Ethnométhodologie/Conclusion et bibliographie

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Conclusion

L’ethnométhodologie se livre à une formidable reconstruction de la sociologie. Au lieu de rejeter aveuglément les acquis de l’analyse durkheimienne, pour réduire l’acteur à des dimensions artificielles et idéalisées, comme le font par exemple la théorie des choix rationnels ou l’individualisme méthodologique, elle se propose de reconsidérer les postulats de la sociologie, de les reconstruire sur des bases empiriques et théoriques solides qui seront justifiées scientifiquement. Le programme qu’elle lance est donc immense et n’en est encore qu’à ses débuts. Mais elle a mis sur la «table des négociations» un débat qu’on ne peut esquiver et renvoyer promptement aux oubliettes, elle bouscule et pousse la sociologie, et d’une manière générale les sciences humaines et sociales, dans leurs retranchements les plus profonds et met à mal leur tendance à se cacher derrière un objectivisme qui les rassure et masque leurs faiblesses.

D’un abord difficile, elle a souvent été rejetée par la communauté des sociologues. Mais contre ce dédain injustifié, elle a toujours su mettre en avant le prestige des membres qui se reconnaissaient dans ses idées. Il est vrai que l’aura académique dont jouissait Garfinkel (élève de Parsons à Harvard), Cicourel,... a peut-être contribué à infléchir l’opinion vis à vis du mouvement. Il faut donc à mon avis garder une distance critique vis à vis de la mythologie qui entoure l’ethnométhodologie, élevant les travaux de Garfinkel (qui aurait tout découvert et tout inventé) au rang de dogmes ; ou à l’opposé, reléguant l’ethnométhodologie à une secte dangereuse ayant ses gourous et son père fondateur : Garfinkel. Il ne sert donc à rien de trop l’enjoliver, d’autant plus que, comme on l’a vu, l’approche de Schütz contenait déjà en germes les grands traits de l’ethnométhodologie.

Une critique souvent adressée à l’ethnométhodologie est le caractère trop local de ses analyses, elle ne permettrait pas d’atteindre la dimension macro-sociale. Or, comme on l’a vu avec Cicourel et la délinquance, il n’en est rien. Il est vrai cependant, que c’est une discipline relativement jeune, et tournée initialement vers la pratique microsociologique, ce qui explique peut-être pourquoi l’analyse ethnométhodologique des phénomènes macro-sociaux n’en est encore qu’à ses balbutiements. Il reste cependant qu’elle ne pourra pas et ne voudra évidemment pas bouter l’analyse formelle hors de son champ, mais elle peut au moins lui servir de garde-fou efficace contre les dérives de l’interprétation arbitraire.

En fin de compte, l’ethnométhodologie apporte une bouffée d’air frais à la sociologie, trop souvent embourbée dans les débats idéologiques comme par exemple, le fameux débat Bourdieu/Boudon ; de plus elle nous apporte peut-être quelque chose qui nous manquait cruellement auparavant, un regard libre sur nous-mêmes, un moyen de réflexion simple, pragmatique, qui nous montre tel que l’on est et tel qu’on se voit, sans déformation et distanciation superflues.


Bibliographie[modifier | modifier le wikicode]

  • Berthelot J.M., 1991 (2001), La construction de la sociologie, Paris, P.U.F, collection « que sais-je ? ».
  • Cicourel A., 1972, La sociologie cognitive, Paris, P.U.F.
  • Coulon A., 1987 (1993), L’ethnométhodologie, Paris, P.U.F, collection « que sais-je ? ».
  • Sous la direction de De Fornel M., Ogien A., Quéré L., 2001, L’ethnométhodologie, une sociologie radicale, Paris, Éditions La Découverte et Syros.
  • De Luze H., 1997, L’Ethnométhodologie, Paris, Economica.
  • Lyotard J.F., 1954 (1992), La phénoménologie, Paris, P.U.F, collection « que sais-je ? ».
  • Ogien A., 1995, (1999), Sociologie de la déviance, Paris, Armand Colin.
  • Schütz A., Éléments de sociologie phénoménologique, Paris, L’Harmattan.

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L'ethnométhodologie reste étrangère à la pensée de la contradiction. Elle a tendance à "positiver" les phénomènes négatifs qui apparaissent dans les rapports sociaux. Son champ observation et sa visée analytique étant essentiellement relationnistes et interactionnistes, l'ethnométhodologie fournit des résultats qui souvent relèvent de la tautologie. On lira ci-dessous un exemple du caractère tautologique de certaines recherches ethnométhodologiques.

Ethnométhotaulogie? Le nouveau dans l'histoire (récente) Après 1968, "le nouveau" apparaît sous la forme de l'individu qui s'autonomise. L'évanescence de l'ancien antagonisme de classe et la tendance à l'unification de la société dans une seule classe sociale (celle de l'individu-démocratique), trouve sa cause dans l'expansion absolue et totalitaire de la valorisation du capital à propos de toutes les activités humaines, quelles qu'elles soient. Le profit se réalise toujours plus dans la valorisation des "Ressources Humaines" au fur et à mesure qu'il se réduit dans la valorisation des ressources naturelles. Ce que le prolétariat a perdu de sa présence historique négative, le nouvel individu-démocratique l'a gagné en représentations de l'actuel et en médiatisations des apparences. Dès lors "le nouveau" n'est rien d'autre qu'une des figures centrales de l'institutionnalisation du mouvement de 68 ; c'est-à-dire le refoulement de son contenu historique (la réalisation de l'être-communauté de l'homme) par le moyen de l'autonomisation d'un individu particularisé dans des "libérations" (libérations des enfants, des femmes, des sexes, des âges, du travail, des régions, des nuisances, des croyances, etc. Puis, ces libérations ayant été ainsi internisées par la recomposition du rapport social dans les années quatre-vingts, elles vont permettent d'instituer des "droits à la différence", lesquels deviennent les nouveaux "droits de l'homme". La voilà cette Cité des ego dont je m'efforce (Guigou , 1987) avec quelques autres, de préciser le contenu historique tandis qu'elle se donne comme forme pure et comme "fin de l'histoire"! Sur le versant scientifique de ce processus, l'irrésistible montée en puissance des libéralismes épistémologiques (Popper), des rationalismes pragmatiques (Wittgenstein, Cercle de Vienne) et des individualismes méthodologiques (Olson, Gofman, Boudon) s'est réalisée en interaction avec l'individualisation du rapport social, à la fois l'appelant et l'accompagnant. Ainsi, la plupart des critiques modernistes des totalitarismes (celle des "nouveaux philosophes", par exemple; ou bien celle des "sociologies du quotidien et de l'actuel" ; ou bien encore celle de certaines approches cognitivistes), ont-elles jeté le bébé avec l'eau du bain : la pensée de la totalisation. Empressés de se blanchir d'un passé dogmatique et totalitaire, les idéologues du "nouveau" baptisé "post-moderne", se sont fait les héros d'une forme autonomisée à l'extrême, car vidée de son contenu historique au nom de la détotalisation et de la particularisation. En logique comme dans les sciences du langage, ce mécanisme d'identification d'un objet sans contenu autre qu'une forme autonomisée, porte un nom : tautologie.

Il pleut et il ne pleut pas Depuis Wittgenstein, la logique formelle a redéfini le concept de tautologie. À l'ancienne acception de "redondance, sophisme, truisme", vient dès lors se substituer celle, plus restreinte, de "fonction de vérité" issue du calcul des propositions (Whitehead-Russel). Au chapitre 4.46 du Tractatus, Wittgenstein pose deux cas extrêmes de possibilités de vérité des propositions élémentaires: la tautologie et la contradiction. Il définit la première comme le cas où les propositions élémentaires sont toujours vraies et la seconde comme celui où elles sont toujours fausses. Opération à hautes conséquences sur l'histoire du vingtième siècle : la tautologie est placée sur le même registre que la contradiction! De plus, les deux modes de pensée deviennent, selon les mots de Wittgenstein: "vides de sens" (sinnlos) et "parce qu'étant inconditionnellement vraies ou inconditionnellement fausses, elles ne nous apprennent rien sur ce qui se passe dans le monde" ! Ainsi privée de sa capacité d'opération sur le réel et sur son devenir-autre, la contradiction réduite à la simple affirmation de deux propositions, se change en paradoxe...Quelle avancée scientifique que ce passage de: "l'opium fait dormir parce qu'il possède une vertu dormitive" à "quel temps fait-il ? Il pleut et il ne pleut pas" ! 1921 : cette date de la première édition allemande du Tractatus, marque aussi celle de l'écrasement du prolétariat allemand. Les balles qui ont assassiné Spartacus marquent l'arrêt des tentatives révolutionnaires pour réaliser le programme prolétarien, tel qu'il avait été formulé par Marx. Cette défaite peut aujourd'hui être interprétée comme le passage de la domination formelle du capital sur la société à sa domination réelle (Cf. Marx, VIe Chapitre du Capital). Mai 68 a donc été la première révolution qui, avec les mots de l'ancien mouvement révolutionnaire, s'est affronté à la société totalement dominée par le capital, et a affirmé sans le réaliser le nouveau contenu historique des mouvements à venir: la révolution à titre humain, celle de "l'être humain comme Gemeinwesen de l'homme » (Marx). Il est vrai que le développement des techniques informatiques a conduit à une certaine avancée des recherches logico-mathématiques. Les opérations cognitives qu'impliquent la conception des systèmes experts, amènent les chercheurs en intelligence artificielle à une toujours plus grande tentative de "prise en compte des contradictions" (Ganascia, 1985). La (re)découverte des possibilités des logiques modales (qu'elles soient intuitionnistes, non-monotones ou encore heuristiques), tendent à modéliser certains types de raisonnements humains. Dans cet "empire de l'empirisme logique, comme le remarque Henri Lefebvre, son succès est proportionnel à la réussite et aux pressions du marché mondial, immense réseau d'équivalences (monétaires) et de non équivalences (inégalités)" (Lefebvre, 1982). Pourtant, le travail du négatif continue son œuvre, et la pensée dialectique, lorsqu'elle se réalise dans un mouvement historique, donne un contenu à ce qui restait jusque-là vécu et conçu comme une forme qui se reproduit à l'identique, en se présentant comme "nouvelle". Pour l'instant, les sciences humaines et sociales ? du moins celles qui, manifestant des traces de pensée humaine. méritent quelque attention critique ? se trouvent sursaturées de tautologies. Ceci à un point tel que l'essentiel de leurs activités semble se résumer à chasser sur leurs terrains et sur leurs objets toutes les contradictions, pour naturaliser leurs proies en simples paradoxes. Les chercheurs en sciences de l'éducation deviendront-ils jusqu'au dernier de laborieux taxidermistes ?

L'ethnométhodologie se diffuse dans les milieux de la recherche en éducation, comme dans la plupart des sciences humaines et sociales. Est-il encore abusif de parler de paradigme à son seul sujet? Non, peut être plus. Car à lire les résultats des travaux de l'ethnométhodologie, on peut poser que ce courant épistémologique présente, si les hypothèses ci-dessus résumées se trouvent un brin validées par l'histoire-qui-se-fait, toutes les caractéristiques de l'individualisation du rapport social, jusqu'à devenir un paradigme central des sciences de l'éducation, articulé autour de l'interaction et de sa rationalité cognitive (cf. la notion d'accountability chez Garfinkel, 1967). Comment fonctionne la tautologie dans la démarche ethnométhodologique ? Voyons-le à travers un seul exemple: celui du mouvement lycéen et étudiant de l'automne 86. Comment des chercheurs en sciences de l'éducation interprètent-ils le sens et le contenu de ce mouvement? Se voulant donc "sociologues de l'intérieur" et "observateurs du local", les auteurs du dossier intitulé "Pour changer l'université" (Raison Présente, n°82, 1987), ne se prononcent que sur les formes du mouvement. On y cherchera en vain la moindre analyse sur son contenu historique et sur son sens sociopolitique. Retranchés dans leur observatoire de l'université de Paris 8, appliqués à pratiquer "l'indifférence" que requiert leur discipline à l'égard "de l'activité des membres", les chercheurs distinguent trois moments successifs du mouvement. Tout d'abord la révolte contre l'injustice (moment anti-Devaquet), puis le refus de la violence étatique ou contre-étatique (moment anti-Pasqua) et enfin le moment de "l'instituant réflexif", celui de la préparation des Assises en vue des "États Généraux" des universités. Or cette périodisation ne rend pas compte de l'essentiel, à savoir que ce mouvement est celui de la communauté des scolarisés avant d'être un "mouvement étudiant". Encombrés de leurs présupposés localistes et indexicalistes, ces auteurs s'interdisent de comprendre la singularité du premier moment, à savoir une communauté de jeunes scolarisés qui affirme une égalité devant la socialisation particulière que réalisent les lycées et les premiers cycles universitaires. L'expression de la solidarité "apolitique" des débuts du mouvement tire sa puissance et son unité de la place qu'occupe cette classe d'âge dans la reproduction sociale à savoir ni travailleur, ni chômeur, mais individus en voie d'intégration dans la société dominée par le capital et adhérant le plus souvent à ses représentations.

Une grève c'est… une grève! Toutes les contributions Englués dans leur triple contre-dépendance à 1'université, à la sociologie et "l'analyse interne" ? ces implications restant chez eux non critiquées – les dimensions substantielles du mouvement ne les effleurent pas. Ils qualifient donc celui-ci en termes d'activités formelles et en viennent ainsi à énoncer, parmi bien d'autres, quelques tautologies à faire s'esclaffer gréviste de quatorze ans. Le lecteur apprend en effet, qu'on est bien en présence d'un mouvement, puisqu'on relève dans les journaux intimes d'étudiants de nombreux cas de "conversion individuelle"; car "la force d'un mouvement c'est de réussir à articuler toutes ces dynamiques et toutes ces forces individuelles" (ibid. p.46). Le tourniquet de la tautologie se poursuivant, on apprend alors qu'il y a bien là une identité de mouvement, car il comporte "les traits qui le spécifient, qui lui confèrent son identité. en tant qu'ils sont produits, configurés, mis en scène dans et par les activités pratiques des acteurs" et on précise immédiatement "qu'avec ce qu'on appelle une grève, (...) on a affaire à un mouvement revendicatif et non à autre chose" (ibid. p. 13). Autrement dit, puisque nous observons qu'ils se réunissent en A.G., qu'ils prennent la parole en public, qu'ils distribuent des tracts, qu'il défilent en cortèges, qu'ils s'adressent aux médias, etc. et bien oui, on a toute raison d'identifier cela comme "un mouvement"!


Extrait de Guigou J. "Les nouveaux tautologues", Communication au colloque francophone de l'AFIRSE : Les nouvelles formes de la recherche en éducation. 24/26 mai 1990. Alençon. Actes, p.101-106, édités par Matrice/Andsha (ISBN 2-905642-16-5)