieu d’Athènes : le stoa poïkilè. Les Stoïciens (c’est ainsi que se nomme l’école de pensée d’Épictète) se réunissaient à l'endroit d'un Portique recouvert de peinture de POLYGNOTE, afin de purifier le lieu d'un massacre de 1 400 citoyens perpétré sous la Tyrannie des Trente. Les Trente aussi appelés Trente tyrans sont un gouvernement oligarchique composé de trente magistrats appelés tyrans, qui succède à la démocratie athénienne à la fin de la guerre du Péloponnèse, pendant moins d'un an, en 404 av. J.-C. En janvier 403 av. J.-C., après sept ou huit mois de pouvoir, les Trente Tyrans sont chassés par Thrasybule au grand soulagement de la population.
L’école est d’abord le lieu de la discipline. Il s’agit de « dresser » l’élève comme le dit le mot discipline, c’est à dire à donner à son corps des habitudes pour le destiner à l’obéissance.
Ce n’est pas tout à fait le sens que lui prête Épictète, puisque la discipline s’acquiert d’abord par un acte de volonté de l’élève. Il y a selon lui trois moments dans la discipline qui doivent nous faire parvenir au bonheur:
- Discipliner ses désirs, sans renoncer au désir :
Afin de parvenir à cette liberté et à une réelle sagesse, il faut d’abord discipliner ses propres désirs. Il y a de mauvais désirs. Par exemple je peux désirer voler le stylo de mon voisin parce qu’il me plaît bien. Mon désir s’égare parce qu’il ne sait pas ce qu’est le vol. Il n’y a pas intention de nuire. Pas de méchanceté naturelle selon Épictète. Le voleur a une « prénotion » de l’utile, c’est-à-dire qu’il sent que ce vol lui serait utile. Mais le vol nuit. C’est cela la faute : une erreur de connaissance et donc d’appréciation pour mettre en œuvre des moyens adaptés à ce qui m’est, ici, utile. Pour sortir de là il faut faire fructifier la raison afin de discipliner le désir, l’orienter vers les vrais biens.
« | |
Tu viens d'affranchir ton esclave. Mais toi, qui l'as mis en liberté, es-tu libre ? N'es-tu point l'esclave de ton argent, d'une femme, d'une fille, d'un tyran, du dernier valet du tyran ? | |
» | |
— Entretiens, Épictète |
- Discipliner son action :
Le maître d’école instruit et libère des entraves du préjugé et des certitudes rapides, en suivant les exigences de la raison et en laissant de côté les sentiments. À la maison on a un parent pour consoler, à l’école un maître pour apprendre. Le maître des esclaves agit selon son bon vouloir : il soumet ses esclaves aux besoins de la maison. C’est pourquoi le père de famille est souvent appelé maître, mais maître de la demeure. Ce peut être un bon maître comme un mauvais maître. Il agit selon son bon vouloir et ses impulsions : on a là un paradoxe, c’est-à-dire une contradiction apparente. Il se croit libre ; mais se laisser aller à la colère, et fouetter l’esclave, par exemple, c’est suivre la loi qui me pousse à être en colère. Et en général on l’ignore. Ainsi y a-t-il des faux maîtres et des faux esclaves. Le maître victime de ses pulsions est moins libre qu’un esclave qui subit quelque chose sur quoi il ne peut intervenir. Le désir de puissance, de richesses, de gloire, de femmes, cache une forme d’esclavage de celui qui possède ces biens. Car plus il en a plus il en désire dans une frénétique boulimie. Il ne s’agit pas seulement de maîtriser ses désirs, encore faut-il maîtriser ses impulsions c’est à dire son action. On maîtrise ainsi sa vie sociale. La vraie liberté est du côté du savoir. En me libérant de mes fausses croyances, je me libère de moi-même. Obéir à la raison c’est s’affranchir de ses fautes et ne pas se soumettre à ses affects. Le maître de l’esclave soumet ce dernier à ses affects, comme la peur du fouet. Il ne s’agit pas d’obéissance mais de soumission. Il le réduit en effet, à l’état d’outil, de moyen……
- Discipliner ses représentations, les opinions que l’on se fait sur tout.
C’est à cause de ces représentations que l’on désire mal et que l’on faute. Dans l’ordre de l’éducation au bonheur, elles doivent être prioritairement réfléchies. C’est à ce travail que nous vous invitons.
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Donc, dès qu'une image ou une représentation viendra te troubler l'esprit, pense à te dire à son sujet: «Tu n'es que représentation, et non la réalité dont tu as l'apparence.» Puis, examine-la et soumets-la à l'épreuve des lois qui règlent ta vie: avant tout, vois si cette réalité dépend de nous ou n'en dépend pas; et si elle ne dépend pas de nous, sois prêt à dire : « Cela ne me regarde pas » | |
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— V, Manuel |
Ils disent, il répond
[modifier | modifier le wikicode]Voilà quelques réponses d'Epictète à des interrogations fréquentes qui cachent des préjugés.
Ils disent : parfois je n’ai pas le choix…
[modifier | modifier le wikicode]Souvent on confond ce qui obéit à des lois nécessaires (qui ne peuvent pas être autrement) et ma paresse qui consiste à me laisser guider par les circonstances…niant ainsi la liberté de choix.
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Il répond : En toutes choses, il faut faire ce qui dépend de soi, et du reste être ferme et tranquille. Je suis obligé de m'embarquer ; que dois-je donc faire ? Bien choisir le vaisseau, le pilote, les matelots, la saison, le jour, le vent, voilà tout ce qui dépend de moi. Dès que je suis en pleine mer, il survient une grosse tempête ; ce n'est plus là mon affaire, c'est l'affaire du pilote. Le vaisseau coule à fond, que dois-je faire ? Je fais ce qui dépend de moi, je ne criaille point, je ne me tourmente point. Je sais que tout ce qui est né doit mourir, c'est la loi générale ; il faut donc que je meure. Je ne suis pas l'éternité ; je suis un homme, une partie du tout, comme une heure est une partie du jour. Une heure vient et elle passe ; je viens et je passe aussi : la manière de passer est indifférente ; que ce soit par la fièvre ou par l'eau, ... | |
» | |
- Comprendre : Pour éviter de désirer ce qui ne convient pas il faut connaître la nature et ses lois. Pour expliquer cela Épictète définit la nature comme obéissant à des lois nécessaires et incontournables. Je suis, par exemple, obligé de partir en voyage. Je n’ai à me préoccuper que du choix du bateau, sa conduite ne dépendant pas de moi. Je suis en effet passager pas pilote. Or être passager ce n’est pas conduire. Être passager suppose un certain nombre de lois humaines qui font que l’on distingue le passager du pilote. De même, La tempête c’est l’imprévisible mais elle obéit à des lois de la nature. Inutile de craindre la tempête car de toute façon cela n’y changera rien. De même la mort n’est pas à redouter puisqu’elle appartient à l’ordre de la nature aussi comme la montre suit les lois mécaniques du mouvement. La craindre c’est se mettre en dehors de la nature, comme si l’homme avait un statut à part. Cette crainte manifesterait plutôt son orgueil, sa démesure. De plus la crainte entrave l’action…et entretient la crainte. Et enfin, ce sont des images que nous regrettons, des représentations, car nous ignorons tout du réel.
Cela ne veut pas dire que je dois subir cette nécessité de la loi. Il me reste une marge pour agir. Ma volonté a une place aux côtés de la nécessité. Mais je ne dois jamais perdre de vue que j’appartiens à la nature et à ses lois.
Ils disent : il n’arrête pas de m’embêter !
[modifier | modifier le wikicode]L’autre c’est souvent celui qui gêne, à qui on renvoie la faute, au lieu de réfléchir à ses propres choix. Ainsi on l’accuse de tous les maux.
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Il répond : Si tu sors pour te baigner, rappelle-toi ce qui se passe aux bains publics : on vous éclabousse, on vous bouscule, on vous injurie, on vous vole. C’est plus sûrement que tu feras ce que tu as à faire si tu t’es dit : « Je vais aller aux bains et exercer ma liberté de choisir en accord avec la nature. » De même pour toutes tes autres tâches. Car, ayant fait cela, s’il arrive quelque chose qui t’empêche de te baigner, tu auras la réponse toute prête : « Je ne voulais pas seulement me baigner, mais exercer ma liberté de choisir en accord avec la nature ; si je me mets en colère à cause de ce qui m’arrive, ce ne sera pas le cas. » | |
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— IV, Manuel |
- Comprendre : ici Épictète prend l’exemple des Bains, qui se rapproche de l’expérience de la piscine…
Ce lieu a ses propres lois auxquelles on ne peut déroger. C’est un lieu d’eau. Dès qu’il y a de l’eau, il y a nécessairement éclaboussures compte-tenu de la nature de l’eau. Il y a du monde et la possibilité du vol n’est pas à exclure...Du fait de la promiscuité et du nombre d’individus, des disputes et conflits sont possibles.
Deux types de lois, loi de la nature de l’eau et loi de la nature humaine, se combinent. On ne peut y déroger. Mettre à jour les causes évite de voir le mal là où il n’est pas. Le mal est une cause ignorée.
C’est par conséquent en connaissance de ces lois qu’on décide ou pas d’aller en ce lieu… Rien ne nous force à y aller. Mais une fois prise la décision, il faut rester cohérent avec soi-même, sachant à quoi s’en tenir. Se mettre en colère serait insensé puisque l’on sait.
La liberté suppose un engagement de soi vis-à-vis de soi-même… la liberté n’est pas totale indépendance. Elle suppose que ma volonté suive la raison.
Ils disent :je fais ce que je veux.
[modifier | modifier le wikicode]On confond souvent volonté et caprice.
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Il répond : « Pendant un voyage en bateau, si le navire jette l’ancre et que tu mettes pied à terre pour aller chercher de l’eau, tu ramasseras en chemin, ici un bigorneau, là un petit bulbe de plante, mais il te faut concentrer ta pensée sur le navire, te retourner sans cesse au cas où le pilote appelle ; s’il appelle, il faut tout planter là, de peur d’être jeté à fond de cale et ligoté comme du bétail. C’est pareil dans la vie ; si, en guise de bigorneau, on te donne une petite femme ou un esclave, il n’y a pas de mal à cela ; mais quand le pilote t’appelle, cours vers le navire et laisse tout sans te retourner.
Et si, en plus, tu n’es plus tout jeune, reste à proximité du navire de peur de manquer l’appel. » | |
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— VII |
- Comprendre : il faut obéir à l’appel, ne pas le manquer… C’est quoi cet appel ? Epictète le compare à un capitaine. C’est ce qui nous dirige.
On ne joue pas avec ce qui nous mène, à savoir les lois de la nature. Pas d’autre choix que de tenir ensemble « appel » et ma volonté. Je ne suis pas une pièce détachée. J’appartiens au tout qu’est la nature ou Raison universelle. Elle voit pour moi ce que je ne vois pas toujours. C’est cela l’appel.
Ma volonté n’est pas absolument libre. Si je n’en fais qu’à ma tête, si je n’écoute que moi, on va, soit m’abandonner, soit me mettre en fond de cale, on va me mettre à l’écart du groupe car je représente une menace pour l’ordre.
Vouloir ne signifie pas suivre son bon plaisir mais obéir aux lois de la nature c’est-à-dire de la raison, et savoir où est l’îlot qui me permet d’intervenir, aux côtés de la nécessité. Il faut savoir choisir : la raison vaut plus que toutes les raisons que je peux invoquer pour me faire plaisir. Notons au passage que posséder un bigorneau est tout autant important que posséder femme ou esclave… ironie d’Épictète….
Ils disent : Il se moque de moi !
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Il répond :
Avoir un pied trop court est une gêne pour le corps, pas pour la liberté de choisir. Aie cette réponse à l’esprit en toute occasion : tu verras que la gêne est pour les choses ou pour les autres, non pour toi. | |
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— Manuel 9 |
- Comprendre:Le corps a ses lois, ici celle d’une infirmité qui me rend différent des autres. La norme sociale veut que les hommes marchent également sur leurs deux pieds. Ainsi la claudication prête-t-elle le flanc à la moquerie. On ne peut rien faire contre cet ordre de la nature qui obéit à la nécessité, c’est-à-dire qui ne peut être autrement qu’il n’est. Je ne choisis pas mon corps. Si la loi naturelle a fait les hommes équilibrés sur leurs deux jambes, il peut y avoir des exceptions, une sorte de hasard aveugle. Boiter n’est nullement un choix mais appartient à un ordre qui exclut la liberté, qu’on peut appeler destin.
Cependant le destin n’est pas fatalité. Je peux ne pas le subir. Ainsi supporter le regard moqueur des autres échappe à la loi de la nature en faisant intervenir ma libre volonté de choix.
Je peux décider de la réponse que je vais leur donner si j’ai compris qu’ils sont victimes de leur adhésion à une certaine vision de l’humain. Aucune place dans leur esprit pour l’imprévu. Ils n’adhèrent qu’à la répétition du déjà connu. La boiterie, comme toute autre maladie les inquiète, parce qu’elle sort de leurs habituelles représentations de l’homme.
Ainsi sont-ils prisonniers de leurs habitudes. Si j’ai compris cela, je comprends que les vrais handicapés ce sont eux : moi je sais que contre l’ordre naturel je ne peux rien…mais que ma volonté peut ne pas adhérer aux représentations fausses.
Ils disent : Pourquoi mourir ?
[modifier | modifier le wikicode]Beaucoup d’hommes désirent la vie éternelle.
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Il répond :
. Si tu souhaites que tes enfants, ta femme et tes amis soient éternels, tu es un fou, car c’est vouloir que ce qui ne dépend pas de toi en dépende ; que ce qui n’est pas à toi t’appartienne. De même, si tu veux un serviteur sans défauts, tu es stupide, puisque tu voudrais que la médiocrité soit autre chose que ce qu’elle est. Mais si tu veux atteindre l’objet de tes désirs, tu le peux. Exerce-toi à ce qui est en ton pouvoir. | |
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- Comprendre : Il y a ici l’exemple d’un désir absurde, insensé,, celui de l’immortalité. C’est vouloir intervenir sur la nature des choses. Or l’être humain n’est pas immortel. La mort appartient aux lois de la nature. C’est l’ignorance qui nous mène à désirer des choses insensées.
Un autre argument est donné. Si nous sommes libres nous ne pouvons posséder celui à qui nous sommes attachés. Nous ne possédons ni nos parents, ni nos enfants, ni nos époux ou épouses. Affirmer le contraire serait en faire des esclaves. Et l’être humain ayant une volonté ne peut être ainsi réduit puisque en se l’appropriant on lui retire cette liberté essentielle. Ainsi doit-on accepter la mort des êtres qui nous sont chers.
Dire que la mort est un malheur est un contresens sur ce que sont malheur et bonheur. Le seul vrai bonheur est d’agir selon le bien moral, en connaissant les lois de la nature. Ainsi parler de malheur à propos de la mort, c’est être victime d’une représentation mauvaise.
Pour y échapper, reste à s’exercer, modifier ses habitudes. En effet la mort comme nous le disions appartient à la nécessité.
Un serviteur est par définition médiocre dit Épictète. Cela veut dire qu’il y aurait une nature pour servir et une autre pour commander. Désirer un serviteur sans défaut est donc une contradiction logique. De même pour le désir d’immortalité.
Ils disent : À la cantine…tout le monde se bouscule
[modifier | modifier le wikicode]Il y en a qui confondent besoin de manger et plaisir de la table.
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Il répond :
Souviens-toi de te comporter comme dans un banquet. Quand le plat, faisant le tour des, convives, arrive devant toi, tends la main et sers-toi comme il convient. S’il te passe sous le nez, n’insiste pas. S’il tarde, ne louche pas dessus en salivant mais attends qu’il arrive devant toi. Fais de même pour les enfants, pour une femme, pour les charges officielles, pour l’argent, et, un jour, tu seras digne de boire à la table des dieux. Mais si, les choses t’étant offertes, tu t’abstiens même d’y toucher, d’y jeter les yeux, tu seras digne non seulement de boire avec les dieux, mais de régner comme eux. | |
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- Comprendre : Il faut savoir attendre et retenir certaines de ses impulsions.
C’est comme dans un banquet dit Épictète : il ne faut pas confondre le besoin impétueux et animal de manger qu’il faut absolument satisfaire, et le repas pris dans la convivialité à plusieurs…. Dans le premier cas on obéit à la nécessité naturelle de se nourrir. Dans le second on diffère le besoin, on fait œuvre de liberté en contrôlant ses impulsions. Mais la vraie sagesse est dans l’indifférence à toute représentation. Ce qui me trouble ce ne sont pas les choses mais la représentation que je m’en fais. Désirer ce qui est bon, contrôler ses impulsions, exercer son jugement sur ses représentations, les trois moments de la morale d’Épictète.
Ils disent : Nous le ferons demain…
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Il répond :
Nous ressemblons à ceux qui ont de grandes provisions, et qui demeurent maigres et décharnés, parce qu'ils ne s'en nourrissent point. Nous avons de beaux préceptes, de belles maximes, mais c'est pour en discourir, et non pour les pratiquer ; nos actions démentent nos paroles. Nous ne sommes pas encore des hommes, et nous voulons jouer le rôle de philosophes. Le fardeau est trop lourd pour nous. C'est comme si un homme qui n'aurait pas la force de porter un poids de deux livres, entreprenait de porter la pierre d'Ajax. | |
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Selon l'Odyssée, après la mort d'Achille, Ajax et Ulysse se disputèrent les armes de ce dernier. Suite à sa défaite, Ajax fut frappé de folie, si bien qu'il massacra tout un troupeau de moutons qu'il prenait pour son rival accompagné de ses hommes. Accablé par la honte lorsqu'il retrouva ses esprits, il planta son épée dans un rocher puis s'empala dessus
- Comprendre : On fait des provisions car on cherche à maîtriser un futur que l’on redoute. À ne manquer de rien, au cas où…mais la peur de l’avenir rend incapable de vivre au présent. On prévoit le futur et oublie de vivre le temps en cours…Dès lors l’absurdité est de mourir de faim alors que l’on a de quoi manger. À trop craindre le temps, on finit par en sortir.
De la même façon nous disposons des règles de la morale mais comme l’homme qui meurt de faim, nous ne les assimilons pas, même si elles sont là. Nous ne les faisons pas nôtres. Et pourtant nous en disposons…Nous sommes trop occupés à l’instant présent pour nous en préoccuper. Elles demeurent extérieures à nous. Ainsi la vraie morale n’est pas que la connaissance des règles, elle est mise en application de ses règles. Leur attitude manifeste orgueil, démesure, suffisance, plaisir du discours et de l’art de parler. À la fin ils finissent écrasés par le poids de leurs bêtises, tant ils sont d’abord aveugles sur leurs limites. Seule l’action légitime la valeur morale de quelqu’un……
La morale est action et nullement beau discours.
Tout est question de représentation dans les relations que l’on a avec les autres. On imagine n’importe quel propos à notre intention de leur part. Ce qui nous affecte n’est pas tant ce qu’ils disent que ce que nous croyons qu’ils disent à notre sujet. Ainsi faut-il d’abord apprendre à contrôler les images que l’on se fait des événements qui nous arrivent, des propos que l’on croit entendre, car la vraie souffrance est dans ce jeu des représentations pas assez réfléchies. Car peut-être l’autre n’a-t-il rien dit…
L’imagination produit des opinions et dans l’ordre du savoir, ce n’est pas le savoir le plus fiable. C’est ce que j’imagine à mon propos qui me cause un préjudice plus que l’acte que je subis. S je ne peux rien faire contre celui qui me fouette car sa nature est de fouetter, je peux néanmoins faire acte de volonté contre la représentation que je m’en fais, par exemple le sentiment de honte que j’éprouve à l’égard de ceux qui me voient.
Ainsi le mal et le bien ne sont-ils que mes représentations, et à ce titre n’existent que par l’imagination, par défaut de connaissance.
Le bonheur se trouve dans la mise à distance des représentations erronées.
Ils disent : Il m’a frappé !
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Il répond :
Souviens-toi que ce qui te cause du tort, ce n’est pas qu’on t’insulte ou qu’on te frappe, mais l’opinion que tu as qu’on te fait du tort. | |
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- Comprendre : Une des définitions du juste est la loi du talion. Œil pour œil, dent pour dent……
C’est la première forme de justice car il y a l’idée de mesure. Cependant, cette justice est archaïque au sens où il n’y a place pour aucune discussion: on rend « le même ». Pas de place donc pour les circonstances atténuantes…ou aggravantes. Au principe de la loi du talion, il y a les deux protagonistes mais pas de tierce personne pour juger sans affectivité car il se tient en dehors de l’histoire en question. (pas de juge)
Cependant ce que je considère comme un mal, n’est rien d’autre qu’une représentation. Vouloir se venger c’est céder à l’impulsion, sans réfléchir. Et ce que l’on appelle « mal »ou « bien », n’est qu’une méconnaissance des lois qui gouvernent la nature ou la nature humaine.
Quant à la loi du Talion elle peut conduire à des absurdités : si je reproduis à l’identique, alors si l’agresseur s’est blessé, je devrais me blesser… Ainsi elle ne connaît pas le calcul de proportionnalité et en reste à A=A., figure logique de l’identique. Ce début de justice introduit des difficultés car elle demeure proche de l’esprit de vengeance.
« | |
Ne faut-il pas que je me venge et que je rende le mal qu'on m'a fait ? -- Eh ! mon ami, on ne t'a point fait de mal, puisque le bien et le mal ne sont que dans ta volonté. D'ailleurs, si un tel s'est blessé lui-même en te faisant injustice, pourquoi veux-tu te blesser aussi toi-même en la lui rendant ? « Mais si malheur arrive, tu paieras vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, blessure pour blessure, meurtrissure pour meurtrissure. » | |
» | |
— Exode 21,23-25 |
Les premiers signes de la loi du talion sont trouvés dans le Code de Hammourabi, en 1730 avant notre ère, dans le royaume de Babylone.
Cette loi permet ainsi d’éviter que les personnes ne fassent justice elles-mêmes et introduit un début d’ordre dans la société en ce qui concerne le traitement des crimes.
Ils disent :Il a de la chance!
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Il répond :
Garde-toi d'estimer heureux un homme choisi pour une charge officielle, ou très puissant, ou jouissant, pour une raison ou une autre, de l'estime publique. En effet, si l'essence du bien réside dans ce qui dépend de nous, il n'y a de raison ni d'être jaloux, ni d'être envieux. Quant à toi, ce n'est pas général, magistrat ou consul que tu veux être, mais libre ; or, pour y arriver, il n'y a qu'un chemin : le mépris de ce qui ne dépend pas de nous. Manuel 19 | |
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- Comprendre : C’est une éthique du convenable, que propose Épictète.
Il s’agit de connaître ce que l’on est dans l’ordre du monde, d’agir en fonction de cet ordre appelé « le convenable ». Je ne suis pas isolé mais je suis une partie de cet immense tout, dont je ne connais pas tout. Ainsi est-ce en remplissant le rôle que le destin et les lois rationnelles de la nature nous ont donné, que nous vivons pour le mieux au sein de la communauté humaine.
Rien à voir avec les convenances, qui relèvent d’un jeu social où le paraître l’emporte sur l’être. Rien à voir non plus avec le convenu, c’est-à-dire ce qui appartient au monde des préjugés.
S’exercer à être soi, tel est le véritable bonheur, comprendre que l’on n’est pas un atome isolé, mais que l’on est une partie de la nature et de ses lois, de la Raison universelle. Ainsi faut-il comprendre ce détachement à l’égard de ce qui ne dépend pas de nous. Détachement ne signifie pas renoncement à l’action, mais la mise à distance de tout ce qui nous échappe.
Ils disent :Je suis un zéro
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Il répond :
Comment peux-tu dire que tu n’es qu’un zéro, puisque tu n’es tenu d’être quelque chose qu’au regard de ce qui dépend de nous. | |
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Comprendre : Être un zéro, c’est une expression fréquente dans la bouche des élèves lorsqu’on les note. Ou alors ils s’entendent dire « tu ne vaux rien ».
Dans le monde du travail aussi, le moment de la note est un moment pas toujours très bien vécu. Ici Épictète part de l’acceptation par l’individu de sa propre nullité. Le zéro ou la nullité c’est une valeur, une quantité, qui se mesure à l’aune de quelque chose. Or ce critère de la mesure est invention humaine et en cela, ne dépend pas de nous. Nous ne pouvons pas agir sur l’opinion ou le regard de celui qui nous observe. Ainsi l’autre a-t-il une inclination à me juger par rapport à ses valeurs pas toujours rationnelles, et donc, en fait, à se mesurer lui-même. Comme cela est subi, il faut éviter d’y prêter trop attention, l’autre se faisant des représentations de moi, à partir d’abord de la représentation qu’il se fait de lui-même. Ce regard qu’il me porte est en réalité crainte de sa propre image, renvoyée aux autres. Si je dis à quelqu’un tu es un zéro, c’est d’abord pour me protéger.
Se tenir à l’écart des représentations d’autrui, ne prêter attention que ce sur quoi je peux agir est la seule conduite sage qui soit. Se soumettre à l’opinion d’autrui en acceptant les représentations qu’il se fait de nous, c’est perdre sa liberté et le bonheur, car accepter cela revient à croire à la fatalité, et afficher au final une lâcheté qui est fuite de soi. Être humain c’est prendre le risque de ne pas croire aux représentations que l’autre se fait de moi, et agir en sorte que je sois seul juge de mes actes, capable de connaître ma valeur à partir de mon action sur ce qui dépend de moi. Là est la vraie liberté Le sage se tient à l’écart.
Ils disent : Il a plus que moi!
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Il répond :
Au marché… Combien coûte une laitue ? Une obole, plus ou moins. Suppose que quelqu’un donne une obole pour une laitue ; si, toi, tu ne donnes rien et ne reçois rien, ne considère pas avoir eu moins que lui : il a sa laitue, toi, l’obole que tu n’as pas donnée. | |
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— Manuel, 25 |
- Comprendre : Si je donne une obole pour acheter une salade, il est clair que cela n’a rien à voir avec le fait de ne rien donner. La valeur de ce que je donne fixe la valeur de ce que j’obtiens en retour. Celui qui paie obtient la salade et celui qui ne donne rien…conserve l’obole qu’il n’a pas donnée.
Le rapport est proportionnel… Qu’est-ce que cela veut dire ? il y a des différences entre les hommes. En fonction de ce que l’on donne on obtient des biens différents. Vouloir et ne rien donner, c’est obtenir, comme dans l’exemple de la laitue, ce que l’on n’a pas donné. Par conséquent on n’obtient pas rien. Mais on n’obtient pas la même chose que celui qui a donné. Il n’y a ainsi nulle dépossession. La différence crée une justice à l’égalité proportionnelle fondée sur la reconnaissance des mérites de chacun. Le modèle politique d’Épictète est celui de l’aristocratie…le pouvoir des meilleurs au sens grec, ceux qui « méritent » leur place du fait de critères, de valeurs fixées par eux-mêmes
Sa morale est aristocratique, au sens où tout le monde n’y parvient pas.Vaincre suppose des efforts et de l’entraînement, de l’exercice. On peut vouloir, mais il s’agit de persévérer courageusement dans ses choix. Il faut se vaincre soi-même. Il ne faut pas confondre la volonté et celle qui en prend juste l’apparence : la velléité. Vouloir ne signifie pas modifier sans cesse sa volonté…La volonté est persévérance.. Surtout elle doit s’accommoder de ce que je suis. Pas question pour elle de modifier ma nature. Ni velléitaire, ni volontariste, telle est la volonté bonne. Ici on insiste sur le courage car rien n’est plus difficile que de maîtriser ses désirs et de réduire ses plaisirs. D’où l’insistance sur l’exercice plus que sur le résultat
Ils disent : Je veux être champion de foot
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Il répond : Tu aimerais être vainqueur aux Jeux olympiques ? Moi aussi, par les dieux ! Gagner aux Jeux, c’est bien agréable ! Mais, avant de te lancer, examine un peu les tenants et aboutissants : l’abstinence sexuelle, le régime, le renoncement aux friandises, les exercices sous la contrainte et aux heures réglementaires, qu’on cuise ou qu’il gèle. Il ne faut pas boire frais ; dans certains cas même pas de vin, s’en remettre entièrement à son entraîneur comme à un médecin ; ensuite, en luttant, piétiner dans la poussière au coude à coude avec son adversaire, parfois se démettre un poignet, se tordre la cheville, et peut-être recevoir le fouet pour finalement être vaincu. | |
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— Manuel, 29 |
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Pense à tout cela et après, si tu en as encore envie, entre dans la carrière. Sinon, tu ne seras qu’un gamin qui joue tantôt aux lutteurs, tantôt aux gladiateurs, tantôt aux sonneurs de trompette, tantôt aux acteurs de tragédie. Un jour tu seras athlète, un autre gladiateur, un autre rhéteur, un autre philosophe, mais jamais tu ne seras rien à fond. Comme un singe, tu imiteras tout ce que tu vois, et tu choisiras tantôt une chose, tantôt l’autre. Car tu ne te seras pas mis à la tâche après réflexion, en ayant fait le tour de la question, mais au petit bonheur, poussé par une éphémère envie. | |
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— Manuel |
Ils disent : Je veux d’autres parents!
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Il répond :
Celui-ci est mon père ? Je dois prendre soin de lui, lui céder en tout, supporter ses injures, ses coups. « Mais, c’est un mauvais père ! » Eh bien, la nature ne t’a pas fixé pour rôle de vivre avec un bon père, mais avec un père. « Mon frère me fait du tort ! » Alors garde, vis-à-vis de lui, le poste qui est le tien et ne te demande pas comment il se conduit, mais comment, toi, tu dois te conduire pour suivre, dans tes choix, ce qu’enjoint la nature. Personne ne te fera de mal, à moins que tu n’y consentes ; le mal ne viendra que lorsque tu jugeras qu’on te fait du mal. De la même façon, examine ce que doivent être tes relations avec tes voisins, tes concitoyens, le gouverneur de ta province, et tu sauras quelle conduite adopter à l’égard de chacun d’eux. | |
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- Comprendre : Vies sociale et familiale supposent la mise à distance de certains penchants, appelés aussi impulsions. On ne doit pas remettre en cause l’ordre de la nature. Mon père est mon père selon la loi naturelle de la reproduction et la règle sociale du mariage. Le bon et le mal n’appartiennent pas à la nature qui est aveugle et ne se pose pas la question du sens de ce que je fais ou supporte. La question du mal et du bien c’est moi qui l’introduit en jugeant que l’on me fait du mal. La nature suit un ordre harmonieux. Ne connaissant pas toutes les raisons qui conduisent mon père à être méchant avec moi, j’appelle cela « le mal », mot qui sert surtout à souligner ma méconnaissance des causes .La nature est une et j’en fais partie. C’est cette appartenance à la nature qui m’impose d’être ce qu’elle m’enjoint d’être.
Si la connaissance de moi-même est difficile, c’est encore pire pour celle d’autrui. Vivre en harmonie avec les autres c’est admettre que l’on ne peut que se connaître soi-même. À partir de là, la vie sera plus facile et les conflits moins violents.
Ils disent : Il m’insulte !
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Il répond :
Face à quelqu’un qui te fait du tort par sa conduite ou ses propos, souviens-toi que s’il agit ainsi, c’est qu’il pense avoir raison. Il ne lui est pas possible de régler sa conduite sur ta façon de penser : c’est la sienne qui le guide, et, si elle est erronée, il se fait du tort à soi-même en demeurant dans son erreur. En effet, si une vérité complexe passe pour un mensonge, ce n’est pas la complexité qui est en faute, mais bien celui qui se trompe. En te fondant sur ce principe, tu garderas ton sang-froid face à ceux qui t’insultent : chaque fois, tu n’auras qu’à te dire :« C’est ce que lui pense. » | |
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Ils disent : Il est mieux que moi.
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Il répond :
Il n’est pas logique de dire : « Je suis plus riche que toi, donc je vaux mieux que toi » ; « Je parle mieux que toi, donc je vaux mieux que toi. » Ce serait bien plus logique de dire : « Je suis plus riche que toi, donc ma fortune vaut mieux que la tienne » ; « Je parle mieux que toi, donc mon éloquence vaut mieux que la tienne. » Car tu n’es ni ta fortune ni ton éloquence. | |
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Un tel se lave vite : ne dis pas qu’il se lave mal, mais qu’il se lave vite. Si un autre boit beaucoup de vin, ne le traite pas d’ivrogne, dis simplement qu’il boit beaucoup. En effet, qu’en sais-tu, avant d’avoir pesé leurs raisons ? De cette façon, tu éviteras, devant ce que tu te représentes d’un objet, de lui donner une autre représentation. | |
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Toute la difficulté est de se libérer de nos représentations, et surtout à propos des autres.
Il ne faut avoir peur ni de la pauvreté, ni de l'exil, ni de la prison, ni de la mort. Mais il faut avoir peur de la peur
Ils disent : Le pire est à craindre.
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Il répond :
Quand je suis embarqué, et que je ne vois plus que le ciel et la mer, cette vaste étendue d'eau qui m'environne m'effraie, comme si, en faisant naufrage, je devais l'avaler tout entière, et je ne pense pas qu'il ne faut que trois mesures d'eau pour me noyer. De même, dans un tremblement de terre, je m'imagine que la ville entière va me tomber sur le corps, et je ne pense pas qu'une tuile suffit pour me casser la tête. Ah ! malheureux esclave de l'opinion ! | |
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- Comprendre : L’homme a une tendance à redouter le spectaculaire. Il craint les grands événements, et ne comprend pas que la nature a ses lois physiques, contre lesquelles il ne peut rien. J’ai peur d’embarquer sur un bateau car je redoute la noyade, et la mort. Mais à bien y réfléchir, si on connaît le mécanisme de la noyade, il faut très peu d’eau. La peur n’empêchera pas la loi ans sa nécessité. Peu importe la quantité, l’homme est constitué de telle sorte qu’il peut se noyer n’importe où.
La crainte paralyse mon action. Or sans impulsion à l’action, aucun bonheur, aucune morale, ne sont possibles. La crainte est aussi le contraire de la liberté puisque je suis prisonnier de représentations fausses. Ainsi la morale est-elle ouverture à une liberté qui consiste à agir par connaissance de soi et sans être victime de causes ignorées, dont nous ignorons de ce fait les conséquences.
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Tu ne peux être ni un Hercule, ni un Thésée, pour purger la terre de monstres, mais tu peux les imiter en te purgeant toi-même des monstres qui sont en toi. Tu as au dedans de toi le sanglier, le lion, l'hydre ; dompte-les. Au lieu de dompter Procuste et Sciron, dompte la douleur, la crainte, la cupidité, l'envie, la malignité, l'avarice, la mollesse et l'intempérance. Le seul moyen de dompter ces monstres, c'est de n'avoir que les dieux seuls en vue, c'est de leur être attaché, de leur être dévoué, et de n'obéir qu'à leurs ordres. Procuste, dans la mythologie grecque, était un brigand, mais pas du genre de Robin des Bois : il avait en effet pour habitude de capturer des voyageurs, de les attacher sur un de ses deux lits, les grands sur le petit lit, et inversement. Ensuite, il coupait les membres qui dépassaient pour les gens trop grands, ou bien il étirait ceux des trop petits, pour les ajuster à la dimension du lit. Sciron avait coutume de s'asseoir sur un rocher et d'obliger les voyageurs qui passaient par là à lui laver les pieds. Pendant qu'ils vaquaient à cette humiliante besogne, d'un coup de pied, il les précipitait du haut du rocher dans la mer, où une tortue géante les guettait pour les dévorer. Thésée les vainquit. | |
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- Comprendre : La virilité n’est pas là où on croit.
La mythologie est riche en histoires de monstres aux forces surhumaines. Les héros invincibles séduisent par leur courage et leur force tel Hercule qui réalisa douze travaux à la mesure de sa propre démesure.Ici les monstres sont en nous. Ce sont : la douleur, la crainte, la cupidité, l'envie, la malignité, l'avarice, la mollesse et l'intempérance…qui peuvent nous conduire à des actions regrettables. Des passions elles aussi démesurées, sans limite. C’est parce qu’on ignore leur cause que l’on ne maîtrise pas les conséquences. Il faut donc s’efforcer de les connaître pour être capable d’agir sans influence des impulsions produites par ces désirs illimités. C’est pourquoi il y a des héros et de la force là où on ne l’attend pas. Cela permet de dire que le courage n’est pas qu’une vertu guerrière, bien souvent limitée aux hommes. Le courage est exercice de la raison sur les impulsions qui peuvent diriger l’action de la volonté.
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Tu vois jouer ensemble ces petits chiens ; ils se caressent, ils s'accolent, ils se flattent, ils te paraissent bons amis. Jette un petit os au milieu d'eux, et tu verras. Telle est l'amitié des frères, et celle des pères et des enfants. Qu'ils aient à se disputer une terre, un champ, une maîtresse, il n'y a plus ni père, ni frère, ni enfant. | |
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— Manuel, 55 |
- Comprendre : Il n'y a rien au monde à quoi tout animal soit si attaché qu'à son propre intérêt. Tout ce qui le prive de ce qui lui est utile, soit père, frère, fils, ami, tout lui est insupportable, car il n'aime que son intérêt, qui lui tient lieu de père, de frère, de fils, d'ami, de parent, de patrie
et de dieu même. Les hommes sont semblables à des chiens, qui n’ont d’amitié durable que tant qu’ils n’ont rien à partager. C’est pourquoi on ne peut se dispenser de la justice qui consiste à donner à chacun la part qui est la sienne en fonction de sa valeur. Souvenons-nous de la laitue. Le partage strictement égal, au sens où chacun aurait la même chose est impossible car les individus sont différents, même s’ils appartiennent à un tout qu’on pourrait comparer à un corps .
Cependant le Sage par son enseignement montre que la justice n’est qu’un pis-aller. C’est de l’amour envers les hommes qu’il dispense, leur faisant ainsi comprendre que la seule relation vraiment durable entre les hommes est l’amour qui crée la véritable harmonie …..
La justice en effet a toujours un relent d’injustice.
Conclure
[modifier | modifier le wikicode]1.— Combien de temps encore vas-tu attendre pour t'estimer digne des plus grands biens, et cesser enfin d'enfreindre la règle qui doit déterminer ta vie ? Tu connais les principes qui doivent fonder ta réflexion ; c'est assez réfléchi ! Quel maître attends-tu, à présent, pour te décharger, sur lui, du soin de ton progrès moral ? Tu n'as plus quinze ans, tu es un homme mûr. Si désormais tu te montres négligent, si tu prends les choses à la légère, si tu continues à échafauder projet sur projet en reculant sans cesse le jour où tu devras enfin prendre soin de ta vie, tu ne feras aucun progrès, et, sans t'en rendre compte, tu finiras par vivre et mourir comme un homme ordinaire.
2.— Décide donc tout de suite de vivre en adulte résolu à progresser. Que tout ce qui te semble le meilleur te soit une loi incontournable.
En présence de quelque tâche pénible ou agréable, glorieuse ou honteuse, dis-toi que tu dois te lancer ; que les Jeux olympiques sont ouverts ; que tu ne peux plus tergiverser et qu'en un seul jour une seule action peut anéantir ou confirmer ton progrès moral.
3.— C'est ainsi que se comportait Socrate qui n'écoutait, en toutes circonstances, que la règle dictée par la raison. Pour toi — même si tu n'es pas encore Socrate — vis au moins en t'efforçant de l'imiter.