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Étymologie de la langue française/Extensions du vocabulaire

Un livre de Wikilivres.

Les extensions grammaticales

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Nous regroupons sous cette expression

  • la construction d'un nouveau verbe ou d'un nouveau nom par adjonction d'un préfixe, plus rarement d'un suffixe à un verbe ou à un nom
  • la construction d'un mot d'une catégorie grammaticale à partir d'un mot d'une autre catégorie grammaticale (nom à partir d'un verbe, adjectif à partir d'un nom, adverbe à partir d'un adjectif, etc...)

La préfixation

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Un riche exemple de la dérivation par préfixation est le verbe latin eo qui signifie je vais (il va se dit it et l'infinitif aller est ire). Par simple adjonction de préfixes l'on obtient :

  • trans (au-delà de) : à la fois transiter (un camion en transit en France va au-delà de la France, par exemple d'Espagne en Italie) et transes (celle ou celui qui est en transes va au-delà de sa personnalité)
  • per (complètement) : périr, celle ou celui qui périt a traversé sa vie d'un bout à l'autre
  • sub (sous) : subir, celle ou celui qui subit passe sous la volonté de l'autre
  • cum/co (avec) : le coït est populairement le fait d'aller avec ; le comte est le haut dignitaire qui accompagne protocolairement le roi. Les deux mots sont de même racine.
  • ex (hors de) : il existait en ancien français un verbe exeo, signifiant je sors dont il ne reste plus que les formes exit (il sort, formule souvent utilisée dans les indications de mise en scéne), issu (Mlle X est issue de la haute noblesse et, plus simplement, issue de secours) et exeat, certificat de radiation ou autorisation de sortie.
  • in (dans) : ineo c'est entrer quelque part et, plus généralement, commencer, débuter, d'où la lettre initiale qui se situe au début d'un mot ou l'initiation.

Ce mot latin donne également itinéraire, itinérant (= qui est sur les chemins).

Les déverbaux et dérivés adverbiaux

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Ils sont légion :

  • encombrer - encombrement
  • dessiner - dessein et dessin (jusqu'au XVIIIe siècle ces deux mots avaient le même sens puis, comme c'est le cas dans une pareille situation, chacun d'eux s'est spécialisé dans une acception particulière)
  • rapide - rapidement ; évident - évidemment ; sage - sagement ; doux - doucement (conduire doucement c'est conduire de façon à ne pas secouer les passagers et donc lentement) ; cher - chèrement qui ne se rencontre quasiment plus que dans « vendre chèrement sa vie » c'est-à-dire en coûtant cher à ses ennemis.
  • devant - devanture
  • rose, marron et autres, passés de l'objet à la couleur. L'avocat ou le notaire marron n'entretiennent pas de rapport direct avec cette couleur. On appelait marron un esclave qui fuguait. Par assimilation, un avocat ou un notaire marron est quelqu'un qui manque de statut légal, de professionnalisme et, partant, de déontologie.

Les extensions analogiques et rhétoriques

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L'analogie est un mode de réflexion qui fait correspondre un objet à un autre objet car ils ont « beaucoup » en commun. L'étendue de ce « beaucoup » est cependant très variable. Pour ce qui est du vocabulaire, l'argument de la comparaison peut être la couleur, la forme, l'étendue, le bruit.

La rhétorique utilise des figures comme l'emploi d'une partie pour désigner le tout et l'inverse, celui de la cause pour la conséquence et l'inverse, etc. L'argot illustre abondamment ce phénomène et certains mots de la langue française standard actuelle sont d'anciennes expressions argotiques.

S'y ajoute le passage du concret à l'abstrait et, parfois, de l'abstrait au concret.

Les figures élémentaires

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La forme

  • le « rouleau de mer » à partir du mot « rouleau »
  • le « volume ». En latin, « volumen » désigne ce qui est enroulé sur lui-même. Les parchemins correspondant à une œuvre étaient cousus les uns aux autres et l'ensemble, roulé sur lui-même, constituait un volume. Lorsque l'œuvre était trop importante, elle se composait, comme aujourd'hui, de plusieurs volumes pour que chacun reste maniable.
  • chalumeau : ce mot vient du latin « calamus » (« roseau ») que l'on retrouve dans une des rares expressions latines encore en usage de nos jours, « lapsus calami » ou « erreur de plume » pour désigner les oublis ou les substitutions d'un mot à un autre dans les textes écrits, les premières « plumes » ayant été fabriquées à partir de roseaux. Le roseau a été utilisé pour tailler l'ancêtre de la clarinette, appelée « chalumeau », la matière donnant son appellation à l'objet pris dans son entier. Également utilisé dans la confection des premières pailles permettant d'aspirer une boisson, celles-ci sont encore appelées « chalumeaux » en français soutenu. L'outil permettant de souder ou de couper du métal dont la forme du tube « lance-flamme » est celle d'un chalumeau et en a également pris le nom pour le désigner en entier.
  • papillon : la forme de l'insecte est celle du nœud papillon ou de l'écrou papillon
  • clavicule et cheville viennent de clef car elles ont une forme coudée comme les clefs d'autrefois (celles que l'on voit sur les illustrations des contes de fées)
  • coccyx : l'os a une forme qui rappelle le bec du coucou (« κόκκυξ » (kόkkyx) en grec ancien).
  • coude : la forme du coude anatomique s'est étendue aux tuyaux et tunnels.
  • delta : sur une carte de géographie, le delta du fleuve a la forme triangulaire de cette majuscule grecque.
  • rétine : le réseau que font les petits vaisseaux sanguins de l'œil.
  • lunettes : ces verres forment de petites lunes. Initialement on parlait de « bérycles » à partir de l'élément constituant des verres : le béryl. Le r entre deux voyelles se prononçant [z], cela donna « bésicles » ; « lunettes » le concurrença puis se substitua largement à lui.

Il est à noter que la même forme n'évoque pas nécessairement la même chose à tous les peuples :

  • d'une racine indo-européenne *bʰrewsos signifiant « gonflé », l'anglais a tiré breast (« sein ») et le russe брюхо (brioukho) (« ventre »)
  • d'une racine indo-européenne *ḱewb- signifiant « plié », l'anglais a tiré hip (« hanche ») l'allemand Hüfte (même sens) d'où, via le latin cubitus, le français coude et l'italien gomito de même sens.
  • une autre racine indo-européenne *h₁édti donne tooth (« dent ») en anglais Zahn en allemand (même sens), dent en français et edere (« manger ») en latin ainsi que to eat (même sens) en anglais et essen (même sens) en allemand.

L'étendue

  • une larme de lait à partir du volume d'une larme
  • un cahier — dont la première orthographe est quaer qui rappelle sa parenté avec « quatre » — est, à l'origine, une feuille de papier pliée en quatre.

La dureté

  • Dur : du temps où les trains avaient une troisième classe dont les banquettes étaient en bois alors que les trajets étaient bien plus longs qu'aujourd'hui on disait « prendre le dur » pour « prendre le train » (qualité désignant l'ensemble), expression aujourd'hui disparue grâce à l'amélioration du confort ferroviaire. À noter que les premières gares de voyageurs des chemins de fer s'appelaient des embarcadères par analogie avec les transports par voie d'eau. Les gares étaient des lieux où l'on garait les trains ; les deux lieux se rapprochant, les deux mots se rapprochèrent aussi et « gare » remplaça « embarcadère » ; mais nous avons conservé le terme maritime de « quai ».

La position

  • Le talon est la partie arrière du pied, d'où le « talon » de jambon puis le « talon » du chèque qui est ce qui reste quand le chéquier est fini comme le talon de jambon est ce qui reste quand le jambon est presque totalement consommé.
  • même chose avec pied (d'où l'explication est donnée au pied du tableur)

La différence par rapport à une valeur Haut signifie généralement élevé mais le mot latin altus dont il est issu traduisait une différence de niveau quel qu'en soit le sens, différence qui persiste dans la haute mer qui est la mer profonde.

Le bruit

  • buculus est le jeune taureau en latin d'où le verbe français « beugler » et par analogie son emploi en argot
  • l'anglais noise (« bruit ») vient du latin nausea (« nausée »). L'étalon du bruit est en quelque sorte celui de quelqu'un qui vomit. Quant à l'expression chercher noise à quelqu'un, elle anticipe la fait qu'il va y avoir des cris de dispute

Le comportement ou la physiologie d'un animal

  • Alopécie vient du grec ancien « ἀλωπεκία » (alôpekía) (« chute des cheveux ») par analogie avec la chute annuelle des poils du renard. (« ἀλώπηξ »)

Le tout pour la partie et la partie pour le tout

  • En argot moderne, « se faire une toile » signifie « aller au cinéma » : la toile désigne ici le tout alors qu'elle ne constitue qu'une partie de l'équipement
  • L'habit vert des Académiciens est noir brodé avec des feuilles d'olivier vertes qui ont donné le nom à l'ensemble du costume
  • Page : « παῖς » (paîs) est, en grec ancien, l'enfant et plus spécialement le garçon adolescent et jeune adulte. Le mot désigne aussi le serviteur, fonction la plus répandue des jeunes garçons dans l'Antiquité puis le page, lui-même serviteur du Prince. Le mot « παῖς » se retrouve dans pédagogue. Initialement le pédagogue est celui qui conduit l'enfant à l'école. Cette personne était non seulement chargée d'accompagner l'enfant mais aussi d'assister à l'enseignement pour s'assurer qu'il soit conforme aux souhaits des parents d'où les sens modernes de « pédagogie » et « pédagogue », qui a désigné celui qui enseigne avant de désigner celui qui sait enseigner (sens actuel). Enfin, « pédéraste », abrégé aujourd'hui en pédé, signifie celui qui aime les jeunes garçons.
  • Nouveautés. Au XVIIIe siècle, les nouveautés étaient des comédies (d'où le théâtre des Nouveautés qui existe encore à Paris) puis le mot s'est étendu à toutes les nouveautés littéraires, à celles de la mode et enfin à tout ce qui est nouveau.
  • Soupe. À l'origine, il s'agit d'une tranche de pain assez compact sur lequel on dispose des légumes bouillis et éventuellement de la viande. D'où l'expression qui subsiste aujourd'hui, « trempé comme une soupe » c'est à dire comme le morceau de pain une fois que l'on y a versé les légumes et le bouillon qui les accompagne. Au fil des temps le mot a désigné le légume et le bouillon.

Il en est de même dans d'autres langues. Par exemple en italien, la ricotta est une herbe. Cette herbe a été utilisée pour envelopper un fromage qui a pris son nom. Ce fromage est mou, d'où « avere le gambe di ricotta » qui est l'équivalent italien du français « avoir les jambes en coton ».

Le passage du concret à l'abstrait

  • un impact est la résultante concrète d'un choc (exemple : un impact de balle). Le mot acquiert un sens abstrait dans l'impact médiatique ou le déménagement de l'entreprise impactera essentiellement les personnels qui habitent au Sud de Paris.
  • un étalon est un cheval qui sert à la reproduction compte tenu de ses qualités hors du commun, de même que le kilogramme étalon sert à la reproduction des poids d'un kilogramme.
  • ourdir est l'opération qui consiste à amorcer le tissage sur un métier à tisser ; de là l'idée d'amorcer un complot.
  • La peinture est originellement la couleur puis devient le résultat de l'application de cette couleur puis la représentation de quelque chose par un procédé qui mêle description et art (la peinture d'une même société n'est pas la même chez Hugo, Balzac et Zola) mais aussi la technique comme dans la peinture au couteau.
  • Conséquent est à l'origine ce qui suit mais les conséquences d'une chose étant parfois aussi importantes (voire plus importantes) que la cause, le mot a pris au XIXe siècle le sens d'« important » comme dans c'est un prix conséquent, emploi qui reste toutefois incorrect.
  • La grève est initialement la partie lourde des alluvions (gravis en latin signifie « lourd » d'où le « gravier »). À Paris, un des endroits où la Seine déposait le plus de gravier a été appelée « Place de Grève » (l'emplacement de l'actuelle Place de l'Hôtel de Ville). C'est là que se réunissaient les travailleurs qui cherchaient un emploi puis ceux qui suspendaient leur travail à titre de protestation, d'où le sens actuel. À comparer les images suivant les différents pays avec l'expression « grève perlée » qui se dit mot à mot « grève à hoquet » en italien (sciopero a singhiozzo) et « grève du lambin » en allemand (Bummelstreik) où bummel est un terme familier que l'on retrouve dans bummeln qui signifie « flâner », « faire du lèche-vitrine ».

La cause et la conséquence :

  • Achalandé : initialement un magasin achalandé est une boutique fréquentée par de nombreux chalands c'est à dire passants. Une boutique où il y a de nombreux chalands est probablement une boutique pleine de marchandises propres à attirer le client par leur diversité et leur fraîcheur d'où le second sens du mot : bien fourni (cause et conséquence sont confondues)
  • Aimable. Lorsque les carottes rendent aimables, elles n'agissent pas sur le caractère mais sur le teint qu'elles rendent plus agréable à la vue. La mangeuse de carottes est ainsi plus aimable mais on associe l'idée de gentillesse à celle de beauté (les princesses sont rarement méchantes, Carabosse est méchante mais laide alors que les gentilles fées sont très fines) d'où le sens actuel.
  • Belladone. C'est le nom d'une plante qui contient un suc utilisé autrefois pour dilater la pupille. De grands yeux étaient un élément de la beauté féminine. La plante permettait ainsi de se donner l'aspect d'une belle jeune fille (« bella dona » en italien).
  • Cuistre. Ce mot désignait à l'origine le professeur de ce que nous appelons un collège, trop souvent fier de montrer ses connaissances au grès de ses contemporains des XVIIIe et XIXe siècles d'où le glissement de sens.
  • Féliciter. « Felix » signifie « heureux » en latin, d'où la félicité. Féliciter c'est, à l'origine [1450], rendre heureux ; ce sens subsiste dans l'expression je me félicite de c'est à dire je suis heureuse que. Le sens actuel se réfère à une façon particulière de rendre quelqu'un heureux(se) : en lui adressant des compliments.

Les enchaînements

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Les évolutions peuvent s'enchaîner. Toilette était initialement une petite toile ou plus exactement une toile fine.

  • c'est avec une toile fine que l'on peut essuyer son visage après s'être rafraîchi(e)
  • puis l'action de se laver elle-même (faire sa toilette)
  • puis l'ensemble des actions qui sont associées : comme se peigner, se maquiller, se vêtir d'où l'expression être toute à sa toilette
  • puis le vêtement lui même : avoir une belle toilette, une nouvelle toilette, une toilette apprêtée
  • puis le local où l'on se lave et se prépare (cabinet de toilette)
  • puis, par pudeur, les WC même lorsque ceux-ci ne sont plus situés dans le cabinet de toilette comme c'était le cas initialement, pour minimiser les conduits d'amenée et d'évacuation d'eau
  • puis l'usage de ce lieu.

Citons aussi bureau qui est également d'origine textile

  • au commencement il s'agit d'un morceau de bure (étoffe de laine grossière quasiment brute et qui gratte)
  • que l'on utilise donc peu à peu seulement comme tissu d'ameublement et non pour se vêtir
  • et dont on revêt les tables (d'où le nom donné à la table)
  • puis à la pièce où se trouve la table
  • puis à l'ensemble des pièces
  • puis l'ensemble des personnes qui travaillent dans une partie de ces immeubles ou l'exécutif ou l'ensemble du personnel administratif.

Les dérivations issues de mauvaises compréhensions

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  • « rester en rade » renvoie pour beaucoup de locuteurs d'aujourd'hui à l'image d'un bateau en panne qui ne peut sortir de la rade. Pourtant cette expression signifie plutôt que le bateau ne peut pas rentrer au port mais reste en route parce qu'il n'y pas assez de vent. Rade doit être rapproché de l'anglais road (« route »)
  • « retirer les marrons du feu » Celui qui retire les marrons du feu se brûle les doigts sans en profiter puisque c'est un autre qui les mange. Il est la victime et non le bénéficiaire comme l'entend le sens actuel.
  • En latin malum désigne le mal par opposition au bien mais aussi la pomme. Dans le premier sens, le a est long, dans le second il est bref et les deux mots restent bien distincts. Au fils des temps, le a long est lui aussi devenu bref et les deux mots se sont confondus. De ce fait, l'arbre biblique du bien et du mal est devenu un pommier. Quand à la pomme son nom vient de pomum qui désignait en latin un fruit, quel qu'il soit, dans une civilisation qui ne connaissait que peu de fruits (figues, nèfles). Comme l'on mettait de la pomme dans les cosmétiques pour leur donner un parfum acceptable, le mot a donné pommade même s'il n'y a plus beaucoup de pomme dans les pommades modernes. Quant à l'expression tomber dans les pommes elle n'a rien à voir avec le fruit mais constitue une mauvaise compréhension de tomber dans les pâmes encore compréhensible de nombre de Français dans la formule tomber en pâmoison. Au fil des temps, certains locuteurs ont imaginé une personne qui se trouve mal à côté d'un cageot de pommes et s'écroule sur les fruits.