La politique monétaire/Le canal du prix des actifs

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Outre son effet sur l'investissement, les variations du taux d'intérêt ont des effets sur le prix de divers actifs financiers. La politique monétaire influence le prix des obligations (de la dette d'état ou d'entreprise), des actions, voire de l'immobilier. Dans les grandes lignes, une baisse des taux augmente les prix de tous les actifs et inversement pour une hausse. Et cela a des effets indirects susceptibles de faire augmenter l'inflation. Par exemple, une augmentation du prix des actifs va stimuler l'investissement des entreprises cotées, ce qui fera augmenter la demande agrégée. De même, les ménages détenteurs d'actifs, devenus plus riches, vont dépenser plus que prévu et stimuler la demande. Et ainsi de suite. Dans ce qui va suivre, nous allons d'abord voir d'où vient l'effet de la politique monétaire sur les prix d'actifs, avant de voir comment ces variations de prix vont stimuler l'économie.

L'origine de l'influence de la politique monétaire sur le prix des actifs[modifier | modifier le wikicode]

On peut se demander d'où provient l'augmentation du prix des actifs induite par une modification des taux monétaires. Il existe plusieurs raisons, mais nous n'allons voir que les deux principales. La première est que les agents font un arbitrage entre les différents placements en fonction de leur rendement et de leur risque. Une baisse des taux réduit le rendement des produits de taux (obligations et placements monétaires), ce qui incite les agents à se rabattre sur les autres actifs. L'autre raison est liée au fait que la baisse des taux favorise l'emprunt, qui est utilisé pour acheter des actifs à crédit. Dans les deux cas, certains actifs voient leur demande augmenter, ce qui entraîne une augmentation de leur prix (à offre égale).

L'arbitrage entre actifs[modifier | modifier le wikicode]

La raison principale est que les investisseurs font face à un choix : placer leur argent soit dans des actifs risqués, soit dans des placements monétaires/obligataires. Les investisseurs font un arbitrage entre la liquidité et la sûreté des placements monétaires/obligataires et le rendement des actifs plus risqués. Ils préféreront l'un ou l'autre selon les variations des rendements.

  • Plus les placements monétaires deviennent rentables, plus les agents vont délaisser les actifs risqués au profit des placements monétaires/obligataires. Par exemple, peu d'agents oseraient acheter des actions risquées qui rapportent 5% s'ils ont accès à des placements monétaires qui rapportent 4%. Et les détenteurs d'obligations chercheront à revendre leurs actions pour investir sur les placements sans risque. Ce phénomène de fly-to-quality entraîne une baisse du prix des actifs risqués.
  • À l'inverse, une baisse des taux sans risques rend les actifs risqués plus intéressant que les placements monétaires/obligataires, ce qui fait monter leurs prix par hausse de la demande. Par exemple, des taux très bas incitent les agents à acheter des actifs risqués, plus rémunérateurs. Un cas classique est celui des trappes à liquidité, où les taux sans risque restent à 0 durant assez longtemps. Les agents économiques ont alors tendance à aller chercher le rendement là où il est : dans les actifs risqués. Cette hausse de la demande d'actifs fait alors grimper leurs prix. Un bon exemple est celui de l'évolution des bourses mondiales suite à la crise de 2008, quand les banques centrales ont commencé à avoir une politique monétaire agressive. Même chose pour les divers épisodes d'assouplissement quantitatif de cette même époque.

Les prix des obligations varient en sens inverse des taux : une baisse des taux rend les obligations moins rentables, vu que les intérêts versés diminuent avec le taux, et inversement pour une hausse des taux. Cela a une influence sur les taux des actions et de l'immobilier. Si le taux d'intérêt sur les obligations baisse, les épargnants déplacent leur argent vers des actions ou des actifs immobiliers, dont le prix monte. Le cas de l'immobilier est encore différent, vu qu'une baisse des taux se répercute sur les taux des crédits immobiliers. Dans ces conditions, le marché immobilier devient plus dynamique, la demande de logements augmente : les prix font naturellement de même. Reste à expliquer tout cela de manière plus formelle.

Pour la suite, nous noterons le rendement des placements monétaires, le taux sans risque, . Le prix des actifs peut être vu comme la somme des revenus ultérieurs générés par l'investissement, pondérés par le taux des placements monétaires. Imaginons que l'investisseur reçoive un dividende ou un coupon d’obligation régulier, fixe chaque année (ce qui correspond plus au cas d'un coupon, mais on peut généraliser au cas d'un dividende en omettant ses variations annuelles). Ce coupon/dividende sera noté dans ce qui suit.

L'impact des taux d'intérêt sur le prix des obligations[modifier | modifier le wikicode]

Pour simplifier, nous allons supposer que le taux sans risque est constant et ne varie jamais. Cette hypothèse est complètement fausse, la banque centrale le faisant varier au besoin, mais elle permet de comprendre comment une modification du taux agit sur le prix des actifs. Nous relâcherons cette hypothèse dans la suite de la section. Nous allons aussi supposer qu'il en est de même pour le dividende/coupon, afin de simplifier l'analyse. On peut alors se demander combien il faudrait placer dans un placement monétaire pour obtenir le même coupon chaque année.

  • Pour la première année, l'investisseur aurait dû placer pour obtenir la même somme en intérêts.
  • Pour la deuxième année, il aurait placer .
  • Pour la troisième année, il aurait placer .
  • Et ainsi de suite.

Les sommes précédentes sont ce qu'on appelle la valeur actualisée du coupon. Par actualisée, on veut dire qu'elle tient compte du passage du temps et de son effet sur la valeur de la monnaie. En effet, un euro aujourd'hui correspond à (1 + i) euros dans le futur, du moins si on le place sur un placement monétaire. Les valeurs actualisées du coupon permettent de comparer la valeur présent du coupon avec sa valeur future.

On peut raisonnablement supposer que la valeur actuelle d'un investissement en obligation est égale à la somme des valeurs actualisées des coupons. Pour calculer celle-ci, faisons l'addition des valeurs actualisées précédentes, sur une durée supposée infinie. On obtient alors le prix que l'investisseur est près à payer pour l'actif :

Factorisons le coupon c :

Les règles sur les suites géométriques nous disent que , ce qui donne :

L'impact des taux d'intérêt sur le prix des actions[modifier | modifier le wikicode]

Le modèle précédent marche bien pour les obligations, dont le coupon est généralement fixe (il existe quelques obligations à taux variable ou indexées sur l'inflation, mais nous les laissons de coté pour la clarté de l'exposé). Pour ce qui est des actions, on peut le complexifier pour tenir compte de la croissance des dividendes. En effet, les dividendes versés par une entreprises augmentent avec le temps. Non seulement les entreprises sont en croissance, ce qui fait augmenter le dividende avec le temps, mais de plus le dividende est une valeur nominale qui doit suivre l'inflation. Dans ce cas, le modèle est à peine plus compliqué : il suffit de remplacer le dividende par l'expression , avec t le nombre de période et le taux de croissance des dividendes. On obtient alors :

On factorise  :

Le terme entre crochets peut se réecrire comme ceci :

En utilisant les formules sur les séries géométriques, le tout devient :

Allons plus loin : le taux de croissance n'est pas connu à l'avance, mais est donc anticipé par les agents économiques. Et il en est de même pour les taux d'intérêts futurs. En fait, tous les termes de l'équation précédente sont anticipés par les agents économiques. En tenant compte du fait que est le dividende de l'année prochaine, on peut reformuler l'équation comme suit.

Dans la réalité, les taux et dividendes/coupons futurs ne sont pas constants et varient d'une année sur l'autre. L'équation précédente doit alors se reformuler comme suit.

L'impact d'une variation des taux sur le prix des actifs[modifier | modifier le wikicode]

Les équations précédentes nous disent que le prix d'un actif dépend du dividende/coupon et du taux monétaire. Si la banque centrale diminue ses taux directeurs, va baisser et le prix des actifs va augmenter, compte tenu de l'équation précédente. On peut calculer la variation du prix des actifs induite par une variation des taux, à partir de l'équation précédente. On suppose simplement que le taux sans risque a été multiplié par , pour simplifier les calculs. Les prix avant et après la modification des taux sont alors :

et

La variation vaut, par définition :

On peut alors obtenir la variation en pourcentage du prix des actifs en divisant par le prix initial. Le résultat nous dit que le gain en capital, exprimé en pourcentage du prix initial est de :

L'emprunt pour l'achat d'actifs[modifier | modifier le wikicode]

Une autre raison tient dans le fait que les agents empruntent pour acheter des actifs quand les taux sont bas, ce qu'ils rechignent à faire quand les taux sont élevés. Cette logique vaut aussi bien pour l'achat d'immobilier que pour l'achat d'actions ou d’obligations.

Emprunter pour acheter des actifs est rentable tant que les rendements de l'actif sont plus élevés que les intérêts du crédit. La rentabilité liée à la différence entre rendement et taux de crédit est ce qu'on appelle l'effet de levier. Par exemple, de nombreux investisseurs empruntent souvent de l'argent pour acheter de l'immobilier afin de le louer : le rendement des loyers vaut alors plus que la mensualité du crédit. Plus rare, les investisseurs peuvent emprunter sur plusieurs années pour acheter des actions, grâce à des comptes sur marge. Dans les deux cas, l'effet de levier augmente la demande d'actifs, ce qui pousse le prix des actifs à la hausse. Plus les taux d'emprunt sont faibles, plus l'effet de levier sera rentable : les investisseurs vont alors emprunter et acheter des actifs, faisant augmenter leurs prix. À l'inverse, des taux forts vont décourager l'emprunt et la demande d'actif va alors chuter.

L'impact sur le marché immobilier est un cas particulier, même si acheter une maison ou un appartement est un investissement comme un autre. La différence avec les autres actifs est que les biens immobiliers s’achètent presque toujours avec un emprunt, rarement au comptant. Après tout, il y a peu de raisons de contracter un emprunt, si ce n'est pour l'achat immobilier, les travaux et l'achat d'automobiles. Toute variation des taux a donc un effet direct sur l'emprunt immobilier et sur les achats/ventes. Une baisse des taux favorise l'emprunt immobilier, les gens achètent plus facilement maisons et appartements, construisent plus facilement des maisons, etc. La conséquence est une hausse directe des prix immobiliers. L'augmentation des prix immobiliers a diverses conséquences, dont nous allons parler maintenant. Cela cause une augmentation du marché des travaux ou de la construction, ce qui dynamise l'emploi dans ce secteur. Il faut employer des ouvriers pour construire des maisons ou faire des travaux, engager des agents immobiliers, etc. L'emploi redémarre, la production dans le secteur immobilier démarre, et cela entraîne des tensions inflationnistes.

L'influence des prix d'actifs sur la demande agrégée[modifier | modifier le wikicode]

Une hausse des prix d'actifs va pouvoir stimuler l'investissement ou la consommation par divers canaux distincts. En premier lieu, les agents détenteurs d'actifs se retrouvent avec des plus-values latentes. Ils sont donc plus riches, ce qui peut les pousser à consommer. En second lieu, une hausse des prix des actions peut pousser les entreprises à investir, ce qui stimule la demande agrégée (et donc, l'inflation). Enfin, une hausse des prix d'actif impacte les bilans comptables des agents économiques, ce qui modifie leur comportement.

Effet sur la consommation Effet sur l'investissement Effet sur les bilans actif/passif
Canal de transmission Effet de richesse Ratio du Q de Tobin
Accélérateur flexible
Effet sur la création monétaire Réduction/augmentation de l'offre de crédit Accès au crédit facilité/réduit

L'effet sur la consommation[modifier | modifier le wikicode]

Toute augmentation des prix d'actif, que ce soit des actions ou de l'immobilier, rend leurs détenteurs plus riches. Cette soudaine augmentation de fortune peut pousser les agents à dépenser celle-ci, que ce soit pour consommer ou investir. Cette dépense se traduit par une augmentation mesurée du PIB. Inversement, une hausse des taux fait baisser les prix d'actifs, diminuant la fortune des détenteurs d'actions ou d'immobilier, qui réduisent leurs dépenses. Comme on peut s'en douter, cet effet de richesse induit par la réallocation d'actifs au niveau macro-économique, a peu de chance d'avoir une influence vraiment significative. Aux États-Unis, et dans les pays où la retraite est par capitalisation, l'effet de richesse est assez important. En Europe, du fait de l'existence de systèmes de retraites par répartition, cet effet est cependant plus faible.

De plus, une part de la consommation est financée à crédit. Et les banques ont tendance à faciliter l'accès au crédit à ceux qui ont un bon patrimoine. Il est plus facile d'obtenir un crédit quand on dispose d'un patrimoine boursier/immobilier/... important que quand on n'en a pas. Cela peut paraître étrange, mais certains ménages préfèrent prendre un crédit que financer leurs dépenses en piochant dans leur patrimoine. La raison est que les taux des crédits est largement inférieur au rendement des actifs. Il est plus intéressant d’emprunter à 2% que de vendre des actions/obligations qui en rapportent 5% par an. Quand les prix d'actifs montent, leurs détenteurs sont plus riches et beaucoup plus de ménages deviennent fiables aux yeux des banques. La hausse des prix d'actifs, induite par la politique monétaire, facilite donc l'accès au crédit et in fine la consommation à crédit.

L'impact sur l'investissement[modifier | modifier le wikicode]

L'effet précédent (meilleur accès au crédit quand le patrimoine augmente) vaut aussi pour les entreprises. Plus le prix de leurs actions monte, plus les banques vont les considérer comme solides et plus elles accepteront de leur prêter. Le résultat est que les entreprises empruntent plus facilement, ce qui leur permet d'investir plus qu'avant. Pour résumer, la hausse des prix d'actifs stimule l'emprunt, et donc l'investissement, ce qui dope la production. L'effet d'une hausse des taux est l'exact inverse.

Un autre effet, spécifique aux actions, est nommé canal du Q de Tobin, implique une relation entre prix des actions et investissement agrégé. L'augmentation du prix des actions est en effet favorable à l'investissement, et donc à l'activité économique. Pour comprendre pourquoi, il faut faire appel à la théorie du Q de Tobin. Ce Q de Tobin est le rapport entre la valeur boursière de l'entreprise (le prix des actions multiplié par leur nombre) et la valeur de l'investissement moyen. Il est supposé que l'investissement permet de remplacer le capital existant, qui se déprécie avec le temps. Le ratio divise donc la valeur boursière de l'entreprise et le coût de remplacement du capital :

.

Quand ce l'entreprise a intérêt à investir. En effet, la valeur de l’investissement est alors supérieure à la capitalisation boursière, ce qui est un signal positif pour les investisseurs. La situation est inversé si .

L'impact sur les bilans des ménages, des entreprises et des banques[modifier | modifier le wikicode]

Un autre effet des prix d'actifs est une modification de l'incertitude économique et une plus grande confiance de la part des banques. Les banques sont soucieuses de bien utiliser leur argent et ne prêtent qu'aux agents sûrs, qui vont les rembourser. Généralement, elles prêtent à des agents assez riches, au patrimoine solide, ou à des entreprises solides et stables. Le proverbe le dit bien : "On ne prête qu’aux riches". Elles sont assez réticentes à prêter aux ménages mal lotis financièrement ou avec un faible patrimoine. La raison à cela est une certaine asymétrie d'information, les banques ayant des difficultés à évaluer la soutenabilité de certains ménages ou entreprises.