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Précis d'épistémologie/Science de l'âme ou science de la matière ?

Un livre de Wikilivres.

La cognition est la production et l'utilisation de représentations internes qui préparent à l'action.


Pour expliquer le savoir, il faut expliquer comment il est produit, il faut donc expliquer le fonctionnement de l'esprit, comment il perçoit, imagine, ressent, pense, veut et agit. Comment ça marche ?

La science de l'âme

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Un préjugé courant veut qu'une science soit matérialiste pour être vraiment une science, ce qui conduit à récuser l'ancienne définition, aristotélicienne, de la psychologie, la science de l'âme, ou de l'esprit.

Il faut rappeler que ce préjugé, ou d'autres semblables, sur ce que doit être la science, sont des obstacles au développement du savoir scientifique. Pour faire un travail scientifique il n'est ni nécessaire ni souhaitable de se lier les mains par avance avec de tels a priori, il suffit de chercher honnêtement des vérités et leurs preuves. Aucun autre principe n'a priorité devant celui-ci.

Parler des âmes, c'est d'abord parler de nous-mêmes, de ce que nous sommes, de ce que nous vivons quand nous percevons, imaginons, ressentons, pensons, voulons ou pendant toute autre activité intérieure dont nous prenons conscience. Nous ne savons pas très bien ce qu'est l'âme ni pourquoi elle vit avec un corps, mais nous savons qu'elle est là, et nous pouvons travailler honnêtement pour développer un véritable savoir à son sujet. Il n'en faut pas plus pour justifier cette vénérable expression, science de l'âme.

Le mystère de l'alliance du corps et de l'âme

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L'alliance de l'âme et du corps est tellement mystérieuse que nous ne savons même pas si nous l'exprimons correctement : faut-il dire que nous sommes des âmes et que nous avons un corps ? Ou que nous sommes des corps ? Habités par une âme ? L'âme est-elle seulement une façon d'être du corps ?

Mais il n'est pas nécessaire de résoudre ces mystères pour progresser dans le savoir.

Une chose est sûre du point de vue de la science empirique, c'est que pour connaître les âmes, nous pouvons et devons observer leurs corps. Étudier des âmes, en tant que scientifique observateur ou expérimentateur, c'est toujours étudier des corps.

La science de la matière est-elle en principe suffisante pour expliquer nos existences d'êtres conscients ? Nous ne savons pas. On peut croire que la conscience émerge à partir de la vie cérébrale, mais nous ne savons pas l'expliquer (Chalmers 1996). Les influx nerveux sont produits par des courants électriques dans les neurones et à travers leurs membranes. Ce sont des courants ioniques très ordinaires. Rien ne suggère qu'ils doivent être les messagers de l'esprit. Et si on tient à une cosmologie strictement matérialiste - seulement des atomes et du vide - il semble que l'Univers devrait être sans âmes. Les atomes n'ont pas besoin des âmes pour être des atomes.

Nous ne savons pas comment la vie du corps fait apparaître celle de l'âme, nous savons seulement qu'une âme a besoin de son corps pour être ce qu'elle est. Toutes les facultés de l'âme dépendent de son corps. Pour voir il faut des yeux, et un cerveau qui interprète les informations visuelles. Pour agir il faut des pieds et des mains, ou d'autres effecteurs, et un cerveau qui les commande. Pour se souvenir, il faut conserver des enregistrements quelque part dans la tête. Les émotions sont des affections du corps autant que de l'âme. La pensée ne pourrait pas exister sans la parole, et donc sans les langues qui la font entendre. Tout se passe comme si les corps donnaient aux âmes les moyens de faire ce qu'elles font. Nous connaissons ce qu'elles sont en comprenant ce qu'elles font avec leur corps. Plus nous en savons sur le corps, tout particulièrement le cerveau, plus nous pouvons comprendre ce qu'elles sont.

La connaissance de soi comme une âme

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Il n'est pas nécessaire de connaître le fonctionnement de son cerveau, ni même de savoir que nous en avons un, pour se connaître soi-même comme une âme, parce que l'âme est toujours capable de réfléchir : quand on voit, on ne connaît pas seulement l'objet vu, on se connaît aussi soi-même en train de le voir. Quand on le voit, on sait qu'on le voit. Il en va de même pour toutes les activités conscientes. Quand on se souvient, on sait qu'on se souvient. Quand on veut, on sait qu'on veut. On ne peut pas vivre consciemment sans savoir qu'on vit consciemment. Par la réflexion l'âme est informée directement de sa propre activité. Elle ne peut pas être une âme sans se connaître ainsi. Sa nature est d'être en permanence un témoin d'elle-même.

Parce qu'il est naturel et spontané, on croit parfois que le savoir de soi-même acquis par la réflexion n'a pas sa place dans la science. Il serait seulement préscientifique, comme si la science avait besoin de moyens beaucoup plus sophistiqués pour être vraiment la science. Mais c'est se tromper sur la nature de la science. Comment pourrait-on développer un véritable savoir si on renonçait à la réflexion ? On ne pourrait pas faire un seul pas en avant. Même les scientifiques qui affirment que le savoir réflexif n'est pas scientifique n'ont pas pour autant renoncé à la réflexion, sinon ils ne pourraient même plus penser.

La science fait feu de tout bois. Toutes les sources du savoir sont a priori bienvenues. Toutes les pensées, les observations, les principes, les définitions, les hypothèses, les arguments, les raisonnements, les objections, sont accueillis et encouragés, pourvu qu'il s'agisse de chercher honnêtement des vérités et des preuves. L'honnêteté scientifique exige seulement qu'on se soumette volontairement à la critique, pas que l'on renonce à nos facultés naturelles.

Toutes les facultés de l'âme repose sur sa capacité à produire et utiliser des représentations. Les images visuelles sont des représentations des objets vus. Quand on imagine, on se représente ce qu'on imagine. Quand on veut, on se représente ce qu'on veut. Même quand on ressent, on se représente les êtres qui ont provoqué nos émotions. L'étude des représentations semble donc être un bon point de départ pour étudier les facultés de l'âme. Mais la définition du concept nous laisse sur notre faim, parce que n'importe quoi peut être considéré comme une représentation. Pour être une représentation il suffit de porter des informations, quelle que soit leur nature et la façon dont elles sont portées, sur un autre être. Comme tous les êtres sont toujours porteurs de telles informations, ils peuvent toujours être considérés comme des représentations. Savoir interpréter les signaux qu'ils portent suffit pour qu'ils servent comme représentations. C'est justement ce point qui est essentiel. Les âmes se servent des représentations qu'elles produisent pour agir sur leur environnement et sur elles-mêmes. Mais la capacité à utiliser des représentations n'est pas réservée aux âmes. Les êtres vivants, même les plus simples, et les robots, se servent également de représentations internes pour agir.

La cognition est la production et l'utilisation de représentations internes qui préparent à l'action. Les sciences cognitives sont toutes les disciplines concernées par l'étude de la cognition : psychologie, neurosciences, éthologie, intelligence artificielle, robotique, épistémologie, linguistique ...

L'usage des représentations ne suffit pas pour expliquer l'existence de la conscience - les robots utilisent des représentations sans avoir conscience de ce qu'elles représentent - mais il est quand même fondamental pour connaître les âmes, parce qu'elles ne pourraient pas être ce qu'elles sont si elles ne se servaient pas des représentations qu'elles produisent. Pour exister elles ont justement besoin d'un corps qui les rend capables de produire des représentations qui les préparent à l'action. Une âme se donne des représentations, elle est ce qui se représente, ce qui perçoit et imagine. Chercher l'âme, ou la conscience, dans le cerveau, c'est chercher les représentations qu'elle se donne (Changeux 2002, Shallice & Cooper 2011, Dehaene 2014). Étudier la capacité des corps à produire et utiliser des représentations est donc une bonne approche pour comprendre les facultés de l'âme.

La liaison entre les capteurs et les effecteurs

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Pour utiliser des représentations, il faut être capable d'agir, il faut être un agent, c'est à dire un corps animé : un être vivant ou un robot. Un agent est toujours un système qui interagit avec son environnement par l'intermédiaire de capteurs et d'effecteurs (Turing 1936, Russell & Norvig 2010).

Les capteurs (les organes sensoriels) sont reliés par un système nerveux (le cerveau, la moelle épinière...) aux effecteurs (les muscles, les glandes excrétrices...) afin de produire un comportement intelligent (Churchland & Sejnowski 1992, Gazzaniga & Ivry 2001).

La perception sensorielle consiste à produire des représentations internes à partir des signaux fournis par les capteurs. Elle prépare à l'action en rendant l'agent capable de s'adapter à son environnement présent. Mais les sens ne sont pas les seules sources des représentations internes. Toutes les formes de perception et d'imagination sont des façons de produire des représentations internes qui préparent à l'action.

Un prochain chapitre présentera un modèle d'administration centralisée sans administrateur central qui explique comment le cerveau nous rend capable d'avoir une volonté autonome, de faire attention, de former des croyances et de contrôler volontairement la perception, l'imagination et la pensée. Il s'agit bien d'une théorie qui explique le fonctionnement de nos cerveaux quand nous sommes conscients, mais elle ne suffit pas pour expliquer l'apparition de la conscience à partir de l'activité cérébrale. L'attention consiste à sélectionner des représentations pour prendre des décisions et contrôler leur exécution, mais la sélection à elle seule n'explique pas pourquoi les représentations ainsi sélectionnées deviennent particulièrement conscientes. Un robot aussi peut sélectionner des représentations pour prendre des décisions, sans que cela implique la moindre conscience.


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