Les débats de Gérard de Suresnes/Le détonateur d'une époque

Un livre de Wikilivres.

Le détonateur d'une époque


Émission chargée en ce 16 octobre 1996. La rencontre entre Max et Gérard, qui sera accompagné de sa compagne, Christine, est prévue pour le lendemain, à l'occasion de la séance de dédicace. Max est pressé cependant : il veut mieux connaître cet auditeur hors norme. Il lui lance un défi : venir le rencontrer physiquement en venant à la radio. Ce dernier refuse, il faut dire qu'il est aux côtés de sa compagne, Christine, qui dort. Max menace de venir chez lui, et Gérard sort alors de son appartement de Suresnes pour venir à Fun. Les deux bâtiments ne sont pas si loin.

Pendant que Gérard vient à la radio, Max est sorti pour tenter de le trouver, mais il apprend, par Florent, resté en studio, l'arrivée de Gérard. Max et Julie entreprennent alors de rentrer et sont dans un poids lourd, entouré d'une file de voitures (taxis et autres). Le groupe s'achemine vers les locaux de la station, et Max communique avec les auditeurs et son équipe par la radio elle-même, car il est en direct avec son micro HF. À 3 h 10 du matin, Max demande à tous les auditeurs de se ranger sur le bas côté tandis que le camion que pilote son auditeur tente de se frayer un chemin dans la rue devant la radio, à Neuilly. L'ambiance est si incroyable que la police intervient, notamment inquiète de cet attroupement nocturne de gens en warnings, en attente, bloquant la rue principale. Une trentaine de camions en perspective, la police venait proposer son aide. Disons également que l'avenue Charles de Gaulle est interdite à la circulation des poids-lourds. Mais face à cette affluence, la police laisse faire ce qui est bon-enfant et aurait pu dégénérer avec une intervention mal maîtrisée.

De son côté, Gérard est là, sort de son lit de Suresnes, et attend. Max descend alors du camion, salue son chauffeur, pour le laisser finir son travail. Gérard et Max se font face, se serrent la main. Gérard, ravi malgré la nuit d'insomnie, salue les routiers qui l'entourent. Il est vêtu d'un t-shirt rose, et pieds nus. 1M70, environ 60kg, Max s'étonne rapidement de sa dentition, en très mauvais état. Florent, resté au studio, avait préparé Gérard à l'arrivée en fanfare de l'animateur.

Vers 3 h 20, tout le monde se trouve dans le studio de la radio. Majoritairement masculine, l'assistance participe à cette séance insolite, trois heures après la fin théorique de l'émission. C'est une joie qui demeure, mais aussi une aisance verbale chez Gérard, prompt à parler, sans chercher à faire sens. Il reste intimidé par son idole, mais pense toutefois à remercier les routiers, les taxis, bref les gens de la route et les noctambules. Gérard est aussi impressionné par l'atmosphère du studio, parce qu'il s'agit autant d'un lieu de radio que de télévision, et on y aperçoit donc des projecteurs, des caméras, etc. C'est en effet une époque où les radios commencent à envisager d'apparaître visuellement en plus du son des postes. Certaines, comme Fun, créent des chaînes de télévision accessibles via satellite ou le câble et payantes. Mais en ce qui concerne Max, son émission n'est pas diffusée visuellement. D'abord car il se refuse obstinément à cette épreuve, ensuite parce que son émission n'est pas compatible avec les enjeux d'animation visuelle, enfin car la version télévisée du Star system ne fait probablement par l'objet de sondages.

Il ne faudra pas patienter longtemps pour que les auditeurs, soutenus par l'équipe, renvoient à Gérard, cette fois en direct du studio, les sujets qui « fonctionnent » : passage sur Europe 1, anciennes histoires d'amour avec des auditrices, dont Gérard ne veut plus parler. Gérard donne le sentiment de jouer des sketchs, capable de passer de l'insulte hurlée au sourire béat en une fraction de secondes, comme un enfant.

L'ambiance est joyeuse dans le studio, où Gérard reste calme et de bonne humeur, entouré de toute l'équipe. Julie lui parle amicalement, et Max et lui évoquent ensemble des projets de production : disques, K7, et autres productions autour de ses poèmes, projet qui sera très souvent mis à l'honneur. Une fois de plus, l'animateur de la nuit n'aura que deux heures d'antenne, de 4 h à 6 h.

Comme une expérience féerique, le soir-même, à 17 h, avenue Charles de Gaulle à Neuilly, Gérard se retrouve à dédicacer photographies de lui-même et poèmes aux auditeurs. Et le monde est là, le héros est avec sa compagne, Christine. Il est accompagné de Max et son équipe, dans la perspective de publier ses poèmes et autres supports. Tout en rappelant que Max est l'instigateur de cette scène, il s'y conforme avec application, semblant à l'aise avec la célébrité inventée par le « star system ». Il s'en inspire largement d'ailleurs : expressions, conduites de conversations, etc. Cette contradiction n'est qu'une parmi bien d'autres : après avoir refusé d'être filmé, il regarde la caméra de Fun TV avec application, pris entre sa timidité d'homme à l'image affreuse de lui et la fierté d'exister aux yeux d'un public qu'on lui présente comme massif.

Au sortir de cette séquence de près de 24 heures, Max comprend qu'un phénomène a lieu. L'aisance de l'homme au microphone, sa capacité à exister dans une équipe et un groupe agité, ne peuvent que cacher une forme de talent authentique. Est-ce un talent ou une essence même, la question est possible, mais Gérard est, en soi, un personnage de sketch à part entière. Il est rare de trouver un être humain dont les traits de caractère, les attitudes, l'apparence, dépassent les fictions les plus ubuesques et fantasques. Gérard était de ceux-là et, bien au-delà de son essence même, pouvait l'assumer. La suite va vite : le 21 octobre, Gérard participe à l'anniversaire des 27 ans de Max, épisode sur lequel nous reviendrons un peu plus loin. Quelques jours plus tard, Max propose à Gérard de revenir dans les studios, pour participer à la radio libre. Après quelques minutes, lui vient une idée : pourquoi ne pas faire des débats ? Refus de Gérard, mais Max étant son idole totale, il réussira facilement à le convaincre qu'il en est capable. Le principe : écrire quelques questions sur un thème, faire réagir les auditeurs, et donner son avis.

Le premier essai aboutit à une cacophonie hors du commun. Max quitte le studio et laisse Gérard œuvrer, sous l'œil professionnel de Julie et Florent. Mais les échanges avec les auditeurs virent vite au chaos, car ils détournent rapidement tout propos sur la vie prétendue du personnage Gérard : ses passages radiophoniques, les copies de ses textes. Cette cacophonie fait partie de l'émission, et enchantera les auditeurs, réagissant tant au standard que par minitel. Il faut dire aussi que ces débats abordent des thèmes originaux, comme les trous !

À l'occasion de ces premiers débats, Gérard forgera des expressions qui s'ajoutent au portrait du personnage : oubli fréquent des L en fin de mot (« impossib »), et quelques expressions qu'il tire de son écoute de Max et de son imagination.

Max a toutefois besoin de confirmer cette impression. L'avantage de travailler aux côtés de marginaux, c'est qu'on peut compter sur eux dans les moments où la société se polarise. Dans cette période, où le temps de travail était de 39 heures, les cinq semaines de congés étaient scrupuleusement respectées et, à la radio, les animateurs ne s'en plaignaient pas car ils étaient mus par une vraie passion de leur métier et une vraie adrénaline liée à leur production sur les ondes. Max a ainsi passé moult Noëls, anniversaires et, au moins en partie, périodes estivales, dans le studio de radio. Pas de rediffusion à cette époque.

Ce soir du 23 décembre 1996, près de deux mois après leur première rencontre, il anime une émission à laquelle Gérard participe par téléphone depuis sa cabine téléphonique située au bas de son appartement. Bien sûr, celui-ci lit des poèmes, qui font se tordre de rire toute l'assistance du studio. « C'est de l'art », dit Max. « D'où te vient l'inspiration poétique ». « Je mets 1H30 pour écrire ces textes ». Gérard ne saura pas répondre à cette question, qui du reste n'avait probablement pas de réponse. Il se mit alors à lire d'autres poèmes, au bonheur d'un public conquis :

« Petit bébé rose

Petit bébé rose j'espère que tu trouveras ton bonheur Petit bébé rose je vois que tu as quelque chose pour moi Petit bébé rose j'espère que ça durera longtemps nos appels si tu le veux Petit bébé rose je vois que tu as de l'amitié, l'amitié peut aller loin Petit bébé rose, comme je te l'ai dit, j'arrête tout pour toi – je sais pas pourquoi j'ai mis ça mais bon - Petit bébé rose je sais que tu as vu que j'avais de gros problèmes dans tous les sens Petit bébé rose fais attention à toi c'est le plus important de ton côté que du mien Petit bébé rose l'amour se fait sur un bateau Petit bébé rose l'amour se fait avec des roses Petit bébé rose l'amour ne se trouve pas facilement Petit bébé rose l'amour se trouve souvent sur un long fleuve tranquille. »

Ce soir-là, un invité artiste était présent. Pris dans l'instant, il suggère à Gérard de mettre ces textes en musique, sur du rap. Bien sûr, ce dernier refuse, comme il refusa toute réutilisation par lui-même ou d'autres de ses « chefs-d'œuvre ». Quelques instants plus tard, Gérard, pour la seconde fois de sa vie, vient dans les studios pour poursuivre la soirée, amené par l'invité, tout en rappelant qu'il est tard, qu'il doit aller dormir et que sa venue est un effort coûteux qu'il fait par amitié pour Max.

Il poursuit toutefois, pris dans le flot de la soirée :

« Toi chauffeur de taxi qui roule toute une journée et la nuit Toi chauffeur de taxi qui est venu devant la radio Toi chauffeur de taxi qui attends pendant des heures pour avoir des clients Toi chauffeur de taxi qui vas soit dans les gares ou les aéroports Toi chauffeur de taxi qui restes bloqué dans les embouteillages Toi chauffeur de taxi qui doit prendre des gens qui doivent prendre en train dans une heure et demi mais ça roule mal Toi chauffeur de taxi souvent vous risquez votre vie avec certains clients À tous les chauffeurs de taxi qui écoutez Fun, c'est de la part de Gérard de Suresnes »

« L'art de la rime, du sizain et non du quatrain, l'inspiration des artistes les plus célèbres », autant de retours que fait alors Max à Gérard. Ce dernier, totalement immergé dans ce rôle, vient en studio avec tous ses poèmes mais se fait prier pour les lire, met du temps à les trouver parmi des centaines de feuilles d'une organisation et d'une clarté d'écriture absolues, occasionnant des envolées de Max (besoin de secrétaire, de classeurs, etc). Ce dernier le pousse, le prie dans ses lectures. Parce que Gérard se sent redevable, les prières et demandes de Max deviennent petit à petit des ordres, auxquels Gérard cède toujours. Gérard s'inscrit dans un cadre confortable de la hiérarchie entre lui et Max, lui permettant de moins vivre la pression de la célébrité et de la concilier avec ses démons. Car bien qu'éloignés, ils sont bien là, parfois débordant à l'antenne. Car malgré l'effervescence du succès, rien de concret n'en résulte, et le concret dépasserait vite Gérard. Mais le spectacle radiophonique reste total, complet et les auditeurs rivalisent d'imagination dans les personnages, imitations, écritures de contre-poèmes, montage de « remix » (fond musical et extraits d'expressions de Gérard). « Des millions de courriers ne réclament que toi » lui dit Max.

À la fin de l'année 1996, l'entremêlement du personnage, du garçon, des réactions en chaîne, participe tellement de l'esprit de l'émission que Max lui accorde un temps d'antenne considérable, presque quotidien. Ses débats se tiennent le jeudi, et n'ont pas de limite horaire.