Philosophie/Aporie
- Aporie -
|
A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z |
Guide des dialogues platoniciens | Ménon |
<< lire le texte >> |
Aporie
[modifier | modifier le wikicode]Étymologie
[modifier | modifier le wikicode]Empr. au gr. απορια (littéralement α-πορος « sans chemin, sans issue ») « embarras, incertitude (dans une recherche, dans une discussion) » [1] Cela donnera les pores de la peau, ce qui lui permet de respirer.
L'aporie est ce qui est sans issue. Mais pour qui ?
[modifier | modifier le wikicode]Dans cet extrait du Ménon de Platon, Ménon cesse de dialoguer avec Socrate. Il devient agressif. Le dialogue n'aboutira pas. Du moins il en restera au niveau de l'opinion vraie, semblable aux statues du sculpteur Dédale qui étaient réputées pour ne pas avoir de socle. Elles donnaient l'impression de marcher. L'aporie peut être vue comme un échec...du moins auprès de Ménon.
MÉNON : Socrate, avant même d'être en relations avec toi, (a) j'avais bien entendu dire que tu ne fais rien d'autre que douter toi-même et qu'amener les autres à douter et, à présent, telle est l'impression que tu me donnes : me voilà ensorcelé par toi, j'ai bu ton philtre magique, je suis, c'est bien simple, la proie de tes enchantements, si bien que je suis maintenant tout embarrassé de doutes ! À mon sens, et à supposer que l'on doive ici faire à la raillerie quelque place, tu es, de tout point, tant par ton extérieur qu'à d'autres égards, on ne peut plus semblable à cette large torpille marine qui, comme on sait, vous plonge dans la torpeur aussitôt qu'on s'en approche et qu'on y touche. C'est une impression analogue qu'à cette heure, je crois, tu as produite sur moi ! (b) Une véritable torpeur envahit en effet mon âme aussi bien que ma bouche, je ne sais que te répondre. Et pourtant, oui, j'ai sur la vertu mille et mille fois copieusement parlé, et devant de grands auditoires, enfin, au moins si je m'en crois, avec plein succès ! Or, à présent, ce qu'elle est, je suis totalement incapable de même le dire ! Bref, tu fais bien de te résoudre à ne point prendre la mer pour quitter ces lieux, ni même à t'absenter d'ici ; car si, résidant comme étranger dans un autre pays, tu t'y comportais de pareille façon, bien vite serais-tu mené, pour sorcellerie, devant les autorités !
SOCRATE : Tu es un mauvais drôle, Ménon et peu s'en faut que tu ne m'aies pris à ton piège !
MÉNON : Quel piège en fin de compte veux-tu dire, Socrate ? (c)
SOCRATE : Je vois bien pour quel motif tu as fait à mon sujet cette comparaison !
MÉNON : Quel motif lui supposes-tu donc ?
SOCRATE : Tu veux que je te compare à mon tour ! Or, c'est là un penchant qui m'est bien connu dans le cas des beaux garçons : ils prennent plaisir à être comparés ; car cela tourne à leur avantage, puisque, quand il s'agit de belles personnes, il y a aussi, je pense, de la beauté dans ce à quoi on les compare. Eh bien non ! Je ne retournerai pas la comparaison ! En ce qui me concerne, si c'est une torpeur propre à la torpille elle-même qui la met en état de provoquer de la torpeur chez les autres aussi, alors je lui ressemble, mais non s'il n'en est point ainsi ; car ce n'est pas parce que je suis personnellement exempt de doutes que je suis en état de provoquer des doutes chez les autres, mais ce sont essentiellement les doutes dont personnellement je suis plein, qui me mettent en état de faire naître des doutes aussi chez les autres !
Platon, Le Ménon, 80, a-d ; traduction établie par Léon Robin avec la collaboration de M-J Moreau, p.527-528 ; Édition : Bibliothèque de la Pléiade
Aporie et Paradoxe : Zénon
[modifier | modifier le wikicode]Textes qui nous restent de Zénon d’Élée voir aussi Paradoxes de Zénon
Les quatre paradoxes les plus réputés sont : 1. la dichotomie, 2. l'Achille, 3. la flèche et 4. le stade.
[modifier | modifier le wikicode]1. La dichotomie : le mouvement est impossible, car avant que l'objet en mouvement ne puisse atteindre sa destination, il doit d'abord atteindre la moitié de son parcours, mais avant d'en atteindre la moitié, il doit d'abord en atteindre le quart, mais il lui faut d'abord en atteindre le huitième, etc. Ainsi le mouvement ne peut même jamais commencer.
2. L'Achille : Achille en pleine course ne pourra jamais rattraper une tortue marchant devant lui, car il devra avant tout atteindre le point de départ de cette dernière. Or, quand il aura atteint ce point, la tortue aura avancé ; il lui faudra alors atteindre sa nouvelle position, et lorsqu'il l'aura atteinte, la tortue aura de nouveau avancé, etc. La tortue sera donc toujours en tête.
3. La flèche : Le temps se décompose en instants, qui sont indivisibles. Une flèche est soit en mouvement soit au repos. Une flèche ne peut être en mouvement, car pour qu'elle le soit, il faudrait qu'elle se situe à une position donnée au début d'un instant, puis à une autre à la fin du même instant. Ce qui revient à dire que les instants sont divisibles, ce qui est contradictoire. La flèche n'est donc jamais en mouvement. Imaginons une flèche en vol. À chaque instant, la flèche se trouve à une position précise. Dans cet instant, la flèche n'a pas le temps de se déplacer elle reste immobile. Aux instants suivants, elle va rester immobile pour la même raison. Si le temps est une succession d'instants et que chaque instant est un moment où le temps est arrêté, le temps ne s'écoule donc pas. La flèche est donc toujours immobile à chaque instant et ne peut pas se déplacer. Considérant le temps comme une suite d'instants successifs, le mouvement est impossible.
4. Le stade : La moitié d'une durée donnée est égale au double de la même durée.
Considérons les trois rangées : elles sont placées au départ dans la première position. La rangée a reste immobile tandis que les rangées b et c bougent à la même vitesse dans des directions opposées. Lorsqu'elles arrivent à la seconde position, chaque 0 de b a franchi deux fois plus de 0 c que de 0 a. La rangée b a donc mis deux fois plus de temps à franchir la rangée a qu'elle en a mis à franchir la rangée c. Cependant, le temps mis par les rangées b et c à atteindre la position de la rangée a est le même. D'où le paradoxe.
Bien que ces démonstrations semblent illogiques, elles n'en demeurent pas moins ardues à réfuter. Elles ont donc posé de sérieux problèmes mathématiques. Pour les mathématiciens grecs, qui n'avaient aucune notion de convergence ou d'infinité ces raisonnements étaient incompréhensibles. Aristote les qualifia de fallacieux, sans pour autant se justifier, et ils furent ignorés pendant 2500 ans. Cependant, ils furent étudiés durant notre siècle par les mathématiciens Bertrand Russell et Lewis Caroll. Aujourd'hui, grâce à des outils telles les suites convergentes et les théories de Cantor sur les séries infinies, ces paradoxes peuvent être expliquées de manière satisfaisante. Cependant le débat sur la validité de ces paradoxes et de leur rationalisation se poursuit encore de nos jours.[2]
Ce qu' a compris Ménon
[modifier | modifier le wikicode]Ses vifs propos qui le conduisent à voir en Socrate un poisson-torpille, confondent la démarche maïeutique de Socrate et le jeu rhétorique de la contradiction. Ce n'est par hasard qu'il rapproche Socrate de la logique du paradoxe, ce qui vaudra à ce dernier dans le dialogue de croiser Anytos, un de ses accusateurs, lui reprochant d'être un sophiste. C'est cette menace constante de l'aporie (dont Ménon est le dernier dialogue, clôturant ce premier cycle des dialogues aporétiques de Platon)que Platon retravaille d'une autre façon dans certains des dialogues ultérieurs.