La politique monétaire/Les microfondations de la courbe de Phillips : l'information incomplète
Il est possible de dériver la courbe de Phillips en supposant que les prix sont flexibles, mais que les prix mis à jour ne sont pas ceux qui égalisent l'offre et la demande. Pour cela, quelque chose doit empêcher les agents d'estimer correctement la bonne valeur des prix. Ces mauvaises anticipations peuvent avoir des origines diverses, mais on peut les classer en deux types : soit les anticipations des agents ne sont pas rationnelles, soit les agents ont des anticipations rationnelles mais diverses frictions viennent mettre un grain de sable dans les rouages. Par exemple, on peut supposer qu'ils anticipent rationnellement l'inflation, mais sur la base d'informations obsolètes. Ou alors, on peut supposer des anticipations adaptatives, ce qui permet d'obtenir une courbe de Phillips. Dans cette section, nous allons parler de quelques modèles de ce genre, en mettant de côté celui des anticipations adaptatives (qui a déjà été vu il y a quelques chapitres).
L’illusion monétaire (Worker's misperception model)
[modifier | modifier le wikicode]Milton Friedmann a été le premier à donner, sous une formulation essentiellement verbale, un mécanisme à l'origine des effets réels de la politique monétaire. Celui-ci se base sur l'illusion monétaire, le fait que les salariés ne perçoivent pas correctement une hausse des prix, ou tout du moins mettent du temps avant de s'en rendre compte. Cette illusion monétaire est à l'origine d'une différence entre les salaires réels effectifs et les salaires réels perçus par les entreprises et salariés. Suite à une hausse de l'inflation, les salaires nominaux vont naturellement augmenter, alors que les salaires réels vont rester les mêmes. Les salariés vont voir la hausse des salaires nominaux, mais vont tarder à voir la hausse des prix. Ils vont croire que la hausse des salaires nominaux est synonyme d'une hausse des salaires réels. Cette fausse hausse des salaires réels incite à travailler plus, les heures travaillées augmentent et le taux de chômage baisse. Mais cela ne dure que tant que l'illusion monétaire se fait sentir. Quand les salariés commencent à voir la hausse des prix, ils calculent leur salaire réel et adaptent l'offre de travail en conséquence. Le chômage revient alors à son taux naturel, à savoir le taux de chômage lié au PIB potentiel.
Le modèle des îles de Lucas
[modifier | modifier le wikicode]Le mécanisme décrit par Friedmann était une formulation essentiellement verbale, et non une théorie mathématique. Il fallut attendre quelque temps avant que Lucas élabore son modèle des îles de Lucas, la première théorie de ce genre, qui a valu un prix Nobel à son auteur. Ce modèle utilise des anticipations rationnelles, sans que cela l’empêche d'obtenir un effet de la politique monétaire sur le PIB et d'autres variables réelles ! C'est pour cela que ce modèle est souvent abordé dans les cursus de macroéconomie. Elle aboutit à la formulation de l'équation suivante, appelée courbe d'offre de Lucas. Celle-ci est une relation entre PIB et prix, exprimée avec des grandeurs logarithmiques (formellement, il s'agit d'une équation dite log-linéarisée). Dans celle-ci, on a :
- est le logarithme du niveau moyen des prix ;
- est le logarithme du niveau futur des prix anticipé par les entreprises ;
- le logarithme du PIB et le logarithme du PIB potentiel ;
- un coefficient de proportionnalité.
On peut alors reformuler cette équation de la manière suivante :
Soustrayons maintenant .
D'après les règles liées aux logarithmes, et . En faisant le remplacement on trouve :
Le modèle de Mankiw (courbe de Phillips à information rigide)
[modifier | modifier le wikicode]En 2002, Mankiw, économiste assez reconnu pour ses travaux et pour ses manuels d'économie à destination des étudiants, proposa un modèle de courbe de Phillips particulier. Celui-ci ressemble beaucoup au modèle de Calvo que nous avons vu dans la section précédente, mais avec quelques petites différences qui en corrigent les défauts.
Pour commencer, ce modèle part lui aussi du principe que seule une portion des entreprises met à jour ses prix à chaque instant, le reste gardant les prix inchangés. À tout instant le niveau général des prix est donc une moyenne des prix fixé par chaque entreprise, à savoir une moyenne pondérée des prix fixés dans le passé par chaque compagnie. On a donc l'équation suivante (que l'on aurait pu utiliser pour démontrer le modèle de Calvo) :
- , avec le logarithme du niveau général des prix et le logarithme des prix de chaque entreprise à l'instant t-i.
Ensuite, le prix idéal fixé par chaque entreprise dépend du prix à l'instant t, mais aussi de l'écart de production (en réalité, du coût marginal de la production, mais c'est presque la même chose du point de vue macroéconomique). On peut résumer cela avec l'équation suivante, qui aurait aussi pu être utilisée pour démontrer le modèle de Calvo :
- , avec le log du prix désiré par l'entreprise à l'instant t, le log du niveau général des prix et le logarithme de l'écart de production.
Jusqu'ici, rien de nouveau par rapport au modèle de Calvo. La différence tient dans l'origine de cette rigidité des prix. Mankiw suppose que les entreprises mettent à jour leurs prix sur la base des informations dont elles disposent à un instant t, sur la base d'anticipations rationnelles. Mais les informations en question mettent du temps avant de se propager et d'arriver aux entreprises. Les entreprises vont donc prendre des décisions sur la base d'informations anciennes, qui leur sont arrivées avec du retard. On peut résumer cela mathématiquement avec la formule suivante, encore une fois écrite avec des variables logarithmiques :
- , avec l’anticipation du prix idéal sur la base des informations datant de la énième période précédente.
En combinant les trois équations précédentes, on trouve l'équation suivante :
Avec quelques bidouilles mathématiques assez affreuses, on trouve l'équation de la courbe de Phillips à information rigide :
- , avec la croissance de l'écart de production.
Si on analyse cette équation, on voit que l'inflation dépend de plusieurs choses : de l'écart de production, de l'inflation anticipée, mais aussi des anticipations de l'écart de production. On retrouve donc une équation qui ressemble marginalement à l'équation de Calvo, à une différence près : les anticipations de l'écart de production font leur apparition dans l'équation. De plus, les anticipations utilisées changent par rapport au modèle de Calvo : les anticipations sont établies sur la base d'informations retardées, ce qui fait qu'elles accusent un retard.
L'avantage de cette courbe de Phillips est qu'elle respecte la critique de Mc Callum : elle ne permet pas de maintenir le PIB au-dessus de sa valeur potentielle de manière permanente. Contrairement à la courbe de Phillips New Keynesian, avec laquelle une politique dés-inflationniste permettait d'obtenir ce résultat aberrant. Avec la courbe de Phillips de Mankiw, seule une politique monétaire non-anticipée a un effet sur le PIB, toute politique anticipée n'ayant d'effet que sur l'inflation. En effet, en l'absence de surprise, les anticipations sont correcte, et on a alors : . L'équation de la courbe de Phillips de Mankiw se simplifie alors de telle manière que l'on a .