Précis d'épistémologie/Ordinateurs et consommation d'énergie

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Les ordinateurs ne peuvent pas fonctionner sans consommer de l'énergie. On le prouve par la thermodynamique, avec le principe de l'impossibilité du mouvement perpétuel de seconde espèce.

Le mouvement perpétuel de seconde espèce[modifier | modifier le wikicode]

Une machine qui pourrait élever un poids ou faire avancer une voiture sans qu'on lui fournisse de l'énergie pourrait réaliser un mouvement perpétuel de première espèce. La loi de conservation de l'énergie, la première loi de la thermodynamique, interdit l'existence d'une telle machine. C'est une des lois les plus fondamentales de la physique. Tous les physiciens auraient tout faux si on pouvait inventer une semblable machine, mais personne ne l'a jamais inventée.

Le mouvement perpétuel de seconde espèce ne contredit pas la loi de conservation de l'énergie. N'importe quel corps peut céder de l'énergie s'il est refroidi, sauf s'il est à température nulle, égale à 0 Kelvin = -273.15 °Celsius = −459.67 °Fahrenheit. On peut donc imaginer une voiture, un bateau ou un avion qui pourrait avancer sans consommer de carburant. Il lui suffirait d'absorber de l'air ou de l'eau à la température ambiante et de la rejeter à une température plus froide. La différence d'énergie servirait à faire tourner le moteur.

Pour qu'un tel moteur puisse fonctionner il faudrait pouvoir séparer un corps dont la température est uniforme en deux parties, l'une plus chaude, l'autre plus froide. Mais c'est interdit par la seconde loi de la thermodynamique parce que cela réduirait l'entropie totale. L'impossibilité du mouvement perpétuel de seconde espèce résulte donc de la loi de non-décroissance de l'entropie totale, la seconde loi de la thermodynamique.

Le démon de Maxwell[modifier | modifier le wikicode]

Un démon de Maxwell montre que l'information peut être transformée en travail :

Considérons un gaz dans un récipient. On place une cloison en son milieu. Elle est munie d'une petite porte commandée par un dispositif qui détecte la vitesse des molécules incidentes. Il ouvre la porte seulement si une molécule qui vient de la gauche va plus vite que la moyenne ou si une molécule qui vient de la droite va moins vite que la moyenne. De cette façon le compartiment de droite est réchauffé tandis que celui de gauche est refroidi (Maxwell 1871). On peut se servir de cette différence de température pour faire fonctionner un moteur thermique.

Le dispositif d'ouverture de porte est un démon de Maxwell. Il acquiert de l'information qui peut être ensuite transformée en travail. L'information est donc une sorte de carburant.

Maxwell a inventé son "démon" pour montrer que la loi de non-décroissance de l'entropie est seulement une vérité statistique qui pourrait être transgressée si on était capable de modifier les équilibres statistiques des constituants microscopiques. En son temps, l'existence des atomes et des molécules était encore très hypothétique. Envisager la possibilité de les manipuler était donc hors de question. Mais dès que les constituants microscopiques de la matière furent mieux connus, la possibilité d'un dispositif mécanique qui fonctionne comme un démon de Maxwell pouvait être prise au sérieux.

À ce jour nos capacités d'observation et de manipulation des constituants microscopiques ne permettent pas de réaliser le dispositif imaginé par Maxwell, mais la microscopie à effet tunnel permet d'observer et de manipuler les atomes. On peut alors imaginer un dispositif qui permet de récupérer du travail après avoir réduit l'entropie du système observé, donc une sorte de démon de Maxwell en principe réalisable :

Considérons un cristal qui peut accueillir des atomes en surface. On suppose qu'initialement atomes sont répartis aléatoirement sur sites et que la température est suffisamment faible pour qu'ils y restent. C'est donc un désordre figé. On commence par observer la configuration exacte des atomes de surface, ce qu'on peut faire avec un microscope à effet tunnel, puis on les déplace et on les rassemble avec le même microscope sur une fraction de la surface. L'activité du microscope ressemble à un travail de compression isotherme sur un gaz, sauf que ce n'est pas un gaz mais un désordre figé en surface.

Le déplacement des atomes ne requiert en principe aucun travail parce que le travail d'arrachage d'un atome peut être récupéré lors de la redéposition.

Pour convertir en travail l'activité du microscope à effet tunnel on met la surface du cristal en contact avec un récipient vide de volume dont les autres parois ne peuvent pas accueillir les atomes. On divise ce récipient avec une paroi mobile en deux parties à gauche et à droite dont les volumes sont respectivement et . On chauffe le cristal pour vaporiser les atomes dans le volume . On laisse ensuite le gaz obtenu se détendre de façon isotherme dans la totalité du récipient, ce qui fournit un travail est la constante de Boltzmann et est la température. On refroidit ensuite le cristal pour laisser les atomes se redéposer à la surface du cristal. Si on procède de façon réversible, avec une succession de bains thermiques, la chaleur fournie lors du chauffage par chaque bain thermique utilisé est exactement égale à la chaleur qu'il récupère lors du refroidissement, parce que la chaleur spécifique à volume constant d'un gaz ne dépend pas de son volume. Le cristal et les bains thermiques qui ont servi à le réchauffer sont donc revenus à leur état initial.

Le bain thermique qui a servi à la détente isotherme a cédé une partie de sa chaleur qui a été convertie en travail. Il semble donc qu'on a réalisé un mouvement perpétuel de seconde espèce, puisque tout le reste du dispositif est revenu à son état initial.

Le microscope à effet tunnel qui ordonne les atomes en surface doit être piloté par un ordinateur programmé pour aller chercher les atomes et les déposer sur un site convenable. Puisque la seconde loi de la thermodynamique interdit le mouvement perpétuel de seconde espèce, cet ordinateur doit consommer une énergie au moins égale au travail qui a été fourni lors de la détente isotherme. Donc un ordinateur ne peut pas fonctionner sans consommer d'énergie.

On a supposé qu'une paroi absorbante pouvait faire un vide parfait dans un volume arbitrairement grand. Une telle paroi ne peut pas exister sinon on pourrait faire un mouvement perpétuel de deuxième espèce : on place la paroi chargée d'atomes au contact d'un récipient vide, on la chauffe jusqu'à une température suffisamment chaude pour que tous les atomes soient vaporisés. On laisse alors le gaz se détendre de façon isotherme pour fournir du travail. On refroidit ensuite le gaz à une température suffisamment froide pour que tous les atomes se redéposent sur la paroi absorbante. Si on procède de façon réversible la chaleur fournie lors du chauffage par chaque bain thermique utilisé est exactement égale à la chaleur qu'il récupère lors du refroidissement. On pourrait donc revenir à l'état initial après avoir fourni du travail en n'extrayant la chaleur que d'un seul bain thermique.

Pour faire un calcul exact et compatible avec les lois de la thermodynamique il faut donc tenir compte de la densité d'équilibre d'un gaz au contact d'une paroi absorbante. Cette densité ne peut pas être nulle, mais elle peut être très petite, a priori aussi petite qu'on le veut si la paroi est suffisamment absorbante. Cela suffit pour justifier le calcul ci-dessus où cette densité est négligée.

La machine de Szilard[modifier | modifier le wikicode]

Pour mieux comprendre la transformation d'information en travail, Szilard (1929) nous a invité à raisonner sur une machine qui fonctionne avec un "gaz" à une molécule :

Une molécule est enfermée dans un récipient qui peut être séparé par une paroi amovible et mobile. Lorsque la paroi est mise en place au milieu du récipient on détecte la présence de la molécule dans l'un ou l'autre des compartiments séparés. On a donc acquis un bit d'information. On se sert alors de la paroi comme d'un piston sur lequel la molécule peut exercer un travail. Il faut savoir où est la molécule pour savoir dans quel sens de déplacement du piston un travail peut être récupéré. De cette façon on calcule que dans des conditions optimales un bit d'information permet de récupérer un travail égal à . C'est le travail effectué par une molécule sur un piston lors d'une détente isotherme à la température qui double le volume accessible.

La machine de Szilard semble en contradiction avec la thermodynamique parce qu'il suggère qu'on pourrait faire un mouvement perpétuel de seconde espèce. Si le piston ne peut se déplacer que dans un sens, il n'est pas nécessaire de connaître la position de la molécule pour récupérer du travail. Une fois sur deux le piston reste immobile parce que la molécule est du mauvais côté du piston, et on ne récupère aucun travail, mais une fois sur deux il se déplace et on récupère un travail égal à . En répétant de nombreuses fois l'expérience on pourrait ainsi obtenir une quantité arbitraire de travail sans en dépenser pour connaître la position de la molécule.

Mais un tel procédé requiert un dispositif qui retire le piston et le remet en place. Or il y a deux positions possibles du piston à la fin d'un cycle, soit au milieu s'il n'a pas bougé, soit à une extrémité, s'il a bougé. Le dispositif doit donc acquérir un bit d'information à la fin de chaque cycle. Pour revenir à son état initial, il doit effacer cette information. Le coût d'effacement d'une information est à l'origine de l'impossibilité du mouvement perpétuel de seconde espèce (Leff & Rex 1990).

Une nouvelle preuve du théorème de Szilard[modifier | modifier le wikicode]

À la surface du cristal sur lequel on a déposé des atomes, le nombre de configurations possibles est initialement égal au nombre de façons de placer atomes sur sites. La quantité d'information nécessaire pour connaître le désordre figé des atomes en surface est donc :

où on s'est servi de l'approximation de Stirling :

Supposons que . Alors

Si en outre , on obtient

Or cette quantité d'information peut servir à fournir un travail . On obtient ainsi un exemple du théorème suivant :

Une quantité d'information peut produire un travail lorsqu'elle est utilisée par une machine à la température .

La consommation minimale d'énergie par un ordinateur[modifier | modifier le wikicode]

Un ordinateur qui acquiert une quantité d'information égale à doit l'effacer pour revenir à son initial. Or cette quantité d'information peut servir à produire un travail . Puisque le mouvement perpétuel de deuxième espèce est impossible, un ordinateur qui efface une quantité d'information doit consommer une énergie au moins égale à .

Références[modifier | modifier le wikicode]

Bennett, Charles H., The thermodynamics of computation - a review (Int. J. Theor. Phys. 21, 905-40, 1982, reproduit dans Leff & Rex 1990)

Diu, Bernard, Guthmann, Claudine, Lederer, Danielle, Roulet, Bernard, Physique statistique (1989)

Feynman, Richard P., Leçons sur l'informatique (1996)

Landauer, Rolf W., Irreversibility and heat generation in the computing process (IBM J. Res. Dev. 5, 183-91, 1961, reproduit dans Leff & Rex 1990)

Leff, Harvey S., Rex, Andrew F., Maxwell's demon, entropy, information, computing (1990)

Maxwell, James Clerk, Theory of heat (1871)

Sethna, James P., Statistical mechanics : entropy, order parameters and complexity (2018)

Szilard, Leo, On the decrease of entropy in a thermodynamic system by the intervention of intelligent beings (Zeitschrift für Physik, 1929, 53, 840-856, traduit dans Leff & Rex 1990)