Précis d'épistémologie/Pourquoi la réalité est-elle intelligible ?

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La réalité est intelligible parce qu'on peut l'expliquer avec des observations et des principes.

L'explication[modifier | modifier le wikicode]

Les observations nous montrent ce qui est mais elles ne nous disent pas pourquoi c'est ainsi. Pour satisfaire le désir d'intelligibilité, nous ne voulons pas seulement des descriptions, nous voulons surtout des explications.

Qu'est-ce qu'une bonne explication ? Que faut-il pour qu'une explication nous éclaire ou nous illumine ?

On peut expliquer une partie à partir de sa place dans une totalité dont elle fait partie. On peut aussi expliquer une totalité à partir de ses parties. Dans tous les cas, il faut avoir une vue assez claire de la totalité dont on parle. Assez claire ne veut pas dire toujours complet, ni toujours précis jusqu'au moindre détail. Il faut quand même en savoir assez pour distinguer la place de l'être qu'on explique, ou celles des êtres qui constituent celui qu'on explique. Il faut connaître assez bien à la fois les particularités des êtres étudiés et les bons principes qui donnent les moyens de raisonner sur ces particularités.

Un événement est expliqué à partir des conditions qui l'ont produit, à partir de la suite des événements dont il est la conséquence. Expliquer un événement, c'est avoir une vue assez claire de l'enchaînement des événements dont il fait partie.

En général nos observations ne révèlent que des miettes de la réalité. Nous ne faisons que soulever un tout petit coin du voile, nous n’observons jamais qu’une infime partie de ce qui est, beaucoup trop peu pour prétendre que nous le connaissons bien. Notre savoir est trop fragmentaire pour donner des explications parce que nous ne connaissons pas les causes dont nos observations sont les conséquences. C'est pourquoi les fictions montrent parfois mieux la vérité que la réalité. L'auteur d'une fiction peut nous informer de toutes les conditions qui précèdent les événements relatés et les expliquer ainsi.

Nous expliquons les événements avec des lois prédictives, mais ces lois elles aussi doivent être expliquées. Nous expliquons les lois particulières avec des lois plus générales et des principes en faisant des théories. L'explication d'une loi la situe dans une théorie qui permet de la prouver. Il faut avoir une vue assez claire de la théorie, bien connaître ses principes et leurs principales conséquences.

Une explication d'un événement anticipé est en même temps une preuve de la vérité de l'anticipation, pourvu que les prémisses, c'est à dire les conditions qui précèdent l'événement et les lois qui permettent de le prédire, soient vraies. Ceci est général. Une bonne explication est une preuve de ce qu'elle explique. Inversement, une bonne preuve doit être en même temps une explication, elle doit nous montrer pourquoi sa conclusion est vraie. Dans la définition socratique du savoir, une croyance vraie accompagnée d'une raison (Théétète 201d , Ménon 98a), 'raison' (logos) peut aussi être traduit par 'explication' et par 'justification'. Mais cela revient au même. Les bons principes sont bons à la fois parce qu'ils expliquent et parce qu'ils justifient les conclusions qu'ils permettent d'obtenir.

On peut expliquer un même être de diverses façons. Un organe par exemple peut être expliqué avec une vue assez claire de sa constitution, ou avec une vue assez claire de sa place dans l'organisme dont il est une partie, ou avec une vue assez claire de sa place dans le systèmes des fins poursuivies par l'organisme : l'explication par la cause finale (Aristote, Physique, Métaphysique). On peut aussi l'expliquer à partir de son développement, avec une vue assez claire de la totalité des étapes, depuis l'œuf, qui ont conduit à son apparition, ou à partir de son évolution avec une vue assez claire de sa place dans l'arbre de toutes les lignées qui ont conduit à son apparition.

On peut expliquer une espèce vivante en expliquant sa physiologie, avec une vue assez claire du fonctionnement de tous ses organes. On peut aussi expliquer son évolution et son développement. On peut expliquer son comportement avec une vue assez claire de ses interactions avec son environnement.

On peut expliquer une substance naturelle avec une vue assez claire de sa constitution. On explique ses propriétés avec une vue assez claire de ses interactions avec les autres substances naturelles. On peut aussi expliquer comment elle est produite, en donnant une vue assez claire des étapes de sa production.

On explique les concepts avec une vue assez claire de leur place dans les théories qu'ils permettent de formuler. Quand un concept peut être défini à partir d'autres concepts, on l'explique avec une définition qui le situe par rapport aux autres concepts. Quand il est un concept fondamental, on l'explique avec les principes qui déterminent son usage.

On explique le concept d'explication en énonçant le principe qu'une explication doit donner une vue assez claire de la place de l'être qu'on explique dans une totalité dont il fait partie, ou des places des parties dans la totalité qu'on explique, et en montrant les principales applications de ce principe. De cette façon, on situe le concept d'explication dans la totalité de tous les concepts, de toutes les théories et de toutes les sciences.

On explique un principe en donnant une vue assez claire des théories qu'il permet de fonder. Il faut connaître sa place dans les systèmes de principes et de leurs principales applications.

Qu'est-ce qu'un concept ?[modifier | modifier le wikicode]

Les observations attribuent des concepts aux êtres observés.

Les concepts sont des propriétés ou des relations. Une propriété, ou une qualité ou un trait, est attribuée à un être. Une relation est entre plusieurs êtres. Lorsqu'une relation est entre deux êtres, on peut considérer qu'elle est une propriété du couple. Une relation entre trois êtres est une propriété du triplet, et ainsi de suite pour les relations entre davantage d'êtres.

La perception visuelle attribue des qualités visuelles (couleur, luminosité, texture, forme...) aux objets vus. Il en va de même pour les autres formes de perception sensorielle.

Un être est toujours perçu avec des qualités ou des relations. Les êtres observés ne viennent jamais complètement nus. Ils sont toujours habillés avec les concepts que la perception leur a attribués.

Un être est perçu lorsqu'un détecteur signale sa présence. Le détecteur détermine un concept attribué à l'objet : la qualité d'être détectable par ce détecteur. Une détection attribue automatiquement à l'être détecté la qualité de pouvoir être ainsi détecté.

Le même signal de détection peut servir en même temps de représentation de l'être détecté et de représentation du concept attribué à cet être, parce que l'être est identifié par son concept. Les êtres sont représentés par les concepts qui leur sont attribués. Par exemple « l'arbre dans la cour » est une expression qui se sert du concept d'être un arbre dans la cour pour représenter un arbre.

Un concept est déterminé par l'ensemble des systèmes de détection qui signalent la présence d'un être en lui attribuant ce concept. Cette définition ne vaut pas seulement pour la perception sensorielle et les concepts empiriques. Elle peut être généralisée parce que toute unité de traitement de l'information peut être considérée comme un système de détection. Une unité de traitement de l'information produit des signaux en sortie à partir de signaux reçus en entrée. Un signal en sortie peut être considéré comme un signal de détection des signaux en entrée qui l'on produit. En particulier, les concepts théoriques sont déterminés par leur place dans un système théorique défini par des principes. Les raisonnements à partir des principes permettent d'attribuer des concepts aux êtres de la théorie. La capacité à raisonner peut être considérée comme un système de détection des conséquences théoriques, et donc comme un système de détection des concepts théoriques.

Lorsqu'un concept est défini par une série de conditions, qui ensemble sont nécessaires et suffisantes pour le déterminer, un système de détection de la présence du concept est défini du même coup, parce qu'on détecte le concept défini en détectant les conditions qui le définissent.

Lorsqu'un concept est défini par les ressemblances avec un ou plusieurs exemples, détecter le concept consiste à détecter des ressemblances et des différences.

Même un être unique peut être identifié par un concept, dès que nous sommes capables de le percevoir ou de l'imaginer en tant qu'être unique, parce que le percevoir ou l'imaginer requiert un système de détection, et parce qu'un tel système définit un concept. Par exemple je peux avoir le concept d'une personne qui m'est familière parce que je peux la percevoir et la distinguer parmi toutes les autres personnes.

On distingue parfois les représentations iconiques, telles que les images visuelles, et les représentations conceptuelles, qui peuvent être formulées avec des mots. Mais cette distinction n'est pas fondamentale. Une image visuelle attribue des qualités visuelles à tous ses points, elle est donc déjà conceptuelle. Percevoir, c'est déjà concevoir. Inversement une description verbale telle que bleu-blanc-rouge peut être considérée comme une image du drapeau français, parce que les mots sont alignés comme les parties qu'ils représentent.

On conçoit souvent les concepts comme des produits du langage. Les concepts sont signifiés par les expressions qui servent à les nommer et ils ne sont pas connus avant d'avoir un nom. Selon l'acception retenue dans ce livre les concepts précèdent le langage. Un système de perception détecte les êtres perçus en leur attribuant des concepts. Les concepts sont très généralement utilisés par les animaux, qu'ils se servent ou non d'un langage (Gould & Gould 1994). Par exemple tous les animaux capables d'avoir peur attestent par leur comportement qu'ils sont capables de détecter le danger. Donc ils se servent du concept de danger.

Faut-il considérer les concepts comme des êtres ? Comme des parties de la réalité ?

Les concepts sont présents à chaque fois que les êtres dont ils sont vrais sont présents. L'existence du concept de cheval est simplement celle de tous les chevaux. Les concepts sont manifestés et révélés par l'existence des êtres dont ils sont vrais et ils existent en même temps qu'eux. Les concepts existent réellement, mais pas à la façon des corps, parce qu'ils existent d'une façon dispersée sur tous les êtres dont ils sont vrais.

« La Forme se retrouve une et identique en même temps en plusieurs endroits. C'est comme si tu étendais un voile sur plusieurs êtres humains et que tu disais « Le voile reste un en sa totalité, lorsqu'il est étendu sur plusieurs choses. » (Platon, Parménide, 131b, traduit par Luc Brisson)

Les individus et la liaison entre les concepts[modifier | modifier le wikicode]

Les êtres, les individus, sont identifiés à partir des concepts qui leur sont attribués. Mais pour cela il faut résoudre le problème de la liaison (Quine 1992). Par exemple on peut percevoir simultanément la chaleur et la douleur de deux façons très différentes. Dans le premier cas, ce qui est chaud est ce qui fait mal, la chaleur et la douleur sont liées. On suppose qu’il y a un être qui a deux propriétés, d’être chaud et de faire mal. Dans le second cas, ce qui est chaud n’est pas ce qui fait mal, la chaleur et la douleur ne sont pas liées. On suppose qu’il y a deux êtres, l’un qui est chaud et ne fait pas mal, l’autre qui fait mal et n’est pas chaud.

Nous résolvons le problème de la liaison lorsque nous attribuons au même individu plusieurs propriétés ou relations avec d’autres individus.

Tout l’être d’un être est d'être dans un tout, ou d'être un tout, ou les deux[modifier | modifier le wikicode]

Les propriétés et les relations sont les façons d’être des individus dont elles sont des propriétés ou des relations. L’être d’un individu, c’est à dire sa façon d’être particulière, est déterminé par toutes ses propriétés et ses relations avec les autres individus. Ses propriétés et ses relations font qu’un individu est ce qu’il est. Connaître un individu, c’est connaître ses propriétés et ses relations. Mais qu’est-ce qui détermine l’être des propriétés et des relations ? Qu’est-ce qui fait qu’elles sont ce qu’elles sont ? Comme les propriétés et les relations ont elles-même des propriétés et des relations, on pourrait supposer que leur être est déterminé de la même façon que l’être des individus, mais alors on rencontre une régression à l’infini : pour connaître un individu il faut connaître ses propriétés et ses relations, qui doivent être connues par leurs propriétés et leurs relations, qui à leur tour doivent être connues par leurs propriétés et leurs relations et ainsi de suite à l’infini. Il semble qu’en procédant ainsi on ne pourrait jamais rien connaître.

Un être particulier est ce qu’il est en vertu de la totalité dont il fait partie. Il a sa place dans un tout. Une fois que sa place est déterminée, tout ce qu’il est est déterminé. Tout l’être d’un être particulier est son être dans un tout.

Les propriétés et les relations déterminent la façon d’être d’un individu en déterminant sa place dans un tout. Mais elles aussi sont déterminées par leur place dans un tout.

Tous les êtres du monde, les individus simples ou complexes, les propriétés et les relations ont tous une place dans le monde. Dès que ces places sont déterminées, le monde est déterminé, et tous les êtres qu’il contient aussi, avec leurs propriétés et leurs relations.

Être, c’est être un tout ou être dans un tout. Si un être est dans un tout, son être est déterminé par sa place dans le tout. Si un être est un tout, son être est déterminé quand toutes les places des êtres qui le constituent sont déterminées. Un être peut être à la fois un tout et dans un tout plus vaste. Un tel être est déterminé à la fois par sa structure interne, c’est à dire par l’arrangement de ses constituants, et par sa place dans le tout plus vaste. Il revient au même de dire qu’il est déterminé par la place de tous ses constituants dans le tout plus vaste.

Être, c'est être une partie ou être un tout, et le plus souvent les deux. L'être d'une partie est déterminé par sa place dans le tout. L'être d'un tout est déterminé par l'être de toutes ses parties.

Le principe holiste, que tout l’être d‘un être est son être dans le tout, ou structuraliste, être un objet, c'est être une place dans une structure, est d’une application universelle (Dieterle 1994). Il explique à la fois l’être des êtres naturels et l’être des êtres mathématiques.

La nature de la matière et la vérité de la perception[modifier | modifier le wikicode]

Lorsque nous percevons un objet avec nos sens nous croyons le connaître ainsi. Par exemple, si nous voyons que le mur est jaune, nous croyons naturellement qu'il est vraiment jaune. Mais n'est-ce pas une erreur ? Tout ce que nous savons c'est que nos yeux nous donnent une sensation de jaune. Le jaune semble être sur le mur mais il est surtout sur nos yeux. Il se pourrait même que le mur n'existe pas, que nous ayons seulement l'illusion d'un mur jaune. Faut-il en conclure que nous ne connaissons jamais le monde extérieur, que nous pouvons seulement connaître nos sensations et nous-mêmes, que la perception est toujours introspective ?

La nature de la matière est d'interagir avec la matière. Les propriétés d'un morceau de matière (particule élémentaire, atome, molécule, matériau solide, liquide ou gazeux...) sont toujours déterminées par ses façons d'interagir avec les autres morceaux de matière. La matière fait toujours ça, interagir avec la matière, et rien d'autre. Il n'y a rien de plus à connaître sur la matière que ses interactions. Quand on sait comment des êtres matériels interagissent, on sait tout ce qu'il y a à savoir sur eux.

On est sensible à un être quand il agit sur nos sens. Nos organes sensoriels sont spécialisés pour subir l'action des objets extérieurs. Ils ne suffisent pas pour connaître tous les êtres matériels et toutes leurs interactions, mais ils apportent tout de même beaucoup d'informations. Les instruments d'observation et de mesure, et tous les systèmes de détection que nous pouvons construire, sont comme des prothèses sensorielles. Ils étendent le champ de la perception. Ils nous font connaître des êtres matériels auxquels les sens ne sont pas directement sensibles. Ils nous révèlent d'autres formes d'action et de sensibilité.

La matière peut toujours être détectée parce que sa nature est d'interagir. Dès qu'elle agit sur un autre morceau de matière, celui-ci est un détecteur. Nos sens, complétés par tous les systèmes de détection concevables, nous permettent donc en principe de connaître tous les êtres matériels et toutes leurs propriétés. Rien ne peut rester caché. Tout peut être perçu, parce que la nature de la matière est d'être perceptible (Dugnolle 2017).

Le mur est vraiment jaune simplement parce qu'il est capable d'exciter la sensation de jaune sur nos yeux, ou sur tout autre détecteur sensible à la lumière jaune. Plus généralement toutes les qualités et toutes les relations qui déterminent l'existence d'un être matériel sont détectables par d'autres êtres matériels. Nous n'avons donc pas à craindre que la perception nous prive malicieusement de ce qu'elle semble nous donner, des représentations vraies des êtres perçus.

Lorsqu'un être est perçu, ou détecté, il établit une relation avec l'être qui le perçoit ou qui le détecte. Comme l'être d'un être est déterminé par toutes ses relations avec les autres êtres, être perçu ou détecté fait partie de l'être d'une être. La perception révèle la vérité des êtres parce qu'elle révèle leur place dans la totalité.

Mais cet argument en faveur de la vérité des perceptions semble prouver beaucoup trop, puisqu'il suggère que toutes les perceptions devraient être vraies. Si la qualité détectée est toujours la qualité d'être détectable ainsi, il s'ensuit que toute détection est vraie, puisque ce qui est détecté est nécessairement détectable. Comment les fausses perceptions peuvent-elles alors exister ?

La possibilité de la fausseté vient de l'existence d'une norme de vérité. Si un instrument de mesure n'a pas été correctement étalonné, il fournit un résultat faux. Le résultat est faux seulement par référence à l'étalon de mesure. Il en va de même pour la perception. Elles ne peuvent être fausses que s'il y a une norme qui détermine ce qui doit être perçu. En l'absence de norme, elles sont toujours vraies, parce qu'elles révèlent toujours l'effet de l'objet sur nos sens. Même une perception fausse révèle une vérité sur l'objet, parce qu'il est vrai qu'il peut être ainsi perçu.

Les mondes logiquement possibles[modifier | modifier le wikicode]

Un monde logiquement possible est un ensemble d'énoncés atomiques (Keisler 1977). Un énoncé est atomique lorsqu’il affirme une propriété fondamentale d’un individu ou une relation fondamentale entre plusieurs individus.

Par exemple, l’ensemble des énoncés suivants définit le monde, ou la structure, des nombres naturels : 1 suit 0, 2 suit 1, 3 suit 2… Il faut entendre que cet ensemble contient toutes les vérités atomiques formées avec les noms des nombres naturels et la relation de succession. Un énoncé atomique qui n’est pas dans cet ensemble est par conséquent faux.

La structure des nombres naturels ainsi définie est un monde logiquement possible. De façon générale, n’importe quel ensemble d’énoncés atomiques définit un monde, ou un modèle, ou une structure, logiquement possible. Tous les énoncés atomiques de l’ensemble sont vrais du monde qu’ils définissent ensemble, par construction.

L’ensemble des vérités atomiques qui définit un monde détermine complètement les individus qu’il contient, leurs propriétés et leurs relations. Chaque individu, chaque propriété ou relation fondamentale est déterminé par sa place dans l’ensemble des vérités atomiques. 0 n’est rien d’autre que le nombre naturel qui ne suit aucun nombre naturel et qui est suivi par 1, 1 n’est rien d’autre que le nombre qui suit 0 et qui est suivi par 2… La relation de succession n’est rien d’autre que la relation qui relie à la fois 1 à 0, 2 à 1, 3 à 2… L’être des nombres naturels et de leur relation de succession est complètement déterminé par la totalité des vérités atomiques à leur sujet (Dedekind 1888).

Plus généralement un être mathématique est une structure ou une place dans une structure (Shapiro 1997, 2000). Une structure est un monde logiquement possible. Lorsqu’il est une place dans une structure, tout l’être d’un être mathématique est son être dans le tout, la structure. Un être mathématique peut être à la fois une structure et une place dans une structure plus vaste.

On peut raisonner sur le monde comme s'il était un grand livre. Raisonner sur les êtres, c'est toujours raisonner sur ce qu'on dit des êtres. Toutes les vérités sont déterminées à partir de vérités élémentaires et fondamentales, toutes les vérités atomiques sur tous les êtres. L'ensemble de toutes ces vérités est comme le grand livre du monde. Tout ce qui est peut toujours être dit, parce que les mots et les expressions peuvent nommer tous les concepts, tout ce qui peut être perçu, tout ce qui apparaît.

Une remarque sur la possibilité logique : David Lewis craint qu'il y ait une circularité dans la définition du concept de possibilité logique, parce qu'un monde logiquement possible est tel qu'il est impossible que sa définition implique une contradiction (Lewis 1986). En définissant un monde logiquement possible comme un ensemble d'énoncés atomiques, on évite ce problème de circularité. La définition d'un monde logiquement possible ne peut pas impliquer de contradiction parce que les énoncés atomiques ne contiennent jamais de négation. S'il n'y a pas de négation, il ne peut pas y avoir de contradiction.

Une remarque sur le principe de compositionnalité - la signification d'une expression composée est déterminée par les significations des expressions composantes : ce principe n'est pas d'un usage obligatoire. On peut choisir une expression composée pour nommer un concept qui est déterminé indépendamment des expressions composantes, parce que c'est commode. Dans le cas présent, le concept de monde logiquement possible n'est pas défini à partir des concepts de monde et de logiquement possible mais à partir du concept d'ensemble d'énoncés atomiques. En revanche le concept de logiquement possible peut être défini à partir du concept de monde logiquement possible : un énoncé est logiquement possible lorsqu'il est vrai dans au moins un monde logiquement possible. À partir de là on peut définir le concept de nécessité logique : un énoncé est logiquement nécessaire lorsque sa négation n'est pas logiquement possible, et le concept de conséquence logique : B est une conséquence logique de A lorsque la conjonction de A et de la négation de B n'est pas logiquement possible. On peut aussi définir la nécessité et la conséquence logiques directement : un énoncé est logiquement nécessaire lorsqu'il est vrai dans tous les mondes logiquement possibles, B est une conséquence logique de A lorsqu'il est vrai dans tous les mondes logiquement possibles où A est vrai. La définition d'un monde logiquement possible par un ensemble d'énoncés atomiques est donc le fondement de toute la logique.

Rien de nouveau sous le Soleil[modifier | modifier le wikicode]

La lumière qui nous vient des étoiles éloignées est la même que celle du Soleil, ou que celle que nous produisons sur Terre. Elle se comporte toujours de la même façon. « Il n'y a rien de nouveau sous le Soleil. » (Ecclésiaste) Les lois de l'optique sont parmi les mieux connues et elles sont toujours vérifiées, souvent avec une excellente précision. Partout dans l'Univers la lumière est toujours la même et obéit toujours aux mêmes lois.

La lumière révèle les propriétés de la matière. Une substance naturelle peut toujours être identifiée par la spectroscopie, c'est à dire l'analyse de la lumière absorbée ou émise. Nous pouvons connaître la composition chimique des astres éloignés en analysant leur lumière. La lumière révèle que la matière est toujours la même partout dans l'Univers.

Une substance naturelle est pure si elle est constituée de molécules ou d'atomes tous identiques. Les substances naturelles se comportent toujours de la même façon dès qu'elles sont pures. L'eau pure a toujours les propriétés de l'eau pure. Elle obéit toujours aux mêmes lois. Pour elle aussi, rien de nouveau sous le Soleil. Plus généralement les particules élémentaires, les atomes et les molécules d'une même espèce sont tous identiques et obéissent aux mêmes lois.

Tous les points de l'espace sont identiques. Quand on en connaît un, on les connaît tous. Il en va de même pour les points de l'espace-temps.

Tous les nombres naturels sont obtenus en additionnant des unités toutes identiques les unes aux autres. On connaît la constitution de tous les nombres naturels, aussi grands soient-ils, simplement en connaissant le un. De même les constituants élémentaires de tous les êtres matériels sont identiques quand ils sont de la même espèce. En connaissant un petit nombre d'espèces élémentaires, on connaît du même coup la constitution de tous les systèmes matériels, même très vastes et très complexes.

Toutes les sciences rangent les êtres dans des catégories fondamentales. Les êtres d'une même catégorie ont des propriétés communes et obéissent aux mêmes lois. Mais en dehors de la physique fondamentale, les êtres d'une même catégorie ne sont pas identiques. Les êtres d'une même catégorie peuvent être très semblables les uns aux autres, mais aussi très différents. Chaque être peut avoir des propriétés qui le distinguent de tous les autres.

Chaque nombre est unique mais ils obéissent tous aux mêmes lois du calcul. Quand des êtres sont tous différents, ils peuvent aussi être très semblables en obéissant aux mêmes lois.

Quand on connaît une loi, on connaît du même coup tous les êtres semblables qui obéissent à cette loi. C'est comme connaître en même temps une myriade d'êtres. De cette façon, on peut connaître de très vastes totalités : tous les êtres matériels, tous les esprits, tout l'espace et tous les espaces, toutes les théories, tout ce qui naturellement possible, ou logiquement possible...

L'apparition d'un être unique est une nouveauté. Il y a donc quand même parfois du nouveau sous le Soleil. Mais ce n'est jamais complètement nouveau. Les lois, les propriétés communes, les catégories ne sont pas nouvelles.

On fait toujours des théories en appliquant des principes, des généralités, à des êtres d'une même catégorie. Si les êtres d'une même catégorie n'ont pas de propriétés communes ou n'obéissent pas aux mêmes lois, on ne peut pas faire de théorie. Qu'il n'y ait rien de nouveau sous le Soleil, hormis quelques variations individuelles, est une condition nécessaire de l'intelligibilité de la réalité. La réalité est intelligible quand on connaît des théories qui l'expliquent, quand on connaît des principes qui restent vrais toujours et partout.

La Nature obéit-elle vraiment à des lois ?[modifier | modifier le wikicode]

Il est dans la nature de l'esprit de raisonner et donc de postuler des lois avec lesquelles raisonner. Un esprit ne peut pas se développer sans penser à des lois. Il semble donc que l'existence des lois résulte de la nature de l'esprit. Mais la matière semble en général naturellement sans esprit, pourquoi obéirait-elle à des lois ?

Pour justifier nos savoirs, nous avons besoin de postuler que la Nature obéit à des lois, mais est-ce vraiment une croyance justifiée ? N'est-ce pas plutôt prendre son désir pour une réalité ? Il se pourrait que toutes les lois de la Nature auxquelles aujourd'hui nous croyons soient toutes réfutées par des observations à venir. Et la Nature ne pourrait-elle pas être sans loi ?

La matière ne serait pas la matière si elle n'obéissait pas à des lois. La matière est nécessairement détectable, elle doit donc obéir à des lois de détection, qui résultent des lois fondamentales d'interaction. Une matière qui n'obéirait à aucune loi ne serait pas détectable, et il n'y aurait pas de raison de l'appeler matière. Nous ne savons pas du tout ce que ce pourrait être, cela semble inconcevable.

Tout se passe comme si la matière et l'esprit avaient été faits l'un pour l'autre, parce que la nature de la matière est d'obéir à des lois et que la nature de l'esprit est de connaître les lois.

Ni la matière, ni a fortiori la vie et la conscience, ne pourraient exister et se développer si la Nature n'obéissait pas à des lois. Nous ne serions pas là pour en parler.

Nous n'avons pas à attendre de nos expériences qu'elles prouvent définitivement que la Nature obéit à des lois, ce qu'elles ne peuvent pas faire, puisque toute loi vérifiée aujourd'hui pourrait être réfutée demain, mais seulement qu'elles nous aident à trouver les lois de la Nature. Nous savons d'avance que la Nature obéit à des lois mais nous ne savons pas lesquelles. Comme la Nature ne semble pas être malicieuse, mais plutôt généreuse, il semble qu'un travail honnête et des expériences bien contrôlées suffisent pour trouver et prouver les lois auxquelles elle obéit. Si une loi est vérifiée par une expérience bien contrôlée, ou si elle est une conséquence logique de prémisses déjà bien prouvées, elle peut être considérée comme prouvée, jusqu'à preuve du contraire.

Les mondes naturellement possibles[modifier | modifier le wikicode]

Les observations ne révèlent des êtres que ce qu'ils sont ou ont été. L'imagination et la pensée permettent d'aller plus loin parce qu'elles révèlent ce qu'ils pourraient être, ce qui est naturellement possible.

Les mondes naturellement possibles sont les mondes logiquement possibles tels que les lois de la Nature y sont vraies.

Une théorie de la Nature énonce des lois fondamentales, ses axiomes, et permet de définir des propriétés ou des relations à partir des propriétés et des relations fondamentales. Si la théorie est vraie, tous les théorèmes de la théorie, c’est à dire les conséquences logiques des axiomes et des définitions, sont des lois de la Nature.

Les mondes logiquement possibles où une théorie est vraie sont en général appelé des modèles de la théorie ou de ses axiomes. Un monde naturellement possible est un modèle d’une théorie de la Nature. Il faut ici distinguer deux sens du concept de vérité. La vérité des axiomes pour un modèle est une vérité formelle ou mathématique. Elle résulte de la définition du modèle. Mais quand on dit d'une théorie de la Nature qu'elle est vraie, on veut dire plus que sa vérité formelle pour un monde logiquement possible, on veut que la théorie soit vraie à propos d'êtres qui existent réellement, on veut que le vérité de la théorie soit physique ou réaliste. Les mondes naturellement possibles sont les modèles d'une théorie de la Nature pourvu qu'elle soit vraie au sens réaliste.

Si les lois de la Nature sont formulées avec un système d'équations différentielles, les mondes naturellement possibles sont les solutions du système.

On explique ce qui est présent, réel, actuel en montrant qu'il est naturellement possible. On explique les mouvements des planètes par exemple en montrant qu'ils sont des solutions des équations différentielles de la physique newtonienne.

L'espace des mondes naturellement possibles est beaucoup plus vaste que le monde réel mais d'une certaine façon il est plus facile à connaître, parce qu'il suffit de connaître les lois. Pour connaître le monde actuel, on a besoin d'être en plus informé sur les possibilités qui se sont réalisées.

Les propriétés et les relations fondamentales d’une théorie de la Nature sont complètement déterminées par leur place dans l’ensemble des mondes naturellement possibles, qui est lui-même déterminé par le système des lois fondamentales de la Nature postulé par la théorie. Plus généralement, toutes les propriétés et les relations naturelles sont déterminées par leur place dans le système des lois de la Nature, parce que tout l’être des propriétés et des relations naturelles est leur être dans la totalité des mondes naturellement possibles.

La puissance des propriétés naturelles[modifier | modifier le wikicode]

Je dis que ce qui possède une puissance, quelle qu'elle soit, soit d'agir sur n'importe quelle chose naturellement pareille, soit de pâtir - même dans un degré minime, par l'action de l'agent le plus faible, et même si cela n'arrive qu'une seule fois - tout cela, je dis, existe réellement. Et, par conséquent, je pose par définition qui définit les êtres que ceux-ci ne sont autre chose que puissance.

(Platon, Le Sophiste ou De l'Être, 247e, traduit par Nestor L. Cordero)

Les lois fondamentales de la matière sont des lois d’interaction. Si une espèce de matière n’interagissait pas avec le reste de la matière, elle ne pourrait pas être détectée, et donc elle ne pourrait pas être reconnue comme de la matière. Tous les êtres matériels interagissent avec d’autres êtres matériels. Toute la matière que nous pouvons détecter, c’est à dire toute la matière de notre Univers, fait nécessairement partie d’un réseau interconnecté d’interactions dont nous faisons nous aussi partie.

La puissance d’un être, c’est à dire sa capacité à intervenir dans des arrangements naturels, l’effet qu’il y fait sur d’autres êtres, est déterminée par les lois d’interaction entre les êtres. Les lois d’interaction attribue la même puissance à des êtres qui ont les mêmes propriétés naturelles. La puissance d’un être ne dépend que de ses propriétés naturelles. Tout autre être qui a les mêmes propriétés a naturellement la même puissance.

Quand on sait de quoi un être est fait, on peut en déduire ses effets sur tous les autres êtres, pourvu qu'on connaisse les lois de la Nature. De quoi c'est fait dit ce que ça fait.

Une propriété naturelle peut elle-même être considérée comme une puissance. Il faut entendre par là qu’elle contribue à la puissance des êtres dont elle est la propriété. Si deux propriétés naturelles ont toujours exactement les mêmes effets naturels, si elle ne peuvent pas être distinguées en tant que puissances naturelles, alors elles sont nécessairement la même propriété, parce qu’une propriété naturelle est déterminée par sa place dans le système des lois de la Nature. On peut aussi dire qu’une propriété naturelle est déterminée par sa place dans le système des relations de causalité (Shoemaker 1980, Bird 2007), parce que celui-ci est lui-même déterminé par les lois de la Nature.

Comme les relations géométriques sont des propriétés naturelles, elles aussi sont des puissances. On retient parfois cette conséquence de la théorie comme une objection contre elle, parce que les relations géométriques semblent inertes et incapables d'agir. C'est oublier que la proximité est essentielle pour exercer une puissance. La distance est une puissance parce qu'elle fait partie des conditions d'exercice des diverses puissances. Pour se protéger d'un danger, il suffit souvent de s'éloigner. La distance a donc la puissance de nous protéger.

La totalité de tous les êtres[modifier | modifier le wikicode]

Les explications les plus fondamentales portent sur les plus vastes totalités : tous les êtres matériels, tous les esprits, tous les principes, tous les concepts, toutes les théories.

Quand on dit d'un esprit qu'il doit se servir de bons principes pour vivre pour le bien de tous les esprits, on explique sa place par rapport à tous les esprits et à tous les principes, on le situe dans la totalité de tous les êtres et on répond ainsi à des questions très fondamentales sur son être.

Comme les concepts et les théories sont toujours déterminés avec des principes, la totalité de tous les êtres repose sur trois catégories fondamentales : les êtres matériels, les esprits et les principes.

Les principes métaphysiques sont les principes les plus fondamentaux, ceux qui nous aident à comprendre la totalité de tous les êtres. Dès qu'une science énonce des principes très fondamentaux, elle contribue à la métaphysique. L'éthique, l'épistémologie, la logique, la physique, la psychologie sont toutes des disciplines métaphysiques, dès qu'elle donne des principes très fondamentaux. La métaphysique peut être considérée comme la partie la plus fondamentale de toutes les sciences réunies. Elle nous donne des principes avec lesquels raisonner sur la place de chaque être dans la totalité de tous les êtres. Par exemple, les êtres matériels obéissent à des lois qu'ils ne choisissent pas, tandis que les esprits peuvent se former en obéissant à des lois qu'ils choisissent.